Introduction

Comme un canot naviguant au gré des courants changeants des rivières canadiennes, le dollar canadien fluctue au rythme des marchés mondiaux, de l’appétit pour le risque et de la croissance économique. Ce taux de change flottant permet de mener une politique monétaire indépendante qui peut être adaptée aux besoins de l’économie canadienne.

À l’été 2024, l’inflation au Canada est revenue près de la cible de 2 % de la Banque du Canada, après avoir atteint un sommet d’un peu plus de 8 % en 2022. Mais aux États-Unis, l’inflation élevée a été plus persistante, oscillant au-dessus du taux cible pendant la majeure partie de l’année. Comme les économies du Canada et des États-Unis avaient commencé à diverger, les investisseurs et les économistes s’attendaient à ce qu’un écart se creuse entre les taux d’intérêt établis par la Banque du Canada et le Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis.

Sans surprise, cet écart pèse sur la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain. Lorsque les taux d’intérêt baissent plus rapidement au Canada qu’aux États-Unis, la valeur du dollar canadien diminue de pair pour équilibrer les rendements des investissements dans un pays ou dans l’autre. En règle générale, lorsque le taux d’intérêt à 1 an au Canada baisse de 1 % en dessous de celui aux États-Unis, le taux de change devrait également baisser de 1 %. Si les taux n’étaient pas ainsi ajustés, les investisseurs transféreraient leurs placements de l’autre côté de la frontière pour obtenir un meilleur rendement.

Toutefois, en 2024, la baisse de la valeur du dollar canadien a été plus importante que l’écart qui s’était creusé entre la trajectoire des taux d’intérêt dans les deux pays. Cela s’explique par le fait que les investisseurs tiennent aussi compte des risques liés à l’investissement dans une devise plutôt qu’une autre, et pas seulement de la différence de taux d’intérêt.

Le commerce international et les marchés financiers sont entourés d’incertitude depuis l’année dernière, ce qui a mené les participants au marché à intégrer une importante prime de risque aux taux de change de la plupart des devises par rapport au dollar américain. Cette prime de risque de change généralisée explique environ les deux tiers de la baisse de la valeur du dollar canadien en 2024.

Historiquement, les écarts entre la trajectoire des taux d’intérêt aux États-Unis et au Canada ont eu tendance à s’amenuiser avec le temps, et les principales sources de risque et d’incertitude ont fini par s’estomper. En fin de compte, d’autres facteurs à long terme ont une plus grande incidence sur la valeur de la monnaie. Cela comprend les facteurs suivants qui, de manière générale, évoluent lentement et sont difficiles à cerner :

  • la productivité et la composition de l’activité réelle
  • les politiques budgétaires et commerciales
  • les taux d’inflation à long terme

Les politiques monétaires du Canada et des États-Unis suivent des trajectoires différentes

Au début de 2024, les taux directeurs au Canada et aux États-Unis se situaient à peu près au même niveau. Aux États-Unis, le taux directeur a atteint des sommets allant de 5,25 % à 5,50 %, tandis qu’au Canada il a culminé à 5 %.

L’orientation de la politique monétaire des deux pays était également similaire au début de l’année 2024, mais les perspectives économiques des deux pays ont rapidement divergé. À partir de février 2024, les prix sur le marché des swaps indexés sur le taux à un jour semblaient indiquer que les investisseurs s’attendaient à ce que le taux directeur reste élevé aux États-Unis, mais pas au Canada (graphique 1). L’écart entre les trajectoires des taux directeurs a continué à se creuser, si bien qu’à la fin de l’année :

  • l’enquête de Bloomberg auprès des prévisionnistes montrait que le taux directeur attendu à la fin de 2025 serait de :
    • 2,50 % au Canada
    • 3,75 % aux États-Unis
  • les taux des swaps indexés sur le taux à un jour au 31 décembre, si on fait abstraction d’une éventuelle prime de terme, indiquaient que le taux directeur prévu à la fin de 2025 était de :
    • 2,64 % au Canada
    • 3,92 % aux États-Unis

Ainsi, les deux sources pointaient vers un écart supérieur à 1 point de pourcentage.

Graphique 1 : L’écart entre les taux d’intérêt aux États-Unis et Canada se creuse

De plus, le dollar canadien s’est déprécié de 7,7 % par rapport au dollar américain en 2024 et se situait sous les 70 cents américains à la fin de l’année. Cette dépréciation, combinée à l’écart croissant entre la trajectoire du taux directeur dans les deux pays, retient beaucoup l’attention. Bien qu’elle soit relativement importante, elle n’est pas extrême par rapport aux normes historiques – depuis 1972, la dépréciation du dollar canadien au cours d’une période distincte de 12 mois a atteint au moins 7,7 % une fois sur cinq.

Il semble que les grands gestionnaires d’actifs se constituent des positions à découvert sur le marché de contrats à terme pour se prémunir contre le risque d’une nouvelle dépréciation du dollar canadien (graphique 2). De même, les coûts pour se protéger contre une dépréciation du dollar canadien en utilisant des options ont augmenté par rapport aux coûts pour se protéger contre une appréciation.

Graphique 2 : Plus d’investisseurs se protègent contre le risque d’une nouvelle dépréciation du dollar canadien

Bien que les marché des contrats à terme et des options révèlent des inquiétudes grandissantes concernant la valeur du dollar canadien, les prévisions des courtiers incitent à croire qu’elle augmentera au cours de 2025 (graphique 3). Cela est compatible avec la présence d’une prime de risque de change, dont nous discuterons davantage plus loin.

Graphique 3 : Les économistes des courtiers s’attendent à ce que le dollar canadien s’apprécie légèrement d’ici la fin de 2025

Les divergences entre les politiques monétaires sont courantes lorsque les taux d’intérêt augmentent

Il est courant que la trajectoire du taux directeur canadien se situe en deçà de celle du taux directeur américain (graphique 4). Au cours des 30 dernières années, on compte cinq épisodes distincts où le taux directeur des États-Unis a été plus élevé que celui du Canada. Et, sauf pour l’épisode de 1996, ces périodes ont coïncidé avec des cycles de resserrement des politiques monétaires par les banques centrales.

La divergence actuelle entre les politiques monétaires a commencé à la fin d’un cycle de hausse des taux d’intérêt, comme les trois précédentes, le taux directeur ayant, dans chaque cas, atteint un sommet plus élevé aux États-Unis qu’au Canada (tableau 1, partie du bas).

Mais l’écart actuel pourrait se creuser ou se prolonger si le taux directeur américain reste élevé pendant que le taux directeur canadien continue de baisser, une prévision que semblent partager les marchés des swaps indexés sur le taux à un jour et les prévisionnistes professionnels. Si la divergence actuelle se prolonge jusqu’à la fin de 2025, elle deviendra une des plus longues jamais enregistrées. Les épisodes antérieurs de divergence entre les politiques monétaires ont duré moins de trois ans, et les taux avaient atteint leur pic à peu près 12 mois après le début de chacun.

Lors d’autres épisodes, le taux directeur au Canada a dépassé celui aux États-Unis, parfois même de 2,25 % (tableau 1, partie du haut), en contexte d’assouplissement de la politique monétaire américaine. Toutefois, cela ne s’est pas produit en 1994, année où les États-Unis resserraient leur politique monétaire pendant que le Canada passait à un nouveau régime de ciblage de l’inflation. Il n’est arrivé que deux fois que les taux directeurs évoluent en direction opposée : en 1996 et en 2001.

Ainsi, les cycles économiques sont généralement communs aux deux pays, ce qui met en relief les liens économiques entre les deux économies (Voss, 2004). En effet, lorsqu’on compare de la même manière d’autres économies, comme le Royaume-Uni, la zone euro ou l’Australie, on constate que les divergences ont tendance à être plus importantes et à durer plus longtemps.

Graphique 4 : Au cours des cinq derniers cycles de resserrement, le taux directeur aux États-Unis a dépassé celui au Canada

Tableau 1 : Sommaire des divergences entre les politiques monétaires depuis 1994

Tableau 1 : Sommaire des divergences entre les politiques monétaires depuis 1994
Événements mondiaux Date de début Durée (années) Trimestres pour atteindre le pic Écart maximal (points de base) Politique monétaire de la Banque du Canada Politique monétaire de la Réserve fédérale américaine
Liquidation d’obligations 1994 2 1/4 5 213 pb Resserrement Resserrement
Effondrement de Long-Term Capital Management 1998 3/4 1 78 pb Assouplissement Assouplissement
Forte croissance aux États-Unis 2001 4 9 225 pb Resserrement Assouplissement
Crise financière mondiale 2007 1 1/2 4 200 pb Assouplissement Assouplissement
Assouplissement quantitatif aux États-Unis 2010 5 3/4 1 75 pb Resserrement Assouplissement
Crise financière asiatique 1996 3 3/4 5 -237 pb Assouplissement Resserrement
Bulle technologique 1999 1 1/2 4 -124 pb Resserrement Resserrement
Énigme de Greenspan 2005 2 1/2 2 -126 pb Resserrement Resserrement
Premier mandat du président Trump 2016 2 3/4 2 -75 pb Resserrement Resserrement
Reprise postpandémie 2022 2 1/2 8 -100 pb Resserrement Resserrement

Nota : La partie du haut montre les périodes où le taux directeur aux États-Unis était plus élevé que celui au Canada. La partie du bas montre les périodes où le taux directeur au Canada était plus élevé que celui aux États-Unis.

Comment les taux d’intérêt influent sur la valeur du dollar canadien

Les prévisionnistes et les économistes s’entendent pour dire que l’écart entre les taux d’intérêt au Canada et aux États-Unis a tendance à faire baisser la valeur actuelle du dollar canadien par rapport au dollar américain en même temps qu’il fait augmenter son appréciation prévue. L’intuition est simple : lorsque les taux d’intérêt sont plus bas au Canada qu’aux États-Unis, les investisseurs préfèrent détenir des placements libellés en dollars américains afin d’obtenir un meilleur rendement. Ce rendement plus élevé incite les investisseurs à transférer leurs investissements vers les États-Unis jusqu’à ce que le dollar canadien se déprécie suffisamment pour égaliser les rendements attendus dans les deux pays.

Prenons par exemple l’équation ci-dessous, qui montre le rendement réel\(\displaystyle\, (r_{t+1})\)qu’obtiendrait un investisseur qui emprunte 1 dollar américain au temps t, le convertit en dollars canadiens au temps\(\displaystyle\, q_{t}\), l’investit au taux d’intérêt canadien\(\displaystyle\, (i_t^*)\) jusqu’au temps t+1 puis reconvertit le produit en dollars américains au temps\(\displaystyle\, q_{t+1}\), pour enfin rembourser le prêt en dollars américain plus les intérêts au taux américain\(\displaystyle\, (i_t)\) :

\(\displaystyle\, r_{t+1}\) \(\displaystyle=\, q_{t+1}\) \(\displaystyle-\, q_t\) \(\displaystyle+\, i_t^*\) \(\displaystyle-\, i_t\) \(\displaystyle-\, (π_{t+1}^*\) \(\displaystyle-\, π_{t+1}).\) \(\displaystyle\, (1)\)

Il s’agit de rendements réels, car ils tiennent compte de la différence entre les taux d’inflation des deux pays. Lorsque le taux d’intérêt est plus bas au Canada qu’aux États-Unis, cet écart peut être compensé par des attentes d’inflation plus faibles pour le Canada que pour les États-Unis. Toutefois, si l’écart entre les taux d’intérêt diminue davantage que celui entre les taux d’inflation futurs attendus au Canada et aux États-Unis – possiblement en raison de l’orientation de la politique monétaire –, la différence peut être compensée par une dépréciation du dollar canadien, toutes choses égales par ailleurs.

Quelle est donc l’incidence des taux d’intérêt? Le calcul sommaire ci-dessous montre que leur effet est modeste.

Abstraction faite de la différence entre les taux d’inflation, supposons que le taux d’intérêt canadien diminue de 1 % pendant exactement un an. Pour égaliser les rendements attendus, supposons aussi que le dollar canadien se déprécie de 1 % aujourd’hui et que les investisseurs s’attendent à ce que sa valeur augmente de 1 % au cours de l’année : (\(\displaystyle\, q_{t+1} - q_t = i_t - i_t^*\)).

Dans notre exemple, nous supposons que les investisseurs n’ont pas besoin de rendements supplémentaires pour compenser le risque détenir une ou l’autre des devises. Toutefois, les investisseurs se préoccupent du risque de change, étant donné l’intuition évoquée ci-dessus. Nous pouvons donc réécrire l’équation (1) comme suit :

\(\displaystyle\, E[q_{t+1}-q_t]\) \(\displaystyle=\, E[r_{t+1}]\) \(\displaystyle+\, (i_t-i_t^*)\) \(\displaystyle+\, E(π_{t+1}^*-π_{t+1} )\) \(\displaystyle\, (2)\)

Cette nouvelle équation décrit le comportement des investisseurs1. Les flux d’investissement entre les deux pays permettent de maintenir sous contrôle :

  • l’écart entre les taux d’inflation
  • l’écart entre les taux d’intérêt
  • la compensation supplémentaire pour le risque

Cet effet du risque de change suit la même logique que celle selon laquelle les actions plus risquées ont un prix plus bas aujourd’hui et offrent, en moyenne, un rendement attendu plus élevé aux investisseurs. La principale hypothèse qui sous-tend la décomposition ci-dessous est que les investisseurs égalisent les rendements des actifs détenus dans différentes devises, tout en faisant des ajustements selon le niveau de risque. Notons aussi qu’il n’est pas nécessaire que les attentes des investisseurs soient correctes.

L’intuition fonctionne aussi dans le sens inverse. Si la rémunération demandée par les investisseurs pour les risques liés à la détention d’actifs libellés en dollars canadiens est moindre, le dollar canadien s’apprécie pour égaliser le rendement par unité de risque2.

Dans nos exemples, nous avons utilisé une période hypothétique d’un an commençant au temps t et se terminant au temps t+1. Mais l’intuition s’étend dans le temps sur de multiples horizons : les rendements attendus devraient s’égaliser cette année, puis au cours des deux années subséquentes, et ainsi de suite. Pour illustrer cette dynamique, nous proposons une nouvelle version de l’équation (2) :

\(\displaystyle\, q_t\) \(\displaystyle=\, E_t[ q_{t+m}]\) \(\displaystyle-\, \sum_{j=1}^m E_t[ r_{t+j}]\) \(\displaystyle+\, \sum_{j=0}^{m-1} E_t[ i_{t+j}^* - i_{t+j}]\) \(\displaystyle-\, \sum_{j=1}^m E_t[ π_{t+j}^* - π_{t+j}].\) \(\displaystyle\, (3)\)

L’équation (3) décompose le taux de change actuel en un flux de rendements et en des taux d’inflation futurs sur un certain horizon (dans notre exemple, m = 10 ans). Les trois derniers termes ont la même portée que dans l’analyse de l’équation (2). La différence est qu’il faut tenir compte des divergences sur le long terme.

Nous pouvons interpréter comme suit chacun des quatre termes de la décomposition :

  • la valeur de la monnaie à long terme ou à l’équilibre : déterminée par la productivité relative des secteurs qui produisent des biens et services échangeables dans chaque pays
  • la prime de risque : rendements supplémentaires obtenus par les investisseurs en compensation des risques liés à la détention d’actifs libellés en dollars canadiens
  • les trajectoires des taux d’intérêt : écart dans la trajectoire attendue du taux directeur dans chaque pays
  • les trajectoires de l’inflation : écart dans la trajectoire attendue de l’inflation dans chaque pays

Les participants au marché ont tendance à partager cette intuition

Nous vérifions si les prévisionnistes professionnels mettent à jour leurs projections de taux d’intérêt et de taux de change d’une manière qui reflète l’intuition selon laquelle les taux de change s’ajusteront pour égaliser les rendements de part et d’autre de la frontière – en d’autres mots, l’intuition de la parité des taux d’intérêt non couverte. Nous constatons que les enquêtes menées auprès des participants au marché confirment à la fois la direction et l’ampleur modeste de l’ajustement du taux de change suggéré par cette intuition.

Par exemple, les prévisions des courtiers à la fin de 2024 laissent croire que les taux d’intérêt resteront plus bas au Canada qu’aux États-Unis, ce qui a probablement pesé sur la valeur actuelle du dollar canadien (graphique 2). Mais ces prévisions indiquent également que le dollar canadien s’appréciera au cours de la prochaine année, ce qui est conforme à l’intuition.

Cette tendance a généralement été constante, en moyenne, dans les prévisions des courtiers des 20 dernières années. Nous le vérifions en effectuant une régression de la prévision à un an des rendements du dollar canadien sur la différence actuelle entre les rendements à un an. Si on utilise l’équation (2) et que les prévisions sont basées sur l’intuition de la parité des taux d’intérêt non couverte, le coefficient devrait être égal à un. Dans les données, nous constatons que la différence de taux d’intérêt n’explique à elle seule qu’une très faible part des prévisions relatives au dollar canadien, avec un coefficient bas estimé à 0,29 (tableau 2).

Toutefois, ce coefficient plus bas est attribuable au biais dû à l’omission de variables. L’écart de taux d’intérêt actuel pourrait être corrélé avec d’autres variables qui devraient mieux prédire les rendements du dollar canadien. En particulier, l’écart de taux d’intérêt présente :

  • une corrélation positive avec les différences entre les taux d’intérêt à long terme
  • une corrélation négative avec la prime de risque de change

Lorsque nous effectuons des régressions plus robustes qui tiennent compte de ces autres effets, nous constatons que le coefficient de la différence de taux d’intérêt à un an est effectivement proche de 1 et de l’intuition de la parité des taux d’intérêt non couverte (tableau 2). Par exemple :

  • l’inclusion des prévisions des écarts de taux d’intérêt au-delà de la prochaine année n’améliore que marginalement notre capacité à expliquer les prévisions du dollar canadien
  • l’inclusion des prévisions à long terme de la prime de risque de change future semble être particulièrement importante pour comprendre les prévisions du dollar canadien – dans ce cas, le coefficient estimé pour la différence de taux d’intérêt est de 1,1
  • l’inclusion des prévisions de l’appréciation du prix du pétrole brut – historiquement lié aux fluctuations du dollar canadien – pour rendre compte des changements dans la valeur à l’équilibre de la monnaie est également importante pour comprendre les prévisions des participants au marché

Tous ces coefficients estimés ont le bon signe, et l’inclusion de ces effets augmente la précision de nos estimations et renforce notre conclusion selon laquelle les prévisions des participants au marché sont cohérentes avec l’intuition que les taux de change s’ajustent pour égaliser les rendements de part et d’autre de la frontière3. Les résultats montrent également que la différence de taux d’intérêt joue un rôle relativement petit pour expliquer les variations dans les prévisions des courtiers à l’égard du dollar canadien.

Tableau 2 : Régression du rendement à 1 an attendu des prévisionnistes pour le dollar canadien

Tableau 2 : Régression du rendement à 1 an attendu des prévisionnistes pour le dollar canadien
(1) (2) (3) (4)
Constant 2,19***
(0,51)
2,66***
(0,68)
1,35**
(0,53)
1,61***
(0,41)
Écart de taux d’intérêt à 1 an actuel 0,29
(0,34)
0,68
(0,43)
1,11***
(0,39)
1,35***
(0,34)
Prévision de l’écart de taux d’intérêt au-delà de 1 an -0,28
(0,22)
-0,07
(0,15)
-0,25*
(0,13)
Prévision des rendements excédentaires à 1 an sur le dollar canadien 0,58***
(0,12)
0,34***
(0,08)
Prévision des rendements à 1 an sur le prix du WTI 0,07***
(0,02)
N 68 68 68 68
R2 0,02 0,05 0,29 0,46

Nota : Ce tableau présente les régressions du rendement à 1 an attendu pour le dollar canadien selon le consensus des prévisionnistes sur les écarts de taux d’intérêt à 1 an actuels et les attentes consensuelles des prévisionnistes : écarts de taux d’intérêt à 1 an sur 10 ans, rendements excédentaires à 1 an pour le dollar canadien et rendement à 1 an sur le prix du pétrole brut West Texas Intermediate (WTI). Les écarts sont définis comme la valeur pour les États-Unis moins celle pour le Canada. Les rendements excédentaires attendus à 2 ans pour le dollar canadien et les rendements à 1 an sont déduits à partir des attentes à 1 an et à 3 ans des rendements excédentaires pour le dollar canadien. Toutes les variables sont exprimées en pourcentage. La période d’échantillonnage s’étend de septembre 2005 à mars 2024.
Sources : ministère des Finances du Canada et calculs de la Banque du Canada

L’augmentation de la prime de risque de change a été le principal facteur de la dépréciation du dollar canadien en 2024

La confrontation de notre intuition aux prévisions nous a amenés à conclure qu’il faut s’attendre à ce que les divergences cycliques de politique monétaire aient une incidence modeste sur le taux de change. Nous pouvons également transposer cette idée aux données et quantifier les différents facteurs qui ont conduit à la dépréciation du dollar canadien dans la deuxième moitié de 2024.

Nous utilisons un modèle économétrique pour construire des prévisions pour chaque élément de la décomposition. Notre approche repose sur le fait que les modèles de prix des obligations permettent d’extraire des prévisions à la fois de l’inflation et de la trajectoire des taux directeurs.

Les modèles de prix des obligations combinent des données historiques sur l’inflation, les taux d’intérêt et le taux de change avec des hypothèses concernant leur dynamique pour obtenir des prévisions cohérentes avec les enquêtes auprès des prévisionnistes et la trajectoire des taux d’intérêt. Ces modèles dynamiques permettent de dégager les prévisions pertinentes et de les combiner pour calculer les composantes de la décomposition de la valeur actuelle dans l’équation (3). Les spécificités du modèle, les résultats de l’estimation et plusieurs vérifications de robustesse sont présentés dans Feunou, Fontaine et Krohn (2022).

Nous nous concentrons sur la période postérieure à l’été 2024. Le dollar canadien a baissé de 4,5 % entre août et la fin de 2024, atteignant une valeur de 0,696 dollar américain à la fin de l’année. Dans le modèle, l’écart grandissant entre les taux d’intérêt attendus au Canada et aux États-Unis explique un peu plus du quart de cette dépréciation (graphique 5). Cet effet estimé concorde avec nos calculs sommaires antérieurs : l’écart entre les taux d’intérêt est d’à peu près 1 %, et ceux-ci pourraient converger dans un délai d’environ deux ans.

Les variations de la prime de risque de change ont joué un rôle plus important en 2024, expliquant la majeure partie de :

  • la hausse de la valeur entre août et octobre
  • la baisse de valeur jusqu’à la fin de l’année

Le fait que la différence de taux d’intérêt et la prime de risque soient à l’origine de la majeure partie de la dépréciation est cohérent avec le fait que les courtiers s’attendent à ce que la valeur du dollar canadien augmente au cours de l’année 2025. Le rôle important joué par la prime de risque de change cadre également avec la grande incertitude entourant les droits de douane américains anticipés sur les produits canadiens et le risque de dépréciation du dollar canadien qui en découle.

Graphique 5 : L’augmentation de la prime de risque de change a été le principal facteur de la dépréciation du dollar canadien

Graphique 6 : Le dollar canadien tend à suivre ses pairs et la vigueur relative du dollar américain

En outre, les récentes fluctuations de la valeur du dollar canadien observées depuis le milieu de l’année 2024 sont communes parmi les monnaies des économies avancées (graphique 6). La majeure partie de la dépréciation s’explique par le portefeuille de dollars, qui est simplement la moyenne des autres taux de change bilatéraux avec les États-Unis. Ensemble, ces deux observations indiquent que les tendances observées en 2024 sur les marchés des changes reflètent largement la vigueur générale du dollar américain résultant de changements dans l’attitude des investisseurs à l’égard du risque sur les marchés financiers mondiaux. Cette évolution est cohérente avec l’incertitude croissante entourant la politique commerciale des États-Unis, qui devrait se répercuter sur la plupart, voire la totalité, des économies avancées.

La divergence des politiques monétaires a, à elle seule, un effet modeste sur le taux de change

Nous pouvons utiliser le même cadre de décomposition pour simuler des scénarios où la divergence des politiques monétaires est plus importante que ce que supposent actuellement les prévisions des enquêtes et les marchés des swaps indexés sur le taux à un jour. Les épisodes historiques de divergence des taux directeurs peuvent éclairer ce scénario.

Plus précisément, nous envisageons un scénario hypothétique dans lequel le taux directeur du Canada tombe d’un autre 125 points de base en dessous de celui des États-Unis (graphique 7, figure a). Cela correspondrait à la plus grande divergence observée depuis 1994, soit environ 250 points de base. Dans ce scénario, nous maintenons l’écart entre les taux directeurs à ce niveau plus élevé pendant un an, jusqu’à la fin de 2025. Cela correspondrait à la divergence la plus longue depuis 1994. Dans les faits, ce scénario correspond à un événement soudain où les investisseurs prennent connaissance d’une nouvelle trajectoire pour le taux directeur en 2025.

De plus, nous utilisons le modèle pour maintenir la prime de risque constante dans le scénario. Dans les données, la politique monétaire réagit en même temps que les grands changements économiques. Le taux de change varie en raison :

  • des changements dans l’orientation de la politique monétaire de chaque pays
  • d’autres événements simultanés sur les marchés mondiaux

Nous utilisons le modèle pour analyser ce scénario et isoler l’effet de la divergence des politiques monétaires dans un scénario contrefactuel où le seul changement est la trajectoire relative de la politique monétaire entre les deux pays.

Comme prévu, nous constatons que dans ce scénario contrefactuel, le dollar canadien se déprécie immédiatement. D’un point de vue quantitatif, le modèle prévoit une dépréciation de 1,5 % face au dollar américain, conformément à l’intuition de la parité des taux d’intérêt non couverte (graphique 7, figure b). Cela reflète l’ampleur et la durée de la divergence que nous imposons en 2025. La projection du modèle, basée sur des données historiques, indique aussi que la divergence se poursuivra au-delà de 2025, pour ensuite se réduire progressivement à partir de 2026.

Le dollar canadien finirait ensuite par s’apprécier à mesure que le choc initial se dissipe et que la divergence des politiques monétaires s’atténue pour revenir près de sa moyenne historique. La trajectoire de l’appréciation prévue correspond à l’ampleur et à la persistance de la divergence entre les taux directeurs. Le modèle réduit progressivement la divergence à partir de la fin de 2025 et suppose que le dollar canadien finira par converger vers la moyenne de son échantillon. Dans l’ensemble, le scénario est cohérent avec l’effet modeste de la divergence des politiques monétaires sur le dollar canadien.

Graphique 7 : L’effet d’une divergence plus prononcée des taux directeurs est modeste si la prime de risque de change reste constante

Graphique 7 : L’effet d’une divergence plus prononcée des taux directeurs est modeste si la prime de risque de change reste constante

Les divergences passées ont aussi eu des effets modestes sur le taux de change

Quand on superpose les séries temporelles de la divergence des taux directeurs et du taux de change du dollar canadien, on obtient un portrait complexe (graphique 8).

  • De 1995 à 2006, le dollar canadien ne présente que peu ou pas de relation avec l’écart à deux ans, que nous utilisons comme indicateur de la divergence des taux directeurs sur une période plus longue. Cette constatation cadre également avec les résultats présentés dans la littérature antérieure à ce sujet (voir Amano et Van Norden, 1995; Baxter, 1994).
  • Depuis 2006, les divergences des politiques monétaires et le dollar canadien présentent une forte corrélation positive. Toutefois, la plupart des fluctuations du dollar canadien depuis 2006 s’apparentaient à celles d’autres devises4.

Cela donne à penser que la prime de risque a été une force dominante derrière l’évolution du dollar canadien au cours de la dernière décennie, influencée par les conditions économiques générales et des changements dans l’attitude mondiale à l’égard du risque. Ces résultats sont similaires à ceux que nous avons obtenus pour l’épisode de divergence des politiques monétaires de 2024.

Graphique 8 : Par le passé, les périodes d’écart négatif entre les rendements à 2 ans n’ont pas mené à une dépréciation abrupte du dollar canadien

Un mouvement important et durable du taux de change nécessite un changement dans les facteurs fondamentaux

La plus grande fluctuation du dollar canadien dans l’histoire récente s’est produite en deux phases entre 2004 et 2014 (si on exclut la crise financière mondiale de 2008-2009) :

  • entre 2004 et 2008, le dollar canadien est passé de 0,70 à 1 dollar américain
  • entre 2013 et 2015, le dollar canadien est passé de 1 à 0,75 dollar américain

Au cours de ces deux périodes, les fluctuations ont été beaucoup plus importantes que celles suggérées par la divergence des politiques monétaires. Elles étaient également trop prononcées et persistantes pour être expliquées par des variations de la prime de risque de change.

Des fluctuations du taux de change d’une telle ampleur nécessitent un changement dans les facteurs fondamentaux, comme des changements dans :

  • la productivité entre les pays
  • la composition des activités économiques
  • d’autres caractéristiques structurelles de chaque économie

Dans la décomposition de la valeur actuelle de l’équation (3), le premier terme rend compte de ces changements à long terme. Cependant, il est difficile de mesurer ces derniers parce que les taux de change sont intrinsèquement volatils. Les variations cycliques des taux d’intérêt et la prime de risque de change créent une déconnexion que les chercheurs ont mise en lumière dans des travaux empiriques (Meese et Rogoff, 1983; Cheung, Chinn et Garcia Pascual, 2005).

Néanmoins, les fortes variations observées entre 2004 et 2014 confirment le rôle important joué par ces facteurs. Au cours de cette période, le Canada a reçu d’importants investissements étrangers dans le secteur du pétrole et du gaz. Ces investissements ont contribué de manière substantielle, en proportion du produit intérieur brut, à la formation brute de capital au Canada (graphique 9). Ils ont également représenté des innovations significatives qui ont réduit les coûts d’extraction du pétrole et du gaz dans les nouveaux gisements. Cette évolution ne s’était pas encore produite aux États-Unis, ce qui a entraîné une amélioration des termes de l’échange et un renforcement du dollar canadien sur plusieurs années.

Graphique 9 : Un changement persistant dans le taux de change nécessite un changement fondamental dans l’économie

Regard sur l’avenir

Les prix sur les marchés financiers et les réponses aux enquêtes auprès des prévisionnistes laissent entrevoir une divergence persistante entre les taux directeurs au Canada et aux États-Unis. Même si cette divergence continuera d’influencer le dollar canadien, nous nous attendons à ce que son incidence soit modeste. En effet, la compensation du risque des investisseurs étrangers pèse actuellement plus lourd sur la valeur du dollar canadien. Les changements structurels entre les deux économies pourraient également l’influencer. La croissance des investissements et de la productivité s’est accélérée aux États-Unis ces dernières années comparativement aux autres économies avancées. Si ces signes de croissance se transforment en une tendance durable, le dollar américain pourrait se renforcer davantage par rapport à un panier de devises, y compris le dollar canadien. Il est donc essentiel de suivre l’évolution de ces facteurs à long terme pour comprendre la trajectoire future du dollar canadien.

Remerciements

Nous remercions Olivier Gervais, Geoffrey Dunbar, Bruno Feunou, James Ketcheson, Miguel Molico et Yash Chauhan pour leurs commentaires et suggestions utiles au sujet de cette analyse. Nous remercions également Eugène Trostin pour son excellente aide à la recherche. Enfin, nous sommes extrêmement reconnaissants envers Nicole van de Wolfshaar pour sa précieuse aide à la rédaction.

Références

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Feunou, B., J.-S. Fontaine et I. Krohn. 2022. « Real Exchange Rate Decompositions ». Document d’analyse du personnel 2022-6 de la Banque du Canada.

Fontaine, J.-S. et G. Nolin. 2016. « The Share of Systematic Variations in the Canadian Dollar—Part I ». Note analytique du personnel 2016-15 de la Banque du Canada.

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  1. 1. La prime de risque de change peut être corrélée avec les taux d’intérêt intérieurs des deux pays. En pratique, c’est la raison pour laquelle une régression de l’appréciation du taux de change sur l’écart entre les taux d’intérêt produit des coefficients différents de 1 (Fama, 1984).[]
  2. 2. La combinaison d’un taux d’intérêt plus élevé et d’un taux d’inflation plus bas au Canada pourrait aussi compenser la rémunération plus élevée liée au risque, mais nous nous concentrons sur un cadre de politique monétaire indépendant qui vise une trajectoire stable du niveau des prix.[]
  3. 3. Les coefficients estimés pour les autres facteurs dans le tableau 2 ont également les signes attendus, mais l’intuition ne dit rien sur les amplitudes attendues.[]
  4. 4. Les variations systématiques ont expliqué plus de 60 % des variations quotidiennes du dollar canadien après la crise financière mondiale (voir Fontaine et Nolin, 2016).[]

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2025-2

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