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Les déséquilibres mondiaux et l'économie canadienne

Le Canada et la Barbade n'ont peut-être pas grand-chose en commun du point de vue du climat, mais nos deux pays possèdent des économies très ouvertes, dont la bonne santé dépend donc forcément de celle de l'économie mondiale. Cette dernière a d'ailleurs affiché une bonne tenue ces derniers temps, et l'on s'attend à ce qu'elle enregistre un taux de croissance réel d'au moins 4 % tout au long de 2007. Nous aimerions croire que cette solide expansion se poursuivra indéfiniment. Mais nous savons tous que l'économie mondiale est soumise à un certain nombre de risques, dont la gestion est un sujet qui intéresse vivement les décideurs lors des forums internationaux. Tout récemment, les discussions ont porté principalement sur deux grands enjeux reliés en partie à la montée en puissance de la Chine et d'autres pays asiatiques. Le premier est le fait que les marchés mondiaux du pétrole demeurent très tendus et qu'une nouvelle hausse des cours reste possible. Le second concerne les déséquilibres économiques et financiers que nous observons en ce moment à l'échelle internationale, et la manière dont ils seront corrigés. Je me propose aujourd'hui de vous parler de ces déséquilibres et de la façon dont ils pourraient être résorbés. Je vous entretiendrai ensuite brièvement de l'état de l'économie canadienne, avant de répondre à vos questions et d'échanger avec vous.

Les déséquilibres mondiaux : causes et solutions

Il convient de commencer par une définition. Quand je parle de « déséquilibres mondiaux », je fais référence au déficit important et persistant de la balance courante des États-Unis, auquel font écho les excédents substantiels enregistrés ailleurs à ce titre, notamment en Asie et dans de nombreux pays exportateurs de pétrole. Et comme la croissance de nos économies respectives dépend du commerce international et de la stabilité financière mondiale, le Canada et la Barbade ont tout intérêt à ce que ces déséquilibres soient résorbés de manière ordonnée.

Les causes de ces déséquilibres ont fait l'objet de beaucoup d'écrits et de discussions. Pour sa part, la Banque du Canada estime qu'ils sont liés aux flux financiers engendrés par un mauvais appariement entre l'épargne et l'investissement dans les grandes régions du globe. En l'occurrence, depuis la fin de la dernière décennie, de nombreux pays ont accru leur épargne nationale de façon très marquée, pour différentes raisons, alors que les États-Unis réduisaient la leur et devenaient de plus en plus dépendants du financement étranger.

Cela est-il problématique? Jusqu'à présent, non, car les marchés financiers — auxquels beaucoup d'entre vous participent — ont réussi à apparier cette épargne internationale aux possibilités d'investissement. Les flux financiers internationaux sont un élément vital de l'économie mondiale. Toutefois, l'entrée aux États-Unis de flux de cette ampleur ne saurait continuer sans cesse. Nous savons que la dette extérieure de ce pays ne peut grossir indéfiniment (même si le billet vert a le statut de monnaie de réserve), d'autant plus que la majeure partie des emprunts sert à financer la consommation courante.

Nous savons également que dans nombre d'autres pays, notamment en Asie et dans beaucoup de pays exportateurs de pétrole, les ménages sont actuellement disposés à épargner plus que ce que les entreprises sont prêtes à investir. Parallèlement, aux États-Unis, le niveau désiré de l'épargne nationale est insuffisant en regard de celui des investissements, mais il n'est pas certain que cette situation perdurera. L'épargne, dans ce pays, devra tôt ou tard augmenter. Si ce changement devait se produire du jour au lendemain, la croissance économique mondiale pourrait ralentir brutalement, à moins que la demande intérieure n'enregistre un essor équivalent à l'extérieur des États-Unis. Une telle décélération de l'activité pourrait à son tour accroître le risque que les pouvoirs publics ne soient tentés de recourir à des mesures protectionnistes. En pareil cas, une période d'expansion très lente pourrait être ponctuée d'épisodes de récession pure et simple.

Je m'empresse de préciser que je ne fais pas là une prédiction. Je dis simplement que, s'il se concrétisait, ce scénario serait la conséquence des politiques inappropriées qui sont en vigueur dans beaucoup de pays. Un tel dénouement serait préjudiciable à l'ensemble des pays, même à ceux qui appliquent de saines politiques.

Les déséquilibres que je viens d'exposer étant un problème d'ordre planétaire, il nous incombe de réfléchir collectivement à sa résolution. Comment pouvons-nous faire en sorte que ces déséquilibres soient corrigés de façon harmonieuse? Permettez-moi de prendre quelques minutes pour vous entretenir des mesures qu'il serait nécessaire d'adopter à l'échelle nationale et internationale pour faciliter cette correction.

Des politiques nationales appropriées pour stimuler la confiance

Pour modifier les flux internationaux d'épargne et d'investissement, il importe, entre autres, que chaque pays poursuive les politiques les plus susceptibles de favoriser une expansion soutenue de son économie à moyen terme. La meilleure façon de pérenniser la croissance de la demande mondiale est, pour les autorités nationales, d'instaurer un climat qui procure aux ménages et aux entreprises la confiance dont ils ont besoin respectivement pour consommer et investir. Si tous les pays adoptaient des politiques nationales adéquates, cela contribuerait passablement à écarter le danger que posent les déséquilibres mondiaux.

Plus précisément, chaque pays doit mener une politique budgétaire visant un ratio de la dette publique au PIB qui soit viable. Cette approche donnerait aux entreprises et aux ménages l'assurance que la valeur de leur argent ne s'érodera pas au fil du temps, soit à cause d'une inflation élevée ou d'une imposition excessive. Les pays où le ratio de la dette publique au PIB n'est pas viable devraient s'efforcer de le rendre tel, et ceux où il l'est, de le maintenir ainsi.

Par ailleurs, partout dans le monde, les autorités doivent veiller à ce que les politiques nationales favorisent le bon fonctionnement des marchés des biens, des services, des capitaux et du travail. Tout particulièrement, il faut que les marchés du travail soient suffisamment flexibles pour faciliter le déplacement des travailleurs d'un secteur à l'autre, à mesure que l'économie s'ajuste à l'évolution de la conjoncture. En encourageant la flexibilité des marchés intérieurs, les décideurs publics du monde entier pourraient raviver la confiance et stimuler la croissance. Les économies où seraient prises de telles mesures en profiteraient, et cela contribuerait en plus à la correction des déséquilibres mondiaux.

Les pouvoirs publics doivent aussi reconnaître le rôle positif que joue un filet de sécurité sociale efficace. Je fais référence ici aux régimes publics d'assurance-chômage, de soins de santé et de pension. Pensons aux pays à marché émergent d'Asie où de tels systèmes font défaut. Les citoyens de ces pays doivent disposer d'un niveau d'épargne très élevé pour parer aux risques de perte d'emploi ou de maladie et pour subvenir à leurs besoins une fois qu'ils se seront retirés de la vie active. Un filet de sécurité sociale efficace et efficient permet de partager le risque, si bien que les gens peuvent avoir une plus grande confiance en l'avenir sans devoir se constituer une importante épargne de précaution. Je sais que les responsables chinois avec lesquels traite la Banque sont tout à fait conscients de la nécessité de créer un filet de sécurité sociale efficace.

Il faut également que toutes les autorités appliquent des politiques qui aident le système financier de leur pays à tourner rondement. Cela est indispensable si l'on veut que ce système puisse remplir son rôle essentiel, qui consiste à canaliser l'épargne vers des investissements productifs. Ce système peut également soutenir la confiance en procurant aux ménages et aux entreprises un accès adéquat au crédit. Nul d'entre vous n'ignore l'importance d'un système financier qui fonctionne bien, et je ne vais donc pas m'attarder sur ce point. Je voudrais tout de même ajouter que, pour soutenir la confiance, une politique monétaire appropriée joue aussi un rôle crucial. Il convient que les banques centrales suivent des politiques propres à ancrer les attentes d'inflation, pour ainsi renforcer la confiance dans la valeur future de la monnaie.

Un ordre monétaire international renouvelé

Maintenant que j'ai parlé de ce que les pouvoirs publics peuvent faire sur la scène nationale, passons aux enjeux à l'échelle du globe. Essentiellement, la bonne marche de l'économie mondiale nécessite l'adhésion de tous les pays à un ordre monétaire renouvelé et leur engagement à respecter les règles propres à celui-ci.

Permettez-moi de préciser ma pensée. Vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les pays développés se sont réunis et ont conclu une série d'accords. Ils se sont entendus sur la création d'un ordre monétaire fondé sur des régimes de changes fixes et sur l'établissement d'un processus de réalignement des taux de change dans le cas où des déséquilibres fondamentaux se produiraient. Des institutions importantes comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et le GATT (Accord général sur les tarifs et le commerce) ont aussi été mises sur pied.

À partir des années 1970, de nombreuses économies ont toutefois adopté des systèmes de changes flexibles. En général, ces systèmes arrivent à coexister avec des régimes de changes fixes, et le font relativement bien dans un monde où les marchés financiers sont ouverts. Cependant, cette coexistence ne peut réussir que si les pays respectent les « règles du jeu » du régime de change qu'ils ont choisi.

Qu'entend-on au juste par « règles du jeu »? Pour les pays qui ont opté pour un taux de change flexible, cela signifie que les autorités devraient effectivement laisser leur monnaie flotter librement. Et pour ceux qui sont dotés d'un régime de changes fixes, que les pouvoirs publics doivent mener des politiques appropriées afin d'assurer la viabilité d'un tel régime. Plus particulièrement, les pays qui ont un système de changes fixes et qui enregistrent un excédent de leur balance courante ne devraient pas « stériliser » les interventions auxquelles ils se livrent sur les marchés des changes pour fixer le cours de leur monnaie, c'est-à-dire ne pas neutraliser les conséquences de ces interventions sur la masse monétaire intérieure.

Récemment, des problèmes sont apparus du fait que certains pays ne se conforment pas à ces règles. Des économies asiatiques ont contenu les effets inflationnistes de leurs interventions et, ce faisant, ont accumulé des réserves de change considérables.

Le procédé consistant à compenser les effets des interventions sur les marchés des changes retarde l'ajustement économique au sein des pays. Il retarde aussi l'ajustement à l'échelle mondiale. Fait tout aussi préoccupant, ce genre d'intervention déclenche des velléités protectionnistes dans certaines sphères politiques. Des mesures dans ce sens seraient malavisées, car elles pourraient freiner la progression du commerce international qui est à l'origine de la hausse des revenus aux quatre coins de la planète.

Ce qu'il faut, aujourd'hui, c'est renouveler l'ordre monétaire international et l'esprit de coopération entre les nations qui a mené à la conclusion des premiers accords. L'économie mondiale a énormément changé depuis la fin de la Seconde Guerre. Mais le danger que posent les déséquilibres mondiaux nous rappelle clairement à quel point il demeure important de pouvoir compter sur un ordre monétaire cohérent à l'échelle du globe, et sur l'engagement des pays à respecter les règles du jeu.

Dans ce contexte, il est aussi essentiel que tous les pays unissent leurs efforts pour préserver et accroître la libre circulation des biens et des services, notamment en cherchant une solution à l'impasse des négociations du cycle de Doha et en renforçant le rôle de l'Organisation mondiale du commerce. Nous devons tous soutenir ces efforts et affirmer notre opposition au protectionnisme.

L'évolution de l'économie canadienne

Ce contexte mondial étant posé, voyons maintenant la place qu'y occupe notre pays. Comme je l'ai dit au début de mon allocution, le Canada possède, comme la Barbade, une économie très ouverte. La santé de celle-ci dépend donc de la façon dont les autorités relèvent les défis de l'heure. Le Canada a adopté des politiques qui permettent à son économie de s'ajuster aux changements en cours à l'échelle du globe. Permettez-moi de dire quelques mots sur celle qui m'intéresse au premier chef, c'est-à-dire la politique monétaire.

La politique monétaire canadienne repose sur un régime de cibles d'inflation appuyé par un taux de change flottant. La Banque du Canada cherche à maintenir l'inflation à 2 %, soit le point médian d'une fourchette cible qui va de 1 à 3 %. Grâce à ce régime, non seulement l'inflation au Canada est demeurée ces dernières années à proximité du taux visé, mais les attentes la concernant se maintiennent désormais aux alentours de 2 %. Résultat, les signaux du marché sont transmis et reçus plus clairement, et les entreprises et les consommateurs canadiens ont davantage confiance dans la valeur future de leur monnaie.

Notre régime de cibles d'inflation a pour caractéristique essentielle de fonctionner symétriquement autour de la cible visée. Cela signifie que nous sommes tout aussi préoccupés lorsque l'inflation tombe au-dessous de la cible que lorsqu'elle la dépasse. En aidant l'économie canadienne à tourner près de son potentiel, cette approche favorise une croissance vigoureuse et durable de la production et de l'emploi.

Le souci de transparence est un autre aspect de notre politique monétaire. À la Banque du Canada, nous croyons que cette politique est plus efficace lorsque les gens comprennent la nature et les raisons de nos interventions. Nous faisons paraître périodiquement des rapports sur notre politique monétaire et des mises à jour de celui-ci. Dans la dernière de ces mises à jour, publiée le 26 janvier, nous avons souligné que l'économie du pays continue de s'ajuster à l'évolution en cours à l'échelle du globe et aux changements des prix relatifs qui en découlent.

Comme je l'ai dit au début, l'expansion de l'activité à l'échelle mondiale devrait demeurer vigoureuse, soit aux alentours de 4 % cette année et l'an prochain. Dans ce contexte, nous jugeons encore que l'économie canadienne dans son ensemble fonctionne actuellement à pleine capacité. Nous nous attendons en outre à ce qu'elle progresse à peu près au même rythme que la production potentielle jusqu'à la fin de l'an prochain, c'est-à-dire, plus précisément, à un taux de croissance annuel moyen de 3,1 % en 2006 et de 2,9 % en 2007.

Le taux d'augmentation de l'indice global des prix à la consommation, qui était de 2,3 % au quatrième trimestre de 2005, a été et continuera d'être influencé par les variations des cours du pétrole brut et du gaz naturel. Si, comme on le suppose, les cours de l'énergie s'alignent sur les prix actuels des contrats à terme, l'inflation mesurée par l'indice global devrait retourner à la cible de 2 % d'ici le premier semestre de 2007. L'inflation mesurée par l'indice de référence, qui se chiffrait à 1,6 % dans les derniers mois de 2005, devrait en faire tout autant.

Étant donné que l'économie canadienne tourne à plein régime et qu'elle devrait progresser au même rythme que la production potentielle durant l'horizon projeté, le 24 janvier, nous avons relevé le taux cible du financement à un jour de 25 points de base, pour le porter à 3 1/2 %. Nous avons aussi indiqué qu'à la lumière de notre scénario de référence et de notre évaluation actuelle des risques, il faudra hausser encore quelque peu le taux directeur afin de maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande globales et de garder l'inflation au taux cible à moyen terme.

Comme toujours, il ne faut pas perdre de vue que des risques, aussi bien à la hausse qu'à la baisse, entourent nos projections. Pour 2006, ils semblent équilibrés. Mais les risques à la baisse deviennent prépondérants à partir de 2007, du fait, comme je l'ai dit, que la correction des déséquilibres mondiaux pourrait entraîner un ralentissement de l'activité économique à l'échelle internationale.

Conclusion

Permettez-moi de conclure. Les déséquilibres que je viens d'exposer étant un problème d'ordre planétaire, leur résolution suppose un effort à l'échelle du globe. Chaque pays doit faire sa part. Même si les mesures précises que prendront les décideurs publics varieront d'un pays à l'autre, certains principes de base devraient être appliqués par tous. Mentionnons, à ce titre, l'adoption de politiques budgétaires appropriées, la promotion du bon fonctionnement des marchés du travail et des biens, la mise en place d'un filet de sécurité sociale efficace, l'instauration de politiques favorisant un système financier efficient et solide, ainsi que la mise en oeuvre d'une politique monétaire axée sur un taux d'inflation bas, stable et prévisible. Il faut aussi que tous les pays adhèrent à un ordre monétaire international renouvelé et s'engagent à respecter les règles du jeu.

Il ne s'agit pas là d'un nouveau remède garantissant la bonne santé de l'économie mondiale. Seulement, le besoin d'agir est devenu plus urgent. Les déséquilibres persistent, et s'ils ne sont pas corrigés de façon ordonnée, de graves perturbations risquent de se produire, surtout dans les pays ayant une économie très ouverte comme le Canada et la Barbade. Une résorption ordonnée de ces déséquilibres est dans notre intérêt à tous.