Changez de thème
Changez de thème

L’extraction de liquidités de l’avoir propre foncier et les dépenses des ménages au Canada

Introduction

Au Canada, les dépenses des ménages suivent de près les prix des logements (graphique 1) : quand ceux-ci ont grimpé en flèche en 2016-2017, les dépenses des ménages ont fait de même. Plus récemment, la croissance de ces deux indicateurs a chuté à des niveaux qu’on n’avait pas vus depuis 2011.

Les dépenses des ménages et les prix des logements sont tributaires des mêmes forces – notamment les politiques monétaire et macroprudentielles et la conjoncture économique –, mais elles se suivent aussi en raison d’un phénomène connu sous le nom d’« effet de garantie », qu’on peut expliquer comme suit : à mesure que la valeur des logements augmente, les ménages qui en sont propriétaires ont de plus en plus de facilité à contracter des emprunts adossés à cette valeur. Ces fonds supplémentaires servent alors, en partie, à financer les dépenses des ménages. Si ce phénomène s’avère puissant, il pourrait fragiliser l’économie en cas d’événements défavorables, comme une chute importante des prix des logements. En fait, si l’extraction de liquidités finance une bonne part des dépenses des ménages en temps normal, son absence pourrait aggraver la compression des dépenses en temps de crise.

Dans la présente note, nous mesurons l’extraction de liquidités de l’avoir propre foncier au Canada et suivons son évolution au fil du temps. Nous évaluons ensuite l’ampleur de sa contribution aux dépenses des ménages durant les dernières années. Notre analyse repose sur les données anonymisées fournies par TransUnion, soit le contenu des dossiers d’environ 25 millions de consommateurs utilisant activement du crédit.

Graphique 1 : Croissance annuelle des dépenses des ménages et des prix des logements

L’extraction de liquidités a culminé à 89 milliards de dollars en 2017

Au Canada, les propriétaires ont deux moyens de dégager des liquidités de leur avoir propre foncier :

  1. Marge de crédit hypothécaire : il s’agit d’une marge de crédit adossée au logement de l’emprunteur. Au Canada, les propriétaires peuvent emprunter jusqu’à 65 % de la valeur de leur propriété grâce à ce genre de marge, sous réserve que la somme du solde courant du prêt hypothécaire et de la marge n’excède pas 80 % de la valeur du logement.

  2. Refinancement du prêt hypothécaire : Il s’agit de remplacer un prêt existant par un autre, plus important, qui totalise jusqu’à 80 % de la valeur du logement. Bien que les données de TransUnion ne fassent pas explicitement état de cette forme d’extraction de liquidités, un algorithme a été élaboré pour la mettre en évidence.

En 2017, l’extraction de liquidités a atteint un sommet, avec 89 milliards de dollars au total : 49 milliards sous forme de marges de crédit et 40 milliards sous forme de refinancements (graphique 2). En effet, sur la période étudiée, les propriétaires ont davantage eu recours aux marges pour extraire des liquidités qu’au refinancement, les premières comptant pour environ 60 % de l’extraction de liquidités totale, en moyenne. Toutefois, les deux méthodes ont obéi à des dynamiques similaires, croissant de façon marquée de 2014 à 2017, avant de décliner en 2018.

Graphique 2 : Extraction de liquidités au Canada (montant total)

Les marges hypothécaires attirent davantage d’emprunteurs, mais plus de liquidités sont extraites par refinancement

Pour mieux comprendre l’évolution de l’extraction de liquidités, il s’avère utile de décomposer le total des liquidités extraites entre le nombre d’emprunteurs et le montant emprunté1. Dans le graphique 3, on voit que ces deux facteurs ont influé sur l’extraction totale de liquidités, bien que le nombre d’emprunteurs ait connu des variations plus prononcées. Il apparaît aussi que l’extraction de liquidités s’est faite beaucoup plus par les marges de crédit que par les refinancements : en 2017, près de 2 millions de propriétaires ont usé d’une marge, contre environ 380 000 qui ont plutôt opté pour un refinancement. Cependant, ces derniers ont généralement extrait plus de liquidités; par exemple, en 2017, le montant médian extrait par refinancement s’élevait à 54 000 $, contre 12 000 $ extraits par marge. Ces données ne sont pas surprenantes, étant donné que les marges de crédit offrent la liberté de puiser dans la valeur nette disponible sur demande, alors que l’extraction par refinancement relève d’une décision ponctuelle qui est généralement associée au calendrier de renouvellement hypothécaire (tous les 5 ans, la plupart du temps).

Graphique 3 : Décomposition des liquidités extraites

a) Refinancements

b) Marges de crédit

L’Alberta en tête de la croissance de l’extraction de liquidités observée en 2015

Les graphiques ci-dessus révèlent un phénomène intéressant : la montée de l’extraction de liquidités a précédé la poussée du marché immobilier qui a débuté en 2016. Pour mieux comprendre, il faut s’attarder au nombre d’emprunteurs dans chaque province (graphique 4).

La hausse du nombre d’emprunteurs observée en 2015 est en partie attribuable au recours accru à l’extraction de liquidités en Alberta, ce qui donne à penser que la capacité de puiser dans l’avoir propre foncier a aidé les propriétaires albertains à absorber le choc pétrolier, propriétaires qui avaient auparavant profité d’une hausse prolongée des prix des logements.

Il s’avère en outre qu’à partir de 2015, le gros du pays a connu une forte augmentation du nombre d’utilisateurs des moyens d’extraction, ce qui pourrait indiquer qu’un même phénomène était à l’œuvre. Parmi les causes les plus probables, on retrouve les taux d’intérêt, la Banque du Canada ayant abaissé à deux reprises le taux cible du financement à un jour en 2015. En effet, selon les analyses préliminaires, les dynamiques de l’extraction de liquidités de l’avoir propre foncier seraient liées à la fois aux mouvements des taux d’intérêt et à ceux des prix des logements sur la période étudiée.

Graphique 4 : Nombre d’utilisateurs du refinancement (base 100 de l’indice : 2013)

Les dépenses des ménages auraient été beaucoup plus basses sans l’extraction de liquidités

Les données de TransUnion peuvent servir à quantifier l’extraction de liquidités de l’avoir propre foncier, mais l’utilisation de ces fonds ne peut être établie avec certitude. Cela dit, les résultats de sondages portant sur cette utilisation constituent un bon point de départ pour déterminer son incidence sur les dépenses des ménages.

D’après ces sondages, le quart des liquidités extraites servirait à des dépenses de consommation, et un autre quart serait investi dans des rénovations domiciliaires (tableau 1)2. Si on applique les mêmes proportions à nos estimations de l’ensemble des liquidités extraites, on peut faire ressortir l’importance de ce mode de financement pour les dépenses des ménages au Canada.

Tableau 1. Résultats de sondages sur l’utilisation de l’avoir propre foncier

Utilisation de l’avoir propre foncier En proportion des sommes dégagées
Consolidation de dettes 28 %
Rénovations domiciliaires 25 %
Dépenses de consommation 25 %
Investissements 22 %

Source : Professionnels hypothécaires du Canada, 2013-2018

Pour établir la relation entre l’extraction de liquidités et les données agrégées sur les dépenses des ménages, il faut d’abord isoler les catégories de dépenses pertinentes. Dans le cas des dépenses de consommation, les liquidités extraites de l’avoir propre foncier sont plus susceptibles de servir à financer de gros achats. Par conséquent, nous mettons l’accent sur les biens de consommation durables et semi-durables, qui englobent des produits comme les véhicules automobiles et les meubles. En ce qui concerne les investissements résidentiels, nous nous concentrons sur les dépenses de rénovation.

En appliquant les proportions du sondage du tableau 1 à nos estimations fondées sur les données anonymisées de TransUnion, nous découvrons que l’extraction de liquidités a, en moyenne, compté pour 7 % de la consommation de biens durables et semi-durables, et 35 % des rénovations sur la période étudiée. Ces calculs permettent d’établir que l’extraction de liquidités contribue fortement aux dépenses des ménages au Canada. Toutefois, dans le contexte actuel, il serait plus pertinent de savoir non pas dans quelle mesure ce mode d’emprunt est important en général, mais plutôt dans quelle mesure il pourrait avoir influé sur la dynamique récente des dépenses des ménages.

Pour répondre à cette question, nous avons estimé les niveaux des dépenses de consommation et de rénovation qui auraient été observés si l’extraction de liquidités ne s’était pas répandue après 2013. Nous avons ensuite comparé la croissance cumulative de ces chiffres hypothétiques à celle des données officielles.

Le graphique 5 montre qu’à la fin de 2017, l’extraction accrue de liquidités aurait ajouté environ 2 % au niveau des dépenses de consommation en biens durables et semi-durables, et près de 11 % à celui des dépenses de rénovation, ce qui équivaut à une hausse d’environ 0,5 % du produit intérieur brut (PIB).

Par opposition, la baisse de l’extraction de liquidités enregistrée en 2018 aurait retranché respectivement 0,5 %, 2,5 % et 0,1 % des niveaux des dépenses de consommation (biens durables et semi-durables), des dépenses de rénovation et du PIB.

Graphique 5 : Contribution de l’extraction de liquidités à des composantes des dépenses des ménages

Conclusion

Nos résultats montrent que l’extraction de liquidités de l’avoir propre foncier est importante pour l’économie du Canada. Plus précisément, la montée en popularité de ce mode d’emprunt semble avoir beaucoup contribué aux dépenses de consommation et de rénovation ces dernières années. Dans des travaux futurs, nous nous proposons d’étudier plus à fond les caractéristiques des emprunteurs et de mener une analyse économétrique des facteurs influençant la décision d’avoir recours à ce mode de financement.

  1. 1. Des travaux connexes portant sur des données américaines laissent penser que le cycle d’expansion et de contraction de la consommation alimenté par l’emprunt sur valeur domiciliaire serait surtout causé par les fluctuations du nombre d’emprunteurs, ces derniers n’ayant consacré qu’une petite partie des liquidités extraites à financer leurs dépenses de consommation.[]
  2. 2. Plusieurs sondages demandent aux répondants ce qu’ils font des liquidités extraites. Dans la présente note analytique, nous nous basons sur le sondage de Professionnels hypothécaires du Canada, parce qu’il porte sur la façon dont les sommes dégagées sont dépensées, par opposition à la proportion des répondants ayant agi de telle ou telle manière.[]

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2019-27

Sur cette page
Table des matières