Introduction

Les fonds communs de placement du marché monétaire, aussi appelés fonds du marché monétaire (FMM), sont des fonds communs de placement à capital variable qui détiennent des liquidités et investissent dans des titres d’emprunt à court terme de haute qualité. Ils visent à offrir à leurs investisseurs des rendements stables, une liquidité élevée et la possibilité d’effectuer des retraits quotidiens. Les investisseurs utilisent ce type de fonds notamment pour :

  • mettre en réserve des liquidités entre deux placements;
  • faire des placements sûrs en période de turbulences sur les marchés;
  • bénéficier d’intérêts plus élevés que ceux des comptes de dépôt traditionnels.

Les FMM facilitent l’intermédiation du crédit par le transfert de liquidités des ménages et institutions à des emprunteurs comme les gouvernements et les sociétés. Ils constituent donc une source importante de financement à court terme.

Malgré leurs avantages, ces fonds peuvent présenter des vulnérabilités susceptibles de compromettre la stabilité du système financier :

  • Asymétrie de liquidité : Les FMM permettent les rachats quotidiens, mais, en période de tensions sur les marchés, certains de leurs actifs peuvent être difficiles à vendre rapidement sans pertes.
  • Avantage du premier arrivé : L’asymétrie de liquidité peut inciter les investisseurs à racheter leurs parts prématurément afin d’éviter toute perte découlant d’une vente d’actifs au-dessous du pair par le fonds pour honorer les demandes de rachat.

Dans plusieurs cas notables, les FMM ont exacerbé les tensions sur les marchés en raison de ces vulnérabilités. Par exemple, lors de la crise financière mondiale de 2008-2009 et au début de la pandémie de COVID-19, certains FMM aux États-Unis ont subitement fait l’objet d’importants retraits (Anadu et autres, 2021). Ces sorties de capitaux ont contraint les fonds à vendre des actifs sur les marchés secondaires, ce qui a probablement contribué aux tensions de liquidité sur les marchés de financement à court terme, en plus de réduire la capacité des fonds à financer les gouvernements et les sociétés.

En réaction à ce type de situations, le Conseil de stabilité financière (CSF) a entrepris un examen exhaustif des vulnérabilités des FMM, ce qui a donné lieu à des recommandations visant à renforcer leur résilience. Depuis, ces fonds demeurent un sujet d’intérêt mondial pour la stabilité financière, et le CSF suit les progrès de la mise en œuvre des recommandations dans différents pays (CSF, 2021; CSF, 2024).

À la lumière de cet intérêt mondial, nous examinons le secteur canadien des FMM. Celui-ci a connu une croissance de 180 % depuis 2019, mais continue de représenter moins de 3 % de l’ensemble du secteur canadien des fonds communs de placement. Il s’agit certes d’un secteur de petite taille, mais les FMM détiennent tout de même environ 5 % des bons du Trésor du gouvernement du Canada et 11 % du papier à court terme non gouvernemental. Leur présence relativement importante sur ces marchés porte à croire que ces fonds pourraient avoir une incidence considérable sur les conditions de liquidité. Toutefois, lors des turbulences de mars 2020, alors que les FMM dans plusieurs pays ont enregistré des sorties de capitaux ayant exacerbé les tensions sur les marchés, les FMM au Canada ont enregistré des entrées de capitaux. Cette relative stabilité pourrait être attribuable au fait que, par rapport à celui d’autre pays, le secteur canadien des FMM compte une plus grande proportion d’investisseurs particuliers. Ces investisseurs peuvent avoir un comportement plus stable que les investisseurs institutionnels, qui ont parfois tendance à liquider assez rapidement leurs positions dans des FMM s’ils ont soudainement besoin de liquidités.

Notre analyse est en phase avec les travaux antérieurs du CSF, dans lesquels le Canada n’a pas été désigné comme un pays où les vulnérabilités des FMM pouvaient être sources de vives préoccupations pour la stabilité financière. Or, compte tenu de l’attention continue portée aux FMM à l’international et de leur rôle croissant dans les principaux marchés de financement à court terme, le personnel de la Banque du Canada continuera d’examiner périodiquement ce secteur.

Les fonds communs de placement du marché monétaire ont connu une forte croissance

Au Canada, les actifs des FMM ont augmenté de 180 % depuis 2019, dépassant les taux de croissance des sociétés d’assurance vie, des caisses de retraite et d’autres types de fonds communs de placement (graphique 1). La taille de ces fonds a généralement évolué en phase avec le taux directeur cible de la Banque, ce qui porte à croire que leur récente croissance pourrait être liée aux taux d’intérêt plus élevés (graphique 2). Cette corrélation semble toutefois décalée dans le temps, sans compter qu’elle était moins évidente pendant de brèves périodes, en particulier celles marquées par de fortes turbulences sur les marchés. Bien que le taux directeur soit en baisse depuis le milieu de 2024, les actifs des FMM ne cessent de croître, sans doute parce que les taux d’intérêt restent élevés par rapport aux niveaux historiques.

Ces taux d’intérêt élevés font augmenter le coût d’opportunité lié à la détention de liquidités dans les comptes de dépôt des banques commerciales, dont les taux d’intérêt sont généralement bas. Quand les taux sont élevés, les investisseurs sont plus susceptibles de transférer leurs liquidités dans des produits de placement :

  • qui offrent des rendements suivant de plus près les taux d’intérêt que les comptes de dépôt des banques commerciales;
  • qui demeurent liquides comparativement à d’autres produits de placement (Nagel, 2016; Nikolaou, 2025).

En effet, au cours des dernières années de hausse des taux d’intérêt, la croissance des actifs des FMM s’est accompagnée d’une progression d’autres produits comparables, comme les certificats de placement garanti et les fonds négociés en bourse de comptes d’épargne à intérêt élevé. Malgré leur croissance rapide, les FMM demeurent relativement modestes, leurs actifs totalisant environ 100 milliards de dollars (graphique 2), soit seulement environ 3 % de l’ensemble du secteur canadien des fonds communs de placement1.

Graphique 1 : Les fonds du marché monétaire ont connu une croissance plus forte que d’autres gestionnaires d’actifs

Graphique 2 : La croissance des fonds du marché monétaire est largement corrélée avec les niveaux des taux d’intérêt

Les fonds communs de placement du marché monétaire sont de grands détenteurs de titres du marché monétaire canadien

Malgré la petite taille du secteur des FMM, ces derniers ont gagné en importance, accroissant leur présence sur certains marchés canadiens de financement à court terme. Le graphique 3 montre que les FMM détiennent maintenant :

  • 5 % des bons du Trésor du gouvernement du Canada, soit une plus grande part que les sociétés d’assurance vie ou les caisses de retraite, contre environ 13 % pour les autres fonds communs de placement réunis;
  • 11 % du papier à court terme non gouvernemental, comme le papier commercial, soit plus que les autres fonds communs de placement, les sociétés d’assurance vie ou les caisses de retraite.

Graphique 3 : Les fonds du marché monétaire détiennent une part non négligeable des bons du Trésor du gouvernement du Canada et du papier à court terme non gouvernemental

Le papier commercial représente une part de plus en plus grande des portefeuilles de papier à court terme non gouvernemental détenus par les FMM, vu l’abandon progressif des acceptations bancaires canadiennes (Forum canadien des titres à revenu fixe, 2023). De 2022 à 2023, les FMM ont affecté de 10 à 20 % de leurs actifs aux acceptations bancaires. Or, à compter de juin 2023, ils ont réduit leurs portefeuilles d’acceptations bancaires tout en augmentant leur part de papier commercial pour la faire passer d’environ 45 à 60 % (graphique 4). D’une manière générale, la présence croissante de ces fonds sur les marchés des bons du Trésor du gouvernement du Canada et du papier commercial porte à croire que la liquidité de ces marchés de financement à court terme pourrait être vulnérable à l’activité de négociation des FMM, notamment en cas de vente d’actifs pour couvrir les retraits d’investisseurs.

Graphique 4 : Les fonds du marché monétaire ont affecté une plus grande part de leurs actifs au papier commercial

Les fonds communs de placement du marché monétaire n’ont pas enregistré de rachats nets en mars 2020

Dans cette section, nous examinons de près le début de la crise de la COVID-19 pour évaluer si les retraits des FMM au Canada auraient pu contribuer aux turbulences sur les marchés financiers, comme ce fut le cas dans d’autres pays.

Nous constatons qu’en mars 2020, les FMM au Canada n’ont pas enregistré de sorties nettes. Ils ont plutôt enregistré des entrées nettes d’environ 4 milliards de dollars, soit le plus important flux net mensuel, positif ou négatif, de notre échantillon depuis 2014 (graphique 5). Les données quotidiennes montrent que les FMM ont constamment enregistré des entrées de capitaux au cours du mois, sauf pour une courte période allant du 9 au 11 mars2. Il est à noter que ces entrées de capitaux ont augmenté parallèlement à l’accroissement de l’écart entre les taux des acceptations bancaires d’un mois et ceux des swaps indexés sur le taux à un jour au Canada, un indicateur des conditions de financement à court terme. L’absence de retraits des investisseurs en contexte de détérioration des conditions de financement à court terme semble indiquer que les sorties de capitaux des FMM n’ont pas exacerbé les tensions sur les marchés, comme ce fut le cas dans d’autres pays.

Graphique 5 : Lors des turbulences de mars 2020, les fonds du marché monétaire au Canada ont enregistré des entrées de capitaux

La stabilité du secteur des FMM en mars 2020 pourrait être attribuable à son bassin d’investisseurs. Dans des régions comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la zone euro, où ces fonds ont posé de plus grands risques pour la stabilité financière, ce bassin se compose d’investisseurs institutionnels dans une proportion de 80 à 90 % (CSF, 2024). Or, au Canada, ce sont plutôt les investisseurs particuliers qui sont majoritaires. Le graphique 6 montre qu’en 2024, les investisseurs institutionnels ne détenaient que 14 % des actifs des FMM au pays, contre 65 % pour les investisseurs particuliers. Les 21 % restants étaient détenus par d’autres fonds d’investissement3. Les investisseurs particuliers des FMM sont généralement moins sensibles aux conditions de marché et moins susceptibles de retirer rapidement leurs liquidités que les investisseurs institutionnels. Par exemple, les grands gestionnaires d’actifs, qui peuvent avoir un plus grand besoin de liquidités en période de turbulences, sont plus susceptibles que les investisseurs particuliers de liquider leurs positions dans les FMM pour répondre à des appels de marge ou constituer leur volant de liquidité afin de respecter leurs limites d’exposition au risque (CSF, 2024).

Graphique 6 : Les investisseurs particuliers représentent la plus grande part des investisseurs dans les fonds du marché monétaire au Canada

Conclusion

Malgré la petite taille du secteur canadien des FMM par rapport à celle du système financier, ces fonds jouent un rôle important en tant qu’investisseurs sur certains marchés de financement à court terme. Nous constatons néanmoins que, contrairement à ceux d’autres pays, ils n’ont pas enregistré d’importantes sorties de capitaux pendant la crise de la COVID-19. Cette stabilité peut être en partie attribuable à la prédominance d’investisseurs particuliers dans leur bassin, ce qui diffère de la situation d’autres pays.

Références

Anadu, K., M. Cipriani, R. M. Craver et G. La Spada. 2021. « COVID Response: The Money Market Mutual Fund Liquidity Facility ». Rapport du personnel no 980 de la Banque fédérale de réserve de New York.

Forum canadien des titres à revenu fixe. 2023. Conséquences de l’abandon du taux CDOR pour le marché des acceptations bancaires.

Conseil de stabilité financière. 2021. Policy Proposals to Enhance Money Market Fund Resilience: Final Report.

Conseil de stabilité financière. 2024. Thematic Review on Money Market Fund Reforms: Peer Review Report.

Nagel, S. 2016. « The Liquidity Premium of Near-Money Assets ». Quarterly Journal of Economics, vol. 131, no 4, p. 1927–1921.

Nikolaou, K. 2025. « Money Market Fund Growth During Hiking Cycles: A Global Analysis ». Document de travail no 2025/150 du Fonds monétaire international.

  1. 1. Dans certains cas, nous utilisons des données de Statistique Canada parce qu’elles comprennent des séries chronologiques plus longues et des ventilations plus détaillées des portefeuilles d’actifs. Bien que cet ensemble de données couvre tous les types de fonds communs de placement du marché monétaire, y compris les fonds négociés en bourse, le secteur demeure principalement composé de fonds communs de placement du marché monétaire à capital variable traditionnels, selon d’autres sources de données. Les tendances relatives aux actifs de ces fonds traditionnels suivent de près celles qui sont présentées dans le graphique 2, comme le confirment les données de l’Association des marchés de valeurs et des investissements.[]
  2. 2. Les sorties de capitaux du 9 au 11 mars ont été minimes : les flux cumulatifs des fonds sont passés d’environ 0,65 milliard de dollars à environ 0,02 milliard de dollars, ce qui indique des sorties de capitaux d’environ 0,63 milliard de dollars seulement entre ces dates.[]
  3. 3. Les autres fonds d’investissement comprennent d’autres fonds communs de placement à capital variable, dont le bassin est aussi majoritairement constitué d’investisseurs particuliers. Il y aurait donc lieu de croire que la proportion d’investisseurs particuliers des FMM au Canada est encore plus élevée que les 65 % indiqués.[]

Remerciements

Nous remercions Jean-Philippe Dion, Alexandra Lai, Stéphane Lavoie et Stephen Murchison pour leurs commentaires et suggestions utiles. Nous remercions également John Bulmer et Paul Redman, de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, ainsi que Philippe Bergevin, de l’Autorité des marchés financiers, de nous avoir fait part de leurs points de vue. Enfin, nos remerciements vont à Yanis Belkacem pour son aide à la recherche.

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2025-25

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