Introduction
Bonjour et merci de me donner l’occasion de prendre la parole dans le cadre du congrès de cette année des Comptables professionnels agréés du Canada.
Quand j’ai accepté cette invitation, personne ne m’a dit que je prononcerais mon allocution le même jour – et après – celle de deux médaillés d’or olympiques! Je n’aime pas me vanter, mais j’ai reçu un prix de participation à l’école intermédiaire pour avoir terminé bon dernier à la compétition annuelle d’athlétisme. Retenez vos applaudissements, s’il vous plaît. Heureusement, j’ai trouvé ma voie en dehors du sport, et je ferai de mon mieux pour que mes propos soient à la hauteur des paroles inspirantes de Tessa et d’Alexandre.
Comme on le sait, notre monde est en train de changer, et de changer rapidement. Les tensions géopolitiques s’aggravent et, dans certains cas, explosent. Nous observons des bouleversements dans les relations commerciales ainsi qu’une grande incertitude dans l’économie mondiale.
En même temps, dans le monde entier, l’un des piliers de l’économie connaît des changements importants : la façon dont les particuliers et les entreprises paient leurs biens et services se transforme.
Malheureusement, le Canada n’innove pas aussi rapidement que d’autres pays dans le domaine des paiements. Pour adopter de nouvelles technologies, accueillir de nouveaux acteurs et offrir des moyens de paiement plus rapides et moins coûteux à la population canadienne, nous sommes à la traîne.
Récemment, nous avons vu les secteurs public et privé s’activer et se mobiliser pour remédier à la situation. Mais il y a encore beaucoup à faire et bien des occasions à saisir.
Nous pouvons – et nous devons – continuer sur cette lancée pour créer un terreau fertile pour l’innovation et rendre l’écosystème des paiements plus concurrentiel.
Il y a un dicton qui dit en gros ceci : « Il ne suffit pas d’être sur la bonne voie, il faut avancer pour ne pas se faire écraser. »
Il est donc temps de se lever et d’agir.
L’innovation est partout
Aujourd’hui, deux grandes forces stimulent l’innovation dans l’écosystème des paiements : les nouvelles technologies et les nouveaux acteurs.
À la fin des années 1960, la carte Chargex était une grande nouveauté. Première carte de crédit au Canada, elle offrait une solution de rechange à l’argent comptant et aux chèques. De nos jours, la technologie permet de payer de manière instantanée en tapant une carte de crédit ou de débit – une méthode utilisée dans environ la moitié des transactions aux points de vente1. En outre, la plupart des Canadiennes et Canadiens possèdent un téléphone intelligent, et beaucoup de ces téléphones permettent le paiement numérique2. Nous avons vu ces paiements mobiles gagner en popularité récemment. Selon la dernière enquête sur les modes de paiement menée par la Banque du Canada, environ 5 % des opérations de paiement sont réalisées au moyen d’un téléphone intelligent. C’est un petit pourcentage, mais il augmente rapidement. Il a d’ailleurs presque doublé entre 2023 et 20243.
L’avancée la plus notable de ces dernières années est peut-être l’émergence de l’intelligence artificielle (IA) autonome, connue sous le nom d’IA agentive. Contrairement à l’IA traditionnelle qui répond à des commandes humaines – comme « Alexa, appelle Sylvie, ma comptable professionnelle agréée » –, l’IA agentive est entraînée pour connaître vos préférences et peut fonctionner sans trop de directives humaines. Imaginez un monde où vous donnez à l’IA agentive un budget non seulement pour organiser vos prochaines vacances, mais aussi pour faire les réservations et votre paiement – le tout sans aucune intervention de votre part.
Le monde des paiements bénéficie de l’arrivée de plusieurs types d’acteurs. Pensons notamment aux institutions financières exclusivement numériques. Par le biais de plateformes en ligne et d’applications mobiles, elles offrent les mêmes services que les banques traditionnelles, mais n’ont pas d’emplacements physiques. Les nouvelles sociétés de technologies financières déploient les applications pour téléphones intelligents dont je viens de parler. Pour leur part, les sociétés de transfert de fonds étrangères et canadiennes élargissent leur éventail de services.
Quelques maisons de courtage se sont aussi jetées dans la mêlée avec une nouvelle gamme de services de paiement.
Gros plan sur les cryptomonnaies
Aujourd’hui, on ne peut pas parler d’innovation dans le domaine des paiements sans porter une attention particulière à l’essor des cryptomonnaies. Celles-ci peuvent être utilisées pour faciliter les transactions, indépendamment des banques centrales et des États.
À l’heure actuelle, bien qu’il soit possible de payer en cryptomonnaies, très peu de gens le font. Par exemple, selon les données d’enquête de la Banque, seulement 10 % des Canadiennes et Canadiens détiennent des bitcoins, et la valeur de leur portefeuille de bitcoins est d’environ 500 $ en moyenne. De plus, la majeure partie de ces personnes détiennent des bitcoins à des fins de placement. Environ 10 % seulement envisageraient de les utiliser pour effectuer des paiements4.
C’est peut-être parce que la volatilité des prix du bitcoin est l’un des principaux inconvénients pour son utilisation dans les paiements. Les prix du bitcoin et des autres cryptomonnaies varient en fonction de l’offre et de la demande. Cela cause d’importantes fluctuations qui font des cryptomonnaies un mode de paiement très risqué.
Pour vous donner une image concrète, payer avec des bitcoins, c’est comme accepter de payer votre repas avec des actions d’une jeune entreprise technologique. Au moment où le restaurant les encaisse, le prix de votre sandwich a peut-être doublé ou diminué de moitié.
Ce n’est pas tout à fait la même chose avec les cryptomonnaies stables. Il s’agit d’une forme de cryptomonnaie adossée à une monnaie fiduciaire, comme le dollar américain, dont le cours avoisine généralement celui de cette monnaie de référence. Les cryptomonnaies stables sont conçues pour contrer la volatilité des prix de cryptomonnaies comme le bitcoin qui sont utilisées pour effectuer des paiements.
On note depuis quelque temps un intérêt grandissant pour l’utilisation des cryptomonnaies stables afin de rendre les transactions transfrontières plus rapides et moins chères. L’usage de ces cryptomonnaies a augmenté dans le monde ces dernières années : la valeur des transactions s’élève maintenant à environ 1 billion de dollars américains annuellement5, soit quelque 2,7 milliards de dollars américains par jour. C’est un gros montant mais, pour mettre les choses en contexte, l’an dernier, la valeur des opérations quotidiennes traitées par le système de paiement de grande valeur du Canada (Lynx) était de 386 milliards de dollars canadiens6.
Néanmoins, les cryptomonnaies sont de plus en plus utilisées en raison du coût élevé et de la lenteur des services de paiement transfrontières traditionnels, qui présentent un obstacle pour les populations et les économies du monde entier. C’est particulièrement le cas dans les pays émergents où les familles comptent sur les transferts d’argent d’un être cher qui travaille à l’étranger.
Je vais vous donner un exemple concret pour le Canada. Le coût des transferts de fonds internationaux y est beaucoup plus élevé que dans d’autres pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni7. C’est la réalité avec laquelle doivent composer bon nombre d’immigrantes et immigrants chez nous.
Il y a un besoin urgent de services de paiement transfrontières plus rapides, plus abordables, plus transparents et plus accessibles. Mais ces services doivent également être plus sûrs.
Toute innovation a sa part d’ombre et ouvre la voie à des activités criminelles. Le rapport économique de 2025 de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) a tiré la sonnette d’alarme à ce sujet8.
Ce rapport propose d’intégrer les fonctions légitimes des cryptomonnaies stables au système monétaire réglementé actuel. La réglementation peut faire en sorte que les cryptomonnaies stables soient effectivement stables et ne présentent pas de dangers pour le système financier.
Si, au bout du compte, on veut que les cryptomonnaies stables soient considérées comme de l’argent, elles doivent être aussi sûres et stables que le solde d’un compte bancaire.
La réglementation
La réglementation peut bien évidemment aider à répondre aux préoccupations et aux enjeux associés à cette nouvelle technologie. Les pays prennent des mesures pour réglementer les cryptomonnaies stables et d’autres cryptomonnaies afin que les consommateurs puissent en tirer parti et être à l’abri du risque de crédit et du risque de liquidité. En fait, bon nombre de pays ont déjà adopté, ou vont bientôt adopter, un cadre réglementaire pour les cryptoactifs9.
Au Canada, la législation provinciale sur les valeurs mobilières et les produits dérivés est le principal instrument de réglementation des actifs numériques. Au niveau fédéral, la loi contre le blanchiment d’argent contient des dispositions qui autorisent le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada à réglementer les services d’échange ou de transfert de monnaies virtuelles. Le Canada devrait d’ailleurs peser le pour et le contre d’une réglementation pour encadrer les cryptomonnaies stables, à l’image de ce qu’on trouve dans d’autres pays.
Le secteur privé de son côté a commencé à banaliser l’usage des cryptomonnaies stables. Il y a trois mois, Shopify a annoncé que les cryptomonnaies stables étaient désormais un moyen de paiement comme un autre.
Pas plus tard que la semaine dernière, Tetra Digital Group, en partenariat avec un certain nombre de sociétés de la sphère des technologies financières et des marchés financiers, a annoncé son intention de lancer en 2026 une cryptomonnaie stable canadienne adossée à une monnaie fiduciaire.
Tout cela pour dire que de nombreux changements sont possibles, mais qu’il faut tout de même faire preuve de prudence.
Cela ne veut pas dire qu’il faut avancer à pas de tortue. Il va falloir s’assurer de ne pas se laisser dépasser par le rythme des innovations tout en mettant en place les garde-fous adéquats.
Devoir concilier vitesse et sûreté n’est pas nouveau. Je suis tombé récemment sur un discours de l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Gordon Thiessen, daté de mars 1999. Un passage de ce texte d’il y a 26 ans m’a interpellé car il reste pertinent.
« La recherche d’un juste équilibre entre le double objectif d’efficience et de sécurité représente toujours un défi pour les gouvernements lorsque vient le moment d'examiner les propositions de changement du cadre régissant le système financier. »
Il y a moyen de mettre les innovations qui nous entourent au service des consommateurs canadiens en capitalisant sur une réduction des coûts, une plus grande efficacité, plus de commodité et de rapidité, et une meilleure qualité.
Dans toute économie, l’efficacité repose sur des systèmes de paiement sûrs et fiables. Les infrastructures de paiement soutiennent le système financier dans son ensemble et facilitent toutes les transactions des marchés financiers. Ces infrastructures sont les garants de la confiance et de l’efficacité. Le bien-être économique et financier en dépend.
Voilà pourquoi les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux doivent travailler rapidement et en accord pour faire évoluer nos cadres réglementaires – « tout en équilibrant le double objectif d’efficience et de sécurité ». C’est une condition indispensable pour que le public tire profit des innovations en toute confiance.
Le Canada soutient l’innovation
Je ne voudrais pas vous donner l’impression qu’il n’y a pas d’innovations dans l’infrastructure de paiement canadienne.
Nous avons adopté des normes internationales pour pouvoir traiter les paiements riches en données et mettons en place un nouveau système de paiement plus rapide.
Le système de paiement en temps réel (PTR), attendu depuis longtemps, devrait bientôt passer à la phase des tests sectoriels.
De plus, l’adoption en 2024 de la Loi sur les services bancaires axés sur les consommateurs a été un jalon important pour renforcer la concurrence, même si d’autres changements législatifs seront nécessaires pour donner vie à ce texte. Des organisations prééminentes du secteur demandent d’ailleurs que les services bancaires axés sur les consommateurs soient érigés en priorité nationale10.
Jusqu’ici, le rythme des changements au Canada a plutôt été « graduel », pour être poli. Soulignons que d’autres grands États et territoires, dont le Royaume-Uni, l’Australie et l’Union européenne, ont déjà mis en œuvre des changements dans de nombreux domaines.
Selon un récent sondage fait auprès de leaders d’entreprises canadiennes, près de 60 % des répondants ont déclaré que la compétitivité du Canada continuera de s’émousser si les paiements ne sont pas plus modernisés. Les appels à une modernisation immédiate de notre système financier et de nos systèmes de paiement sont encore plus pressants pour parvenir à un système bancaire ouvert, à l’usage d’une identité numérique et à des paiements en temps réel11.
Il est clair que les changements doivent s’accélérer à l’intérieur de nos frontières.
Ce faisant, nous devons nous appuyer sur la stabilité et la fiabilité que le public canadien attend de ses institutions.
Heureusement, nous avons un atout en main. La carte de débit et la carte de crédit inspirent confiance : la logistique en coulisse n’est pas un souci.
Il sera donc de la plus haute importance de préserver cette confiance lorsque nous franchirons de nouvelles frontières dans l’écosystème des paiements.
La place de la Banque
Pour sa part, la Banque a un rôle de premier plan à jouer avec d’autres institutions et organismes de réglementation. Elle travaille avec ces organisations afin que le public puisse continuer de disposer d’un système financier stable et de bénéficier des avancées majeures réalisées dans le domaine des paiements.
La Banque joue un rôle sur trois volets.
Elle assure la supervision des infrastructures de marchés financiers et des fournisseurs de services de paiement, supervision sur laquelle je reviendrai dans un moment.
Elle surveille aussi de près la stabilité financière de manière à repérer les risques systémiques qui pourraient nuire au fonctionnement du système financier.
Elle conçoit et produit des billets de banque que le public peut utiliser en toute confiance. Ce rôle est important car, même avec l’avènement de nouvelles méthodes de paiement innovantes, une transaction sur cinq aux points de vente est encore réglée en liquide12.
À l’échelle internationale, la Banque collabore avec la BRI en parrainant l’un de ses sept centres d’innovation. Le Centre d’innovation de la BRI à Toronto a ouvert ses portes en juin 2024, le premier du genre sur le continent américain. Son objectif est de contribuer au développement de technologies que les banques centrales peuvent exploiter pour le bien commun au Canada et dans l’ensemble de la région.
Par exemple, la Banque a fait appel au Centre pour qu’il l’aide à réfléchir à la façon dont l’IA peut faciliter son travail dans le cadre de son mandat de supervision et de réglementation. Il s’agira d’apprendre d’autres pays qui se servent de l’IA pour rendre leurs activités de supervision plus efficaces.
Nous examinons aussi comment le Canada peut tirer profit des avantages de la jetonisation (le processus d’enregistrement des actifs numériques sur les chaînes de blocs pour en faciliter l’échange). Ces efforts font partie du travail de liaison que la Banque accomplit auprès des membres du secteur pour trouver des projets de coopération afin d’obtenir de meilleurs résultats pour les Canadiennes et Canadiens.
Un nouveau rôle pour la Banque
J’aimerais maintenant prendre quelques instants pour parler de notre nouveau mandat : la supervision des fournisseurs de services de paiement (FSP).
Chaque jour, des millions de Canadiennes et Canadiens effectuent des paiements en s’attendant à ce que leurs fonds soient transmis de manière sûre et fiable, et sans interruption.
En vertu de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail, la Banque supervise maintenant près de 1 500 FSP. Elle s’assure qu’ils gèrent bien leurs risques et protègent les fonds qu’ils détiennent pour le compte des entreprises et des ménages canadiens.
La Loi offre un cadre solide pour protéger les fonds des consommateurs. Elle soumet les FSP à une réglementation de telle sorte que le public canadien pourra avoir accès à des moyens de paiement moins coûteux et à une plus grande gamme de services. De plus, les FSP supervisés par la Banque pourront avoir accès à l’infrastructure de paiement du Canada, ce qui ouvrira la porte à plus de concurrence et d’innovations.
Il s’agit d’un exemple concret du type de changement qu’il nous faut pour bâtir des systèmes de paiement capables de s’adapter aux nouvelles technologies, de résister aux chocs et de faire progresser notre économie.
La Banque commencera à publier le registre des FSP, puis le mettra à jour à mesure que le ministère des Finances terminera les enquêtes de sécurité nationale et lui communiquera les noms qu’elle devra y ajouter13, 14.
Toutefois, je tiens à souligner que tous les FSP sont maintenant tenus de respecter leurs obligations réglementaires. Une fois enregistrés, les FSP devront également se conformer à une série d’exigences en matière de déclaration.
Tout le monde ici a un rôle important à jouer pour soutenir les FSP durant cette transition. Un certain nombre d’entre vous ont peut-être déjà parlé à des clients qui cherchent des conseils sur la façon de répondre à nos attentes sur le plan de la supervision ou qui veulent de l’aide pour composer avec cette nouvelle réalité.
Conclusion
C’est maintenant le temps de conclure.
J’espère que mon discours d’aujourd’hui vous a permis d’en savoir davantage sur certains grands changements qui touchent le système de paiement au Canada et dans le monde. Mais nous avons encore du pain sur la planche.
Nous devons saisir les occasions qui se présentent à nous de rendre le système plus efficient et plus productif, par exemple en rendant le règlement et les paiements plus accessibles, et en poursuivant nos efforts pour un système bancaire plus ouvert. Pour cela, nous devons sans cesse voir grand.
Voyons comment le secteur et les organismes de réglementation au Canada peuvent collaborer pour élaborer des politiques avant-gardistes et dynamiques qui profiteront à l’ensemble des Canadiennes et Canadiens. Voyons comment nous pouvons le mieux concilier l’efficacité et la sûreté.
Parce que l’innovation ne peut pas se faire au détriment de la sécurité personnelle ou nationale.
La bonne nouvelle, c’est que nous avons un système qui a la confiance de la population canadienne.
Le moment est venu de nous appuyer sur cette base solide, d’avoir de l’ambition et de viser un avenir prometteur pour l’écosystème des paiements.
Pour sa part, la Banque ne restera certainement pas inactive. Alors, prenons le train de l’innovation, imaginons les possibilités qui s’ouvrent à nous... et ne ménageons aucun effort.
J’aimerais remercier Melanie Achtemichuk et Francisco Rivadeneyra pour leur aide dans la préparation de ce discours.
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L’évolution de l’écosystème des paiements — Le directeur exécutif, Paiements, supervision et surveillance à la Banque du Canada, Ron Morrow, prononce un discours et participe à une discussion informelle dans le cadre du Congrès national L’UNIQUE des Comptables professionnels agréés du Canada (vers 15 h 30, heure de l’Est).