Le commerce mondial, les flux de capitaux et la prospérité du Canada

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Introduction

Bonjour. C’est un grand plaisir d’être ici à Saskatoon. Je tiens à remercier le Saskatchewan Trade and Export Partnership et la Chambre de commerce du Grand Saskatoon pour l’invitation.

Le Canada est une nation commerçante.

Nous tirons des exportations environ le tiers de nos revenus, que nous utilisons pour acheter à l’étranger les produits dont nous avons besoin. En Saskatchewan, la part des exportations dans le produit intérieur brut (PIB) est encore plus importante, avoisinant 45 %, soit la plus élevée au pays. La province fournit des produits de base au monde entier : blé, canola, potasse, pétrole et gaz, uranium, et bien d’autres. Et elle importe toutes sortes de biens, surtout des États-Unis, en particulier des véhicules automobiles, des machines et du matériel.

Malheureusement, le commerce est menacé.

À l’échelle mondiale, les frictions commerciales s’intensifient depuis une douzaine d’années, et les États-Unis ont maintenant pris un virage résolument protectionniste. La forte augmentation des droits de douane américains affaiblit la demande mondiale, perturbe les chaînes d’approvisionnement, fait grimper les prix et place les économies canadienne et mondiale sur une trajectoire indéfiniment plus basse.

Ces changements dans le commerce ont aussi des répercussions sur les flux de capitaux internationaux. Les déséquilibres commerciaux persistants, conjugués à des déficits budgétaires insoutenables aux États-Unis, pourraient accroître les risques pour la stabilité financière dans le monde.

La Saskatchewan, comme la majeure partie du Canada, est prise entre deux feux.

Les nouveaux droits de douane américains sur l’acier, l’aluminium, les véhicules automobiles, le cuivre et le bois d’œuvre résineux font mal aux entreprises et aux travailleurs de tout le pays. Mais ici, en Saskatchewan, le coup le plus dur a été la décision de la Chine de bloquer, dans les faits, les exportations canadiennes de canola vers son marché.

Partout dans le monde, le commerce est plus fragmenté. Les échanges commerciaux avec les États-Unis sont plus difficiles. La confiance est faible et de nouveaux risques pour la stabilité financière apparaissent. En tant qu’économie ouverte étroitement intégrée à celle des États-Unis, le Canada est particulièrement touché.

C’est le sujet dont je veux parler aujourd’hui.

Je vais commencer par donner une perspective à long terme, en présentant quatre mégatendances du commerce mondial et des flux de capitaux qui transforment le paysage économique et financier mondial. La croissance du commerce mondial a ralenti. Les États-Unis ne sont plus la force dominante du commerce, mais ils continuent de l’être pour ce qui est des flux financiers mondiaux. Et les déséquilibres commerciaux mondiaux s’accentuent à nouveau. Le président Trump n’a pas précipité ces mégatendances, mais ses politiques risquent de réduire encore davantage le commerce avec les États-Unis et pourraient ébranler le rôle du dollar américain en tant qu’actif sûr par excellence à l’échelle mondiale.

Je vais ensuite parler des implications pour le Canada et le monde. Pour le Canada, les ramifications d’une nouvelle relation avec les États-Unis sont immenses. Et une chose est sûre : on ne peut pas se permettre d’attendre. Les leaders du pays – chefs d’entreprise, responsables politiques et dirigeants économiques – doivent tracer une nouvelle voie. On aurait dû faire ces changements il y a 15 ans. Mais le deuxième meilleur moment, c’est maintenant.

Les États-Unis seront toujours un partenaire commercial essentiel. Mais il faut trouver de nouveaux marchés pour nos produits et de nouveaux produits pour nos marchés. Il faut améliorer notre productivité pour être compétitifs à l’échelle mondiale. Et on doit attirer les capitaux étrangers. Partout dans le monde, les nations et les entreprises cherchent de nouveaux partenaires. Le Canada devrait être en tête de liste.

L’évolution du commerce mondial et des flux financiers

Avec ce plan en tête, je vais commencer par décrire les quatre mégatendances.

La croissance du commerce mondial a ralenti

Premièrement, la croissance du commerce mondial a ralenti. C’est ce qu’on voit dans le graphique 1, qui montre le commerce mondial en proportion du PIB.

Dans les 65 années qui ont suivi la signature des accords de Bretton Woods en 1944, le commerce a progressé plus rapidement que l’économie mondiale. L’ouverture du commerce a apporté spécialisation, innovation et économies d’échelle. Elle a donné de l’élan à l’investissement et à la productivité. Pour les consommateurs, cela signifiait avoir plus de choix et de meilleurs prix. Le commerce a stimulé la croissance des revenus dans l’ensemble des pays. Il s’est également traduit par une baisse de la pauvreté et une hausse du niveau de vie dans le monde entier.

Mais depuis 2010 environ, la croissance du commerce a ralenti : elle ne dépasse plus celle du PIB. Un certain ralentissement était inévitable. Une fois que la plupart des économies participaient au commerce ouvert, il y avait moins de possibilités de développer davantage le commerce.

Une partie de ce ralentissement reflète des changements d’ordre politique. Les bénéfices de l’ouverture du commerce n’ont pas été répartis équitablement. Des travailleurs y ont plus perdu que gagné, se retrouvant sans emploi quand les producteurs nationaux se sont fait couper l’herbe sous le pied par les producteurs à bas coûts des pays exportateurs. Cette situation a érodé le soutien public et politique en faveur de la mondialisation, ce qui a entraîné un recul du libre-échange.

En conséquence, les barrières commerciales se sont multipliées au cours des douze dernières années. Et aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle ère de protectionnisme américain. Les droits de douane américains n’ont jamais été aussi élevés depuis le début des années 1930 (graphique 2).

Les droits de douane américains ont deux conséquences : ils réduisent le commerce bilatéral avec les États-Unis, et ils réorientent les échanges commerciaux, les exportateurs cherchant à contourner les barrières tarifaires ou à trouver de nouveaux partenaires.

La Chine, en particulier, intensifie ses échanges commerciaux avec les pays du Sud depuis plusieurs années, un phénomène qui s’est accéléré avec le nouveau régime tarifaire américain (graphique 3).

Les États-Unis ne dominent plus le commerce mondial

L’entrée de la Chine dans le système commercial mondial et sa croissance rapide au cours des 25 dernières années nous amènent à la deuxième mégatendance : les États-Unis ne dominent plus le commerce mondial. Le graphique 4 montre les flux commerciaux entre les pays en 2000 et en 2019. Ces figures ont été gracieusement fournies par Hélène Rey, de la London Business School, et ses coauteures.

Graphique 4 : Les États-Unis ne sont plus le pôle du commerce mondial

Exportations de marchandises, excluant les services

a. 2000

b. 2019

Nota : Merci à Hélène Rey de la London Business School pour ces figures. « EMU » représente l’Union économique et monétaire européenne, et non l’Union européenne.
Source : S. Miranda-Agrippino, T. Nenova et H. Rey, « Global footprints of monetary policies », London Centre for Macroeconomics (2020)

Le changement est spectaculaire. En 2000, les États-Unis avaient une position dominante. Aujourd’hui, le réseau commercial mondial compte trois pôles principaux : la Chine, les États-Unis et la zone euro. Il est également devenu beaucoup plus complexe qu’il y a 20 ans.

À mesure que la Chine a développé son commerce, elle a aussi gravi les échelons de la chaîne de valeur. Il y a 20 ans, les économies avancées étaient heureuses d’acheter des biens de consommation de basse technologie produits par le capitalisme d’État chinois. Les prix étaient bas, ce qui profitait aux consommateurs américains. Mais aujourd’hui, la Chine est en concurrence directe avec les États-Unis et d’autres pays dans les domaines de la fabrication de pointe et de la haute technologie.

Le système commercial mondial est conçu pour des entreprises privées qui se livrent concurrence dans un marché ouvert. Mais en Chine, le commerce est utilisé comme un instrument de la croissance dirigée par l’État qui donne aux entreprises chinoises un avantage sur leurs rivales. En réponse, les pays avancés ont de plus en plus adopté des politiques industrielles dans un éventail toujours plus large d’industries stratégiques.

La montée en puissance de la Chine et son recours à la politique industrielle ont également motivé le revirement de la politique commerciale américaine. Les droits de douane américains sur les produits chinois ont atteint un pic d’environ 150 % en avril. Depuis, la situation s’est considérablement détendue. Mais le taux effectif des droits de douane appliqués à la Chine reste élevé, à environ 40 %, et les deux pays ont imposé des restrictions à l’exportation sur certains produits stratégiquement importants.

Les États-Unis dominent toujours les flux financiers

Voilà qui m’amène à la troisième mégatendance. Si les États-Unis ne règnent plus en maître sur le commerce, ils continuent néanmoins de dominer les flux financiers mondiaux (graphique 5).

Graphique 5 : Les États-Unis sont encore le pôle des flux financiers mondiaux

Portefeuille d’actifs, incluant les investissements transfrontières officiels et privés en actions et titres de dette

a. 2000

b. 2018

Nota : Merci à Hélène Rey de la London Business School pour ces figures. « EMU » représente l’Union économique et monétaire européenne, et non l’Union européenne.
Source : S. Miranda-Agrippino, T. Nenova et H. Rey, « Global footprints of monetary policies », London Centre for Macroeconomics (2020)

Les États-Unis ont les plus grands marchés boursiers et d’emprunt. La taille et le dynamisme du marché boursier américain nourrissent les entreprises de croissance. La profondeur et la liquidité du marché des bons du Trésor américain, conjuguées à la perception d’un risque de crédit très faible, ont fait de ces bons l’actif sans risque par excellence dans le monde. Cela a fait augmenter la demande de dollars américains et en a fait la monnaie de réserve mondiale.

Fournir des actifs sûrs au monde entier a ses avantages. Les États-Unis peuvent emprunter pour financer leurs déficits budgétaires croissants à un taux plus bas qu’ils ne le pourraient autrement.

Pour de nombreux investisseurs internationaux, la question est maintenant de savoir si la domination américaine sur les flux financiers mondiaux va s’affaiblir à mesure que le pays se retire du commerce et accumule d’importants déficits budgétaires.

La tenue récente du dollar américain pourrait nous donner une indication. En règle générale, on s’attendrait à ce que les droits de douane américains soutiennent la monnaie nationale. Or, le billet vert s’est plutôt déprécié et le prix de l’or, un autre actif sûr, a augmenté. Le « Jour de la libération » du président Trump a ébranlé la confiance mondiale, et le rôle de valeur refuge du dollar a été remis en question. Les marchés boursiers se sont depuis redressés, mais le dollar s’est déprécié d’environ 10 % par rapport aux autres grandes devises depuis le début de l’année, tandis que le prix de l’or a augmenté de plus de 40 %.

Il est trop tôt pour savoir si cela marque le début d’une nouvelle ère. Pour l’instant, le billet vert conserve sa position dominante et, en l’absence de substitut clair, je soupçonne qu’il restera la monnaie de réserve mondiale dans un avenir prévisible. Mais pour beaucoup, sa valeur d’instrument de couverture en temps de crise a été écorchée. Et les tentatives du président Trump d’influencer la Réserve fédérale soulèvent des questions quant au maintien de l’indépendance de la politique monétaire américaine.

Les déséquilibres mondiaux persistent

La dernière mégatendance que je souhaite aborder est la persistance des déséquilibres mondiaux1. Je fais ici référence au déficit commercial persistant des États-Unis et aux excédents importants et continus d’autres pays, en particulier la Chine et l’Union européenne (graphique 6).

Les flux de capitaux internationaux sont le revers des déséquilibres commerciaux.

Pour financer leur déficit commercial, les États-Unis comptent sur les entrées nettes de capitaux, soit les étrangers qui achètent des actions et des titres de dette américains, ainsi que sur les investissements directs étrangers. Autrement dit, les États-Unis doivent attirer l’épargne étrangère, car ils n’épargnent pas suffisamment chez eux. La Chine et l’Union européenne, en revanche, ont toutes deux un excédent d’épargne.

Les facteurs intérieurs sont la principale raison de l’aggravation des déséquilibres entre ces grandes économies. En Chine, la consommation a été durablement faible. Les ménages chinois détiennent une épargne de précaution élevée parce que les filets de protection sociale ne sont pas bien développés et que le secteur immobilier est chancelant. Dans l’Union européenne, les investissements ont été faibles par rapport à l’épargne parce que les occasions sont moins attrayantes, surtout dans le secteur de la haute technologie.

L’inverse est vrai aux États-Unis. La consommation et l’investissement sont élevés, les déficits budgétaires sont importants et le taux d’épargne est bas. Les États-Unis affichent donc un déficit commercial, dont les principales contreparties sont l’Union européenne et la Chine.

Les déséquilibres ne sont pas mauvais en soi : les flux de capitaux mondiaux font partie intégrante d’un système commercial et financier international qui fonctionne bien. Mais les risques s’accumulent quand les déséquilibres s’accentuent de manière insoutenable et que les ajustements nécessaires n’ont pas lieu.

En général, les pays ou régions affichant un excédent commercial – dans ce cas-ci, la Chine et l’Union européenne – subissent peu de pression du marché pour s’ajuster. Habituellement, l’essentiel de l’ajustement serait imposé au pays déficitaire, c’est-à-dire les États-Unis. Mais comme le dollar américain est la monnaie de réserve mondiale, les investisseurs étrangers ont accepté de financer les dépenses américaines. Donc, les déséquilibres persistent.

Pourquoi s’en soucier? Parce que nous avons déjà vu les choses mal tourner. Dans la période qui a précédé la crise financière mondiale de 2008-2009, les déséquilibres se sont accumulés alors que la Chine enregistrait d’importants excédents commerciaux et que les États-Unis accusaient de gros déficits. L’implosion du marché américain des prêts hypothécaires à risque était le produit d’une innovation financière défaillante et d’une réglementation laxiste. Mais l’afflux massif de capitaux étrangers aux États-Unis a donné une dimension mondiale à un problème local – et déclenché la pire crise financière depuis la Grande Dépression.

Les déséquilibres mondiaux se sont atténués après la crise, mais ils recommencent à s’amplifier. Comme l’épargne intérieure aux États-Unis est insuffisante, le déficit budgétaire américain doit être financé en partie par des investisseurs étrangers, qui pourraient devenir moins enthousiastes à l’idée d’acquérir des actifs américains. Parallèlement, les titres d’État américains sont de plus en plus achetés par des intermédiaires financiers non bancaires, en particulier des fonds de couverture recourant à des stratégies à fort effet de levier. Cela accroît l’effet de levier au cœur même du système financier. Ce sont là des vulnérabilités.

Et, non, les droits de douane américains ne résoudront probablement pas les déséquilibres mondiaux. La baisse des importations américaines en provenance du reste du monde se fera vraisemblablement au détriment des exportations américaines. Tant que les États-Unis dépensent plus qu’ils produisent, ils doivent importer plus qu’ils exportent.

Ces changements ont des répercussions à l’échelle mondiale

Ces mégatendances ont des répercussions à l’échelle du globe. Et maintenant, les nouveaux droits de douane américains, conjugués à l’imprévisibilité des politiques américaines, accentuent l’incertitude, modifient les relations, affaiblissent la demande mondiale et réduisent l’efficience des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Les pays du monde entier ajustent leurs chaînes d’approvisionnement et cherchent de nouveaux partenaires. La Chine accroît sa présence dans les marchés émergents. Les nouveaux partenariats soutiennent la quête de la Chine en faveur d’un monde multipolaire, où les États-Unis ont moins de poids géopolitique. L’Union européenne opère elle aussi des changements qui vont au-delà de la simple diversification des échanges, en s’attaquant aux problèmes internes qui ont nui à sa compétitivité.

Jusqu’à présent, les répercussions économiques mondiales de la guerre commerciale avec les États-Unis ont été moins importantes que prévu, à la fois parce que les droits de douane américains ne sont pas aussi élevés qu’on le craignait initialement et parce que les mesures de rétorsion tarifaires ont été limitées. Mais nous ne pouvons pas encore en mesurer toute l’ampleur. De nombreux ménages américains restent prudents quant à leurs dépenses, et la croissance de l’emploi aux États-Unis a ralenti. Dans la zone euro, la croissance semble fléchir sous l’effet des droits de douane américains qui freinent les exportations. En Chine, la réorientation des exportations vers les marchés asiatiques a permis de limiter les pires conséquences des droits de douane jusqu’à maintenant. Toutefois, les entreprises investissent moins, et la croissance devrait ralentir.

Que peuvent faire les gouvernements du monde entier? Lorsque les États-Unis ont fortement augmenté leurs droits de douane dans les années 1930 avec la loi Smoot-Hawley, la plupart des grandes économies ont réagi en érigeant leurs propres barrières commerciales. Toutes ces mesures ont eu des effets considérables, qui ont contribué à l’ampleur et à la persistance de la Grande Dépression. Cette fois, les pays ont évité une escalade de la guerre commerciale mondiale. C’est une bonne chose, mais ils pourraient aller plus loin en renforçant les liens commerciaux là où c’est possible.

L’ère du commerce ouvert avec les États-Unis est peut-être révolue, mais nous pouvons encore renforcer nos relations commerciales avec les autres pays. Pour y arriver, il faudra que nos institutions multilatérales – en particulier l’Organisation mondiale du commerce et le Fonds monétaire international – travaillent mieux ensemble afin de résoudre les problèmes de déséquilibres commerciaux et le manque d’ajustement.

Ensemble, les pays doivent être prêts à faire face à de nouveaux risques pour la stabilité financière. Il faut aussi que les autorités de surveillance financière renforcent la surveillance des vulnérabilités, d’autant plus que les fonds de couverture et les autres intermédiaires financiers non bancaires jouent un rôle de plus en plus important dans le système financier. À cet égard, le Fonds monétaire international et le Conseil de stabilité financière doivent collaborer pour repérer les risques systémiques potentiels.

De leur côté, les entreprises doivent penser non seulement à l’efficience, mais aussi aux risques géopolitiques et à la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement. Un renforcement des politiques industrielles doit amener les chefs d’entreprises à réfléchir à la façon dont leurs stratégies interagissent avec les priorités nationales. Ces priorités nationales peuvent permettre aux entreprises de prendre plus de risques pour alimenter la croissance, mais elles ne devraient pas être utilisées pour créer des monopoles.

Les banques centrales ont aussi un rôle à jouer, bien que celui-ci soit limité. La politique monétaire ne peut pas réparer les dommages causés par les droits de douane. Au mieux, elle peut atténuer les difficultés à court terme, en soutenant la croissance économique et en veillant à ce que l’inflation reste bien maîtrisée.

Ce que cela signifie pour le Canada

Voilà qui m’amène à parler des incidences et implications ici, au pays, à court et à long terme.

Le choc tarifaire nuit à la croissance économique et à l’emploi

Commençons par le court terme. La croissance du commerce au Canada avait ralenti bien avant la réélection du président Trump : la part du commerce dans le PIB a cessé d’augmenter vers l’année 2000.

Mais les exportations canadiennes ont fortement diminué depuis que le président Trump a imposé de nouveaux droits de douane au Canada et engendré une incertitude considérable avec ses menaces et revirements tarifaires. Les dégâts se font principalement sentir dans quelques secteurs clés : l’acier et l’aluminium, et les véhicules automobiles. Le mois dernier, les droits de douane ont été augmentés ou étendus à davantage de biens, notamment le cuivre et le bois d’œuvre résineux. Des droits de douane élevés sont également imposés sur les exportations qui ne respectent pas les critères de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). La plupart des exportations de la Saskatchewan sont conformes à l’ACEUM et ne sont pas touchées par les droits de douane américains – du moins pas directement –, mais elles sont durement frappées par les droits chinois sur le canola.

L’impact économique s’est fait en deux temps. La croissance s’est maintenue au début de l’année, les exportateurs ayant expédié tout ce qu’ils ont pu en anticipation des droits de douane. Cette tendance s’est renversée au deuxième trimestre : les exportations ont chuté de près de 27 % et le PIB s’est contracté de 1,6 %.

La chute marquée des exportations nuit au marché du travail. Le taux de chômage est passé de 6,6 % en février à 7,1 % en août. L’embauche et l’emploi dans les secteurs touchés par le commerce extérieur ont nettement diminué, et la croissance de l’emploi dans le reste de l’économie a ralenti. De nombreuses entreprises nous ont également dit avoir suspendu des projets d’investissement en raison de l’incertitude élevée entourant la politique commerciale américaine.

La prospérité à long terme du Canada passe par le changement

À long terme, les frictions commerciales accrues avec les États-Unis rendront notre économie moins efficiente, en raison des coûts supplémentaires et des revenus moindres.

Le graphique 7 montre l’évaluation faite par la Banque du Canada de la trajectoire de croissance de l’économie canadienne avant l’imposition des droits de douane américains (ligne bleue) et après les droits de douane appliqués selon la politique commerciale à la fin de juillet (ligne orange). Comme vous pouvez le voir, la ligne orange se trouve toujours sous la ligne bleue. La politique monétaire ne peut pas compenser les pertes d’efficience engendrées par les droits de douane américains : elle ne peut pas faire remonter la ligne orange à la ligne bleue. Les mesures de relance budgétaire contracycliques non plus.

Mais une réforme structurelle porteuse le pourrait.

Le Canada a un choix à faire. Nous pouvons composer avec les effets structurels d’une montée du protectionnisme aux États-Unis – c’est-à-dire suivre la trajectoire plus basse. Ou nous pouvons améliorer notre productivité et notre compétitivité et faire remonter la ligne orange jusqu’à la ligne bleue, ou même la faire passer au-dessus.

Le patriotisme économique a trouvé un écho au Canada – la population a montré qu’elle pouvait jouer des coudes. Mais maintenant, nous devons nous retrousser les manches et fournir les efforts nécessaires pour devenir plus concurrentiels.

Nous devons diversifier nos échanges commerciaux en développant notre marché intérieur et en trouvant de nouveaux marchés à l’étranger. Nous devons aussi améliorer notre productivité et rendre le pays plus attrayant aux yeux des investisseurs étrangers. Ce travail a commencé, et j’ai déjà parlé de toutes ces choses, alors permettez-moi d’être bref, mais clair.

Certaines mesures pourraient être mises en œuvre rapidement et à faible coût, si nous faisons preuve de détermination. Il y a une volonté d’éliminer les obstacles au commerce interprovincial. Nous devons adopter une approche globale qui réduit les coûts d’exploitation partout au pays. Il faut notamment éliminer les barrières commerciales et de nombreuses petites différences de réglementation. Il faut aussi une reconnaissance réciproque de nombreux titres professionnels entre les provinces. Nous devons également éliminer les obstacles non intentionnels aux investissements en réduisant les délais des approbations réglementaires et l’incertitude entourant les réglementations.

Il y a d’autres mesures qui nécessitent des investissements et qui prendront du temps à mettre en œuvre, mais plus vite nous commencerons, plus vite nous en récolterons les bénéfices. Par exemple, l’amélioration des axes de transport est-ouest pour faire croître notre marché intérieur et acheminer nos produits vers les marchés d’outre-mer, et la création de nouvelles capacités portuaires pour réduire notre dépendance à l’égard des États-Unis.

Notre pays dispose d’un accès aux marchés parmi les meilleurs au monde, si tant est que nous puissions y expédier nos produits. Le Canada a conclu des accords commerciaux avec 50 pays en dehors des États-Unis. Mais les entreprises et les gouvernements pourraient en faire plus pour tirer parti de ces accords. Nous devons tirer des leçons du passé : la récession de 2009 a montré à quel point nous sommes vulnérables à une baisse de la demande américaine et à l’époque, tout le monde parlait déjà de diversification. Mais il ne s’est pas passé grand-chose. Cette fois-ci, nous devons aller jusqu’au bout.

Enfin, nous devons aussi entretenir et renforcer nos atouts stratégiques de longue date. Nous avons tout ce qu’il faut pour attirer plus de capitaux étrangers. Nous sommes un État de droit avec des gouvernements efficaces. Nous disposons d’abondantes ressources et réserves énergétiques. Nous avons une structure industrielle diversifiée. Nous avons un taux élevé de participation au marché du travail, un bon système d’immigration et un large accès à une éducation de qualité. Mais notre système d’immigration est sous pression, et nos universités et collèges font face à des difficultés financières. Il ne faut pas tenir nos forces pour acquises.

Accroître la productivité et améliorer notre compétitivité ne sont peut-être pas la priorité absolue de tout le monde au pays. Mais si nous pouvons faire remonter la ligne orange jusqu’à la ligne bleue, ou même la faire passer au-dessus, tout devient plus abordable, du logement aux soins de santé. C’est la croissance de la productivité qui soutient la hausse de notre niveau de vie.

Conclusion

Il est temps pour moi de conclure.

Mais d’abord, j’aimerais revenir sur le rôle de la politique monétaire dans tout cela. Les droits de douane ont affaibli nos exportations et la croissance du PIB, ralenti le marché du travail et engendré des coûts supplémentaires. La politique monétaire ne peut pas réparer les dommages causés par les droits de douane, mais elle a un rôle à jouer pour soutenir l’économie en cette période d’ajustement tout en maintenant la stabilité des prix. La semaine dernière, la Banque a abaissé le taux directeur pour mieux équilibrer les risques auxquels nous sommes confrontés alors que l’économie s’adapte à une nouvelle relation commerciale avec les États-Unis. Nous procédons avec prudence, en portant une attention particulière aux risques et aux incertitudes. Et comme nous l’avons montré la semaine dernière, nous sommes prêts à réagir à de l’information nouvelle. Nous soutiendrons la croissance économique tout en veillant à ce que l’inflation reste bien maîtrisée.

Dans un contexte où nous devons tous composer avec les répercussions immédiates de la fragmentation mondiale et de la montée du protectionnisme, les leaders d’entreprise et les décisionnaires doivent se pencher sur les faiblesses structurelles sous-jacentes qui menacent la résilience de l’économie canadienne. C’est le moment ou jamais d’accroître les investissements, d’améliorer la productivité et d’élargir notre marché.

Nous avons la capacité de contrer les effets néfastes des nouvelles restrictions commerciales imposées par les États-Unis. Le mouvement de patriotisme économique a suscité une forte mobilisation, mais maintenant nous devons nous retrousser les manches. Il y a beaucoup de travail à faire.

Je remercie Daniel de Munnik, Tuuli McCully, Olena Senyuta et Ben Tomlin pour leur aide dans la préparation de ce discours.

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  1. 1. Par « déséquilibres mondiaux », on entend généralement des déficits et des excédents importants des comptes courants. Mais comme la majeure partie de ceux-ci sont des déséquilibres commerciaux, je me concentre dans ce discours sur les excédents et les déficits commerciaux. Le compte courant est la balance commerciale plus les revenus nets provenant de l’étranger et les transferts courants.[]