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La faute aux machines?

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Introduction

Depuis la Confédération, il y a 150 ans, le revenu moyen par habitant au Canada a été multiplié environ par vingt, une fois rajusté de l’inflation, grâce à l’amélioration de nos pratiques commerciales. Cette progression illustre le principe économique élémentaire selon lequel la croissance de la productivité est fondamentale pour améliorer le bien-être économique et financier de la population à long terme.

L’équation est simple. La croissance de la productivité1, conjuguée à la croissance de la main-d’œuvre, détermine le rythme auquel l’activité peut s’accroître sans engendrer de pressions inflationnistes – ce qu’on appelle la croissance de la production potentielle.

La Banque du Canada a actualisé ses estimations de la croissance de la production potentielle dans la livraison de la semaine dernière du Rapport sur la politique monétaire. D’après nos meilleures estimations, la croissance annuelle de la production potentielle s’établira en moyenne à 1 1/2 % au cours des prochaines années, ce qui n’est pas très impressionnant par rapport aux données historiques2. Pas moins des deux tiers de cette croissance devraient être attribuables à des gains de productivité. Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation, la productivité d’autres pays industrialisés étant aussi décevante.

La bonne nouvelle, c’est que le Canada a la possibilité de rattraper le temps perdu. Le monde se trouve à l’aube d’une nouvelle révolution industrielle. Les innovations en intelligence artificielle et en robotique, entre autres domaines, pourraient donner un coup de fouet à la productivité du fait de l’automatisation d’une gamme croissante de tâches. Des analystes prévoient que l’automatisation causera de profondes répercussions sur près de la moitié des emplois dans certaines économies avancées au cours des vingt prochaines années. De telles prévisions ont de quoi laisser nombre d’entre nous songeurs quant à l’avenir du travail. Et nous sommes interpelés sur le plan personnel. Nous nous demandons ce qu’il adviendra de nos propres emplois ou de ceux de nos amis, ou encore ce que nos enfants devraient étudier pour pouvoir réussir sur le marché de l’emploi de demain.

À titre de gens d’affaires, vous êtes partie prenante avec la Banque du Canada dans ces enjeux. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de traiter le sujet ici aujourd’hui, et je remercie la Chambre de commerce de Toronto pour l’invitation.

Mon exposé porte sur trois points principaux :

  1. L’avenir ne réserve pas des emplois que pour les machines, il en réserve aussi pour les personnes. L’innovation est toujours un processus de destruction créatrice. Elle fait disparaître certains emplois, mais elle en crée aussi un nombre plus grand avec le temps. Nous avons vu ce processus à l’œuvre tout au long de l’histoire moderne.
  2. Ce qui va changer, c’est le type de travailleurs qui seront recherchés. Nous aurons besoin de personnes avec des compétences techniques hautement spécialisées pour programmer et réparer les composantes technologiques. Nous aurons aussi besoin de travailleurs pour accomplir des tâches qu’une machine ne sera peut-être jamais capable de reproduire parce qu’elles nécessitent de la créativité, de l’intuition, de l’inspiration ou simplement une intervention humaine.
  3. Le Canada doit épouser les nouvelles technologies et en tirer avantage, mais il doit aussi gérer sans attendre leurs répercussions les plus néfastes. Il est important d’adopter des politiques en vue de faciliter une transition qui pourrait s’avérer difficile pour les entreprises et les travailleurs. Il est également essentiel de nous doter de politiques pour faire face à une possible amplification des inégalités de revenus et, dans certains cas, à un accroissement potentiel du pouvoir de marché.

La tâche de la Banque dans ce contexte sera de favoriser la mise en place de conditions macroéconomiques qui aideront le Canada à s’adapter et à croître.

Les luddites avaient-ils raison?

Permettez-moi d’aborder mon premier point.

Au cours des derniers siècles, le monde a été témoin d’innovations révolutionnaires comme la machine à vapeur, la moissonneuse-batteuse, le moteur à réaction et les robots de chaîne de montage. Grâce à la croissance de la productivité qu’ont apportée ces avancées, le revenu réel par habitant au Canada a été multiplié par 20 au cours des 150 dernières années.

La performance décevante du pays au chapitre de la productivité depuis le début des années 2000 nous a coûté cher. Si la productivité avait continué de croître au même rythme qu’à la fin des années 1990, le produit intérieur brut (PIB) du Canada pour 2016 aurait été de 23 % supérieur, ce qui représenterait 13 000 $ supplémentaires par habitant.

Même si elles constatent les avantages des technologies, de nombreuses personnes s’inquiètent de l’incidence que l’automatisation pourrait avoir sur les travailleurs. De tout temps, le progrès technologique a été source de craintes.

Il ne fait aucun doute que des améliorations technologiques ont fait disparaître des emplois dans certains secteurs. Prenons le secteur manufacturier, où des innovations, comme les robots industriels, ont fait reculer la demande de main-d’œuvre. Si le secteur manufacturier du Canada revenait au niveau de productivité d’il y a vingt ans, il faudrait trois quarts de million de travailleurs supplémentaires pour générer la production actuelle. Les pertes d’emplois manufacturiers ont toutefois été contrebalancées par des gains dans d’autres secteurs. Environ 82 % de la population dans la force de l’âge occupe aujourd’hui un emploi, soit quelque 13 points de pourcentage de plus qu’il y a 40 ans.

D’autres avancées technologiques passées n’ont pas contribué à une augmentation soutenue du chômage global. Il est utile de jeter un regard sur le secteur agricole pour illustrer les mécanismes économiques – souvent sous-estimés – qui ont aidé le pays à s’adapter et à prospérer par le passé. L’agriculture industrielle et la moissonneuse-batteuse ont rehaussé la productivité du travail agricole et fait fléchir la demande de main-d’œuvre dans ce secteur. L’accroissement de la productivité agricole a également entraîné une diminution du prix des aliments pour l’ensemble des consommateurs, qui disposaient donc de plus d’argent pour se procurer d’autres biens et services. Ces effets positifs sur les revenus ont généré une hausse de la demande de consommation, qui a mené à la création d’emplois à l’extérieur du secteur agricole. De la même manière, les gains de productivité du secteur manufacturier ont débouché sur une industrialisation à grande échelle qui a attiré les travailleurs agricoles vers des emplois manufacturiers mieux rémunérés.

C’est ainsi que la part de l’agriculture dans le total des emplois au Canada est passée de plus du tiers il y a un siècle à moins de 2 % aujourd’hui sans que cela porte le chômage à un niveau élevé de manière durable. Les gouvernements ont facilité cette transition en prenant des décisions audacieuses. On n’a qu’à penser à la promotion de l’éducation à la fin des années 1800 et au début des années 1900 au moyen du financement public des écoles. Ces efforts ont aidé à préparer la génération suivante à occuper des emplois à l’extérieur du secteur agricole, malgré une période d’ajustement probablement difficile.

On n’arrête pas le progrès informatique

Cela m’amène au deuxième point. Les avancées technologiques ont toujours été l’un des principaux moteurs de la croissance et de l’augmentation du revenu par habitant. Mais certains observateurs s’inquiètent que, cette fois, il en ira autrement. Par le passé, l’automatisation s’est généralement limitée à des tâches manuelles ou procédurales simples. Grâce aux technologies modernes, il est toutefois possible d’automatiser un nombre grandissant de tâches cognitives ou non routinières dans une vaste gamme de secteurs.

L’apprentissage automatique est un moyen d’y arriver. En alimentant des ordinateurs de grands volumes de données, il est possible de leur apprendre à imiter la capacité du cerveau humain de déduire des règles à partir d’expériences passées et à s’adapter en fonction des circonstances changeantes. L’intelligence artificielle (IA) permet aux ordinateurs d’analyser des tomodensitogrammes et des radiographies avec précision ainsi qu’aux automobiles sans conducteur de réagir sur la route à d’innombrables situations uniques. L’IA permet aussi aux entreprises d’automatiser bon nombre de tâches cognitives routinières exécutées par les comptables, les conseillers en placement et les avocats.

Voilà qui fait craindre le spectre du chômage technologique – soit la vision dystopique d’une économie où le recours aux machines laisserait de nombreux travailleurs sans emploi. Vous êtes probablement au courant des estimations selon lesquelles environ 40 % des tâches effectuées par des humains au Canada et aux États-Unis pourraient être automatisées au moyen des technologies actuelles3.

Quoi qu’il en soit, il est difficile d’imaginer que les mécanismes d’ajustement que j’ai décrits plus tôt ne se mettront pas de nouveau en œuvre aujourd’hui. De manière intuitive, on peut avancer que le désir de dépenser des consommateurs tend à augmenter en même temps que croît la productivité. Comme on touche aujourd’hui un revenu vingt fois plus élevé qu’autrefois, on n’aurait qu’à travailler vingt fois moins pour gagner le même salaire. En réalité, on travaille généralement un peu plus de la moitié du nombre d’heures travaillées par le passé, le reste des gains servant à consommer davantage4. Ce phénomène s’observe non seulement au Canada, mais aussi dans d’autres économies avancées.

À mesure que la technologie amène des gains de productivité, des perturbations du marché du travail se produisent durant la période de transition. À terme, il se crée toutefois des emplois, qui naissent de la nécessité de fournir les biens et services que les personnes se procurent avec leurs revenus supplémentaires.

Le fait est que nous ne savons pas exactement quels secteurs emploieront beaucoup de travailleurs dans 50 ans. Qui aurait pu imaginer, au début des années 1900, l’essor que connaîtrait l’emploi dans les secteurs de la santé, du tourisme et du développement de logiciels? Il y a en outre un grand nombre de tâches pour lesquelles les machines ne sont pas près de remplacer les humains. David Autor, universitaire spécialiste de ce champ d’études en économie, soutient que les humains conserveront probablement un avantage dans les emplois où les interactions personnelles, la flexibilité, la résolution de problèmes et le bon sens sont nécessaires, par exemple les emplois d’aides-soignants, de plombiers, d’experts-conseils et, je l’espère, de banquiers centraux.

Ce qu’il importe de considérer cette fois, c’est l’incidence que les progrès technologiques risquent d’avoir sur les inégalités de revenus5. Les avancées technologiques peuvent se traduire par des revenus plus élevés pour les travailleurs dont les compétences s’inscrivent en complémentarité des technologies, mais non pour ceux dont les compétences se trouvent remplacées par elles. La première vague des technologies de l’information, qui a déferlé dans les années 1980 et 1990, en est un bon exemple. Des avancées ont permis aux professionnels instruits, comme les scientifiques et les architectes, d’utiliser leurs compétences de façon plus productive. En revanche, de nombreux travailleurs moins instruits, tels que les caissiers et les agents de voyage, ont vu leurs emplois remplacés par les technologies6. Au Canada, il en est résulté des hausses de la part de l’emploi dans les postes hautement et peu spécialisés au détriment de l’emploi dans des postes semi-spécialisés, ainsi qu’une augmentation modeste des inégalités de revenus7.

L’automatisation pourrait accentuer davantage la diminution de la part de l’emploi dans les postes semi-spécialisés8. De plus, l’effet polarisant des technologies sur la répartition des revenus pourrait être amplifié par le principe du « tout au vainqueur » découlant de la position dominante sur le marché que les nouvelles technologies confèrent souvent à leurs inventeurs. Dans certaines parties du secteur des technologies de l’information et des communications, les économies d’échelle, comme celles générées par les effets de réseau, sont déjà importantes.

Cela dit, malgré tout le battage autour de la vague d’automatisation actuelle, cette dernière n’a pas encore apporté une croissance de la productivité de l’ampleur de celle qui accompagne habituellement une révolution technologique. Bien que de rapides changements technologiques puissent survenir dans des secteurs particuliers – par exemple, la fracturation hydraulique dans le secteur pétrolier –, les transitions technologiques à l’échelle de l’économie s’opèrent souvent sur de longues périodes. À la suite de l’ouverture de la première centrale électrique dans les années 1880, il s’est écoulé quatre décennies avant que l’électrification n’ait une incidence sur la productivité aux États-Unis. En effet, il a fallu construire des réseaux électriques et remplacer la machinerie, et des années ont été nécessaires pour découvrir de nouvelles applications9. Pour des raisons similaires, il faudra peut-être attendre de nombreuses années avant de voir des véhicules autonomes remplacer complètement les taxis, camions et autobus conduits par des humains. La durée de la transition dépendra de la vitesse à laquelle se produiront la dépréciation des véhicules existants, la diminution des prix des nouvelles technologies et la mise à niveau des infrastructures nécessaires.  

Du point de vue des projections économiques de la Banque du Canada, qu’est-ce que tout cela signifie? Il est tout simplement impossible de quantifier l’incidence de ces innovations avant qu’elles ne se concrétisent. Voilà pourquoi l’institution se garde de postuler que l’automatisation imprimera une impulsion supplémentaire. La Banque prévoit que la croissance de la productivité tendancielle du travail rebondira pour passer de 0,6 % en 2016 à 1,1 % en 2020, principalement en raison d’un redressement cyclique des dépenses d’investissement par rapport aux bas niveaux observés après le choc des prix du pétrole. Jusqu’ici, les résultats de nos travaux donnent à penser que ce sont les entreprises appliquant des processus de gestion du personnel et de prise de décisions de grande qualité et disposant de niveaux élevés de capital humain qui afficheront les plus grands gains de productivité. Grâce aux mégadonnées, aux contrats qui s’autoexécutent et aux robots-conseillers, les entreprises financières pourraient se trouver à la tête du peloton10.

La Banque du Canada s’est dotée d’un programme de recherche qui a pour but de mieux comprendre ces questions. Nous avons créé une équipe qui se penche sur l’économie numérique et s’emploie à déterminer comment l’automatisation évolue et influe sur l’économie, y compris la dynamique de l’inflation et la transmission de la politique monétaire. Nous examinons les problèmes de mesure qui sont exacerbés par la prolifération des technologies numériques et des technologies axées sur les services11. Nous élaborons également des modèles macroéconomiques qui tiennent mieux compte des changements dans la répartition des revenus et de la richesse.

Mieux vaut agir en amont que réagir

J’aimerais maintenant aborder mon dernier point. Le Canada est bien placé pour prospérer dans un monde numérique, et nous devons en profiter. Notre pays bénéficie d’un secteur des technologies de l’information florissant et est en train de devenir un joueur important dans le domaine de l’intelligence artificielle12. De grandes entreprises canadiennes se sont associées pour financer le développement d’entreprises en démarrage de ce domaine, dans le cadre d’un programme appelé NextAI. Et certaines entreprises internationales délocalisent au Canada leurs divisions responsables de l’intelligence artificielle13.

Afin de tirer pleinement parti des nouvelles technologies, nous devrons collaborer pour atténuer dès le départ les répercussions les plus néfastes dont j’ai parlé, soit la période de transition et les effets possibles sur la répartition des revenus. 

Il existe de nombreuses approches prometteuses auxquelles on peut recourir pour gérer la première répercussion, c’est-à-dire la période de transition. Permettez-moi d’en mentionner une seulement. Comme dans le cas des transitions technologiques précédentes, la clé sera l’éducation, la formation axée sur les compétences et l’apprentissage continu. Des universités de partout au Canada travaillent avec des étudiants et des entreprises pour que les meilleures idées en science, en apprentissage automatique et en intelligence artificielle soient adoptées par le marché. Le laboratoire de destruction créatrice de l’École de gestion Rotman14 en est un parfait exemple local. L’un des aspects positifs de ce programme, c’est que les étudiants acquièrent très tôt de l’expérience pratique.

Le Canada et ses homologues du G20 se sont engagés à favoriser une croissance forte, durable et inclusive. Aujourd’hui plus que jamais, il importe de préserver les gains réalisés. Les échanges commerciaux sont un moteur important de la productivité et, pour cette raison, le risque d’une montée du protectionnisme me préoccupe15. La plus grande ouverture aux échanges avec les États-Unis et le Mexique dans les années 1990 a permis aux entreprises canadiennes d’accéder à des marchés beaucoup plus vastes et les a ainsi incitées davantage à investir dans le capital physique comme dans le capital humain16. La perturbation des chaînes d’approvisionnement et la réduction des incitations à la concurrence ne créeront pas plus d’emplois ni plus de revenus à long terme. Le Canada continue d’adhérer au libre-échange, et l’exemple le plus récent de cette adhésion est l’accord interprovincial qui a été signé plus tôt ce mois-ci. On n’en connaîtra pas toutes les répercussions avant un certain temps, mais nous l’avons signalé, dans la livraison d’avril du Rapport sur la politique monétaire, comme un risque à la hausse au chapitre de la productivité.

La deuxième répercussion – à savoir la répartition des revenus – est tout aussi importante. Les gains de productivité entraîneront une augmentation des revenus, mais rien ne garantit que cette richesse sera répartie uniformément. Cette question est du ressort des administrations publiques, qui, pour la gérer, peuvent utiliser des outils comme les impôts et les transferts. Et elle implique de difficiles arbitrages entre la préservation des incitatifs à investir et la prévention d’une polarisation accrue des revenus. L’imposition transfrontière représentera elle aussi un défi, vu la facilité avec laquelle il est possible de transférer la propriété intellectuelle dans des pays à faible imposition.  

Mis à part l’imposition, l’emprise accrue de certains acteurs sur le marché pourrait être à l’origine d’enjeux systémiques importants, dont bon nombre sont transfrontaliers par nature. Selon toute vraisemblance, ces enjeux se manifesteront dans les secteurs où les obstacles à l’entrée ou les économies d’échelle sont considérables. Prenons par exemple l’infonuagique et le stockage en nuage, une question prioritaire sur laquelle je me penche dans le cadre de mes travaux sur les technologies financières. À mesure que l’on délaissera les serveurs et systèmes informatiques décentralisés installés sur place, on pourrait voir la structure de marché se concentrer davantage. Ces fournisseurs de services évoluent essentiellement à l’extérieur du cadre réglementaire, ce qui soulève des questions sur ce qui constitue des fondements juridiques, une gouvernance, une transparence et un contrôle des risques adéquats. Tous ces éléments sont essentiels à la stabilité économique pour les travailleurs et les entreprises.

En tant que dirigeante de banque centrale, je me soucie des inégalités de revenus, même si nous n’avons aucun contrôle sur les outils permettant d’y remédier. L’aggravation de ces inégalités peut entraîner de l’instabilité financière et un affaiblissement des résultats macroéconomiques17. Il est plus difficile pour les personnes à faible revenu de se prémunir contre les chocs économiques. Si la proportion de personnes dans la tranche inférieure de la distribution des revenus augmente, il pourrait en résulter une amplification des tensions financières émanant des récessions et d’autres événements négatifs.

Des changements dans la répartition des revenus peuvent aussi influer sur la transmission de la politique monétaire, car les taux d’intérêt ne touchent pas tout le monde de la même manière. Par exemple, les personnes à faible revenu sont vraisemblablement sensibles aux variations des taux d’intérêt, en raison des effets potentiels sur leur revenu d’emploi et sur les coûts du service de leur dette. Ces effets peuvent s’avérer moins marqués à l’autre extrémité de l’échelle des revenus. Cela dit, les personnes qui ont un revenu plus élevé et qui possèdent une richesse nette supérieure sont généralement sensibles aux variations de taux d’intérêt sur les prix des actifs. Ainsi, une hausse de la dispersion des revenus pourrait modifier les canaux par lesquels les interventions en matière de politique monétaire influent sur l’économie.

La politique monétaire de la Banque du Canada accomplit une tâche simple mais essentielle : elle permet de gérer le niveau de la demande sur l’ensemble du cycle économique afin d’atteindre la cible d’inflation visée par l’institution. Le maintien de l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible permet, à son tour, des investissements en capital physique et humain qui font augmenter la productivité. Voilà le parfait complément aux politiques structurelles que tous les ordres de gouvernement au Canada s’emploient à renforcer.

Conclusion

Il est temps de conclure.

Si nous voulons continuer de prospérer, nous devons améliorer notre productivité.

Manifestement, blâmer les machines n’est pas la voie à suivre. Si nous nous tournons vers les nouvelles technologies et que nous en tirons parti tout en gérant judicieusement leurs répercussions néfastes, nous créerons une prospérité qui profitera à tous. Il faut pour ça gérer sans attendre la période de transition et les effets à long terme sur la répartition des revenus. À bien des égards, le Canada jouit d’une longueur d’avance. Nos décideurs travaillent à la mise en œuvre de mesures qui assureront une croissance forte, durable et inclusive.

Ce que vous pouvez faire de votre côté est tout aussi ambitieux : continuer de mettre sur pied des entreprises concurrentielles et dynamiques; voir à ce que la collaboration entre les établissements d’enseignement et les entreprises se poursuive; et continuer de faire part de vos bonnes idées aux décideurs.

La Banque du Canada continuera d’axer ses efforts sur ce qu’elle fait de mieux : favoriser la prospérité économique et financière du Canada par le maintien de l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible; veiller à la sûreté des infrastructures de marchés financiers essentielles; et donner des conseils éclairés sur les politiques du secteur financier pour que les vulnérabilités ne fassent pas obstacle à une croissance durable et productive pour tous les Canadiens.

Je tiens à remercier Rhys Mendes, Ben Tomlin et Stephen Murchison de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.

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18 avril 2017

Il faut épouser l’automatisation tout en gérant ses répercussions, soutient la première sous-gouverneure Wilkins

L’automatisation, l’intelligence artificielle et d’autres innovations auront des effets bénéfiques pour l’économie canadienne, car elles rehausseront la productivité et le niveau de vie. Toutefois, elles pourraient également produire, sur le marché du travail et la répartition des revenus, des effets moins souhaitables qu’il faudra gérer, a déclaré aujourd’hui la première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Mme Carolyn A. Wilkins.
Type(s) de contenu : Médias, Communiqués
18 avril 2017

Chambre de commerce de Toronto - Discours (Diffusions)

Automatisation, productivité et politique monétaire - La première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Carolyn A. Wilkins, prononce un discours devant la Chambre de commerce de Toronto (12 h 45 (HE) approx.)

  1. 1. Dans ce discours, la « productivité » désigne la productivité du travail. Pour obtenir une définition plus détaillée, consulter le document d’information sur la productivité dans le site Web de la Banque du Canada.[]
  2. 2. Durant la période allant de 1982 à 2016, le taux de croissance annuel moyen de la production potentielle s’est élevé à 2 1/2 %.[]
  3. 3. Pour évaluer les répercussions potentielles de l’automatisation, on peut subdiviser chaque emploi en diverses tâches distinctes et vérifier lesquelles peuvent être automatisées au moyen des technologies actuelles. McKinsey & Company estime que 47 % des tâches réalisées par les travailleurs américains pourraient ainsi être automatisées. Le Brookfield Institute arrive à un résultat semblable pour le Canada (42 %). Ces statistiques ne se rapportent qu’aux aspects des emplois qu’il serait possible d’automatiser. Selon le Brookfield Institute, si 18 % des travailleurs pourraient voir 70 % ou plus de leurs tâches être automatisées, toutes les tâches des travailleurs ne sont automatisables que dans 1 % des cas à l’heure actuelle. Voir C. Lamb (2016), The Talented Mr. Robot, Brookfield Institute, juin.[]
  4. 4. Voir T. Boppart et P. Krusell (2016), Labor Supply in the Past, Present, and Future: A Balanced-Growth Perspective, document de travail n° 22215, National Bureau of Economic Research.[]
  5. 5. Voir P. Krusell, L. E. Ohanian, J.-V. Ríos-Rull et G. L. Violante (1997), Capital-Skill Complementarity and Inequality: A Macroeconomic Analysis, département des Recherches, Banque fédérale de réserve de Minneapolis, coll. « Staff Reports », no 239.[]
  6. 6. D. Acemoglu et D. Autor (2011), « Skills, Tasks and Technologies: Implications for Employment and Earnings », Handbook of Labor Economics, vol. 4B, sous la direction de D. Card et O. Ashenfelter, Elsevier, p. 1043-1171.[]
  7. 7. Il s’agit d’un phénomène qui s’observe dans bon nombre d’économies avancées. Pour ce qui est du Canada, voir D. A. Green et B. M. Sand (2015), « Has the Canadian Labour Market Polarized? », Income Inequality: The Canadian Story, sous la direction de D. A. Green, W. C. Riddell et F. St-Hilaire, Institut de recherche en politiques publiques, p. 217-227. Pour une comparaison internationale, voir OCDE (2016), Le point sur les inégalités de revenu, Paris, novembre.[]
  8. 8. À cette question se rattache celle de l’incidence des technologies sur la part du revenu attribuable au travail. Selon une analyse du Fonds monétaire international (FMI), l’automatisation a contribué à la diminution de la part du travail dans le revenu national au sein des économies avancées. Cette baisse s’est accompagnée d’une hausse des inégalités de revenus, attribuable en partie aux effets de l’automatisation sur les travailleurs à revenu moyen. Voir FMI (2017), « Chapter 3, Understanding the Downward Trend in Labor Income Shares », World Economic Outlook, Washington, avril.[]
  9. 9. P. David (1990), « The Dynamo and the Computer: An Historical Perspective on the Modern Productivity Paradox », The American Economic Review, vol. 80, no 2, p. 355‑361.[]
  10. 10. C. D’Souza et D. Williams (à paraître, printemps 2017), « L’économie numérique », Revue de la Banque du Canada.[]
  11. 11. Une étude menée récemment par l’Organisation de coopération et de développement économiques donne à penser que le PIB est encore une bonne mesure de la somme de toutes les transactions réalisées sur le marché. Néanmoins, le PIB est une mesure imparfaite, et bon nombre de défis sont plus répandus dans une économie numérique axée sur les services, notamment la distinction entre les changements de qualité et la variation des prix, les consommateurs agissant comme des producteurs et la mesure des prix. Il devient en outre plus difficile d’estimer l’investissement et la productivité. Si la numérisation intensifie ces défis, elle pourrait toutefois fournir des données utiles qui aideraient à les surmonter. Par ailleurs, les statistiques sur le PIB sont souvent critiquées dans le contexte de la numérisation parce qu’elles ne tiennent pas compte de l’amélioration du bien-être qui s’y rattache. Il faut cependant garder à l’esprit que le PIB n’est pas une mesure du bien-être. Cela dit, la numérisation a probablement creusé l’écart entre le PIB et le bien-être, ce qui accentue l’importance de définir des indicateurs du bien-être en complément du PIB, comme l’indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement et l’indice canadien du bien-être de l’Université de Waterloo.[]
  12. 12. W. Dong, J. Fudurich et L. Suchanek (2016), The Digital Economy—Insight from a Special Survey with IT Service Exporters, document d’analyse du personnel no 2016-21, Banque du Canada.[]
  13. 13. Voir J. Jacobs, T. Poutanen, R. Zemel, G. Hinton et E. Clark (2017), « Artificial Intelligence is the Future, and Canada Can Seize It », The Globe and Mail, 7 janvier.[]
  14. 14. Le programme du laboratoire de destruction créatrice s’adresse aux entreprises technologiques en démarrage à vocation scientifique. Il offre notamment un volet spécialisé portant sur l’apprentissage automatique à l’intention des entreprises qui œuvrent dans ce domaine ou celui de l’intelligence artificielle. Le programme se donne aussi maintenant à Vancouver, en collaboration avec l’École de commerce Sauder de l’Université de la Colombie‑Britannique.[]
  15. 15. Pour savoir en quoi le Canada a bénéficié de l’ouverture aux échanges d’hier à aujourd’hui, voir S. S. Poloz (2017), Les 150 ans du Canada : il faut tout un monde pour bâtir une nation, discours prononcé à l’occasion du 50e anniversaire du Collège Durham, Oshawa (Ontario), 28 mars.[]
  16. 16. On a constaté que, à la suite de la signature d’accords de libéralisation des échanges, beaucoup d’entreprises peu productives licencient des travailleurs ou ne survivent pas. D’autres peuvent prospérer et augmenter leur productivité. Voir, par exemple, D. Trefler (2004), « The Long and Short of the Canada–US Free Trade Agreement », The American Economic Review, vol. 94, no 4, p. 870-895.[]
  17. 17. Voir M. Kumhof, R. Rancière et P. Winant (2015), « Inequality, Leverage, and Crises », The American Economic Review, vol. 105, no 3, p. 1217-1245.[]