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Le mal hollandais

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Introduction

Certains perçoivent l’abondance des ressources naturelles du Canada comme une bénédiction, d’autres comme une malédiction.

Face au boom des matières premières à l’échelle du globe, ces derniers posent un sombre diagnostic pour le Canada, à savoir qu’il souffre du « mal hollandais » 1. Ils ne tiennent pas compte des bénéfices énormes, dont l’augmentation des revenus et de la sécurité économique, que peuvent offrir nos vastes ressources naturelles.

Ils soutiennent que le niveau record des cours des produits de base a entraîné une appréciation du taux de change du Canada qui, à son tour, provoque un repli dans les secteurs tributaires des échanges internationaux, en particulier le secteur manufacturier. Ce qu’ils désignent par mal hollandais, c’est la notion selon laquelle un boom éphémère dans un secteur entraîne des pertes permanentes dans d’autres, dans une dynamique qui, au final, est dommageable pour l’économie canadienne.

Même si la logique implacable de l’argument est attirante, et qu’il peut être tentant d’accuser les produits de base de tous les maux, le diagnostic est exagérément simpliste et, en définitive, erroné. L’économie canadienne est bien plus diversifiée et bien mieux intégrée que la caricature évoquée par le mal hollandais. Notre dollar subit l’influence d’une multitude de facteurs et, fondamentalement, le renchérissement des produits de base est clairement favorable au Canada.

Il ne faut pas banaliser pour autant les ajustements structurels pénibles que la hausse des cours des produits de base peut provoquer. Pas plus qu’il est approprié d’adopter une simple attitude de laissez-faire. Les politiques publiques peuvent contribuer à réduire au minimum les coûts d’ajustement et à maximiser les avantages découlant des booms des matières premières, mais, comme dans tout traitement, elles auront plus de chance d’être efficaces si le diagnostic initial est correct.

Les perspectives de l’économie mondiale

L’économie mondiale, dont le rythme de croissance était déjà modeste, connaît une décélération généralisée.

Une nouvelle normalité pour les États-Unis

La reprise aux États-Unis suit exactement la triste trajectoire de celles des autres économies avancées qui ont traversé des crises financières. La croissance du PIB s’est chiffrée en moyenne à tout juste 2,2 % depuis le creux touché en 2009. De fait, ce n’est qu’à la lumière des comparaisons qu’il convient de faire avec la Grande Dépression que l’efficacité des mesures d’intervention aux États-Unis ressort pleinement.

La seule bonne nouvelle, c’est que certains progrès sont accomplis dans l’assainissement des bilans.

Les banques américaines ont fortement accru leurs capitaux propres (leur ratio des capitaux propres en actions ordinaires au total de l’actif s’est élevé de plus de 25 %). Les ménages américains ont récupéré plus des deux tiers des 16 billions de dollars de la valeur nette qu’ils ont perdus à la suite de la crise. Nous estimons cependant qu’il faudra encore plusieurs années avant qu’ils regagnent le terrain perdu.

Malgré tout, la dette totale aux États-Unis est à peine redescendue de son sommet de 250 % du PIB - un niveau jamais vu depuis la Grande Dépression. La raison en est que la dette du gouvernement américain a augmenté de quatre dollars pour chaque dollar de réduction de la dette des ménages. Ce sur-place persistera un certain temps, car la demande intérieure privée n’est pas encore assez robuste pour contrebalancer des compressions budgétaires brutales.

En un mot, étant donné la baisse des investissements en capital et la hausse du chômage structurel, la Banque estime que le PIB américain demeurera inférieur de plus de un billion de dollars en 2015 à ce qu’elle avait prévu avant la crise (Graphique 1).

Même dans cette salle, ce chiffre est impressionnant.

Une crise existentielle en Europe

L’Europe stagne. Son PIB est toujours inférieur de 2 % au sommet qu’il avait atteint avant la crise, et la demande intérieure privée est inférieure de 6 %, ce qui est stupéfiant. La dure combinaison de l’austérité budgétaire et de l’ajustement structurel aura pour conséquences une baisse des salaires, un chômage élevé et des conditions du crédit serrées. Par conséquent, pour que l’Europe puisse regagner le niveau du PIB d’avant la crise, il lui faudra selon toute vraisemblance au moins sept ans à compter du début de sa dernière récession.

Le reste du monde en ressent les effets, par la voie des échanges commerciaux, des liens financiers et de la confiance.

La contraction en Europe donne lieu à des pertes bancaires et à des déficits budgétaires. Toutefois, ces problèmes sont symptomatiques d’un mal sous-jacent : une crise de balance des paiements.

Pour pouvoir rembourser les créanciers dans les grandes économies de la zone euro, les débiteurs des pays périphériques doivent redevenir compétitifs. Ce ne sera ni facile ni rapide.

Le poids ne peut se traduire uniquement par une hausse du chômage et une baisse des salaires dans des pays comme l’Espagne. Une augmentation des salaires (et de l’inflation) en Allemagne faciliterait la transition, surtout si les réformes structurelles en cours dans les pays en déficit contribuent réellement à stimuler la productivité.

Des mesures importantes ont été annoncées au cours de l’été visant à commencer à restaurer le marché financier unique, rompre les liens toxiques entre les banques et les marchés de la dette souveraine et, potentiellement, contribuer à faire en sorte que tous les pays de la zone euro puissent se financer à des taux plus soutenables.

Toutes ces mesures doivent être entièrement mises en œuvre, et non seulement annoncées. À cet égard, la Banque accueille très favorablement l’annonce faite hier par la BCE d’importantes nouvelles mesures visant à s’attaquer au risque de convertibilité et à améliorer la transmission de la politique monétaire. Toutefois, il faudra du temps avant que la confiance soit rétablie sur les marchés, et des années avant que les ajustements budgétaires et structurels portent leurs fruits. En outre, les discussions concernant les institutions fédérales qui pourraient se révéler nécessaires afin de soutenir une union monétaire durable sont encore au stade embryonnaire.

Les économies de marché émergentes

En Chine et dans les autres économies émergentes, la décélération de la croissance ces derniers mois a été plus prononcée que prévu, sous l’effet du resserrement passé des politiques, de la demande extérieure plus faible et des défis que présente le rééquilibrage vers des sources de croissance intérieures.

Le PIB réel de la Chine a crû de 7,6 % au second trimestre, ce qui représente le rythme le plus lent enregistré en trois ans. Selon des données récentes, le taux de croissance devrait poursuivre sa descente au cours du présent trimestre.

Cette situation découle en partie d’une décélération opportune du rythme de croissance de plus en plus insoutenable observé ces dernières années, laquelle a été provoquée par les politiques publiques. Compte tenu de la vulnérabilité grandissante du secteur du logement, des signes accrus d’un surinvestissement ainsi que du niveau d’inflation supérieur à la cible, les autorités chinoises ont réagi de façon appropriée en resserrant les politiques monétaire et macroprudentielle.

La mesure dans laquelle la baisse de la demande extérieure, surtout européenne, a pesé sur la croissance des exportations a causé plus de surprise.

Dernièrement, face au ralentissement de l’expansion économique et à l’allègement des pressions exercées sur les prix, la Banque populaire de Chine a assoupli sa politique monétaire. La politique budgétaire a également été relâchée. Dans les deux cas, les autorités disposent encore d’une flexibilité supplémentaire considérable. La Banque du Canada prévoit que la croissance en Chine s’établira en moyenne à 7,5 % au cours des prochaines années, ce qui est nettement inférieur aux taux insoutenables dans les deux chiffres enregistrés depuis le creux de la crise.

Le diagnostic

Pourquoi on s’attend à ce que les prix des produits de base demeurent élevés

Compte tenu des pressions qui s’exercent sur la croissance à l’échelle du globe, les cours des produits de base ont baissé de 13 % depuis le sommet atteint en avril de l’année dernière, et on peut s’attendre à ce qu’ils demeurent volatils.

Néanmoins, les prix sont toujours supérieurs de quelque 25 % à leurs moyennes de longue période en termes réels.

En réalité, les prix réels de l’énergie et des métaux sont bien supérieurs à leurs moyennes de long terme depuis plus de sept ans, et le niveau des prix réels des aliments n’a jamais été aussi élevé depuis 35 ans (Graphique 2).

Tout au long du boom actuel qui dure depuis dix ans, l’ampleur des augmentations de prix a été plus grande, et l’éventail des produits de base touchés plus large, que lors des booms précédents. Depuis 2002, les cours des métaux et des céréales ont plus que doublé et les prix du pétrole brut ont presque quadruplé.

On peut se demander si une telle vigueur persistera.

La Banque est d’avis que ces prix élevés sont principalement attribuables à une hausse marquée et soutenue de la demande. L’ampleur et la persistance du redressement des prix des produits de base confortent cette conclusion.

Cette croissance repose sur une urbanisation rapide. Depuis 1990, la population urbaine en Chine et en Inde s’est accrue de quelque 500 millions de personnes, ce qui représente une augmentation équivalant à la population du Canada tous les 18 mois (Graphique 3). Malgré le ralentissement cyclique prononcé que subissent actuellement la Chine et l’Inde, ce processus séculaire devrait se poursuivre pendant des décennies.

Ainsi, même si l’histoire nous enseigne que toutes les phases d’expansion ont une fin, et comme la convergence vers les niveaux de consommation enregistrés actuellement en Occident est encore loin d’être réalisée, on peut s’attendre à ce que la demande de produits de base demeure robuste, et les prix, élevés.

Au Canada, l’incidence de la montée des cours des produits de base a été renforcée par la solide croissance de l’offre de certaines matières premières. Le pétrole représente maintenant notre matière première la plus importante en valeur (Graphique 4). Sa part de la production canadienne totale de matières premières est passée de 18 % à 46 % au cours des 15 dernières années.

La diminution du poids du secteur manufacturier

Coïncidant avec cette période caractérisée par des prix élevés des produits de base, la part du secteur manufacturier dans le PIB du Canada a chuté depuis le début du siècle, passant de 18 % à environ 11 %.

Pour ceux qui soutiennent la thèse du mal hollandais, cette relation concomitante, qu’ils décrivent comme une relation de cause à effet, est l’argument massue. Toutefois, dans une perspective plus large, il est évident que le déclin du secteur manufacturier découle seulement partiellement de l’appréciation du taux de change et, qu’en fait, il fait partie d’une tendance séculaire plus vaste au sein des économies avancées (Graphique 5). Les grandes forces de la mondialisation et des progrès technologiques ont dispersé l’activité manufacturière au-delà des frontières, ce qui a eu pour effet de concentrer de plus en plus les étapes de production offrant la plus grande valeur ajoutée dans les économies avancées.

En 1970, le ratio de l’activité manufacturière au PIB au Canada s’établissait à 6 points de pourcentage de moins que la moyenne des membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Aujourd’hui, ce ratio se situe à 3 points de pourcentage de moins. Parallèlement, la part des emplois dans le secteur manufacturier a baissé, mais pas autant que chez notre voisin du sud importateur de matières premières (Graphique 6). Même si l’ajustement a été pénible, il s’est produit sur une période plus longue que celle qui a été caractérisée par le boom des matières premières et, en général, le Canada n’a pas perdu de terrain par rapport aux autres économies avancées.

Qu’est-ce qui détermine la valeur du dollar?

La vigueur concomitante des cours des produits de base et du dollar canadien ces dernières années a été retenue par certains comme l’argument justifiant que le Canada était affligé du mal hollandais. Or, ce diagnostic ne tient pas compte du fait que le dollar canadien subit l’influence de divers facteurs.

Les cours des produits de base jouent un rôle. Le Canada est un exportateur net de matières premières, alors que son principal partenaire commercial, les États-Unis, est un importateur net. Il en résulte que les termes de l’échange de nos deux pays évoluent en sens opposé sous l’effet de variations des cours des produits de base. Par conséquent, le taux de change Canada-États-Unis a tendance à s’apprécier lorsque les cours mondiaux des produits de base augmentent (Graphique 7) 2.

Mais cela n’est que le début de l’explication, qui rend compte de la moitié environ de l’appréciation de notre dollar au cours des dix dernières années. D’autres facteurs jouent aussi un rôle important.

Depuis 2002, le dollar américain a reculé par rapport aux monnaies de nombreux pays, exportateurs et importateurs de matières premières confondus. L’appréciation du dollar canadien par rapport à son pendant américain a été similaire à celles des devises de deux grands importateurs de matières premières, le Japon et la zone euro (Graphique 8).

Dans l’ensemble, la Banque estime qu’environ 40 % de l’appréciation du dollar canadien depuis 2002 s’explique par la dépréciation multilatérale du dollar américain.

Le reste de l’appréciation est imputable à des forces autres que la faiblesse du dollar américain et l’évolution des prix des produits de base. En particulier, divers facteurs rendent le Canada attrayant pour les investisseurs, notamment la santé de nos finances publiques, la résilience de notre système financier et la crédibilité de notre cadre de conduite de la politique monétaire.

Ces forces limitent le risque à la baisse associé aux actifs canadiens et font du Canada un refuge unique dans un monde marqué par les risques.

Ce statut de refuge conféré au Canada se reflète dans le comportement des rendements des obligations canadiennes à 10 ans, qui ont tendance à reculer en même temps que les prix des actifs risqués, tels que les cours mondiaux des actions. Cette corrélation laisse supposer que les capitaux affluent en direction des obligations canadiennes lorsque le risque perçu augmente. De fait, selon cette mesure, le Canada n’est précédé que par les États-Unis et le Royaume-Uni  au chapitre des pays ayant le statut de refuge (Graphique 9). Cela n’a pas toujours été le cas. Pendant la Grande Modération, cette corrélation était essentiellement nulle (Graphique 10).

Comment les revenus générés par les produits de base influent sur notre économie

Les symptômes que nous observons ne sont pas associés au mal hollandais, mais ils reflètent plutôt les changements structurels au sein de l’économie mondiale auxquels le Canada doit s’adapter. Même si ces changements exercent des pressions, leur incidence globale est positive.

L’analyse réalisée à l’aide du principal modèle de projection de la Banque du Canada - TOTEM (pour Terms-of-Trade Economic Model) - montre l’incidence sur l’économie canadienne de différents types de chocs d’offre et de demande de produits de base 3.

Quelle que soit la cause d’un renchérissement des produits de base, l’amélioration des termes de l’échange du Canada donne lieu à une augmentation des revenus, de la richesse et du PIB (Graphique 11). Dans tous les cas, le dollar canadien s’apprécie, mais l’effet négatif de cette appréciation sur nos exportations hors produits de base est compensé en partie par le fait qu’une monnaie plus forte réduit le coût des machines et du matériel destinés à accroître la productivité et celui des intrants importés dans la production.

Examinons trois différentes situations qui entraînent une hausse de 20 % des cours de l’énergie, ce qui correspond en gros à l’augmentation enregistrée entre le milieu de 2010 et 2011.

Lorsque le renchérissement des produits de base est attribuable à une poussée de la demande américaine 4, l’incidence sur le PIB du Canada est la plus importante. Elle représente une hausse tout juste supérieure à 3 % après cinq ans, ce qui équivaut à environ 57 milliards de dollars. La raison en est que l’amélioration des termes de l’échange du Canada est vivement renforcée par la hausse de la demande de nos exportations hors produits de base. De fait, cette demande additionnelle compense amplement les pertes de compétitivité dans les secteurs manufacturier et des services découlant d’une augmentation des salaires et des prix des ressources et d’une appréciation du dollar.

Ce scénario correspond au cycle de produits de base tel que nous le connaissions. Il devient rapidement une relique de l’histoire.

Lorsque, comme c’est le cas actuellement, la plus forte demande en provenance des pays émergents d’Asie est à l’origine du renchérissement de l’énergie, l’augmentation nette du PIB est d’environ 1 % après cinq ans, ce qui correspond au tiers de l’incidence d’un choc de la demande américaine. Cette réaction moins marquée tient au fait que l’exposition directe du Canada à ces marchés d’exportation est relativement faible. La demande additionnelle pour compenser les effets de compétitivité est donc moindre.

Enfin, une hausse des cours des produits de base causée par une diminution temporaire de l’offre génère la plus petite croissance du PIB, soit environ 0,2 % la première année. Dans ce cas, l’incidence négative de l’appréciation est renforcée par la baisse de l’activité économique dans le reste du monde attribuable à la perturbation de l’offre.

L’envolée des prix du pétrole ces dernières semaines est un exemple de choc des produits de base qui ne rapporte que peu d’avantages au Canada.

Dans les trois situations, l’effet qu’exerce l’intensification de l’activité économique au Canada sur l’inflation sous-jacente est largement contrebalancé par une appréciation de notre taux de change. Cela contribue à atténuer l’incidence directe des cours plus élevés des produits de base sur les prix que paient tous les Canadiens pour l’alimentation, l’essence et les autres biens à forte teneur en matières premières.

Lorsque les cours des produits de base montent, les revenus provenant du secteur des ressources naturelles se répartissent dans l’économie canadienne par l’intermédiaire de trois canaux : la redistribution budgétaire, par le gouvernement fédéral surtout; l’accroissement de la richesse personnelle, passant par le revenu et la détention d’actions; et le commerce interprovincial.

Il est important de reconnaître que, pour la plupart des provinces, le commerce à l’intérieur du pays a crû assez rapidement pour contrebalancer une bonne part du recul du commerce international. Les provinces du centre, par exemple, ont connu une baisse en termes réels des exportations internationales de l’ordre de 18 milliards de dollars entre 2002 et 2008, qui a été presque entièrement compensée par un accroissement des exportations interprovinciales de 16 milliards de dollars.

Cet accroissement tient en partie à une augmentation des ventes dans l’Ouest du Canada de machines, de métaux de première transformation et de produits chimiques fabriqués par des entreprises des provinces du centre.

La majeure partie de la hausse des échanges interprovinciaux en volume a été enregistrée dans le secteur des services plutôt que dans celui des biens, où l’essentiel du repli des exportations internationales est survenu. Les services bien rémunérés, tels que les services professionnels, miniers et financiers, ont grandement contribué à l’augmentation des échanges commerciaux entre les provinces du centre et l’Alberta (Graphique 12 et Graphique 13).

Améliorer la santé économique du Canada

Or, ce n’est pas parce que les prix plus élevés des produits de base sont favorables à l’économie canadienne que les politiques publiques n’ont aucun rôle à jouer. Naturellement, le premier objectif de celles-ci devrait être de ne causer aucun préjudice. Cela m’amène à parler du taux de change.

La Banque devrait-elle aller à contre-courant du taux de change?

Certains ont avancé que la Banque du Canada pourrait améliorer le niveau de bien-être en contrecarrant les mouvements du taux de change nominal déterminés par les cours des produits de base.

Il importe de se rappeler que les changements des termes de l’échange donneront lieu à des ajustements. La seule question qui se pose, c’est de savoir comment ceux-ci s’opéreront. Notre taux de change flottant facilite les ajustements appropriés sans imposer de variations pénibles du niveau global des salaires, de la production et des prix.

TOTEM peut servir à simuler l’effet d’une intervention de la Banque consistant à abaisser le taux directeur afin de contrer une appréciation du taux de change liée aux prix des produits de base. À court terme, la stabilisation du taux de change nominal aide à soutenir les exportations hors produits de base de même que les producteurs canadiens confrontés à la concurrence des importations. Toutefois, au bout du compte, cet effort est vain. Les salaires et l’inflation augmentent au fil du temps, ce qui entraîne une appréciation du taux de change réel. Les exportateurs de produits autres que des ressources naturelles doivent composer avec les mêmes défis sur le plan de la compétitivité que ceux auxquels ils font face aujourd’hui.

Par ailleurs, cette situation mène à une période soutenue d’inflation supérieure à la cible, qui commence à désarrimer les attentes d’inflation. Il faut ensuite resserrer énergiquement la politique monétaire pour restaurer la stabilité des prix. Cette mésaventure a un coût, soit une diminution de quelque 1 % de la production et une volatilité de l’inflation, de la production et de l’emploi plus élevée que si on laissait le taux de change faire son travail (Graphique 14). Ce pourrait être bien pire encore si la Banque n’arrivait pas à rétablir rapidement sa crédibilité après avoir trahi les engagements qu’elle avait pris précédemment envers les Canadiens.

La Banque n’intervient donc, en général, que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple en présence de signes annonçant une défaillance sérieuse à court terme des marchés ou en cas de fluctuations extrêmes de la monnaie mettant sérieusement en péril les conditions nécessaires à une croissance durable de l’économie canadienne à long terme 5.

La Banque tient compte du taux de change en formulant la politique monétaire. La vigueur persistante du dollar canadien est l’une des raisons pour lesquelles cette politique est exceptionnellement expansionniste depuis aussi longtemps.

Accroître notre exposition aux pays qui déterminent le cycle des produits de base

L’activité économique chez nos principaux partenaires commerciaux, en particulier les États-Unis, n’est plus le principal moteur de la croissance de la demande de produits de base.

D’après des recherches menées à la Banque et ailleurs, la relation historique observée entre les cours du pétrole et des métaux et le cycle économique des pays avancés est rompue depuis une dizaine d’années. Notamment, c’est l’activité industrielle des économies émergentes d’Asie qui paraît désormais jouer un rôle central dans les variations des cours pétroliers (Graphique 15) 6.

Notre dépendance à l’égard des États-Unis, qui absorbent encore neuf fois plus d’exportations canadiennes que les économies émergentes en expansion rapide, est problématique seulement dans la mesure où l’on anticipe que ce pays continuera d’enregistrer de piètres résultats par rapport à ce qui a été observé dans le passé et au reste du monde. Malheureusement, c’est bien ce à quoi nous devons nous attendre pendant un certain temps encore, car un processus d’ajustement difficile est en cours aux États-Unis.

Dans ce contexte, le seul moyen de ramener une corrélation positive entre les prix des produits de base et la demande d’exportations de biens manufacturiers canadiens consiste à diversifier nos marchés d’exportation en faveur des économies émergentes à croissance rapide. C’est là l’une des nombreuses raisons qui expliquent pourquoi le Canada poursuit une stratégie commerciale énergique axée sur les marchés émergents.

Tirer davantage parti de la valeur ajoutée au Canada

Notre défi consiste à exploiter nos matières premières de façon intelligente et durable. Les consommateurs dans l’Est du Canada importent du pétrole qu’ils paient en fonction du cours mondial, lequel était de 35 dollars supérieur en moyenne durant la dernière année au prix touché par les producteurs de brut lourd de l’Ouest. De nouvelles infrastructures énergétiques - des pipelines et des raffineries - pourraient faire profiter un plus grand nombre de Canadiens des avantages découlant du boom des matières premières.

On peut aussi trouver d’autres nouveaux marchés chez nous. Par exemple, en novembre 2011, 255 entreprises de l’Ontario fournissaient des biens et des services aux exploitations canadiennes de sables bitumineux 7. Par ailleurs, les exportations ontariennes de services miniers en Alberta ont augmenté de 44 % au cours de la dernière année mesurée. Tirer davantage parti de la valeur ajoutée de la production de matières premières, allant de l’énergie à l’agriculture, demeure une occasion remarquable à saisir pour l’ensemble du Canada.

Nous devrions aussi être conscients qu’à une époque caractérisée par les prix élevés des ressources naturelles, l’amélioration de l’efficacité opérationnelle et de la gestion des ressources ainsi que le développement de produits à l’empreinte environnementale plus faible sont judicieux sur les plans commercial et social. Des progrès au chapitre de l’efficacité énergétique des bâtiments, des rendements agricoles accrus et une hausse de l’efficacité des centrales électriques produiraient des résultats immédiats au pays.

Toutefois, la véritable manne se trouve peut-être dans les marchés émergents, qui, selon les estimations, offrent 85 % des possibilités de gains de productivité à l’échelle mondiale en matière de production de ressources naturelles 8.

Améliorer la mobilité interprovinciale

Pour tirer parti de la valeur ajoutée au Canada, il est primordial de s’assurer que les travailleurs partout au pays puissent mettre pleinement à profit leurs compétences. Il est fréquent qu’on se plaigne, surtout dans cette province, d’un manque de main-d’œuvre qualifiée. Selon des recherches effectuées à la Banque du Canada et ailleurs, les frontières provinciales créent des obstacles implicites et explicites, par exemple des différences en matière de certification professionnelle, qui entravent la migration interprovinciale 9. Le New West Partnership Trade Agreement pourrait jouer un rôle important dans l’élimination de ces obstacles. Pour l’ensemble du Canada, les modifications, décidées en 2009, devant être apportées à l’Accord sur le commerce intérieur afin de faciliter la mobilité interprovinciale des membres des professions réglementées et des ouvriers spécialisés, offrent des possibilités semblables si elles sont mises en œuvre.

Accroître les compétences pour soutenir la concurrence

Compte tenu de la transformation du milieu de travail par les technologies et les échanges commerciaux, il est plus que jamais nécessaire d’améliorer les compétences pour tous les types d’emploi.

En premier lieu, nous devons continuer d’améliorer les compétences de nos gestionnaires. Seulement le tiers des gestionnaires au Canada possèdent un diplôme universitaire, comparativement à presque la moitié aux États-Unis 10.

En deuxième lieu, nous devons progresser davantage et mieux cibler notre niveau déjà élevé d’obtention de diplômes postsecondaires. Même si le Canada affiche le niveau d’enseignement tertiaire le plus élevé parmi les pays de l’OCDE, seulement 60 % de nos diplômés travaillent à temps plein, comparativement à la moyenne de l’OCDE, qui se chiffre à 75 %. De plus, 20 % des adultes ayant fait des études universitaires gagnent moins de la moitié du salaire médian.

Tout simplement, nous devons produire beaucoup plus d’ouvriers spécialisés diplômés ainsi que des diplômés en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STIM). Les titulaires de diplômes STIM gagnent en moyenne 500 000 dollars de plus durant leur vie active et ont cinq fois moins de chances d’être frappés par le chômage 11. Pour exploiter pleinement notre potentiel de ressources et soutenir la concurrence dans la fabrication de pointe, nos entreprises auront de plus en plus besoin de travailleurs possédant de telles compétences.

En troisième lieu, nous devons continuer d’axer nos efforts sur le perfectionnement des compétences et la formation ou le recyclage des travailleurs existants afin de compenser un sous-investissement chronique dans ce domaine 12.

Investissements soutenus des entreprises

L’ampleur des possibilités qu’offrent les ressources naturelles et des défis qu’il faut relever pour réussir dans une économie mondiale où la concurrence est féroce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles la Banque s’attend à des investissements soutenus de la part des entreprises.

Depuis le début de la récession, l’ensemble des investissements des entreprises canadiennes ont été inférieurs à la moyenne alors que les investissements des entreprises en machines et matériel ont avoisiné la moyenne par rapport aux autres reprises de l’après-guerre (Graphique 16 et Graphique 17). Les entreprises canadiennes, qui sont dotées des bilans les plus solides que l’on ait connus (Graphique 18) et bénéficient de l’un des systèmes financiers les plus résilients au monde, semblent ne pas avoir autant besoin d’accroître leur trésorerie à des fins de précaution.

Il faut établir un juste équilibre entre prudence et action. Il est vrai que d’immenses incertitudes planent sur l’économie mondiale, mais nous devons concentrer nos efforts sur ce que nous pouvons maîtriser.

Nous ne pouvons pas sauver l’euro, régler le problème du précipice budgétaire aux États-Unis ou relancer le marché américain du logement. Devrions-nous nous contenter d’attendre dix ans que les économies en crise mènent à terme leur processus de réduction du levier d’endettement? Devrions-nous baisser nos attentes? Ou, au contraire, ne devrions-nous pas prendre notre destin en main en tirant parti de nos forces dans le nouvel environnement mondial?

Conclusion

Pour tirer parti de nos forces, nous devons réagir adéquatement aux possibilités que nous offre la transformation à l’échelle du globe. Pour ce faire, nous devons d’abord reconnaître que la vigueur du secteur canadien des ressources naturelles est un signe de succès, pas un présage de malheur.

Selon la logique du mal hollandais, il faudrait réduire à néant nos succès pour que notre monnaie se déprécie. Si nous poussons cette logique à sa conclusion naturelle, nous devons mettre un terme à l’exploitation des sables bitumineux, abandonner nos richesses naturelles, subir un taux d’inflation élevé et variable, afficher des déficits budgétaires importants et amenuiser notre secteur financier.

De telles mesures auraient assurément pour effet d’affaiblir non seulement le dollar canadien, mais aussi le Canada.

Dans un monde caractérisé par des cours des produits de base élevés, on a tout intérêt à posséder ce type de ressources. Des études effectuées par la Banque montrent que les prix élevés des produits de base, quelle qu’en soit la cause, sont favorables à notre pays. Plutôt que de débattre de leur utilité, nous devrions tâcher de trouver le moyen de rendre l’inévitable ajustement le moins douloureux possible et de faire profiter au maximum tous les Canadiens des avantages que procure notre secteur des ressources naturelles.

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7 septembre 2012

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Type(s) de contenu : Médias, Communiqués
  1. 1. Cette expression a été inventée en 1977 par les rédacteurs de la revue The Economist pour décrire la mauvaise tenue de l’économie hollandaise à la suite d’une importante découverte de gisements de gaz naturel.[]
  2. 2. R. Issa, R. Lafrance et J. Murray (2006), The Turning Black Tide: Energy Prices and the Canadian Dollar, document de travail no 2006-29, Banque du Canada.[]
  3. 3. TOTEM se prête bien à ce type d’analyse. Comme son nom l’indique, le modèle a été conçu pour saisir les effets des mouvements des termes de l’échange sur l’économie canadienne. Le modèle fait appel à des techniques de modélisation très évoluées et saisit la concordance avec les principales relations révélées par les données.[]
  4. 4. Modélisée en tant que hausse de la production potentielle aux États-Unis.[]
  5. 5. Banque du Canada (2010), Les interventions sur le marché des changes.[]
  6. 6. C. Cheung et S. Morin (2007), The Impact of Emerging Asia on Commodity Prices, document de travail no 2007-55, Banque du Canada.[]
  7. 7. Association canadienne des producteurs pétroliers[]
  8. 8. R. Dobbs, J. Oppenheim, F. Thompson, M. Brinkman et M. Zornes (2011), Resource Revolution: Meeting the World’s Energy, Materials, Food, and Water Needs, rapport du McKinsey Global Institute, novembre.[]
  9. 9. D. Amirault, D. de Munnik et S. Miller (2012), What Drags and Drives Mobility: Explaining Canada’s Aggregate Migration Patterns, document de travail no 2012-28, Banque du Canada.[]
  10. 10. Institute for Competitiveness and Prosperity (2009), Management Matters; N. Bloom (2011), Management and Productivity in Canada: What Does the Evidence Say?, Industrie Canada, document de travail no 2011-05.[]
  11. 11. R. Dobbs, A. Madgavkar, D. Barton, E. Labaye, J. Manyika, C. Roxburgh, S. Lund et S. Madhav (2012), The World at Work: Jobs, Pay and Skills for 3.5 Billion People, McKinsey Global Institute, juin.[]
  12. 12. Le tiers des travailleurs canadiens (31 %) suivent de la formation non formelle liée à l’emploi (comparativement à la moyenne de l’OCDE, soit 28 %). Cependant, le nombre d’heures consacrées par les travailleurs canadiens à la formation est relativement faible, soit 15 heures en moyenne par travailleur par année, alors que la moyenne de l’OCDE est de 18 heures. En Allemagne, elle est de 26 heures. Dans les pays scandinaves, les adultes y consacrent de 35 à 40 heures par année. Voir OCDE (2011), Regards sur l’éducation 2011 : Les indicateurs de l’OCDE, Éditions OCDE.[]