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Quelques préoccupations actuellement suscitées par la réforme financière

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Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. Dans l’espoir de répondre à certaines de vos inquiétudes, je me suis plongé dans le millier de pages de rapports et de notes que l’Institute of International Finance a produits cette dernière année. Les messages de votre institut ont une certaine constance, à défaut d’être toujours concis, c’est pourquoi je souhaiterais me concentrer sur trois préoccupations spécifiques que vous avez récemment exprimées à propos du programme de réformes financières :

  1. la cohérence de la mise en œuvre du programme parmi les pays;
  2. la possibilité d’un arbitrage réglementaire substantiel au sein du système bancaire parallèle;
  3. les conséquences macroéconomiques des réformes.

Avant de poursuivre, permettez-moi une observation d’ordre général.

Le G20 est en train de mettre en œuvre un programme radical et complet visant à renforcer la réglementation, la surveillance et l’infrastructure du système financier mondial. Cette ambition n’a rien d’étonnant. Il y a quatre ans, des déficiences manifestes aux plans de l’adéquation des fonds propres, des volants de liquidité et de la gestion des risques ont entraîné l’effondrement de firmes parmi les plus prestigieuses du monde de la finance et provoqué la plus grave crise financière depuis la Grande Dépression. La perte totale de confiance dans les établissements financiers privés – vos membres – n’a pu être enrayée que par la mise en place de mécanismes de soutien exceptionnels dans les plus riches économies du monde. Les pertes de production de quelque 4 billions de dollars et la destruction de près de 28 millions d’emplois lors de la récession qui s’est ensuivie constituaient alors un argument éloquent en faveur de la réforme et ils le restent aujourd’hui.

Permettez-moi maintenant d’aborder vos préoccupations.

Cohérence de la mise en œuvre

Des inquiétudes se font de plus en plus entendre au sujet des conséquences de l’application de Bâle III. Chacun prétend être blanc comme neige tout en accusant les autres de tricherie. En vérité, personne ne pourra s’auto-décerner ni bons points ni peines quelconques; cela se fera plutôt dans le cadre d’un examen impartial par les pairs et d’une surveillance mutuelle.

Il ne faut pas oublier que les règles de Bâle ont toujours été – et demeurent – des exigences internationales minimales, et qu’elles ne s’appliquent pas forcément de manière uniforme. Des motifs légitimes expliquent pourquoi leur mise en œuvre peut différer d’un pays à l’autre.

Certains pays appliqueront les règles de Bâle III plus rapidement que d’autres. La période de transition actuelle menant au déploiement du dispositif de Bâle III en 2019 a été diversement appréciée, jugée tantôt inspirée, tantôt mesurée, tantôt généreuse. Elle reflète un compromis de base qui donne aux économies en crise les plus éloignées des conditions à remplir le temps nécessaire pour reconstituer des volants de fonds propres. Certains pays jugeront peut-être préférable de ne pas profiter de toute cette latitude.

Bien entendu, le rythme d’adoption des nouvelles règles dépendra de l’état du système financier autant que de l’environnement macrofinancier de chaque pays. Au Canada, on estime que les banques appliqueront entièrement les exigences de Bâle III (établies pour 2019) relativement tôt dans la période de transition, qui commence en janvier 2013. Cette rapidité s’explique par la position avantageuse dont jouissent les banques canadiennes au départ et par les bénéfices que procure la constitution d’une réserve de fonds propres dans le contexte actuel de forte expansion du crédit.

Certains États adopteront des règles plus rigoureuses. Des pays comme la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni, où le secteur bancaire représente une grande part de l’activité économique, ont indiqué leur préférence pour une capacité d’absorption des pertes plus élevée. Puisque, dans ces pays, la défaillance d’une banque importante aurait des conséquences démesurées, il vaut mieux être plus prudent.

Enfin, comme d’habitude, certains pays choisiront une lecture plus tatillonne des règles, même s’ils souscrivent aux normes internationales minimales. Par exemple, les autorités nationales de surveillance pourraient décider de se montrer plus exigeantes dans le cadre de l’approche de mesure avancée (AMA) de Bâle II avant d’approuver les dispositifs internes de mesure du risque adoptés par les banques.

Je tiens à souligner que pour favoriser un esprit d’émulation, Bâle III permet d’adopter de meilleures règles; l’Accord représente cependant une norme minimale. Comme l’a fait ressortir l’IIF, il est vital d’éviter une fragmentation des réglementations. En ce sens, plusieurs mesures nouvelles aideront à atténuer les différences injustifiées dans la mise en œuvre de l’Accord entre les pays. Ainsi, le nouveau ratio de levier offre le moyen de réduire efficacement les écarts dans la pondération des risques. L’expérience nous a appris, au Canada, que le ratio de levier a la vertu de protéger les banques contre des risques que certains jugent faibles mais qui se révèlent élevés.

De plus, les décideurs publics ont décidé de nettement renforcer les processus de surveillance mutuelle auxquels se soumet chaque pays membre du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. En particulier, le Conseil de stabilité financière (CSF) et les organes normatifs comme le Comité de Bâle ont créé ensemble un cadre de suivi qui permettra de coordonner les actions et qui prévoit le dépôt annuel de rapports d’étape sur chaque pays auprès du CSF et du G20, de même que des examens par les pairs, moins fréquents mais plus détaillés.

En outre, il serait possible d’examiner ponctuellement les nouveaux arsenaux législatifs et réglementaires nationaux. Dans cet esprit, un examen des nouvelles réglementations européennes et américaines par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire serait une bonne idée, car il donnerait des gages quant à l’application cohérente des règles parmi les pays importants.

Les mécanismes de suivi coordonnés par le CSF et le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire s’ajouteront au processus de surveillance annuelle mis en œuvre par le Fonds monétaire international au titre de l’Article IV et aux évaluations indépendantes de l’application des normes internationales par les différents pays auxquelles se livrent périodiquement le FMI et la Banque mondiale 1.

Tout bien considéré, s’il existera des raisons légitimes pour justifier une adoption accélérée des normes ou un dépassement des minima internationaux, les pays auront en revanche une marge de manœuvre nettement plus réduite pour procurer à leurs banques un avantage compétitif en évitant d’appliquer intégralement les règles acceptées mondialement.

Je suis sûr que si certains pays ne se conforment pas aux règles, vous ne manquerez pas de nous le signaler. L’importance que votre institut accorde à l’observation équitable des règles et à l’examen par les pairs pourrait complémenter les initiatives officielles, et je vous encourage vivement à adopter une approche plus formelle.

Au bout du compte, il est dans l’intérêt de vos membres de suivre les règles. Certes, il y aura des périodes d’effervescence pendant lesquelles l’ambition pourra porter certaines banques et certains États à jouer avec le feu, mais l’histoire financière tend à montrer que les établissements bien capitalisés et les systèmes transparents sont ceux qui finissent par briller, sur le plan des notes, de la valeur et des résultats.

Arbitrage réglementaire

Permettez-moi maintenant d’aborder votre seconde préoccupation : l’arbitrage réglementaire.

Il n’est pas injustifié de penser que les mesures décidées récemment entraîneront un déplacement du risque vers le système bancaire parallèle. En renforçant la résilience du cœur du système financier, les réformes rendent du même coup plus attrayante la possibilité de déplacer des activités bancaires traditionnelles, comme la transformation des échéances et l’intermédiation du crédit, vers le secteur périphérique qui échappe à la réglementation.

Cette tendance est particulièrement préoccupante compte tenu du rôle joué par le secteur bancaire parallèle au cours de la période précédant la crise. Dans les dernières années de cette période de croissance intense, qui se caractérisaient par une confiance excessive dans le fait que la liquidité serait toujours disponible, l’activité du système bancaire parallèle a acquis des proportions démesurées. La valeur des véhicules d’investissement structurés, par exemple, a triplé entre 2004 et 2007, et les swaps de défaillance se sont, eux, multipliés par six.

Les conséquences pour le secteur réglementé furent pernicieuses. Les institutions financières, dont un grand nombre de banques, en étaient venues à compter sur des degrés élevés de liquidité de marché et de liquidité de financement. Par exemple, un tiers de la hausse du levier financier brut des banques d’investissement américaines, des banques du Royaume-Uni et des autres banques européennes était financé principalement par les marchés monétaires à court terme, et notamment celui des pensions. L’exposition du système au risque de confiance des marchés était énorme.

La crise a révélé la façon dont les cycles d’expansion et de contraction abruptes de la liquidité créent des effets en cascade dans le secteur bancaire parallèle, lesquels se répercutent sur les activités essentielles réglementées. Les forces du marché se sont avérées incapables de maîtriser les flux et reflux de la confiance.

Aujourd’hui, même si le secteur bancaire parallèle, ou ce qu’il convient plutôt d’appeler le financement de marché, occupe dans la plupart des pays une place au moins aussi importante que le secteur réglementé, il est souvent dépourvu de réglementation ou soumis à une surveillance qui ne porte pas sur sa dimension systémique. Un changement s’impose.

Comme cela est déjà le cas, les organismes de réglementation et de surveillance doivent trouver un compromis entre le souci d’atténuer les risques systémiques et le désir de matérialiser les bénéfices de l’approfondissement financier. Bien structuré, le secteur bancaire parallèle permet des gains d’efficience, autorise la diversification et stimule la concurrence et l’innovation. Il peut rendre le système plus robuste, à condition que ses acteurs ne comptent pas sur la liquidité du secteur réglementé et ne prétendent pas répondre aux besoins de liquidité de ce dernier durant les phases de tensions. Toutefois, l’expérience nous a aussi appris que les activités du secteur bancaire parallèle se transforment (souvent à l’aide d’instruments complexes à fort effet de levier) pour exploiter les vides réglementaires apparus consécutivement aux réactions des autorités à la crise précédente.

Tout bien considéré, quatre grandes catégories d’actions peuvent être envisagées sur le plan réglementaire. La première d’entre elles, la plus importante, consiste à encadrer de manière indirecte le secteur bancaire parallèle en bornant la taille ainsi que la nature de l’exposition aux risques des banques à ce dernier. Mentionnons à ce titre le resserrement des règles de consolidation des véhicules d’émission bancaires et, s’agissant des facilités de trésorerie, la gradation des exigences de fonds propres selon le risque. Ces mesures contribueront à limiter les possibilités d’arbitrage réglementaire, à travers lesquelles les banques tentent de s’affranchir des exigences de fonds propres ou de liquidité en agençant la globalité ou une partie de leurs transactions au moyen d’entités du secteur bancaire parallèle, alors qu’elles conservent bon nombre des risques extrêmes.

Un deuxième type d’action vise à s’attaquer directement aux risques systémiques du secteur bancaire parallèle. Des mesures macroprudentielles sont ainsi examinées afin de tenir compte de la procyclicité des décotes et des règles relatives aux garanties appliquées aux opérations de pension et de prêt de titres. De telles mesures pourraient être très utiles pour modérer les cycles de liquidité.

Le renforcement de l’infrastructure des marchés financiers pourrait permettre de mieux contenir le risque de contagion. Au Canada sera lancée dans les prochains mois une contrepartie centrale de compensation des opérations de pension. Celle-ci renforcera la gestion du risque de contrepartie, réduira, grâce à la compensation, les exigences au sujet des garanties et du bilan, et atténuera les répercussions en cas de défaillance d’un participant. En facilitant l’ouverture continue des marchés de financement, cette initiative permettra au cœur du système financier de mieux supporter les chocs.

La troisième approche consiste à encadrer les activités mêmes du secteur bancaire parallèle, qu’il s’agisse des marchés monétaires ou des fonds négociés en bourse (FNB), en fixant des obligations en matière d’information ou des restrictions sur des opérations financières et des instruments financiers particuliers. Cette approche demandera toutefois une surveillance active du système financier et la concertation des autorités concernées.

Enfin, le CSF considère actuellement la possibilité de réglementer les entités du secteur bancaire parallèle qui, tels les fonds spéculatifs, sont susceptibles de poser des risques systémiques; il envisage à cet égard de limiter la transformation des échéances ainsi que l’effet de levier. Cette dernière approche nécessite de prendre en compte la taille relative des établissements concernés et l’effet cumulatif d’autres mesures.

Quelles que soient les décisions qui seront prises dans les mois à venir, personne ne devrait avoir le sentiment du devoir accompli. La résilience du système passe obligatoirement par un suivi, une surveillance et une réglementation dynamiques du secteur bancaire parallèle 2.

La perte subie dernièrement par la banque UBS sur les produits Delta One traités par son pupitre de négociation démontre qu’il est nécessaire de gérer avec vigilance le risque associé aux nouveaux produits complexes. Heureusement pour le système, cette perte a pu être absorbée vu la taille accrue des volants de fonds propres dont UBS disposait; ainsi, une crise de liquidité plus généralisée a été évitée. Le CSF a eu un pressentiment en mettant en lumière les risques liés aux FNB synthétiques 3. Ces fonds servent parfois à financer des garanties peu liquides dont le financement, s’il était assuré à même des produits inscrits au bilan, entraînerait une hausse de la pondération des risques. Il importe de surveiller attentivement le risque de cycle de liquidité procyclique qui pourrait en résulter.

La réforme du secteur bancaire parallèle est l’occasion d’assurer la cohérence de l’ensemble des réformes financières. À titre d’exemple, les règles en matière de fonds propres devront viser un équilibre entre les risques auxquels s’exposent les institutions et les avantages d’une incitation à régler directement et indirectement les produits dérivés courants à l’aide de contreparties centrales. Les normes de liquidité et l’infrastructure des marchés devraient permettre d’améliorer l’ouverture continue des marchés de financement essentiels. De cette façon, le système peut être renforcé aussi bien sur le plan de la résilience que sur celui de l’efficience.

Puisque les autorités sont en train d’examiner les mesures de manière exhaustive en prenant en compte le système dans son ensemble, il se peut que des changements soient apportés, par exemple au niveau des normes de liquidité. Le Comité de Bâle et le Comité sur le système financier mondial mettent à profit la période d’observation actuelle pour revoir les questions litigieuses relatives au ratio de liquidité à court terme, notamment en ce qui concerne l’incertitude autour du mode d’utilisation des actifs liquides en situation de tensions ainsi que la façon dont les règles de liquidité devraient fonctionner conjointement avec le nouveau ratio de levier. Ces deux comités se penchent également sur les conséquences indésirables susceptibles de survenir dans le marché du papier commercial et chez les teneurs du marché des actions. Les travaux du CSF sur le secteur bancaire parallèle nous en apprendront plus sur les relations existant entre ces normes, les principaux marchés et la santé de l’économie.

Il faut que ces questions soient abordées avant que les nouvelles règles soient entièrement mises en œuvre 4. Reporter au-delà du début de l’année prochaine les décisions à prendre sur les modifications qui pourraient être apportées au ratio de liquidité à court terme ne semble guère avantageux. Les travaux sur le ratio de liquidité à long terme prendront plus de temps.

Les conséquences macroéconomiques des réformes financières

Permettez-moi maintenant d’aborder votre troisième préoccupation, beaucoup plus fondamentale. Compte tenu des perspectives économiques particulièrement difficiles qui se dessinent actuellement, certains plaident pour qu’on revoie le rythme et l’étendue des réformes financières. Ils se fondent en cela sur deux prémisses contestables.

La première est que la perspective même des réformes financières contribue aux piètres résultats économiques actuels, avec pour corollaire que le report de la mise en œuvre des règles de Bâle III sur les fonds propres bancaires, par exemple, consoliderait d’une façon ou d’une autre la reprise.

Vraiment?

La faible croissance du crédit dans les économies en crise est souvent invoquée à l’appui de cet argument. Toutefois, le fait que le crédit aux ménages stagne ou recule aux États-Unis comme au Royaume-Uni ne devrait surprendre personne. Les ménages américains et britanniques sont surendettés. L’avoir net des particuliers ayant substantiellement diminué à la suite de la crise, le besoin d’assainir les bilans des ménages en période d’incertitude économique pèse assez naturellement sur la demande de crédit. Pour les nombreux pays qui n’ont pas connu de crise financière d’origine interne, la principale inquiétude a été la progression excessive des emprunts des ménages, malgré l’adhésion de ces pays à un calendrier commun de mise en œuvre de l’Accord de Bâle III. Dans les économies en crise, c’est avant tout la demande qui pose problème, et non l’offre.

Plus globalement, le vaste programme de réformes du G20 vise à rétablir la confiance dans les institutions et marchés financiers mondiaux en proposant un plan qui accroît la résilience du système financier et élimine le recours à l’appui de l’État. On est en droit de se demander en quoi un recul serait productif. Par ailleurs, à un moment où la conviction des décideurs publics sur de nombreux enjeux est remise en question, il semble bien peu opportun d’entretenir cette inquiétude.

Rappelons de surcroît que, selon le calendrier qui a été adopté, la mise en œuvre de Bâle III débutera dans deux ans et s’achèvera en 2019. Il est difficile de croire que le report de cette échéance aurait un effet notable sur les résultats économiques réels. Si certaines institutions ressentent actuellement des pressions, c’est que pendant trop longtemps, elles n’en ont pas fait assez, et non pas parce qu’on leur demande d’en faire trop, trop vite.

La seconde prémisse est que, une fois appliquées, les réformes brideront la croissance mondiale. Les pertes de production pendant la phase de transition seraient, selon un rapport publié récemment par l’IIF, plus de dix fois supérieures à celles calculées par la Banque des Règlements Internationaux, la Banque du Canada, le FMI et d’autres institutions publiques et grands instituts de recherche.

Permettez-moi de relever quelques-uns des nombreux problèmes qui émaillent l’analyse de l’IIF. L’étude en question postule que les banques redistribuent la majorité de leurs revenus et qu’elles doivent, par conséquent, compter largement sur des sources externes pour mobiliser des capitaux. Dans le modèle économétrique utilisé, la consommation alimentée par l’endettement est un facteur essentiel de la croissance de la production, alors que manifestement, l’heure est au désendettement dans la plupart des grandes économies. De plus, on présume que la politique monétaire restera au point mort jusqu’en 2020. J’aimerais certes profiter d’un tel répit, mais cette présomption ne cadre ni avec l’arsenal d’outils non traditionnels dont disposent les banques centrales ni avec les perspectives à moyen terme concernant l’économie mondiale. L’incidence des réformes sur le coût de la dette bancaire dépasserait la hausse enregistrée durant la crise! Il est difficile d’imaginer que le relèvement des niveaux de fonds propres et de liquidité, conjugué au renforcement de l’infrastructure, pourrait entraîner un tel résultat. Autrement dit, l’IIF laisse entendre que les pouvoirs publics subventionnent actuellement le secteur financier de manière massive.

Enfin, dans la même analyse, on suppose que tous ces efforts de réforme sont vains, puisqu’aucun de leurs fruits n’est pris en compte. Au vu des perturbations récentes, personne ne contestera que les crises financières ont un coût, et seuls les esprits les plus blasés diront qu’il est impossible d’en réduire la probabilité et la gravité.

Des pays comme le Canada et l’Australie, dont les banques sont bien dotées en capital et bien gérées, n’ont connu ni défaillances ni sauvetages financiers, ce qui les a aidés en partie à afficher des résultats économiques nettement supérieurs à ceux des autres pays industrialisés. Selon nos estimations, même si Bâle III ne devait réduire la probabilité de telles crises que dans une faible mesure, les gains potentiels à retirer dépasseraient de beaucoup le coût d’une croissance un peu moins rapide. La Banque du Canada a établi la valeur nette actualisée des réformes de Bâle III pour les économies du G20 à 30 % du PIB, soit environ 13 billions de dollars américains 5.

En bref, si l’assombrissement des perspectives économiques dans le monde a des répercussions sur les résultats des banques, il ne justifie pas un report de la mise en œuvre de Bâle III.

Conclusion

Pour conclure, les critiques des réformes succombent généralement à trois arguments éculés :

  • toute règle est vouée à être contournée (cf. l’arbitrage réglementaire),
  • toute assurance favorise une plus grande prise de risques,
  • et il y aura toujours des crises financières.

Un tel fatalisme est à rejeter. Il n’existe aucun autre domaine où les êtres humains n’aient la volonté d’apprendre et de s’améliorer. De fait, la triste expérience des dernières années montre l’ampleur des progrès à accomplir pour rehausser l’efficacité et la résilience du système financier mondial. C’est par des intentions claires et une détermination à toutes épreuves dans la mise en œuvre que l’on pourra y parvenir. Les projets de réforme en cours marquent des avancées réelles.

L’objectif premier des réformes du G20 est de créer un système financier mondial résilient qui favorise efficacement l’expansion économique à l’échelle du globe. Le but est d’amener les institutions financières et les marchés financiers à jouer des rôles déterminants – et complémentaires – à l’appui de la prospérité économique à long terme.

Il faut pour cela que les institutions soient suffisamment pourvues en capital et en réserves de liquidités pour faire face aux chocs. Il faut aussi laisser les forces du marché établir la taille relative et les frontières du secteur bancaire et du secteur bancaire parallèle. Il faut enfin que le marché puisse décider du sort des entreprises.

Le Conseil de stabilité financière a un rôle évident à assumer pour superviser et coordonner l’élaboration des réformes du G20, notamment en apportant une vision d’ensemble et en évaluant l’incidence globale de ces réformes. Il doit s’efforcer de résoudre les conflits susceptibles d’émerger parmi diverses réglementations qui sont optimales dans les pays concernés mais incohérentes sur le plan systémique. Il doit viser un équilibre entre le besoin de prévenir l’arbitrage réglementaire et l’utilité de préserver tant des stratégies différentes en matière de prise de risques que la capacité d’innover. Le Conseil doit enfin s’assurer d’une mise en œuvre uniforme à l’échelle internationale afin d’établir un système ouvert et concurrentiel.

Il importe également de garder en tête les limites de toute réglementation. De nouvelles et de meilleures règles sont indispensables, mais non suffisantes. Car il se trouvera toujours des acteurs pour tenter de les contourner. Certains réussiront sans doute, pendant un temps. C’est pourquoi la surveillance est fondamentale. Les règles ne sont efficaces que si les organismes de contrôle les font respecter, en s’attachant non seulement à leur lettre mais aussi à leur esprit.

Naturellement, la foi de tous les participants du secteur financier dans le bien-fondé de ces mesures facilitera aussi leur application. Comme vous le savez, il vous incombe ultimement de faire en sorte que vos institutions assument, de manière responsable, les risques que vous prenez. Nous avons tous tiré des enseignements des événements de ces dernières années; j’anticipe donc un dialogue constructif et continu avec l’IIF pour l’élaboration et mise en œuvre de ce programme vital.

  1. 1. Le FMI et la Banque mondiale effectuent conjointement les travaux relatifs au Programme d’évaluation du secteur financier (PESF) et aux rapports sur l’observation des normes et codes (RONC).[]
  2. 2. Le CSF a élaboré une méthode de surveillance en deux étapes. Dans un premier temps, le secteur bancaire parallèle est passé en revue afin d’en comprendre les principaux développements et les grandes tendances. La seconde étape prévoit une analyse détaillée des activités et des entités de ce secteur, qui fait ressortir les risques systémiques et met en lumière l’arbitrage réglementaire, la transformation excessive des échéances ou du profil de liquidité, de même que les imperfections du transfert du risque de crédit et les effets de levier démesurés. Si l’objectif est de mettre en place cette approche d’ici la fin de 2012, soulignons qu’il sera difficile d’obtenir des données suffisamment précises.[]
  3. 3. Voir Potential Financial Stability Issues Arising from Recent Trends in Exchange-Traded Funds (ETFs), rapport du CSF, 12 avril 2011.[]
  4. 4. Dans le cadre de ces travaux, les banques ont été invitées à soumettre tous les semestres des données et à remplir un questionnaire détaillé au sujet de leurs méthodes de gestion de la liquidité, tout cela afin de réunir de l’information concernant l’incidence de ces méthodes sur le système financier.[]
  5. 5. Si l’on se base sur un relèvement des fonds propres de deux points de pourcentage (plus les changements concernant les niveaux de liquidité). Pour le Canada, les estimations sont d’environ 13 % du PIB en valeur actualisée, soit environ 200 milliards de dollars canadiens. Voir Renforcement des normes internationales de fonds propres et de liquidité : évaluation de l’incidence macroéconomique pour le Canada, document de la Banque du Canada, août 2010, et Mark Carney, Conférence de 2010 de la Bundesbank : Les conséquences économiques des réformes, discours prononcé à la Deutsche Bundesbank, Berlin, 14 septembre 2010.[]