Bonjour. Je suis très heureux de pouvoir me joindre à vous virtuellement pour parler des défis qui attendent les banques centrales. Il y a beaucoup à dire à ce sujet.
Mais je veux d’abord féliciter et remercier Agustín Carstens pour son leadership en tant que directeur général de la Banque des Règlements Internationaux (BRI). Votre mandat, Agustín, a été marqué par d’importants bouleversements mondiaux, que ce soit les fermetures causées par la pandémie, la guerre en Europe, ou l’inflation à deux chiffres. Les dernières années n’ont pas été faciles.
Malgré tout, vous avez été une source de sagesse inébranlable. Votre lucidité face à l’inconnu, votre vision à long terme et votre profonde compréhension de notre interdépendance mondiale – combinées à l’expérience et au pragmatisme d’un ancien ministre des Finances devenu gouverneur de banque centrale – font de vous un leader inestimable.
Plus encore, par votre présence à la BRI, vous avez su nous rassembler grâce à votre amitié et à votre capacité d’aller directement au cœur des enjeux. Grâce à vous, nous avons pu apprendre les uns des autres. Nous travaillons mieux ensemble, et c’est à vous que nous le devons.
Je sais que nous aurons l’occasion de vous rendre hommage à Bâle, à l’approche de votre retraite en juin. Mais je tenais à souligner votre leadership exceptionnel dans votre pays d’origine. Ceux et celles d’entre nous qui vivent dans les Amériques tiennent à vous remercier sincèrement de l’intérêt particulier que vous portez à notre région. Quoi que vous fassiez par la suite, je sais que le Mexique et les Amériques occuperont une place importante. Merci, cher ami.
Maintenant, permettez-moi de vous parler des défis qui nous attendent. Les réalités de l’économie mondiale ont changé ces dernières années, et cette évolution a d’importantes répercussions sur les banques centrales.
Comme Agustín l’a souligné dans une série de discours instructifs, les forces structurelles que sont la paix, la mondialisation et la démographie deviennent des obstacles – et le monde semble de plus en plus sujet aux chocs.
Les taux d’intérêt à long terme plus élevés, la hausse de la dette souveraine, le ralentissement de la croissance économique et le faible niveau de productivité rendent nos économies plus vulnérables. Les guerres, la montée du protectionnisme et la fragmentation économique viennent aggraver ces vulnérabilités. De plus, il faut s’attendre à ce que les nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle, perturbent les industries actuelles et en fassent émerger de nouvelles. Et on observe davantage de phénomènes météorologiques catastrophiques, maintenant que les impacts des changements climatiques se font de plus en plus sentir.
En ce début d’année 2025, nous faisons face à une nouvelle incertitude en raison du changement d’orientation de la politique américaine. Les menaces du président Donald Trump d’imposer de nouveaux droits de douane ébranlent déjà la confiance des entreprises et des ménages, particulièrement au Canada et au Mexique. Et plus cette incertitude va persister, plus son incidence sur l’activité économique va être négative dans nos pays.
Si d’importants droits de douane généralisés sont effectivement imposés, ils mettront à l’épreuve la résilience de nos économies à court terme et réduiront la prospérité à long terme. Les droits de douane rendent les économies moins efficientes. Il y aura ainsi moins d’investissements et une plus faible productivité. Cela signifie que la production et les revenus de nos pays diminueraient. Et la politique monétaire ne pourra rien y faire.
La politique monétaire peut certainement aider l’économie à s’adapter à court terme. Mais elle doit tout de même parvenir à un équilibre. Des droits de douane élevés et généralisés vont réduire considérablement la demande pour les produits exportés par nos pays. En même temps, un taux de change plus faible, des mesures de rétorsion tarifaires et la perturbation des chaînes d’approvisionnement vont faire augmenter les prix des importations, ce qui va pousser l’inflation à la hausse.
Les banques centrales ne peuvent pas contrer une production plus basse et une inflation plus élevée en même temps avec comme seul instrument le taux directeur. Nous devrons donc évaluer avec soin les pressions à la baisse sur l’inflation découlant du ralentissement de l’activité économique et les mettre en balance avec les pressions à la hausse attribuables aux prix plus élevés des intrants et à la perturbation des chaînes d’approvisionnement.
Les autres obstacles structurels présentent des défis analogues pour la politique monétaire. Ils vont peser sur l’offre aussi bien que sur la demande, ralentissant ainsi la croissance tout en engendrant des coûts supplémentaires. Et la politique monétaire ne peut pas contrer directement ces obstacles ni neutraliser leurs retombées économiques.
Dans un monde marqué par des changements structurels et des chocs d’offre négatifs plus nombreux, les banques centrales seront obligées de faire des choix plus difficiles. Or, ce genre de choix risquent de décevoir et de créer de la frustration dans le public. Nos décisions seront critiquées, de même que l’efficacité de la politique monétaire face à des forces le plus souvent hors de notre champ d’action. Les banques centrales seront jugées impuissantes ou blâmées de ne pas en faire assez. Certains vont mettre en doute notre indépendance.
Alors que pouvons-nous faire collectivement?
Premièrement, ayons une certaine humilité face aux limites de nos connaissances. Mais croyons en l’efficacité de nos cadres de politique monétaire. Nous n’avons pas su tout bien faire pendant la pandémie. La forte inflation et la hausse des taux d’intérêt ont été une dure épreuve pour tous nos pays. Mais au Canada, comme dans beaucoup d’autres pays, l’inflation est descendue. Nous l’avons ramenée à un niveau bas sans provoquer de récession ni de pertes d’emplois importantes.
Grâce à nos cadres de politique monétaire, nous pouvons maintenir la confiance dans la stabilité des prix.
Deuxièmement, parlons avec franchise de ce que la politique monétaire ne permet pas de faire. Certaines forces nous dépasseront toujours. Et bien que nous devions comprendre ces forces, il faut savoir dire sans détour que les comprendre, ce n’est pas les maîtriser. Nous devons résister à la tentation de jouer toutes les partitions en attendant de la politique monétaire plus que ce qu’elle permet d’accomplir.
Troisièmement, nous pouvons reconnaître que le monde a changé. Les obstacles structurels et les chocs d’offre exigent d’autres types de données et d’analyses. Il nous faut donc acquérir des données plus révélatrices des composantes de l’offre dans l’économie et construire des modèles capables d’analyser les chocs sectoriels et leur transmission. Cela demande de nous adresser aux ménages et entreprises et de les écouter. Cela demande aussi d’examiner nos économies sous des angles différents, de remettre régulièrement en question nos suppositions et d’utiliser des scénarios pour nous aider à gérer l’incertitude.
Quatrièmement, reconnaissons qu’il n’a jamais été facile de coopérer et que ça se complique. Mais n’oublions pas que la coopération est quelque chose d’important. Nous sommes plus efficaces quand nous relevons ensemble des défis communs. La détermination que partageaient les banques centrales pour combattre la flambée de l’inflation après la pandémie a aidé tous nos pays à faire descendre l’inflation. C’était une retombée positive à l’échelle internationale. Des retombées similaires seront possibles si nous travaillons ensemble.
Enfin, continuons à nous en tenir aux faits, et à valoriser l’expertise et le professionnalisme, tout en restant libres de toute influence politique. Nos institutions doivent être ouvertes, comptables de leur action et transparentes. Et elles doivent être prêtes à apprendre : devant des critiques légitimes, il faut savoir réévaluer avec rigueur les mesures que nous avons prises, et accepter de faire des améliorations. C’est en étant indépendantes, en rendant des comptes et en ne cessant jamais d’apprendre que nos institutions inspirent la confiance.
Le monde est devenu plus dur qu’il y a quelques années. Il ne sera pas facile d’affronter les turbulences à venir. Mais voilà justement pourquoi nos banques centrales sont indépendantes : elles sont faites pour ces temps difficiles.
Je vais écouter attentivement les interventions de mes illustres collègues.