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La poursuite de cibles d'inflation : Sommaire

Actes du colloque tenu à la Banque du Canada en avril 2005

La Banque du Canada organise depuis 1990 des colloques économiques qui permettent aux membres de son personnel de présenter les résultats de leurs travaux et d'échanger des idées avec d'éminents chercheurs. Le colloque de 2005 était particulièrement important du fait qu'il portait sur certaines questions qui doivent être considérées en prévision du renouvellement, en 2006, de l'entente entre la Banque et le gouvernement concernant les cibles de maîtrise de l'inflation 1. Des questions de ce genre avaient d'ailleurs été à l'ordre du jour de chacun des colloques, tenus en 1993, 1997 et 2000, qui ont précédé la reconduction des cibles. Par exemple, le sujet de la stabilité des prix — sa définition, les coûts et les avantages s'y rattachant et l'élaboration de cibles explicites permettant de l'atteindre — a été abordé chaque fois. Des séances de colloques passés ont aussi été consacrées à des thèmes tels que les effets réels de l'inflation, l'incidence de l'inflation sur la croissance économique, la rigidité à la baisse des salaires nominaux et la forme de la courbe de Phillips dans un contexte de faible inflation 2.

Le colloque de 2005 a été l'occasion de porter un nouveau regard sur deux enjeux fondamentaux liés à la conception d'un régime de cibles d'inflation : l'opportunité d'utiliser des cibles définies par rapport au niveau des prix plutôt que par rapport à l'inflation, et le taux d'inflation optimal à viser. Ces questions méritaient un réexamen en raison des progrès de la science économique et des changements subis par l'économie canadienne. En particulier, les avancées au chapitre des interprétations structurelles de la dynamique de l'inflation, comme la courbe de Phillips néokeynésienne, ainsi que les résultats de récentes études fondées sur des microdonnées et des enquêtes, ont révélé que la durée moyenne des contrats de prix est beaucoup plus courte qu'on ne le pensait. Des méthodes de contrôle robustes permettent aujourd'hui aux décideurs publics d'envisager l'éventualité que leurs modèles économiques soient erronés. Enfin, grâce au développement de la puissance de calcul, il est possible de mener des expériences comparatives à l'égard du bien-être au sein de modèles dynamiques d'équilibre général entièrement spécifiés.

D'autre part, les mutations que connaît l'économie canadienne justifient que l'on poursuive les recherches sur le régime de cibles d'inflation appliqué par la Banque. La persistance de l'inflation a considérablement diminué, restreignant d'autant la capacité des modèles à prévoir l'évolution des prix. Le taux de change du dollar canadien par rapport à son pendant américain et les prix de certains actifs canadiens affichent une volatilité accrue, ce qui soulève des questions quant au rôle que doit jouer la politique monétaire en pareilles circonstances. Enfin, pendant les années 2000, les taux d'intérêt canadiens ont chuté à leur plus bas niveau en plus d'une génération.

C'est avec grand plaisir que la Banque a accueilli à son colloque de 2005 un groupe d'auteurs et de commentateurs de renom qui ont débattu de ces questions et d'autres sujets encore, dont la dynamique de l'inflation, l'inflation du prix des actifs et les communications relatives à la politique monétaire. À la différence des années précédentes, la Banque a invité des experts à donner leur point de vue sur les sujets à l'étude lors des différentes séances, plutôt que sur les travaux présentés. En outre, deux conférenciers réputés ont fait part de leurs réflexions sur la poursuite de cibles d'inflation. Christopher Ragan a traité des défis futurs, tandis que Frederic Mishkin, qui avait été invité à prononcer la conférence commémorative John Kuszczak de 2005, a soulevé une série de questions importantes.

Première séance : La poursuite de cibles d'inflation au Canada

Dans son étude, intitulée « The Road Ahead for Canadian Inflation Targeting », Christopher Ragan (Banque du Canada et Université McGill) avance des arguments en faveur du renouvellement du régime actuel de cibles d'inflation.

Ragan évalue d'abord les résultats du régime appliqué au Canada. L'inflation a été stable, s'établissant en moyenne à près de 2 %, et est presque toujours demeurée à l'intérieur de la fourchette visée depuis l'adoption par la Banque des cibles d'inflation. Il semble en outre que la poursuite de cibles ait exercé un effet stabilisateur sur l'économie, en aidant à atténuer le cycle conjoncturel et à augmenter la croissance. Ragan note également que la politique monétaire est crédible : les taux d'inflation attendus dans le secteur privé ont avoisiné 2 % pendant la majeure partie de la période écoulée depuis 1993. Cet ancrage solide des attentes résulte directement de la clarté des communications. La transparence du régime de cibles d'inflation a permis aux marchés de mieux comprendre comment la Banque réagit aux résultats économiques anticipés.

Ragan propose deux aménagements qui pourraient être apportés au régime en place : i) une réduction du taux d'inflation visé; ii) le passage d'une cible d'inflation à une cible de niveau des prix. Il convient que de plus amples recherches sont nécessaires pour établir si de telles modifications seraient favorables au bien-être. En outre, il juge important que les banques centrales communiquent mieux avec le public, et suggère en particulier que la Banque du Canada mette moins l'accent sur la transmission de signaux à court terme (concernant par exemple ses intentions ou la trajectoire projetée des taux directeurs) pour se concentrer davantage sur la sensibilisation du public à long terme (en expliquant ce qui motive ses décisions de politique monétaire), cela afin que le public comprenne encore mieux le processus de formulation de la politique monétaire. Il mentionne trois points qui restent à clarifier auprès du public : le caractère imprécis de l'action de la politique monétaire; les longs délais de transmission qui la caractérisent; et l'incidence des chocs pétroliers sur la politique monétaire.

Deuxième séance : La dynamique de l'inflation

Bien que la courbe de Phillips néokeynésienne soit souvent utilisée dans la littérature comme modèle structurel du comportement de l'inflation à court terme, elle est plus ou moins bien étayée sur le plan empirique. Les deux études présentées au cours de cette séance mettent en avant de nouvelles méthodologies pour examiner la validité de cette courbe dans le cas du Canada.

Bergljot Bjørnson Barkbu et Nicoletta Batini (Fonds monétaire international) emploient une nouvelle méthode qui tient compte des effets de la non-stationnarité des variables pour estimer la courbe de Phillips néokeynésienne. Les auteures concluent que la dynamique de l'inflation, mesurée par le dégonfleur du produit intérieur brut (PIB) canadien, peut s'expliquer par les variations de la part du travail dans le PIB, mais que le lien entre ces deux variables n'est pas très robuste. Barkbu et Batini ont constaté que leurs résultats étaient sensibles à la mesure de la part du travail (en ce qui concerne, par exemple, le traitement des impôts indirects, le degré d'ouverture de l'économie, l'importance relative des travailleurs autonomes et l'inclusion ou non du secteur public). Günter Coenen (Banque centrale européenne) se demande pourquoi l'on s'attend à ce qu'il existe une relation à long terme entre l'inflation, qui est une variable nominale, et le coût marginal réel, une variable réelle. Il soutient qu'il serait plus approprié de considérer les variables examinées comme stationnaires. Il présente aussi des résultats empiriques provenant d'un modèle général de détermination des prix, estimé à l'aide de données canadiennes, lesquels confirment la principale conclusion de Barkbu et Batini.

Les auteurs de la seconde étude, Robert Amano et Stephen Murchison (Banque du Canada), obtiennent des résultats nettement favorables à la courbe de Phillips néokeynésienne en utilisant l'indice de référence retenu par la Banque pour mesurer l'inflation fondamentale, en levant l'hypothèse d'une cible d'inflation constante dans le temps et en employant une mesure plus générale du coût marginal réel, qui permet de tenir compte, dans la fonction de production, des coûts d'ajustement du facteur travail et du rôle explicite des biens intermédiaires importés. Les résultats de leurs estimations cadrent avec la durée des contrats de prix révélée par les enquêtes (deux ou trois trimestres) et avec les autres propriétés statistiques de l'inflation. Leurs résultats montrent également que l'inflation attendue joue un rôle plus important que l'inflation passée, une conclusion partagée par Barkbu et Batini. Malgré ces bons résultats, Amano et Murchison ne sont pas parvenus à expliquer pourquoi la persistance de l'inflation a fortement diminué depuis le début des années 1990 alors que celle du coût marginal réel s'est maintenue. Jean Boivin (Université Columbia) souligne que les résultats en faveur du modèle d'inflation des économistes néokeynésiens tiennent en grande partie au choix de la mesure plus générale du coût marginal réel et au fait que la cible d'inflation n'est pas constante. Il suggère aux auteurs de pousser plus loin leur modèle en estimant conjointement la cible d'inflation et l'équation d'inflation.

Bien que ces deux études tendent à corroborer la validité de la courbe de Phillips néokeynésienne, Sharon Kozicki (qui travaillait à l'époque à la Banque fédérale de réserve de Kansas City, mais qui s'est jointe depuis à la Banque du Canada) affirme que d'autres analyses de la mesure de l'inflation, des attentes d'inflation et du coût marginal devront être effectuées avant que l'on puisse conclure que cette courbe de Phillips est un bon modèle structurel de l'inflation au Canada. Elle fait également remarquer que, bien qu'une politique monétaire axée sur une cible d'inflation constante et crédible puisse éliminer la persistance de l'inflation, d'autres sources d'inertie demeurent.

Troisième séance : Les prix des actifs et la politique monétaire

Les récents débats concernant les prix des actifs ont été centrés sur deux questions. Les fortes fluctuations que ces prix enregistrent peuvent-elles influer sur l'économie réelle? Les banques centrales ayant adopté une cible d'inflation devraient-elles réagir directement à l'évolution des prix des actifs? Les exposés présentés durant cette séance examinent les implications pour la politique monétaire : i) des effets frontières 3 découlant de la volatilité du taux de change nominal; et ii) du modèle de l'« accélérateur financier » de Bernanke, Gertler et Gilchrist — le mécanisme par lequel une variation marquée des prix des actions se répercute sur la situation financière des entreprises et des ménages et, par conséquent, sur les flux de crédit, l'investissement et la consommation.

Steven Globerman et Paul Storer (Université Western Washington) montrent que la volatilité du taux de change Canada-États-Unis s'est accentuée depuis 1997 et que ce phénomène s'est accompagné dans le même temps d'une augmentation de l'effet frontière. Ils estiment que la poursuite de cibles d'inflation pourrait avoir contribué à limiter la répercussion des variations de change sur les prix et ainsi amené la banque centrale à réduire le poids qu'elle accorde implicitement à ces variations — même si les coûts liés à la volatilité du taux de change sont restés inchangés. Les auteurs soutiennent donc que, si ces coûts n'ont pas varié, la banque centrale doit réévaluer l'importance qu'elle attache à cette volatilité. Lucie Samson (Université Laval) s'interroge sur la mesure dans laquelle le renforcement de l'effet frontière est attribuable à la volatilité accrue du taux de change et au degré réduit de répercussion des mouvements de change, ou à un facteur exogène comme une hausse des coûts de transaction. Elle met en garde contre une focalisation excessive sur le rôle de l'adoption de cibles d'inflation pour expliquer les variations de change et leur degré de répercussion. Selon elle, une faible répercussion des variations de change, un taux d'inflation bas et stable et une volatilité élevée du taux de change sont compatibles avec des modèles qui comportent des salaires nominaux rigides, des coûts d'étiquetage, des prix différenciés selon les marchés ou des investisseurs non fondamentalistes.

Robert Tetlow (Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis) étoffe la structure du modèle de Bernanke, Gertler et Gilchrist afin d'enrichir le mécanisme de propagation dynamique, ce qui assure une meilleure cohérence du modèle avec les données. Il utilise celui-ci pour calculer le poids optimal que la banque centrale devrait accorder aux fluctuations des prix des actions dans sa règle de politique monétaire. Il tient compte aussi de l'incertitude du modèle en postulant que la banque centrale ne connaît que la fourchette dans laquelle se situe le taux de variation des prix des actions. Il constate qu'une règle qui intègre l'inflation attendue et qui commande une réaction directe aux fluctuations de ces prix ne permet de réduire que faiblement la volatilité de l'inflation et de la production. D'après ces résultats, il ne serait donc pas nécessaire que la politique monétaire réagisse directement aux bulles de prix d'actifs. Klaus Schmidt-Hebbel (Banque centrale du Chili) signale que le niveau extraordinairement élevé des coefficients de réaction optimaux dans la règle de politique monétaire de l'auteur laisse soupçonner une mauvaise spécification du modèle. Il fait en outre observer que la bulle boursière est simplement définie comme une variation des prix des actions. Selon lui, Tetlow devrait plutôt la définir comme un écart des prix des actions par rapport à leurs valeurs fondamentales et utiliser une méthode de contrôle robuste qui permet de prendre en compte l'incertitude autour de ces valeurs.

Philip Lowe (Banque de réserve d'Australie) met en doute l'hypothèse de Globerman et Storer selon laquelle la poursuite de cibles d'inflation accroît la volatilité du taux de change, car il n'en a pas été ainsi en Australie. Il estime qu'une question plus intéressante est celle de savoir comment les banques centrales devraient réagir à une dépréciation du taux de change qui s'accompagne d'une baisse des termes de l'échange. Dans un tel cas, l'inflation augmenterait à l'horizon de court terme généralement retenu par les autorités monétaires, mais elle diminuerait ensuite, à mesure que les effets négatifs de la détérioration des termes de l'échange se feraient sentir. Par ailleurs, Lowe est d'accord avec la conclusion de Tetlow voulant que la banque centrale ne devrait pas réagir directement aux fluctuations des prix des actions, mais son opinion n'est pas encore arrêtée dans le cas des prix des biens immobiliers. Ces biens sont davantage utilisés que les actions pour garantir des emprunts, de sorte qu'une envolée des prix immobiliers pourrait très bien coïncider avec une forte progression des emprunts et des dépenses de consommation. Il se demande également si le type de modèle utilisé par Tetlow n'est pas trop simple : les bulles de prix d'actifs, qui peuvent être financées par des emprunts, y sont en effet considérées comme exogènes, si bien qu'elles ne sont pas influencées par les taux directeurs de la banque centrale. Il rappelle que ces bulles peuvent être déclenchées par des chocs d'offre favorables qui stimulent la croissance et font diminuer l'inflation. En pareille situation, une hausse du taux directeur pourrait être envisagée pour restreindre l'activité afin d'éviter qu'une chute rapide de celle-ci ne fasse descendre l'inflation à moyen terme encore plus bas sous la cible. Lowe conclut que la tâche des banques centrales serait plus facile si elles pouvaient convaincre le public que le taux d'inflation prévu correspond à la cible et que l'horizon qu'elles se fixent pour atteindre celle-ci ne représente qu'un aspect de la poursuite de cibles d'inflation.

Quatrième séance : Conférence commémorative John Kuszczak

Dans le cadre de la conférence commémorative John Kuszczak 4, Frederic Mishkin (Université Columbia) examine cinq questions importantes touchant la poursuite de cibles d'inflation. La poursuite de cibles améliore-t-elle la tenue de l'économie? Permet-elle de stabiliser à la fois l'inflation et la production? Une banque centrale peut-elle faire preuve d'une trop grande transparence? Une cible de niveau des prix serait-elle préférable à une cible d'inflation? Une cible ponctuelle serait-elle préférable à une fourchette cible?

Mishkin cite diverses statistiques et études à l'appui de l'existence d'une relation positive entre la poursuite de cibles d'inflation et la tenue de l'économie. Il signale toutefois que cette relation positive est moins probante qu'elle ne paraît à première vue et que les résultats économiques des pays n'ayant pas de cible explicite, comme les États-Unis et l'Allemagne, ont été aussi bons que ceux des autres pays. Il fait également remarquer qu'il est possible que les pays à forte inflation aient davantage tendance à adopter des cibles pour réduire l'inflation. Par conséquent, la corrélation positive entre la poursuite de cibles d'inflation et la tenue de l'économie traduit peut-être la présence d'un biais d'endogénéité. Mishkin conclut que la création d'un solide point d'ancrage nominal est un argument de poids en faveur de l'adoption de cibles d'inflation.

En ce qui concerne le deuxième point, Mishkin souligne qu'un cadre flexible de poursuite de cibles d'inflation, où les autorités ramènent l'inflation au taux visé à l'intérieur d'une période donnée, permet de stabiliser à la fois l'inflation et la production. C'est ce que font dans la pratique presque toutes les banques centrales qui se sont dotées d'une cible d'inflation. Quant à la question de savoir si la transparence d'une banque centrale peut être excessive, Mishkin soutient qu'il faut trouver un équilibre entre la transparence et la simplicité des communications. Contrairement à d'autres chercheurs, il estime que le dévoilement de l'orientation projetée de la politique monétaire ou de la fonction objectif de la banque centrale peut compliquer les communications et détourner celle-ci des objectifs à long terme qui doivent guider la conduite de la politique monétaire.

Pour ce qui est du quatrième point, Mishkin admet que son scepticisme à l'égard des cibles de niveau des prix s'est atténué depuis cinq ans. Il évoque à ce propos la situation observée au Japon, qui tend à démontrer qu'une cible de ce genre peut servir à combattre efficacement la déflation. La poursuite d'une cible de niveau des prix a pour grand avantage de réduire les attentes de déflation en amenant les agents à anticiper une inflation élevée. Les taux d'intérêt réels s'en trouvent diminués dans le court terme, ce qui permet à la banque centrale d'éviter la contrainte que lui impose l'existence d'une borne inférieure limitant les taux d'intérêt nominaux à zéro. En conclusion, Mishkin préconise de poursuivre une cible d'inflation en dehors des périodes de déflation, car elle est plus facile à communiquer.

Mishkin reconnaît qu'il s'est complètement ravisé en ce qui a trait au dernier point. Cinq ans auparavant, il prônait le recours à une cible ponctuelle plutôt qu'à une fourchette, mais il recommande maintenant le contraire, pour plusieurs raisons. Une fourchette offre deux avantages : souplesse — ce que les politiciens apprécient toujours — et simplicité, ce qui la rend plus facile à mettre en oeuvre et à expliquer. Enfin, des analyses comparatives montrent que l'établissement d'une fourchette cible peut conduire à un niveau de bien-être très voisin de l'optimum social, au prix d'une volatilité de l'inflation et de la production à peine supérieure.

Cinquième séance : Borne inférieure limitant les taux d'intérêt nominaux à zéro

Francisco Ruge-Murcia (Université de Montréal) étend le modèle de courbe de rendement fondé sur l'hypothèse relative aux attentes, exposé par Cox, Ingersoll et Ross (1981), pour tenir compte de la borne inférieure limitant les taux d'intérêt nominaux à zéro. Le modèle ainsi modifié introduit des non-linéarités dans la courbe de rendement. L'idée maîtresse de l'étude de Ruge-Murcia est que les courbes de rendement linéaire et non linéaire donnent des prédictions presque identiques pour les taux à long terme lorsque ceux-ci sont éloignés de la borne du zéro, mais des prédictions tout à fait opposées quand ils se situent près de zéro. Sur la base de ce résultat, Ruge-Murcia définit de la façon suivante l'expression « près de zéro » : le taux d'intérêt n'est « près de zéro » que si la courbe de rendement non linéaire produit des prédictions significativement différentes de celles tirées de la courbe linéaire. En appliquant cette définition à l'examen des taux canadiens des dix dernières années, lesquels ne sont pas tombés en deçà d'environ 2 %, il conclut que ceux-ci n'ont jamais été près de zéro durant cette période.

Dans son commentaire, Peter Ireland (Boston College) rappelle que, dans un travail antérieur, Ruge-Murcia avait appliqué son modèle au Japon et conclu que les taux d'intérêt pratiqués dans ce pays se situaient près de zéro selon sa définition. Toutefois, il existe une distinction importante entre les politiques monétaires japonaise et canadienne : la Banque du Canada vise un taux d'inflation de 2 %, alors que la Banque du Japon semble avoir pris pour cible un taux d'inflation nul. Ireland en conclut qu'une cible plus élevée réduit la probabilité que les taux d'intérêt s'établissent près de zéro. Il propose par conséquent que Ruge-Murcia élargisse son analyse à plus de deux pays.

Sixième séance : Conséquences sur le bien-être

Les deux exposés présentés au cours de cette séance traitent de questions touchant l'inflation et le bien-être dans le cadre de modèles macroéconomiques d'équilibre général.

Eva Ortega (qui travaillait à la Banque du Canada au moment du colloque, mais qui est retournée depuis à la Banque d'Espagne) et Nooman Rebei (Banque du Canada) étendent le cadre d'analyse de la nouvelle macroéconomie ouverte à une économie à deux secteurs et estiment le modèle ainsi obtenu à l'aide de techniques bayésiennes. Dans le contexte de ce modèle, les auteurs passent en revue divers types de règles de politique monétaire simples en cherchant à établir lesquelles maximisent le bien-être économique. Ortega et Rebei se penchent d'abord sur la règle optimale, qui réagit fortement à l'inflation mais nullement à l'écart de production. Ils étudient ensuite quelques mesures possibles pour la cible. Ils constatent l'existence d'un arbitrage crucial : en prenant pour cible l'inflation dans le secteur des biens non échangeables plutôt que l'inflation globale, on augmente davantage le bien-être, mais on accroît aussi l'incertitude macroéconomique. Enfin, Ortega et Rebei analysent des règles hybrides, où le niveau des prix et le taux d'inflation sont tous deux pris pour cibles. Leurs résultats ne sont pas concluants, car le bien-être est fondamentalement insensible aux modifications des paramètres de ces règles hybrides.

Craig Burnside (Université Duke) soulève deux points dans son commentaire. D'abord, il déplore que l'analyse des règles optimales n'ait pas été effectuée dans un cadre où l'engagement à les respecter peut être problématique, puisque la capacité à s'engager envers une règle de politique monétaire peut influer sur le choix même de la règle. Ensuite, il rappelle que la critique de Lucas peut également s'appliquer à des modèles d'équilibre général; si le modèle est mal spécifié, il ne convient pas à l'analyse des politiques. Pour remédier au problème, Burnside propose que les auteurs étudient plus à fond les propriétés cycliques de leur modèle, à la fois aux niveaux macroéconomique et sectoriel. Si le modèle offre de fait une bonne représentation de l'économie canadienne, ses conclusions touchant la politique monétaire seront valables.

Kevin Moran (Université Laval) apporte deux modifications importantes à la version calibrée du modèle macroéconomique standard. D'abord, il y introduit la monnaie au moyen d'une contrainte (partielle) de liquidité, une spécification qui confère une plus grande souplesse que l'inclusion de la monnaie dans la fonction d'utilité. Ensuite, il postule que les agents n'observent qu'imparfaitement les changements de la cible d'inflation de la banque centrale et qu'ils doivent recourir à une révision bayésienne. À l'aide de ce modèle, Moran examine les gains de bien-être que l'on obtient en ramenant la cible d'inflation de 2 % à zéro. La comparaison des deux états stationnaires indique que ces gains sont substantiels, mais que les coûts d'apprentissage sont également élevés. Les agents mettent un an à se rendre compte que la cible est descendue à 1 %, et près de quatre ans à se convaincre que la cible n'est plus que de un demi de 1 %. Avant qu'ils finissent par admettre que la cible est tombée à zéro, il s'écoulera encore beaucoup de temps. Le bien-être augmente au total, même si l'on tient compte de la possibilité d'apprentissage, et ce résultat s'observe sous diverses spécifications du modèle, notamment en ce qui a trait à la formation d'habitudes, aux rigidités salariales et à des formalisations différentes de la contrainte de liquidité.

Andrew Levin (Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis) fait remarquer que le taux d'inflation de régime permanent optimal peut différer du taux d'inflation moyen optimal si la distribution des chocs macroéconomiques est asymétrique, en raison de la présence de la borne limitant les taux d'intérêt nominaux à zéro. À ce propos, il juge cependant important d'analyser les effets liés au canal du crédit et les implications d'une indexation incomplète, que ce soit des salaires, des prix ou des tranches de l'impôt sur le revenu. Levin s'interroge aussi sur la capacité des modèles à recréer les périodes passées de désinflation. Enfin, il souligne le rôle que peuvent jouer la crédibilité et la communication pour réduire les coûts de la transition vers la désinflation sur le plan du bien-être.

Dans son commentaire, qui porte à la fois sur les deux études, Vitor Gaspar (Banque du Portugal) évoque le principe de Hume 5, qui, sans proscrire l'analyse des politiques dans des modèles macroéconomiques, invite du moins à la prudence. Par ailleurs, il est préoccupé par le fait que les deux auteurs ont postulé de manière ad hoc des règles de politique monétaire simples, plutôt que des règles plus générales susceptibles de procurer un bien-être plus élevé.

Septième séance : Débat de clôture

Paul Beaudry (Université de la Colombie-Britannique) examine quatre questions à la lumière des études présentées au colloque. Premièrement, pourquoi une banque centrale devrait-elle adopter des cibles d'inflation si son objectif est de favoriser une stabilité monétaire et financière propice au bien-être économique? La poursuite de cibles d'inflation est-elle la meilleure politique à suivre? Au cours des quinze dernières années, les résultats au chapitre de la croissance économique ou de l'inflation enregistrés par les pays industrialisés ayant des cibles explicites n'ont guère été différents de ceux des pays comparables qui n'en avaient pas. Les faits portent donc à croire que d'autres politiques peuvent être tout aussi efficaces pour promouvoir le bien-être économique.

Deuxièmement, quels sont les avantages et inconvénients de cibles définies à l'égard de l'inflation plutôt que du niveau des prix? La poursuite de cibles d'inflation facilite la planification à moyen terme, en donnant aux gens la possibilité de signer des contrats pluriannuels. Le ciblage du niveau des prix favorise plutôt la planification à long terme, en permettant aux gens de se constituer une épargne en vue de la retraite sans craindre que l'inflation ne vienne en éroder la valeur. Beaudry fait observer que pour bien analyser cette question, il faudrait modéliser les incitations à planifier sur le long terme.

Troisièmement, quel taux d'inflation convient-il de choisir comme cible? Un taux de 2 % est-il préférable à un autre? Quels seraient les coûts d'un abaissement de la cible? Beaudry met en relief le paradoxe auquel sont confrontées les autorités monétaires. D'une part, si la borne inférieure limitant les taux d'intérêt nominaux à zéro n'est pas problématique dans le cas d'un éventail de cibles d'inflation qui avoisinent 2 %, une réduction de la cible pourrait s'accompagner d'une amélioration des conditions économiques. D'autre part, l'immobilisme peut être une importante option à considérer; si la transition vers une nouvelle politique s'annonce coûteuse, le maintien de la politique existante sera peut-être plus avantageux.

Enfin, Beaudry s'interroge sur le cadre de réalisation de la cible. La façon la plus courante d'atteindre cette dernière est d'appliquer une règle de rétroaction qui spécifie comment ajuster les taux d'intérêt en fonction de différents résultats économiques. L'inflation et la production sont les éléments que comprend habituellement une règle de rétroaction (règle de Taylor). Une nouvelle question digne d'intérêt est celle de savoir si les autorités monétaires doivent réagir à l'évolution des prix des actifs. Beaudry convient avec Tetlow que cela n'est pas souhaitable. Il souligne toutefois que les fluctuations du cycle économique sont le plus souvent liées à des perturbations non monétaires, si bien que la Banque du Canada devrait avoir une position claire quant à la façon dont elle entend réagir aux chocs autres que monétaires.

Pierre Duguay (Banque du Canada) aborde pour sa part deux sujets : la cible d'inflation et les défis à relever pour l'atteindre. Traitant du premier, il signale que le fait que le régime en place ait réussi à ancrer les attentes d'inflation et à atténuer les fluctuations devrait encourager les autorités à accomplir de nouveaux progrès sur la voie de la stabilité des prix. Lorsque la cible d'inflation a été renouvelée la dernière fois, en mai 2001, des arguments théoriques militaient en faveur d'une réduction du taux visé, mais les avantages étaient difficiles à quantifier. Depuis, des modèles théoriques de recherche (mis au point par Shi, Wright et d'autres) ont de plus en plus été utilisés pour quantifier les gains de bien-être obtenus sous différents régimes. Moran a employé un modèle dynamique d'équilibre général plus traditionnel. Tous les modèles indiquent qu'une réduction de la cible serait avantageuse. Ragan souligne que la seule façon de quantifier les gains est d'utiliser un modèle dynamique d'équilibre général faisant intervenir plusieurs secteurs et des prix relatifs. Ortega et Rebei ont fait un premier pas significatif dans cette direction. Le défi, pour les banquiers centraux, consiste à déterminer quel modèle reproduit le mieux la réalité et à en communiquer clairement les résultats au public et au gouvernement.

Duguay est d'accord avec Ragan pour dire que la certitude à l'égard des prix à long terme est une question trop importante pour que l'on rejette l'option de cibles basées sur le niveau des prix sans en évaluer soigneusement les coûts et les avantages. Il était traditionnellement admis que la poursuite de telles cibles amènerait une variabilité accrue de l'inflation, de la production et des taux d'intérêt nominaux. De nouvelles études montrent plutôt que cette variabilité peut être atténuée en régime de ciblage du niveau des prix si les agents sont tournés vers l'avenir et si la politique monétaire est crédible. Lorsque la demande s'accroît, le niveau des prix dépasse la cible, et le fait que les agents s'attendent à ce qu'il y revienne pousse à la hausse les taux d'intérêt réels et contribue à freiner la demande, ce qui, au bout du compte, exige un ajustement moindre des taux d'intérêt nominaux. Le contraire se produit dans le cas d'un choc entraînant la contraction de l'activité. Le ciblage du niveau des prix confère ainsi une plus grande latitude pour mener la politique monétaire sans faire tomber les taux d'intérêt à zéro. En présence d'un choc d'offre, toutefois, l'arbitrage entre la stabilisation de la production et celle des prix (disparu grâce au régime crédible de cibles d'inflation) est susceptible de réapparaître.

Duguay mentionne que trois des principaux défis associés à la conduite de la politique monétaire sont les variations des prix des actifs, le degré de répercussion de plus en plus faible des mouvements de change sur les prix, et la persistance moindre de l'inflation. Au sujet du premier, il rappelle le point de vue de Tetlow selon lequel les autorités monétaires, dans des circonstances normales, ont peu à gagner à réagir aux variations des prix des actifs pour des motifs autres que les stricts effets de celles-ci sur l'inflation prévue. Il estime cependant que Tetlow n'apporte pas de réponse claire à la question qui suscite des débats dans le milieu des banques centrales, à savoir s'il convient de s'accorder un délai plus long pour atteindre la cible lorsqu'on est en présence d'un choc de prix d'actifs « non fondamental ». Compte tenu de notre capacité limitée d'établir des prévisions au-delà d'un horizon de 18 mois et de prédire l'éclatement d'une bulle, il serait imprudent, conclut Duguay, de renoncer à atteindre la cible dans un délai de six à huit trimestres en espérant obtenir de meilleurs résultats plus tard.

Duguay commente ensuite la question du degré de répercussion de plus en plus faible des mouvements de change. Comme Globerman et Storer l'ont indiqué, il est possible que ce phénomène résulte en partie de l'intensification du commerce intra-entreprise et intrasectoriel, étant donné que les incidences des fluctuations de change sur les revenus et les coûts des entreprises s'annulent mutuellement. Cela pourrait aussi expliquer la variabilité accrue des taux de change; en effet, des fluctuations plus amples sont nécessaires pour qu'il y ait réallocation des ressources si certains secteurs ne sont pas sensibles aux variations de change. Duguay se demande s'il existe un lien entre la répercussion moindre des hausses d'autres coûts (ceux de l'énergie et des matières premières) et la variabilité plus prononcée des prix relatifs maintenant que l'inflation est maîtrisée.

Au sujet de la réduction de la persistance de l'inflation, Duguay soutient que la grande innovation apportée par les études sur la courbe de Phillips néokeynésienne est la reconnaissance du rôle que le comportement de la banque centrale et l'apprentissage des agents jouent à l'égard de cette persistance. Il opine que l'énigme mise en lumière par Amano et Murchison (celle d'une persistance beaucoup moindre de l'inflation que du coût marginal) soulève des interrogations au sujet des hypothèses qui sous-tendent la définition de la variable du coût marginal. La courbe de Phillips néokeynésienne élaborée par Amano et Murchison peut produire de meilleures prévisions de l'inflation que d'autres modèles plus populaires; cependant, l'extraction de « paramètres profonds » exige des manipulations arbitraires. Il est peut-être prématuré de conclure que la Banque possède de bons modèles d'inflation. Enfin, Duguay souligne que le cadre de la courbe de Phillips néokeynésienne ne rend pas compte de la relation fondamentale entre les pressions exercées par la demande et la croissance des salaires, un point qu'ont relevé Barkbu et Batini.

Peter Howitt (Université Brown) divise son exposé en deux parties : les leçons tirées, et celles qui restent à apprendre. Pour ce qui est de la première, il commence par mentionner que la stabilisation de l'inflation n'a pas rendu l'activité économique moins stable pour autant. L'étude de Ragan, fait-il remarquer, montre que la production réelle est moins volatile depuis que des cibles d'inflation ont été adoptées au Canada. Une variabilité inférieure de la production a aussi été observée aux États-Unis et dans d'autres pays qui sont parvenus à stabiliser leur inflation sans poursuivre de cibles explicites. Or, Howitt se serait attendu à ce que tel soit le cas seulement dans la mesure où la plupart des chocs étaient liés à la demande. Si les chocs d'offre prédominent, c'est donc qu'ils revêtent moins d'importance que ne le prétendent les théoriciens des cycles réels. Il se peut également qu'un régime de cibles d'inflation ait un pouvoir intrinsèque de stabilisation et qu'il atténue l'arbitrage requis entre la variabilité de la production et celle de l'inflation en présence de chocs d'offre. L'ancrage des attentes d'inflation permet à une économie d'absorber des chocs d'offre négatifs sans que se produise une hausse des salaires et des prix. Le fait qu'autant de pays connaissent des expériences similaires montre bien que l'effet réel défavorable de la stabilisation de l'inflation à un bas niveau est moins prononcé qu'on ne l'avait d'abord pensé. La poursuite de cibles d'inflation pourrait même constituer la meilleure façon de promouvoir une croissance stable.

Amano et Murchison ont expliqué que la persistance de l'inflation a commencé à diminuer dès la mise en oeuvre du régime de cibles d'inflation, même si celle du coût marginal réel ne s'est pas, elle, amoindrie. Ces observations donnent à penser qu'un changement s'est opéré dans le processus de formation des attentes. Ce régime ayant permis d'ancrer les attentes d'inflation et, par le fait même, de limiter l'effet des chocs, la banque centrale peut, semble-t-il, se permettre de réagir aux chocs d'offre par une politique plus expansionniste, sans que cela n'induise de mouvement indésirable de l'inflation.

En outre, il n'y a pas lieu de se préoccuper du taux de change, car les mouvements de ce dernier ne nuisent pas nécessairement à l'efficacité de la politique de poursuite de cibles d'inflation. Le cours du dollar canadien par rapport au dollar américain a connu de fortes fluctuations depuis 1991, sans que la politique ne déraille pour autant. Globerman et Storer font observer que la transmission des variations de change, traditionnellement lente et graduelle au Canada, l'est devenue encore davantage sous le régime de cibles d'inflation. Ce fait laisse lui aussi supposer que les attentes sont bien ancrées.

Enfin, le succès de la politique appliquée dépend tout autant de la communication et de facteurs politiques que de la science économique proprement dite. Comme Ragan le souligne, la clarté du régime de cibles d'inflation facilite la communication, laquelle se traduit, à son tour, par des attentes plus précises. La communication contribue en outre à rendre plus transparents les changements apportés à la politique, et donc à renforcer la crédibilité de celle-ci. Lorsque de nouvelles données deviennent disponibles, les agents privés comprennent que la modification de la politique est motivée par l'arrivée de ces informations et ne résulte pas d'un changement de cap décidé subrepticement. Des considérations politiques entrent aussi en ligne de compte, puisque l'établissement de cibles d'inflation a nécessité l'accord du gouvernement. La poursuite de ces dernières procure toutefois à la Banque du Canada une certaine indépendance, qui accroît sa crédibilité. Selon Howitt, cela explique pourquoi les banques centrales qui ont adopté un régime de cibles d'inflation sont celles dont l'indépendance était la plus limitée au départ.

Howitt se tourne ensuite vers les questions qui restent à approfondir. On ne sait pas précisément pour quelles raisons le régime de cibles d'inflation fonctionne bien. Pourquoi les attentes en sont-elles venues à s'ancrer à la cible poursuivie? Pourquoi la persistance de l'inflation a-t-elle diminué? Bien que des modèles d'équilibre général dynamiques et stochastiques soient construits pour répondre à ces questions, des inconnues demeurent. Kozicki signale que, dans la plupart de ces modèles, les éléments les moins développés et les plus ad hoc sont les questions liées à la persistance de l'inflation (indexation, règle intuitive, persistance des habitudes, etc.). L'« apprentissage » est peut-être une piste intéressante en vue de générer de la persistance, mais les travaux sur le rôle de l'apprentissage dans les modèles d'équilibre général dynamiques et stochastiques en sont encore à l'état embryonnaire.

Une autre question importante est de savoir comment nous réussissons à naviguer aux instruments. Comment une banque centrale peut-elle formuler une politique si elle ne dispose pas d'indicateurs fiables des pressions inflationnistes? Une politique qui parvient à stabiliser l'inflation à un horizon de six à huit trimestres dans l'avenir rend l'inflation en soi orthogonale à l'information qui était disponible six à huit trimestres auparavant. La Banque devant intervenir sans l'avantage d'une rétroaction, il est possible qu'elle ne se rende pas compte immédiatement de la formation d'une spirale inflationniste. Il se peut également, si les attentes sont vraiment « figées » à la cible de 2 %, que la politique monétaire puisse profiter de cette inertie.

Il a été difficile de démontrer de façon convaincante que la réduction du taux d'inflation en deçà de 10 % est vraiment avantageuse. Les coûts de multiplication des déplacements n'ont jamais été quantitativement significatifs dans un monde où l'argent ne portant pas intérêt ne constituait qu'une petite fraction de la richesse. L'intérêt des modèles d'équilibre général dynamiques et stochastiques réside dans le fait que la monnaie, au-delà de sa simple fonction de réserve de valeur, joue un rôle dans le processus de détermination des prix; elle accentue les écarts entre taux marginaux de substitution qui découlent des modifications de prix à intervalles aléatoires. Ortega et Rebei montrent toutefois que même cette friction n'entraîne pas de très grandes pertes de bien-être. Howitt signale que d'autres frictions importantes au sein de l'économie, comme la non-indexation des contrats de prêt à long terme, peuvent être à l'origine de coûts considérables. La non-indexation permet à l'inflation de faire obstacle à la conclusion de contrats qui, autrement, seraient mutuellement profitables, comme ceux visant les investissements à long terme. Le rôle joué par la non-indexation des systèmes fiscal et comptable doit faire l'objet de travaux plus approfondis. Davantage de principes concrets d'économie monétaire devront être intégrés dans les modèles pour que l'on puisse quantifier les avantages liés à la poursuite d'une cible d'inflation plus basse.

Conclusions

Trois grandes conclusions ressortent des nombreuses idées qui ont été exposées et débattues au colloque. La première, et la plus importante, est que le régime actuel de poursuite de cibles d'inflation semble bien fonctionner. Certaines études présentées au colloque fournissent cependant des arguments à l'appui d'une modification du cadre de maîtrise de l'inflation appliqué au Canada. La deuxième conclusion est que la communication est importante, mais doit demeurer simple. Et troisièmement, il est manifeste que plusieurs questions liées à la poursuite de cibles d'inflation restent à approfondir. Même si des travaux récents ont donné des résultats prometteurs en ce qui concerne les avantages potentiels du ciblage du niveau des prix, la façon dont la politique monétaire devrait réagir à l'évolution des prix des actifs et les gains à tirer d'une réduction de la cible d'inflation, ils ne permettent pas encore de recommander des mesures précises en matière de politique monétaire ou des changements significatifs au régime actuel. Les résultats obtenus sont néanmoins encourageants et mèneront sans aucun doute à une compréhension plus fine de la macroéconomie et de notre cadre de conduite de la politique monétaire dans l'avenir.

Ouvrages cités et liste des études présentées au colloque

Les études citées dans le présent article paraîtront en 2006 dans les actes du colloque La poursuite de cibles d'inflation, tenu à la Banque du Canada en avril 2005.

Amano, R., et S. Murchison. « Factor-Market Structure, Shifting Inflation Targets, and the New Keynesian Phillips Curve ».

Bjørnson Barkbu, B., et N. Batini. « The New Keynesian Phillips Curve When Inflation Is Non-Stationary: The Case for Canada ».

Cox, J., J. Ingersoll et S. Ross (1981). « A Re-examination of Traditional Hypotheses about the Term Structure of Interest Rates », Journal of Finance, vol. 36, no 4, p. 769-799.

Globerman, S., et P. Storer. « Exchange Rate Volatility, Pass-Through, Trade Patterns, and Inflation Targets ».

Hume, D. (1739). Traité de la nature humaine, Paris, Aubier Montaigne, 1946.

Mishkin, F. « The Inflation-Targeting Debate ».

Moran, K. « Learning and the Welfare Implications of Changing Inflation Targets ».

Ortega, E., et N. Rebei. « The Welfare Implications of Inflation versus Price-Level Targeting in a Two-Sector, Small Open Economy ».

Ragan, C. « The Road Ahead for Canadian Inflation Targeting ».

Ruge-Murcia, F. « The Zero Lower Bound on Interest Rates and Monetary Policy in Canada ».

Tetlow, R. « Monetary Policy, Asset Prices, and Misspecification ».

  1. 1. Dans le cadre d'une entente conclue avec le gouvernement fédéral en 1991, la Banque du Canada a adopté une série de cibles d'inflation explicites. La cible actuelle, définie par rapport au taux de variation annuel de l'indice des prix à la consommation (IPC), correspond au point médian de 2 % d'une fourchette dont les limites sont de 1 et de 3 %. La Banque cherche à ramener l'inflation à ce taux à un horizon de six à huit trimestres. Pour de plus amples renseignements sur le régime de cibles d'inflation de la Banque, consulter le site Web de l'institution, à l'adresse www.banqueducanada.ca/fr/monetaire/inflation_cible.html.[]
  2. 2. Les études et les commentaires s'y rapportant peuvent être consultés dans le site Web de la Banque. Les actes du colloque seront publiés en 2006.[]
  3. 3. Écarts que l'on observe entre les prix (exprimés dans une monnaie commune) pratiqués dans des villes situées de part et d'autre de la frontière et qui ne peuvent s'expliquer par l'éloignement.[]
  4. 4. Cette conférence annuelle a été instaurée en 2003 à la mémoire de John Kuszczak, un chercheur de la Banque du Canada décédé en 2002.[]
  5. 5. Principe formulé par David Hume, en 1739, selon lequel un énoncé normatif ne doit pas être déduit d'un énoncé descriptif.[]