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Le cadre de conduite de la politique monétaire canadienne : composer avec une économie mondiale en mutation

C'est un plaisir pour moi d'être à Montréal et de prendre la parole devant Le Cercle de la finance internationale de Montréal.

J'aimerais profiter de cette occasion pour discuter du cadre de conduite de la politique monétaire de la Banque du Canada : expliquer en quoi il consiste et comment il peut favoriser une croissance vigoureuse et faciliter les ajustements aux changements économiques. Je ne pourrais avoir de meilleur auditoire pour parler d'un tel sujet. Votre expertise en matière de finance internationale vous permet de bien saisir la rapidité des changements qui s'opèrent dans les économies nationales et les marchés financiers du globe. Et vous savez qu'au sein de l'économie mondiale, la prospérité du Canada repose sur l'efficacité avec laquelle son économie réagit à cette évolution.

Étant donné les changements économiques constants que nous connaissons, il est essentiel qu'une banque centrale s'appuie sur des bases solides dans ses efforts pour renforcer l'économie du pays. Le cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire de la Banque du Canada fait partie de ces bases. Dans un instant, je donnerai un aperçu de la manière dont ce cadre agit pour atténuer les effets des chocs, faciliter le processus d'ajustement et favoriser la bonne tenue de l'économie. Mais permettez-moi d'abord de vous parler de certaines des principales forces mondiales qui influent sur l'économie canadienne.

Ces dernières années, une vive expansion à l'échelle du monde a grandement contribué à une progression marquée des cours de l'énergie et de certaines matières premières. Comme les produits énergétiques et les autres matières premières représentent environ 45 % du total de nos exportations (et quelque 13 % de l'ensemble des activités économiques à valeur ajoutée), ces variations des prix relatifs se sont traduites par une amélioration substantielle de nos termes de l'échange. J'entends par là que les prix que nous touchons pour nos exportations ont augmenté plus vite que ceux que nous payons pour les biens et les services que nous importons. Sous l'effet conjugué de cette amélioration de nos termes de l'échange et des pressions à la baisse exercées sur le dollar américain par l'énorme déficit de la balance courante des États-Unis, le huard s'est apprécié de façon notable. Depuis le début de 2003, il a crû en effet de quelque 33 % par rapport à la devise américaine et à un panier de monnaies pondérées en fonction des échanges commerciaux. Par conséquent, les coûts de nombreux produits importés, surtout des machines et du matériel, ont reculé. Parallèlement, le Canada a dû faire face à une intensification de la concurrence des économies asiatiques qui connaissent une expansion rapide, particulièrement la Chine. Par contre, de nouveaux débouchés se sont ouverts dans ces pays, ce qui nous a permis d'accroître les échanges commerciaux avec eux et de profiter, dans certains cas, d'un approvisionnement à meilleur coût.

Bien que cette évolution mondiale présente manifestement des avantages pour le Canada, elle nécessite aussi des ajustements qui comportent d'importants déplacements de l'activité entre les secteurs économiques, et donc de la main-d'oeuvre. En revanche, elle offre également de nouvelles possibilités de croissance. Le renchérissement de l'énergie et d'autres produits de base, l'appréciation du dollar canadien, l'ouverture de nouveaux marchés et la diminution des coûts des importations se répercutent sur les entreprises et les particuliers partout au Canada. Je reviendrai sur ce point tout à l'heure. Mais d'abord, j'aimerais vous dire ce que cette évolution signifie pour la Banque du Canada et pour la conduite de la politique monétaire.

Le cadre de conduite de la politique monétaire

Selon la Loi sur la Banque du Canada, notre institution a été créée « pour atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Pour réaliser cet objectif, nous avons besoin d'un cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire qui soit clair et efficace, qui donne confiance aux Canadiens et aux Canadiennes dans la valeur de leur monnaie et qui contribue à la bonne tenue de l'économie ainsi qu'à la solidité du système financier.

Les deux éléments clés de notre cadre de conduite de la politique monétaire sont la cible de maîtrise de l'inflation et le régime de changes flottants. Ils fonctionnent de concert, voire se renforcent mutuellement, et facilitent l'ajustement à l'évolution économique. Permettez-moi de préciser ma pensée.

Pour atteindre la cible d'inflation fixée à 2 %, la Banque s'emploie à maintenir un équilibre entre l'offre et la demande globales de biens et de services. L'économie peut ainsi tourner à plein régime, et l'inflation, demeurer à un bas niveau. Nous cherchons à établir cet équilibre en majorant les taux d'intérêt lorsque la demande globale pousse l'économie aux limites de sa capacité et, inversement, de manière symétrique, en abaissant les taux lorsque la demande ralentit.

La maîtrise de l'inflation facilite l'ajustement aux changements économiques de deux façons. Premièrement, lorsque l'inflation demeure près du taux visé de 2 %, elle contribue à ancrer les attentes à cet égard. Les entreprises et les particuliers sont alors mieux en mesure de décoder les signaux transmis par les prix et, ainsi, de prendre des décisions économiques éclairées à long terme, ce qui est important surtout lorsque la conjoncture évolue rapidement. Deuxièmement, quand l'offre et la demande globales sont en équilibre et que l'inflation est maîtrisée, les ressources économiques peuvent être réaffectées plus efficacement entre les secteurs, le transfert s'opérant des secteurs où la demande est relativement faible vers ceux où elle est plutôt vigoureuse. Ce phénomène est particulièrement important durant des périodes de grandes variations des prix relatifs et de changements des termes de l'échange, comme celle que nous traversons actuellement.

Jusqu'ici, j'ai axé mon propos sur la cible de maîtrise de l'inflation. J'aborderai maintenant le deuxième élément clé du cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire canadienne : le régime de changes flottants. La Banque du Canada n'a pas de cible ou de niveau préféré pour le dollar canadien. Toutefois, elle surveille le taux de change de près et elle observe les variations de la monnaie, à la recherche d'informations qui l'aident à comprendre et à évaluer l'incidence de ces mouvements sur la demande globale au Canada.

La cible de maîtrise de l'inflation et un régime de changes flottants facilitent le processus d'ajustement économique. Voici comment, en termes simples. Les mouvements du taux de change transmettent les signaux appropriés aux entreprises, ce qui les aide à répartir les capitaux et la main-d'oeuvre de la façon la plus efficiente possible.

Lorsqu'elle formule la politique monétaire, la Banque doit comprendre les raisons fondamentales des mouvements du taux de change. Cela lui permet d'estimer leur incidence nette sur la demande globale et, ainsi, de prendre les bonnes décisions en matière de politique monétaire. Ce sujet a été traité dans d'autres allocutions et, plus récemment, dans la livraison d'automne 2005 de la Revue de la Banque du Canada. Je passerai donc rapidement sur cette question aujourd'hui.

En principe, il existe deux types de mouvement de change : ceux qui découlent d'une variation de la demande de biens et de services canadiens et ceux qui n'en découlent pas. Au titre de la première catégorie, signalons l'intensification de la reprise économique mondiale. Comme je l'ai mentionné, celle-ci a provoqué un renchérissement substantiel des produits de base à l'échelle du globe et une forte demande étrangère de produits canadiens, en particulier de matières premières, ce qui a fait directement augmenter la demande globale au Canada. L'appréciation connexe du dollar canadien a atténué cet accroissement de la demande et facilité l'ajustement de notre économie en encourageant un déplacement de l'activité vers le secteur de l'exportation de produits de base. Si cet effet modérateur sur la demande devait contrebalancer entièrement la hausse directe de la demande, la politique monétaire n'aurait pas à réagir.

Les mouvements de change de la deuxième catégorie ne sont pas liés à une modification de la demande globale de biens et de services canadiens. Ils peuvent plutôt être dus à un rééquilibrage des portefeuilles, c'est-à-dire une variation soit de la demande étrangère d'actifs financiers canadiens, soit de la demande canadienne d'actifs financiers étrangers. Cependant, le mouvement du taux de change lui-même influe sur la demande de biens et de services canadiens. Si cette poussée du change est persistante, toutes choses égales par ailleurs, une mesure de politique monétaire compensatoire se révélerait nécessaire.

Un bon exemple de mouvement de change de la deuxième catégorie est l'appréciation du dollar américain survenue à la fin des années 1990 : les investisseurs mondiaux, influencés par ce qu'ils tenaient pour de robustes perspectives économiques aux États-Unis, avaient alors recherché des actifs financiers américains. En 2003-2004, bien entendu, nous avons été témoins du mouvement inverse : les investisseurs se sont préoccupés des importants déficits budgétaire et courant des États-Unis, la demande étrangère d'actifs financiers américains a fléchi et le billet vert s'est déprécié par rapport à bon nombre de grandes monnaies, dont le dollar canadien.

Il peut s'avérer très difficile d'établir si, à un moment donné, ce sont des forces de la première ou de la deuxième catégorie qui s'exercent sur le taux de change. Le plus souvent, des chocs de différents types surviennent en même temps, ce qui complique les efforts déployés par la Banque afin de déterminer les implications pour la politique monétaire.

Il est intéressant de comparer les variations du taux de change des dernières années, et leur effet sur le Canada, à celles qui ont été observées durant la crise économique et financière de 1997-1998 en Asie. En raison de cette crise, la demande de cette région du globe, qui comptait pour une bonne partie de la croissance de la demande mondiale de nombreux produits de base, a faibli considérablement. Les prix des principales matières premières produites au Canada se sont repliés, ce qui a eu des répercussions défavorables sur l'expansion de la demande globale ici. Parallèlement, et surtout à cause de la chute des cours mondiaux des matières premières, le dollar canadien s'est déprécié par rapport à son pendant américain. Cette dépréciation, conjuguée à la vigueur de l'économie américaine, a compensé en partie les effets négatifs de la crise asiatique sur la demande globale au Canada.

La situation actuelle, qui, sur le plan des produits de base, est l'inverse de celle qui a été observée pendant la crise asiatique, démontre bien l'efficacité et la souplesse du cadre de conduite de la politique monétaire adopté par la Banque. Bien que les circonstances soient différentes aujourd'hui, le cadre continue de soutenir les ajustements qui s'imposent.

L'ajustement à l'évolution économique au Canada

Il n'est jamais facile de s'adapter aux changements économiques, ni pour les entreprises, ni pour les particuliers. Au cours des trois dernières années, les variations des prix relatifs, y compris l'appréciation du dollar canadien, ont contribué à ce que davantage de main-d'oeuvre et de capitaux soient consacrés à la production de matières premières plutôt qu'à la fabrication de biens échangeables non tributaires des produits de base. Comme je l'ai déjà dit, l'importance des matières premières dans notre économie ainsi que l'amélioration de nos termes de l'échange ont apporté des avantages économiques certains à l'ensemble du Canada.

La flexibilité et la diversité de l'économie canadienne sont également favorables à l'ajustement aux changements économiques qui surviennent à l'échelle mondiale. Ces trois dernières années, on a observé une forte croissance des investissements dans les industries productrices de matières premières, ainsi qu'un essor des dépenses d'investissement et de l'emploi dans les secteurs peu ouverts au commerce international. Les investissements ont également augmenté, bien qu'à un rythme plus modéré, dans les branches non productrices de matières premières très ouvertes au commerce international.

Ici au Québec, et de façon plus générale dans le centre du pays, la force du dollar canadien et la hausse du coût de l'énergie ont mis à rude épreuve les fabricants et les fournisseurs de services exposés à la concurrence internationale. La Banque suit de près la situation des firmes dans tous les secteurs de l'économie, notamment grâce à son enquête sur les perspectives des entreprises, réalisée sur le terrain par ses bureaux régionaux, dont celui de Montréal.

Dans l'ensemble du Canada, y compris au Québec, les exportations ont poursuivi leur expansion, malgré la hausse du huard. Par ailleurs, les investissements en machines et matériel donnent à penser que bon nombre d'entreprises profitent de l'appréciation de notre monnaie pour améliorer leur productivité et leur compétitivité.

Et, bien évidemment, la robustesse de la demande intérieure, favorisée par la montée des revenus et les taux d'intérêt relativement bas, a continué de soutenir la croissance économique au Canada pendant cette période caractérisée par des ajustements considérables.

Ce processus d'ajustement n'est toutefois pas terminé. En effet, nous continuons d'enregistrer des mouvements des prix des matières premières par rapport à d'autres produits ainsi que des variations du taux de change et de la demande mondiale de biens et de services canadiens. Les cours de l'énergie, en particulier, ont beaucoup augmenté depuis un an, et les effets connexes se propagent encore au sein de l'économie. La concurrence accrue de l'étranger et les changements structurels de la demande sont d'autres importantes forces économiques à l'oeuvre qui exigent aussi un ajustement.

Conclusion

Pour conclure, j'aimerais reprendre quelques-uns de mes messages clés. Les dernières années ont été marquées par d'importants changements économiques sur la scène mondiale. Un renchérissement des matières premières par rapport aux autres biens que nous produisons au Canada, l'appréciation de notre monnaie, la concurrence internationale accrue et la progression rapide des économies émergentes d'Asie représentent à la fois des défis et des avantages pour les entreprises et les particuliers de notre pays. Certes, l'adaptation à ces changements est difficile mais nécessaire. Toutefois, les ajustements déjà opérés portent à croire que les Canadiens et les Canadiennes sont à la hauteur de la situation.

Quant à elle, la Banque du Canada continuera de contribuer à faciliter l'ajustement en menant la politique monétaire de sorte que l'économie tourne à plein régime et que l'inflation se maintienne près de la cible visée. La Banque suivra attentivement l'évolution économique et en évaluera les répercussions.

Son cadre de conduite de la politique monétaire — c'est-à-dire la cible de maîtrise de l'inflation combinée au régime de changes flottants — demeurera déterminant pour ce qui est de favoriser les ajustements que les entreprises et les particuliers effectuent afin de faire face aux changements en cours au sein de l'économie mondiale. À la Banque, nous nous employons constamment à améliorer nos recherches et nos analyses ainsi que la conduite de la politique monétaire. Mais nous demeurons convaincus que notre cadre continuera de fournir les bases solides nécessaires pour aider le Canada à composer efficacement avec une économie mondiale en mutation.