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La politique monétaire au temps de la COVID-19

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Introduction

Bonjour. Je suis très heureux de faire mon tout premier discours public comme gouverneur de la Banque du Canada devant vous. La pandémie de COVID-19 a bouleversé une bonne partie de nos habitudes, et cela inclut nos discours devant un large auditoire. Heureusement que grâce à la technologie, je peux m’adresser à tous les cercles canadiens et Canadian clubs, et échanger avec vos membres des quatre coins du pays. Merci de votre invitation.  

La COVID-19 est une tragédie humaine. Elle a provoqué un désastre économique sans précédent. Des secteurs entiers de l’économie ont été fermés. Déjà en avril, plus de 3 millions de personnes avaient perdu leur emploi, et 3,4 millions avaient perdu plus de la moitié de leurs heures de travail.

À cause de la pandémie, des millions de Canadiens sont dans une situation difficile. Même chose pour les décideurs économiques. Depuis une trentaine d’années, le Canada profite des bienfaits d’une politique monétaire basée sur des cibles d’inflation. Dans cette crise économique, la cible d’inflation a été notre phare. Mais la faiblesse structurelle des taux d’intérêt et l’ampleur du choc de la pandémie changent notre façon d’appliquer notre cadre de politique monétaire.

Avant de passer aux questions, je voudrais parler des ingrédients essentiels de ce cadre et des conséquences de la pandémie sur nos opérations. Faute de temps, je devrai survoler certains points, mais j’espère que nous pourrons les approfondir pendant notre discussion.

Le cadre adéquat

Le cadre de conduite de notre politique monétaire est destiné à maintenir l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible. C’est la meilleure contribution que nous pouvons apporter au bien-être économique du pays. En effet, une inflation à un niveau bas, stable et prévisible favorise une croissance économique durable. Et quand l’inflation reste près de la cible, alors l’économie tourne près des limites de sa capacité et il y a plein emploi.

Il faut savoir que notre cadre est défini dans une entente conclue avec le gouvernement et renouvelée tous les cinq ans. Cette entente envoie le signal important que le gouvernement élu démocratiquement et la Banque sont d’accord sur l’objectif de notre politique. Et elle laisse à la Banque l’indépendance d’action nécessaire pour atteindre cet objectif. Cette indépendance renforce notre crédibilité et convainc encore plus les Canadiens que nous pourrons atteindre notre cible. Notre régime de ciblage de l’inflation a fait ses preuves, et cela ne fait que renforcer son efficacité.

Comme je viens de le dire, la cible d’inflation est comme un phare qui guide notre politique. En inscrivant nos actions dans ce cadre, nous nous efforcerons toujours d’amener l’économie près de sa capacité de production et au plein emploi.

Politique et pandémie

La réussite du régime de ciblage de l’inflation dépend de plusieurs ingrédients essentiels. Évidemment, il faut s’entendre sur la mesure de l’inflation qui servira de cible. Nous devons ensuite évaluer le niveau de la demande dans l’économie par rapport à la capacité de production (l’offre). Nous avons aussi besoin d’outils pour agir sur la demande (ou les dépenses) et l’amener au même niveau que l’offre. Il nous faut également pouvoir projeter l’évolution de l’économie, car nos outils ont besoin de temps pour influencer les dépenses et l’inflation. Enfin, puisqu’il existe un certain nombre de variables inconnues, nous devons savoir comment ces projections peuvent changer.

Voilà les ingrédients de base du ciblage de l’inflation. Chacun d’entre eux est touché par la COVID-19, qui est venue s’ajouter à la faiblesse structurelle des taux d’intérêt mondiaux.

Mesure de l’inflation

Commençons par notre mesure de l’inflation. La Banque cible le taux de variation sur 12 mois de l’indice des prix à la consommation (IPC) de Statistique Canada. C’est la mesure la plus courante et la plus complète de l’inflation. Pour le taux d’inflation annuel, on vise 2 %, soit le point médian d’une fourchette de 1 à 3 %. Mais d’un mois à l’autre, l’IPC est parfois très volatile et son évolution peut s’éloigner de la tendance à long terme. Pourquoi? Parce que les prix de certains produits, par exemple les prix des fruits et légumes frais, ou de l’essence, peuvent varier énormément. Pour mieux voir les tendances derrière l’évolution de l’inflation, il faut donc examiner plusieurs mesures de l’inflation fondamentale.

On pondère l’IPC global afin de tenir compte des habitudes de consommation des ménages canadiens. Puisque les gens dépensent en temps normal beaucoup plus en essence qu’en alcool, l’essence a donc un plus grand poids dans l’indice.

Sauf que nous ne sommes pas en temps normal. Aujourd’hui, l’essence et les billets d’avion pèsent bien moins que l’épicerie dans le budget des Canadiens. Et jusqu’à tout récemment, on ne dépensait rien chez le coiffeur. À présent, l’IPC ne reflète pas totalement l’inflation vécue par les consommateurs. Les économistes de la Banque étudient avec Statistique Canada les implications de ces changements sur les habitudes de consommation. Comme les gens reviendront à une bonne partie de leurs anciennes habitudes après le déconfinement, nous tenterons de faire le tri entre les variations temporaires et les changements plus permanents.

Offre et demande

La pandémie est venue compliquer de beaucoup l’offre et la demande. Regardons tout d’abord la capacité de l’économie à produire des biens et des services. Cela me permettra d’expliquer ce qui est arrivé. Au début de la pandémie, il a été nécessaire d’imposer des mesures strictes de confinement pour freiner la propagation du coronavirus. La distanciation physique et les décrets de confinement ont vite rendu certains types de tâches impossibles à faire. La plupart des lieux de travail non essentiels ont été fermés, et de nombreux emplois qu’on ne peut pas occuper à distance ont été gelés. Une baisse massive de l’offre a suivi.

Maintenant que le déconfinement a commencé, on voit un retour partiel de l’offre. Mais, avec le maintien de la distanciation physique, les entreprises ne seront peut-être pas aussi productives qu’avant et la prestation de bien des services sera très difficile. De plus, la réouverture de l’économie se fait à un rythme différent dans chaque région, secteur et pays. Cette situation va bouleverser les chaînes d’approvisionnement et affecter le volume et le prix des exportations. Le coronavirus pourrait faire baisser l’immigration et, donc, limiter la croissance de la main-d’œuvre. De manière plus générale, certains secteurs ne vont rouvrir que s’il existe un vaccin ou au moins des antiviraux efficaces. Dans ces conditions, la capacité de production de l’économie va subir un choc dont les effets vont persister même après le déconfinement.

Du côté de la demande, ne perdons pas de vue la situation des millions de Canadiens qui ont perdu leur emploi ou une partie de leurs heures de travail. Ces pertes représentent une chute considérable du pouvoir d’achat dans différents secteurs économiques. Heureusement, les mesures budgétaires du gouvernement ont été étendues pour combler la baisse des revenus de travail dans l’ensemble de l’économie et faciliter ainsi la reprise.

Mais les dépenses ont très nettement diminué depuis le début de la pandémie. Comme l’a souligné le sous-gouverneur Larry Schembri dans un discours la semaine passée, cette chute ne s’explique pas seulement parce qu’il y a moins à acheter. Elle est aussi due au recul marqué de la confiance des consommateurs. Tant que les gens ne retrouveront pas leur emploi et ne se sentiront pas plus rassurés, les dépenses se feront au compte-gouttes.

Il sera indispensable de quantifier la réduction de l’offre et de la demande causée par la COVID-19, et de comprendre comment elles reprendront dans les trimestres à venir. Avec la réouverture de l’économie, nous devrions voir une forte croissance de l’emploi. Nous devrions également voir l’effet stimulant d’une hausse de la demande sur les dépenses. Cependant, tous ne retrouveront pas leur emploi et il demeurera de l’incertitude. Par conséquent, nous nous attendons à ce que le rebond rapide provoqué par la phase de réouverture soit suivi d’une phase plus graduelle de récupération où la demande sera faible. Si, comme prévu, l’offre se rétablit plus vite que la demande, il y aura alors un écart important entre ces deux variables et les pressions à la baisse sur l’inflation seront très importantes. En aidant les Canadiens à retourner travailler, nous voulons éviter une diminution persistante de l’inflation, et c’est là notre principale préoccupation.

Outils de la banque centrale

Parlons des outils de politique monétaire. En temps normal, pour stimuler ou ralentir l’économie, la Banque ajuste le taux cible du financement à un jour. Ce taux interbancaire n’a généralement pas d’effet immédiat sur les consommateurs, sauf s’ils ont un prêt hypothécaire à taux variable. Mais il se reflète dans les coûts d’emprunt à plus long terme, c’est-à-dire sur l’horizon qui touche la plupart des emprunteurs, que ce soit les particuliers ou les entreprises.

Au début de la pandémie, il était clair que la confiance allait chuter. C’est pourquoi la Banque a vite baissé le taux directeur à 0,25 % en mars. L’objectif immédiat n’était pas vraiment de stimuler les dépenses, mais de soutenir la confiance et de faire diminuer un peu les taux d’intérêt. Et maintenant que plus de commerces commencent à rouvrir, les bas taux d’intérêt vont inciter les gens à dépenser.

En ce moment, notre taux directeur est à la valeur plancher. D’autres banques centrales ont fait descendre le leur au-dessous de zéro, mais nous sommes d’avis que cela pourrait faire dévier le comportement des institutions financières. D’ailleurs, nous avons plusieurs autres outils pour nous aider à stimuler la demande.

La Banque a mis en place plusieurs programmes fondés sur l’achat de différents types d’actifs : Obligations hypothécaires du Canada, papier commercial, acceptations bancaires, obligations de sociétés, ainsi que titres du gouvernement fédéral et des provinces.

Ces programmes ont pour objectif d’assurer le bon fonctionnement des marchés clés et de maintenir l’accès au crédit. Comme le crédit est vital dans les économies de marché, les banques centrales doivent en garantir l’accès en temps de crise, afin d’éviter un resserrement brutal du crédit.

De plus, les mesures de relance monétaire ne sont pas efficaces si les marchés sont défaillants. Aujourd’hui, les marchés financiers fonctionnent beaucoup mieux, et, grâce à cette amélioration, nos programmes d’achat d’actifs commencent à apporter de la détente monétaire.

La Banque s’est engagée à acheter pour au moins 5 milliards de dollars de titres du gouvernement du Canada par semaine jusqu’à ce que la reprise soit bien entamée. Progressivement, ces achats massifs d’actifs accentuent la détente monétaire par un processus appelé « assouplissement quantitatif ».

Je vous explique. Ces achats hebdomadaires contribuent à faire baisser les rendements des titres du gouvernement. Et maintenant que les marchés de financement fonctionnent bien, nos achats font aussi baisser les coûts d’emprunt des ménages et des entreprises. Par exemple, à mesure que le rendement des obligations d’État à cinq ans diminue, les prêts hypothécaires à taux fixe deviennent plus abordables.

L’assouplissement quantitatif peut aussi être vu comme un signe que le taux directeur restera sans doute bas pendant un certain temps. En donnant aux marchés plus de certitude quant à la trajectoire des taux d’intérêt à court terme, nos achats peuvent favoriser une réduction des coûts du crédit à plus long terme pour les ménages et les entreprises.

La Banque achète aussi des titres privés, y compris des obligations de sociétés. Au départ, dans le but de contrer les tensions sur ce marché obligataire. Jusqu’ici, nos achats ont été limités; pour autant, les conditions du marché se sont améliorées. Ce type de programme est également destiné à contribuer à la relance. En permettant d’injecter des liquidités, il nous aide à resserrer l’écart de rendement entre les obligations de sociétés et celles du gouvernement. En faisant baisser la prime imposées aux entreprises par rapport à celle des gouvernements, nous réduisons les taux d’intérêt pour les entreprises. C’est ce qu’on appelle l’« assouplissement direct du crédit ».

Revenons brièvement sur l’annonce du taux directeur du 3 juin dernier. Nous avons alors expliqué que nous allions tourner nos efforts vers la production et l’emploi, étant donné le meilleur fonctionnement des marchés et le début du déconfinement. Nous avons aussi réitéré notre engagement à poursuivre les achats massifs d’actifs jusqu’à ce que la reprise soit bien entamée. À présent que les marchés fonctionnent bien, l’effet de relance de ces achats se propage plus largement. Nous avons aussi souligné que toute nouvelle mesure viserait à fournir le degré de détente monétaire requis pour atteindre la cible d’inflation.

Perspectives et risques

L’incertitude créée par la pandémie nous complique la tâche : il est beaucoup plus difficile pour nous de dégager les perspectives de croissance et d’inflation. L’évolution du virus, de ce point de vue, est la plus grande source d’incertitude. Nous ne savons pas non plus ce qui attend le commerce international et les chaînes d’approvisionnement mondiales, ni même l’offre et la demande au pays. Nous ne savons pas aussi comment la confiance des consommateurs et des entreprises va se redresser, ou encore si la pandémie va changer pour de bon les habitudes d’épargne et de dépense.

L’économie s’étant au moins stabilisée, on y voit un peu plus clair. L’arrivée de nouvelles données va nous donner certaines réponses. Dans le Rapport sur la politique monétaire de juillet, nous espérons donc fournir un scénario central pour l’évolution de la production et de l’inflation, avec une analyse des principaux risques pour ce scénario. Nous pourrons ensuite évaluer les nouvelles informations par rapport à ce scénario.

À l’heure actuelle, nous prévoyons que la croissance recommencera au troisième trimestre. Nous verrons tout de suite une amélioration sous l’effet du déconfinement, du retour au travail et d’un retour à une certaine routine du côté des ménages. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que cette remontée se poursuive au-delà de la phase de réouverture. Selon toute probabilité, la pandémie nuira longtemps à l’offre et à la demande. La reprise sera vraisemblablement longue et en dents de scie. Nous connaîtrons peut-être aussi des revers.

Ce que j’aimerais que vous reteniez, c’est que malgré la pluralité des outils que nous mettons à profit en ces temps hors du commun, notre politique demeure ancrée dans le même cadre. La cible d’inflation est notre phare : elle guide nos actions pour aider l’économie à se sortir de la crise – de la réouverture à la récupération, et jusqu’à la reprise.

Sur ce, je vais maintenant répondre à vos questions. Je crois que nous allons avoir une excellente discussion.

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