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La croissance en période de réduction des leviers d’endettement

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Introduction

Nous traversons en ce moment une période difficile.

Chez notre plus important partenaire commercial, les ménages sont engagés dans un long processus d’assainissement de leurs finances. C’est ce qui explique en partie que la demande américaine d’exportations canadiennes soit de 30 milliards de dollars moins élevée qu’à la normale.

En Europe, on assiste à une recrudescence de la crise. Un nombre croissant de pays se voient contraints de payer des taux d’intérêt insoutenables sur leurs emprunts. Alors qu’un processus de réduction des leviers d’endettement d’une rare intensité s’est amorcé dans son secteur bancaire, la zone euro s’enfonce dans la récession. Et le reste du monde commence à en ressentir les effets, par la voie des échanges commerciaux, des liens financiers et de la confiance.

Plus fondamentalement, la conjoncture actuelle marque une rupture. Les économies avancées ont régulièrement accru leur levier d’endettement durant des dizaines d’années. Mais cette époque est désormais bien révolue. Si la direction du processus est claire, son envergure et sa rapidité ne le sont pas. Celui-ci pourrait être long et ordonné ou abrupt et chaotique. Notre prospérité relative dépendra largement de la façon dont nous le mènerons.

Voilà le thème de mon discours aujourd’hui : comment le Canada peut croître dans ce contexte de réduction des leviers d’endettement à l’échelle du globe.

Comment nous en sommes arrivés là : le supercycle de la dette

Il importe, dans un premier temps, de bien saisir l’ampleur du défi.

La dette sous laquelle croulent à présent les économies avancées est l’œuvre de toute une génération. Dans les pays du G7, la dette non financière totale a doublé depuis 1980 pour atteindre 300 % du PIB. Le ratio de la dette publique mondiale au PIB mondial atteint près de 80 %, soit l’équivalent des niveaux associés historiquement à des défauts de paiement généralisés d’emprunteurs souverains 1.

Le supercycle de la dette s’est manifesté différemment selon les pays. Ainsi, au Japon et en Italie, c’est l’augmentation des emprunts publics qui a ouvert la voie, tandis qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’alourdissement de la dette des ménages s’est avéré plus important, du moins jusqu’à récemment. Pour l’essentiel, la hausse de la dette des sociétés non financières a été modeste, voire négative, au cours des trente dernières années.

En général, plus les ménages et les pouvoirs publics recourent à l’effet de levier, moins la capacité de production de l’économie s’accroît et moins le fardeau global de la dette est soutenable en définitive.

Une autre grande leçon tirée du passé est que les dettes privées excessives finissent habituellement par aboutir dans le secteur public d’une façon ou d’une autre. Les défauts de paiement privés donnent souvent lieu à un sauvetage public du secteur bancaire; les récessions alimentées par une réduction des leviers d’endettement conduisent généralement à l’adoption de politiques budgétaires expansionnistes. La dette publique de la plupart des économies avancées se trouve donc appelée à dépasser le seuil de 90 % associé historiquement à une croissance économique moins vigoureuse 2.

Les cas de l’Europe et des États-Unis sont instructifs.

Aujourd’hui, la dette non financière globale aux États-Unis atteint des niveaux similaires à ceux observés pour la dernière fois lors de la Grande Dépression. À 250 % du PIB, cette dette équivaut à près de 120 000 $ É.-U. par citoyen américain (Graphique 1) 3.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette hausse vertigineuse du levier d’endettement des ménages américains. L’évolution démographique a joué un rôle à cet égard, la forme du cycle d’endettement ayant suivi la progression des baby-boomers au sein de la population active.

La stagnation des salaires réels de la classe moyenne (elle-même le résultat des progrès technologiques et de la mondialisation) a amené les ménages à emprunter afin de pouvoir maintenir le rythme de croissance de leur consommation 4.

L’innovation financière leur a facilité la tâche. Et l’accès facile aux capitaux étrangers, rendu possible par la surabondance d’épargne mondiale, a diminué le coût des emprunts.

Mais surtout, l’insouciance dont ont fait preuve les particuliers et les institutions, alimentée par une longue période de stabilité macroéconomique et de renchérissement des actifs, a fait paraître cet inexorable recours à l’emprunt raisonnable.

D’un point de vue global, les mesures de la dette de la zone euro ne semblent pas aussi impressionnantes. Le niveau de la dette publique totale est inférieur à celui des États-Unis et du Japon. Le compte courant de la zone euro avec le reste du monde est relativement équilibré, et ce, depuis un certain temps. Mais ces indicateurs globaux masquent d’importants déséquilibres internes. Comme c’est souvent le cas de la dette, la distribution revêt ici une grande importance (Graphique 2).

Les problèmes de l’Europe sont en partie imputables au succès initial de la monnaie unique. Après le lancement de cette dernière, les prêts transfrontaliers ont explosé. Les conditions de financement bon marché ont alimenté les phases de forte expansion économique, lesquelles ont donné une image flatteuse de la situation budgétaire des États et soutenu le bilan des banques.

Au fil du temps, la compétitivité s’est érodée. La stabilité des prix à l’échelle de la zone euro cachait des différences marquées entre les taux d’inflation nationaux. Les coûts unitaires de main-d’œuvre dans les pays périphériques ont monté en flèche par rapport à ceux enregistrés dans les grandes économies de la zone, notamment l’Allemagne. La détérioration de la compétitivité qui en a résulté a rendu le maintien des tendances passées insoutenable (Graphique 3). Les modèles de croissance dans l’ensemble de l’Europe doivent changer radicalement.

C’est la balance des paiements qui compte!

Pendant de nombreuses années, les banquiers centraux ont parlé des pays en excédent et de ceux en déficit, des créditeurs et des débiteurs. On ne nous prêtait généralement aucune attention. De fait, pendant une phase de forte expansion, l’économie débitrice se sent habituellement plus dynamique et robuste que ses créditeurs. À une époque de libre circulation des capitaux, certains étaient même d’avis que les déficits du compte courant n’avaient pas d’importance, en particulier s’ils étaient le résultat de choix privés plutôt que de l’extrême prodigalité des pouvoirs publics.

Lorsque le cycle du levier d’endettement s’inverse, le sens et les implications de ces étiquettes deviennent tangibles. Les créditeurs examinent de plus près la façon dont les sommes prêtées ont été dépensées. Les contraintes du financement extérieur s’exercent soudainement. Et pour pouvoir rembourser, les débiteurs doivent rapidement rétablir leur compétitivité 5.

La mondialisation financière a eu pour effet que les déséquilibres extérieurs ont pu s’accentuer encore davantage (Graphique 4). Et en se poursuivant, elle pourrait permettre à un endettement accru de persister plus longtemps que ce n’a été le cas par le passé. Toutefois, l’histoire nous enseigne que des flux de capitaux transfrontaliers importants et soutenus annoncent habituellement une crise de liquidité 6.

Le moment Minsky mondial est arrivé

La tolérance à la dette a résolument changé. L’optimisme initialement bien fondé à l’origine de l’essor du crédit qui a duré des décennies a fait place à un pessimisme tardif qui cherche à inverser ce mouvement.

Les leviers d’endettement excessifs sont dangereux, en partie parce que la dette est une forme particulièrement inflexible de financement. Contrairement aux actions, elle est impitoyable en cas d’erreurs de calcul ou de chocs. Elle doit être remboursée à temps et complètement.

Si elle peut entraîner la formation de bulles d’actifs, la dette persiste bien après que celles-ci ont éclaté. Elle doit être renouvelée, même si les marchés ne sont pas toujours au rendez-vous. Elle peut servir à tisser des toiles au sein du secteur financier, lesquelles se déferont en période de panique par les plus minces de leurs fils. Bref, la relation centrale entre la dette et la stabilité financière est telle qu’un niveau trop élevé de la première peut brusquement se traduire par un niveau insuffisant de la seconde.

La dure réalité nous a montré que les marchés financiers sont par nature soumis à des cycles d’expansion et de contraction abruptes et que l’on ne peut pas toujours compter sur eux pour obtenir le bon niveau d’endettement 7. Il s’agit là de l’un des motifs invoqués pour justifier la réglementation microprudentielle et macroprudentielle.

Il s’ensuit que de renoncer à la réforme du secteur financier n’est pas une solution aux problèmes actuels. Le défi qui se pose dans les économies en crise concerne la faiblesse de la demande de crédit et non la rareté de l’offre à ce chapitre. En assouplissant la réglementation prudentielle, on courrait le risque de maintenir un levier d’endettement dangereusement élevé, ce qui est précisément la cause du problème auquel nous sommes aujourd’hui confrontés.

Les implications de la réduction des leviers d’endettement

En raison de la réduction des leviers d’endettement, l’économie mondiale risque d’entrer dans une période prolongée de demande insuffisante. Si elle est mal gérée, cette situation pourrait mener à une déflation par la dette et à des défauts de paiement désordonnés, ce qui serait susceptible de provoquer d’importants transferts de richesse et des troubles sociaux.

L’histoire nous enseigne que les récessions qui s’accompagnent d’une crise financière sont généralement plus profondes et sont suivies d’une reprise deux fois plus longue 8. La reprise actuelle aux États-Unis ne fait pas exception (Graphique 5). En effet, ce n’est qu’à la lumière des comparaisons qu’il convient de faire avec la Grande Dépression que l’efficacité des mesures d’intervention aux États-Unis ressort pleinement.

De tels scénarios hypothétiques (« cela aurait pu être pire ») sont une maigre consolation pour les ménages américains. L’avoir net de ces derniers est passé d’un sommet de six fois et demie leurs revenus avant la crise à environ cinq à l’heure actuelle (Graphique 6). Ces pertes ne peuvent être recouvrées que par l’action conjuguée d’un accroissement de l’épargne et, à terme, d’une remontée des prix des maisons et des actifs financiers. Il est évident que chacun prendra du temps.

En Europe, la dure combinaison de l’austérité budgétaire et de l’ajustement structurel nécessaires aura pour conséquences une baisse des salaires, un chômage élevé et un resserrement des conditions du crédit aux entreprises. Pour que l’Europe puisse regagner le niveau du PIB d’avant la crise, il lui faudra selon toute vraisemblance au moins cinq ans à compter du début de sa dernière récession (Graphique 7).

Gérer le processus de réduction des leviers d’endettement

L’austérité est une condition nécessaire au rééquilibrage mais elle suffit rarement. Il n’existe en fait que trois solutions pour réduire la dette : la restructuration, l’inflation et la croissance.

Qu’on le veuille ou non, il se peut qu’il y ait une restructuration de la dette. Si ce doit être le cas, il est préférable qu’elle se fasse rapidement. Les décideurs publics doivent se garder de reporter l’inévitable à plus tard et de simplement financer la sortie du secteur privé. Historiquement, au lieu de la restructuration, on a eu recours à la répression financière pour parvenir à des taux d’intérêt réels négatifs et à une réduction graduelle des leviers d’endettement des emprunteurs souverains.

Selon certains, une inflation plus élevée pourrait représenter une porte de sortie pour les pays aux prises avec une dette excessive 9.

Il s’agit là d’un chant de sirènes. L’adoption, pour des raisons opportunistes, d’une cible d’inflation supérieure risquerait d’entraîner un désarrimage des attentes d’inflation et de compromettre les gains durement acquis qui découlent de la stabilité des prix. De même, des stratégies telles que le ciblage du niveau du PIB nominal seraient vouées à l’échec, à moins qu’elles soient bien comprises du public et que la banque centrale jouisse d’une grande crédibilité 10, 11.

Comme il n’existe pas de panacée, le défi fondamental des banques centrales réside dans le maintien de la stabilité des prix de façon à aider à soutenir la demande globale nominale pendant le processus d’ajustement réel. De l’avis de la Banque, le meilleur moyen d’y arriver est de recourir à un régime flexible de ciblage de l’inflation, appliqué de façon symétrique, afin de se prémunir à la fois contre une hausse de l’inflation et la possibilité d’une déflation.

La stratégie de réduction de la dette la plus acceptable est de stimuler la croissance. Dans la réalité actuelle, les difficultés sont considérables.

Une fois que l’endettement a atteint un niveau élevé dans un secteur ou une région, il est très ardu de le faire baisser sans l’augmenter ailleurs, du moins de manière temporaire.

Ces dernières années, d’importantes politiques budgétaires expansionnistes mises en œuvre dans les économies en crise ont contribué à soutenir la demande globale face à la réduction des leviers d’endettement dans le secteur privé (Graphique 8). Cependant, la période au cours de laquelle de telles politiques augustiniennes peuvent être mises en œuvre tire rapidement à sa fin. Peu de pays, à l’exception des États-Unis, dont la monnaie constitue une monnaie de réserve, peuvent les maintenir encore longtemps.

Dans la plupart des pays d’Europe aujourd’hui, les stimulants additionnels ne sont plus une option, car les marchés obligataires exigent le contraire.

Il n’existe pas de mécanismes efficaces susceptibles d’opérer l’ajustement voulu à court terme. Une dévaluation est impossible au sein de la zone de la monnaie unique, les transferts budgétaires et la mobilité de la main-d’œuvre sont à l’heure actuelle insuffisants et les réformes structurelles prendront du temps.

Les mesures prises par les banques centrales, le Fonds monétaire international et le Fonds européen de stabilité financière peuvent seulement fournir du temps pour l’ajustement. Ce ne sont pas des substituts.

Pour pouvoir rembourser les créanciers dans les grandes économies, les débiteurs des pays périphériques doivent redevenir compétitifs. Ce ne sera pas chose facile. La plupart des membres de la zone euro ne peuvent déprécier leur monnaie par rapport à celle de leurs principaux partenaires commerciaux parce ceux-ci font également partie de la zone euro.

Les fortes variations des taux d’inflation relatifs entre les pays débiteurs et les pays créditeurs pourraient se traduire par des dépréciations des taux de change réels entre les pays de la zone euro. Toutefois, il n’est pas évident que la déflation en cours dans les pays périphériques et la hausse de l’inflation dans les grandes économies seraient plus tolérables que ce qui s’est produit entre le Royaume-Uni et les États-Unis à l’époque de l’étalon-or dans les années 1920 et 1930.

La voie vers la restauration de la compétitivité doit passer par des réformes budgétaires et structurelles. Ces ajustements réels incombent aux citoyens, aux entreprises et aux gouvernements des pays touchés et non aux banques centrales. Un processus soutenu d’ajustement des salaires relatifs sera nécessaire, ce qui implique des baisses appréciables du niveau de vie pendant un certain temps dans ce qui pourrait représenter le tiers de la zone euro.

Nous saluons les mesures annoncées la semaine dernière par les autorités européennes, qui contribueront dans une certaine mesure à résoudre ces questions.

Compte tenu de la pression à laquelle sont soumises les économies en processus de réduction de leur levier d’endettement, la croissance mondiale reposera sur un rééquilibrage à l’échelle internationale. Les nations créditrices, surtout des économies de marché ayant bénéficié de l’essor de la demande alimenté par l’endettement dans les économies avancées, doivent maintenant reprendre le flambeau.

Ce sera difficile à accomplir sans coopération. Les grandes économies avancées dont la demande est insuffisante ne peuvent assainir leur bilan et stimuler l’épargne des ménages sans le soutien d’une demande étrangère accrue. Par ailleurs, les économies émergentes, qui voient leur croissance ralentir en raison de l’atonie de la demande dans les pays avancés, sont réticentes à abandonner une stratégie qui les a si bien servies par le passé et refusent de laisser leur taux de change s’ajuster de façon notable.

De part et d’autre, les parties misent sur des stratégies perdantes. Comme la Banque l’a souligné précédemment en ce qui a trait à une solution de coopération énoncée dans le plan d’action du G20, le manque à produire pourrait être colossal : une baisse du PIB mondial de plus de 7 billions de dollars É.-U. en cinq ans (Graphique 9). Le Canada a tout intérêt à éviter une telle issue.

En résumé

On ne peut se fier uniquement aux marchés pour imposer une discipline en ce qui a trait aux leviers d’endettement.

Ce n’est pas seulement l’encours de la dette qui importe mais plutôt qui le détient. La forte dépendance à l’égard des flux transfrontaliers, en particulier pour financer des dépenses de consommation, est habituellement insoutenable.

En conséquence de ces erreurs, les économies avancées amorcent une période prolongée de réduction de leur levier d’endettement.

La politique mise en œuvre par les banques centrales doit être guidée par un engagement symétrique à atteindre la cible d’inflation. Les banques centrales peuvent seulement créer un pont pour permettre le processus d’ajustement réel; elles ne peuvent pas opérer les ajustements elles-mêmes.

Le rééquilibrage de la croissance mondiale constitue la meilleure façon de faciliter la réduction des leviers d’endettement mais cette perspective semble éloignée.

Ce que cela signifie pour le Canada

Le Canada s’est démarqué tout au long du supercycle de la dette (Graphique 10), mais il convient d’examiner certaines tendances récentes. Au cours des vingt dernières années, l’encours de la dette des sociétés non financières au Canada a moins augmenté que celui des autres pays du G7. En particulier, la dette publique a fortement reculé et le levier d’endettement des sociétés se situe actuellement à un creux historique (Graphique 11).

Au cours de la période précédant la crise, la dépendance exceptionnelle du Canada à l’égard du financement à l’étranger a aussi diminué à un point tel que notre dette extérieure nette avait presque entièrement disparu.

Pendant la même période, les ménages canadiens ont accru considérablement leurs emprunts. Les Canadiens affichent collectivement un déficit financier net depuis maintenant plus d’une décennie : en effet, les ménages cherchent à obtenir des fonds du reste de l’économie plutôt que de lui en fournir, comme cela avait été le cas depuis la dernière fois que les Maple Leafs ont remporté la Coupe Stanley.

L’évolution observée depuis 2008 a réduit notre marge de manœuvre. Dans un contexte où les taux d’intérêt sont bas et le système financier fonctionne bien, l’endettement des ménages a augmenté de 13 points de pourcentage supplémentaires par rapport à leur revenu. À présent, les Canadiens sont plus endettés que les Américains ou les Britanniques. Le solde de notre compte courant est également redevenu déficitaire, ce qui signifie que notre endettement envers l’étranger s’est réinscrit en hausse.

Les sources de financement de ces déficits du compte courant ont été principalement des achats étrangers de titres canadiens, surtout des obligations. En outre, au final, la plupart des recettes tirées de ces entrées de capitaux semblent être largement affectées au financement des dépenses des ménages canadiens plutôt qu’à l’investissement destiné à accroître la capacité de production dans l’économie réelle. Si nous pouvons tirer une seule leçon de la crise, il faudrait retenir qu’il est pour le moins imprudent de canaliser des capitaux bon marché et facilement accessibles vers des dépenses de consommation dont les hausses sont intenables.

La vertu relative dont a fait preuve le Canada tout au long du supercycle de la dette nous confère une position privilégiée maintenant que le cycle s’est inversé. Contrairement à bien d’autres économies, la nôtre est toujours soutenue par un taux sans risque et un système financier efficient. Nous devons absolument conserver ces avantages. Heureusement, cela suppose dans une large mesure de continuer à agir comme nous l’avons fait – les particuliers et les institutions se comportant de manière responsable et les décideurs publics intervenant à l’intérieur de solides cadres budgétaires, monétaires et réglementaires.

Mais tout ne peut pas se dérouler tout à fait comme à l’habitude. Notre position robuste nous offre la possibilité de procéder aux ajustements nécessaires pour continuer à prospérer dans un contexte de réduction des leviers d’endettement. Cependant, les occasions ne sont valables que si on les saisit.

D’abord et avant tout, cela implique une réduction de la dépendance de notre économie aux dépenses des ménages alimentées par l’endettement. À cette fin, depuis 2008, le gouvernement fédéral a pris, en temps opportun, une série de mesures prudentes afin de resserrer les exigences de l’assurance hypothécaire de façon à favoriser la stabilité à long terme du marché canadien du logement. En outre, les banques mobilisent des capitaux pour se conformer à la nouvelle réglementation. Les autorités canadiennes continueront de surveiller la situation financière du secteur des ménages et elles collaborent étroitement en ce sens.

L’élimination du déficit financier net du secteur des ménages créerait un écart notable dans l’économie. Les ménages canadiens devraient diminuer globalement leurs besoins de financement nets de quelque 37 milliards de dollars par année. Pour compenser une telle baisse sur deux ans, il faudra peut-être pouvoir tabler sur une croissance de 3 points de pourcentage additionnels des exportations, de 4 points de pourcentage des dépenses publiques ou de 7 points de pourcentage des investissements des entreprises.

N’importe lequel de ces objectifs, pris isolément, serait fort ambitieux. Les marchés d’exportation continuent à présenter un défi. On ne peut s’attendre du gouvernement qu’il comble l’écart durablement.

Toutefois, les entreprises canadiennes, dont les bilans ont rarement été aussi solides, ont les moyens – et les incitations – d’agir. Elles devraient tenir compte de quatre réalités : elles ne sont pas aussi productives qu’elles pourraient l’être; elles ne sont pas assez exposées aux marchés émergents en essor rapide; celles qui font partie du secteur des produits de base peuvent s’attendre à des prix relativement élevés pendant un certain temps et elles peuvent toutes bénéficier d’un des systèmes financiers les plus résilients au monde. Dans un monde où la réduction des leviers d’endettement freine la demande sur nos marchés étrangers traditionnels, les entreprises canadiennes doivent absolument investir afin d’améliorer leur productivité et d’avoir accès aux marchés émergents en expansion rapide.

Cette situation serait favorable pour les entreprises canadiennes et pour le Canada. En réalité, il s’agit de la seule solution durable. Un cercle vertueux caractérisé par une hausse de l’investissement et de la productivité accroîtrait la capacité d’endettement de tous en faisant augmenter les salaires, les profits et les recettes de l’État. Nous devrions en faire un objectif commun.

La Banque du Canada fait sa part en accomplissant son mandat consistant à garder l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible afin que les entreprises et les ménages canadiens puissent investir et faire des projets d’avenir en toute confiance. Elle collabore aussi avec le gouvernement fédéral pour faire en sorte que les Canadiens puissent compter sur leur système financier de calibre mondial pendant des périodes fastes et moins fastes et en appuyant le plan d’action du G20 parce qu’il sert les intérêts du Canada.

Conclusion

Il est logique de prendre du recul et d’examiner les défis actuels dans le contexte plus général de l’histoire financière. L’endroit où nous sommes rassemblés  aujourd’hui est tout à fait approprié. Il y a un siècle, lorsque l’Empire Club of Canada et le Canadian Club of Toronto se réunissaient, la première réduction d’importance des leviers d’endettement était bien amorcée au sein de l’économie canadienne. Durant les trois décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale, les déficits du compte courant du Canada s’établissaient en moyenne à 7 % du PIB. Ces déficits étaient liés en grande partie à des investissements et étaient surtout financés par des titres d’emprunt à long terme et des investissements directs étrangers.

Juste avant la Grande Guerre, nos engagements nets envers l’étranger atteignaient 140 % du PIB, mais la capacité de production que nous avons constituée au cours des décennies a aidé à rembourser ces emprunts au fil du temps. La Grande Dépression est venue une nouvelle fois gonfler nos engagements. Mais la période de prospérité économique qui s’est ensuivie nous a encore permis de diminuer notre passif net.

Lorsque nous nous sommes retrouvés aux prises avec des problèmes budgétaires dans les années 1990, les Canadiens ont pris des décisions difficiles, si bien que, juste avant l’effondrement de Lehman Brothers, le Canada était le pays du G7 qui affichait la meilleure situation budgétaire.

Nous devons prendre garde toutefois à tabler sur ces expériences. Le passé n’est pas toujours garant de l’avenir. Autrefois, les tendances démographiques et de la productivité étaient plus favorables qu’elles ne le sont aujourd’hui. Nous réduisions notre levier d’endettement en périodes de forte croissance à l’échelle du globe. Notre taux de change servait d’amortisseur, en aidant à rebâtir une compétitivité qui ne peut être soutenable que grâce à la croissance de la productivité.

Aujourd’hui, les tendances démographiques se sont inversées, la croissance de notre productivité a ralenti et le monde est en plein processus compétitif de désendettement.

Nous pourrions donner l’impression de prospérer pendant un certain temps en consommant au-delà de nos moyens. Il se peut que les marchés nous permettent de le faire pendant plus longtemps que nous ne le devrions. Seulement, si nous cédons à la tentation, nous serons confrontés nous aussi à la longue à des ajustements pénibles.

Il vaut mieux procéder à un rééquilibrage dès maintenant alors que nous sommes dans une position de force, afin d’atteindre un degré de compétitivité et de prospérité digne de notre pays.

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  1. 1. C. M. Reinhart et K. S. Rogoff (2011), A Decade of Debt, document de travail no 16827, National Bureau of Economic Research, Cambridge.[]
  2. 2. C. M. Reinhart et K. S. Rogoff (2010), « Growth in a Time of Debt », The American Economic Review, vol. 100, no 2, p. 573-578.[]
  3. 3. Ces chiffres, aussi impressionnants soient-ils, sous-estiment en fait l’ampleur du problème. Ils ne tiennent pas compte en effet des passifs découlant des engagements pris par les gouvernements au titre des pensions et des soins de santé mais non encore financés, passifs qui, selon certaines estimations, sont encore plus importants que l’actuel encours explicite de la dette.[]
  4. 4. R. G. Rajan (2010), Fault Lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy, Princeton, Princeton University Press.[]
  5. 5. Le cas du Japon illustre bien l’importance de faire la distinction entre les débiteurs qui ont des créditeurs nationaux et ceux qui ont des créditeurs internationaux. La dette publique et la dette non financière totale au Japon dépassent aujourd’hui de beaucoup des niveaux qui se sont avérés insoutenables dans d’autres pays, du fait surtout qu’il s’agit pour l’essentiel d’une dette intérieure. D’un point de vue extérieur, le Japon est le plus grand créditeur net du monde.[]
  6. 6. Voir M. Carney (2011), La liquidité mondiale, discours prononcé devant la Chambre de commerce Canada–Royaume-Uni, à Londres (Royaume-Uni), le 8 novembre.[]
  7. 7. Voir A. Turner (2011), Debt and Deleveraging: Long Term and Short Term Challenges, discours prononcé au Centre d’études financières, à Francfort (Allemagne), le 21 novembre. L’auteur soutient en fait que la situation actuelle est la conséquence de « l’accumulation d’erreurs monumentales commises par les autorités pendant des décennies », notamment la dépendance excessive à l’égard des marchés libres (p. 6).[]
  8. 8. Voir C. M. Reinhart et V. R. Reinhart (2010), « After the Fall », Macroeconomic Challenges: The Decade Ahead, discours prononcé au symposium sur la politique économique, Banque fédérale de réserve de Kansas City.[]
  9. 9. K. Rogoff (2008), « Inflation Is Now the Lesser Evil », Project Syndicate, décembre.[]
  10. 10. Voir J. Hatzius, Z. Pandl, A. Phillips, S. J. Stehn, A. Tilton, S. Wu et M. Acosta-Cruz (2011), « The Case for a Nominal GDP Level Target », US Economics Analyst, Goldman Sachs Global ECS Research, no 11/41, et C. D. Romer (2011), « Dear Ben: It’s Time for Your Volker Moment », The New York Times, 29 octobre.[]
  11. 11. Une inflation à la fois plus élevée et plus incertaine pourrait se traduire par une prime de risque d’inflation plus grande, ce qui pousserait à la hausse les taux d’intérêt réels et, ainsi, exacerberait la dynamique défavorable de la dette.[]