Les défis qui s'annoncent en matière de politique monétaire

Je voudrais vous entretenir aujourd'hui de certaines des questions importantes et de quelques-uns des grands défis qui se poseront en matière de politique monétaire au cours des mois à venir ainsi que de la manière dont la Banque du Canada entend y faire face.

Je ne m'aventure pas en terrain étranger, les défis étant le lot presque quotidien d'une banque centrale. Toutefois, la nature de ces défis a beaucoup changé au cours des deux dernières années.

Permettez-moi de vous rappeler que c'est à la fin de 1995, lorsque les préoccupations des investisseurs au sujet de la situation budgétaire et politique du Canada avaient finalement commencé à s'atténuer, que la Banque du Canada a été en mesure de fournir un important soutien d'ordre monétaire à l'économie. Ce soutien, qu'elle a continué d'apporter au cours de l'année qui a suivi, visait à contrecarrer l'effet des compressions budgétaires et celui que les difficultés et les incertitudes causées par les grandes restructurations qui devaient s'opérer dans les secteurs privé et public exerçaient sur la confiance des consommateurs.

Grâce au soutien monétaire de la banque centrale, l'économie a pris de l'essor et semble enfin avoir réussi à se libérer des difficultés liées à la restructuration. De fait, l'activité économique s'est accélérée cette année et a progressé à un rythme voisin de 4 % durant les douze derniers mois.

L'expansion devant se poursuivre à un rythme vigoureux au cours des mois à venir, la politique monétaire doit maintenant relever des défis d'un autre ordre. Au cours des mois à venir, à mesure que les capacités inutilisées seront absorbées et que l'économie commencera à tourner à plein régime, la politique monétaire aura pour tâche de faire en sorte que ce processus se déroule sans à-coups et que les pressions inflationnistes ne réapparaissent pas.

Plus tard, nous devrons également faire face au défi que représente la conduite de la politique monétaire en situation de pleine utilisation des capacités de production. Compte tenu des nombreux changements d'ordre structurel qui se sont produits au Canada et ailleurs ces dernières années, nous devrons nous attacher à évaluer le rythme auquel l'expansion peut être soutenue — c'est-à-dire à quel rythme elle n'engendrerait pas de pressions inflationnistes — et à déterminer ce que cela signifie pour la situation de l'emploi au Canada. Le défi qui se posera alors à la politique monétaire sera de trouver la meilleure façon de composer avec l'incertitude qui entache les estimations de la production potentielle.

La conduite de la politique monétaire pendant la période d'expansion économique et ensuite en période de pleine utilisation des capacités constitue l'essentiel de mon propos aujourd'hui.

Le retour à la pleine utilisation des capacités

J'aimerais que nous examinions d'abord le défi qui se pose dans l'immédiat à la politique monétaire, à savoir promouvoir des conditions monétaires susceptibles de préserver au cours de l'actuelle période d'expansion les bons résultats enregistrés par le Canada sur le front de l'inflation et, partant, faire en sorte que l'expansion se poursuive.

Comme je l'ai déjà mentionné, les conditions monétaires au Canada sont très expansionnistes depuis plus d'un an. Devant les signes croissants attestant de la vigueur de l'activité économique, la Banque du Canada a commencé à rappeler aux Canadiens qu'à mesure que les capacités inutilisées seront absorbées, il deviendrait nécessaire de favoriser des conditions monétaires moins expansionnistes. Nous nous sommes engagés dans cette voie la semaine dernière, lorsque nous avons relevé le taux officiel d'escompte d'un quart d'un point de pourcentage pour le porter à 3 3/4 %.

Ce genre de mesure de notre part peut déclencher un signal d'alarme chez certains, qui peuvent se demander pourquoi la Banque donne un grand coup de frein au moment où l'économie commence à peine à se redresser et où le taux de chômage est encore élevé. J'aimerais répondre à ces préoccupations en expliquant aux Canadiens ce qu'ils peuvent attendre de leur banque centrale au cours des mois à venir et pourquoi.

Mais auparavant, je tiens à préciser que lorsque nous, à la Banque, qualifions les conditions monétaires récentes d'expansionnistes, nous ne faisons pas uniquement référence aux taux d'intérêt à court terme (qui se situent toujours près des niveaux les plus bas que l'on ait atteints depuis des décennies et qui sont bien inférieurs à leurs pendants américains). Les conditions monétaires reflètent également l'effet que les changements du cours de la monnaie ont sur l'économie. Par exemple, le niveau relativement bas du dollar canadien a fortement stimulé nos exportations. Par conséquent, pour évaluer adéquatement le degré de détente des conditions monétaires, il faut tenir compte à la fois du bas niveau de nos taux d'intérêt et de celui du dollar canadien.

Que répondre donc à ceux qui pensent que toute mesure prise par la Banque du Canada de nature à favoriser des conditions monétaires moins expansionnistes revient à donner un grand coup de frein? Si vous me permettez une analogie avec la conduite automobile, je dirais que la Banque appuie fortement sur l'« accélérateur monétaire » depuis un certain temps déjà pour permettre à l'activité économique de continuer à rouler. Mais une fois que celle-ci est sur sa lancée, il faut, comme lorsqu'on conduit une voiture, relâcher graduellement la pression sur l'accélérateur et maintenir une vitesse de croisière qui ne présente pas de danger. Si on reste trop longtemps pied au plancher, on atteint des vitesses trop élevées et on risque de perdre le contrôle et de s'attirer de sérieux ennuis. Il en va de même de l'économie. Un assouplissement monétaire excessif peut donner lieu à une forte poussée temporaire de l'activité, mais il provoquera presque à coup sûr des distorsions liées à l'inflation qui compromettront à la fois l'expansion et l'efficience de l'économie à long terme. Le résultat, nous ne le savons que trop pour en avoir fait l'expérience, ce sont des taux d'intérêt élevés, un endettement éprouvant, la récession et un taux de chômage élevé.

Les choses se compliquent davantage parce que les variations du degré d'assouplissement des conditions monétaires ne font sentir pleinement leur effet sur l'économie qu'après 12 à 18 mois. L'économie s'apparenterait donc à une voiture qui ne réagirait pas immédiatement à la baisse de la pression sur l'accélérateur et qui ne reviendrait à une vitesse de croisière qu'un kilomètre ou deux après qu'on a lâché l'accélérateur. Au volant d'une telle voiture, il faut pouvoir voir loin devant, et agir tôt pour trouver la vitesse appropriée. C'est pour cette raison que la politique monétaire doit être tournée vers l'avenir et non axée sur le présent et que la Banque doit adopter une approche prospective et préventive.

En d'autres termes, si nous voulons que l'appareil de production atteigne sa pleine capacité en douceur, c'est-à-dire sans répétition des cycles de surchauffe et de récession liés à l'inflation dont le Canada a souffert par le passé, nous devons être prêts à agir en temps opportun. Si nous attendons pour agir que l'activité exerce des pressions excessives sur l'appareil de production, il sera trop tard.

C'est pourquoi un nouveau relèvement des taux d'intérêt à court terme et une nouvelle appréciation du dollar canadien seront probablement nécessaires au cours des mois à venir. Je m'empresse d'ajouter qu'une telle majoration des taux à court terme constitue le meilleur moyen de maintenir les taux à moyen et à long terme à de bas niveaux. Et ce sont ces taux à plus long terme qui importent pour l'investissement dans les technologies nouvelles et les autres projets visant à assurer la compétitivité des entreprises canadiennes. En ce qui concerne les taux d'intérêt à court terme, je tiens à vous assurer qu'il n'est pas question de hausses comparables à celles qui ont été observées durant les années 70 et 80, voire en 1995. L'inflation étant faible et les finances publiques étant en meilleur état, les taux d'intérêt ne devraient pas avoir à atteindre des niveaux aussi élevés.

Il m'est impossible, et cela ne vous surprendra sans doute pas, de vous préciser dès maintenant les mesures additionnelles que la Banque pourrait prendre afin de resserrer les conditions monétaires au sein de l'économie. Ce que je peux vous dire, c'est que c'est la vigueur du rythme d'augmentation de la demande, et par conséquent la vitesse à laquelle l'économie se rapprochera de ses limites de capacité, qui déterminera à la fois le moment auquel nous interviendrons et l'ampleur de notre intervention. En surveillant de près la vigueur de la demande et en agissant en conséquence de façon mesurée et en temps opportun, nous n'aurons pas à procéder au resserrement plus dur et peut-être plus perturbateur qui s'imposerait plus tard si les mesures de politique monétaire étaient retardées indûment. Par ailleurs, le degré de relèvement des taux d'intérêt à court terme sera fonction de la réaction du taux de change.

J'espère avoir exposé clairement que ce que la Banque du Canada entend faire, c'est lâcher graduellement l'accélérateur au cours des mois à venir de façon à ne pas avoir à donner un grand coup de frein plus tard.

Tirer le meilleur parti du potentiel de production de l'économie

Je voudrais maintenant aborder brièvement les défis qui nous attendent à plus long terme.

La tenue de l'économie américaine ces dernières années a été l'un des éléments les plus remarquables de la conjoncture internationale. Depuis six ans, cette économie connaît en effet une expansion vigoureuse, conjuguée à une forte création d'emplois et à une inflation faible.

À la fin des années 80, lorsque le taux de chômage était tombé sous les 6 %, les pressions inflationnistes étaient fortes. Qu'en est-il aujourd'hui? L'économie américaine connaît depuis huit trimestres une croissance moyenne de 3 1/2 % environ, la demande se situe au-dessus de la plupart des estimations de la capacité de production et le taux de chômage oscille autour de 5 % depuis plusieurs mois. Pourtant, l'inflation se comporte bien. Comment cela s'explique-t-il? Le contexte dans lequel les économies évoluent a-t-il changé?

Il existe évidemment certains facteurs de nature temporaire, notamment l'appréciation du dollar américain, la baisse des prix de l'énergie et les capacités inutilisées dans les pays d'outre-mer, qui contribuent actuellement à supprimer les pressions inflationnistes aux États-Unis. Toutefois, à en croire certains observateurs, d'autres facteurs plus permanents sont à l'oeuvre. Un élément d'explication, qui a été discuté largement ces derniers temps, est que les changements structurels survenus aux États-Unis ont eu pour effet d'augmenter la capacité de production de l'économie et de réduire le risque d'inflation. Je crois que la forte crédibilité dont jouit la politique monétaire dans ce pays constitue un autre facteur important. En persuadant les Américains qu'elle est déterminée à maintenir l'inflation à un bas niveau, la Réserve fédérale s'est donnée du champ pour tester les limites de l'économie sans que les entreprises et les travailleurs inquiets ne réagissent sur-le-champ en haussant les prix et en réclamant des augmentations salariales, comme cela s'est produit au cours des années de forte inflation.

Comment la situation des États-Unis se compare-t-elle à celle du Canada? Peut-on s'attendre à une amélioration de la tenue économique du Canada à plus long terme? Malheureusement, il n'est pas possible de répondre dès maintenant à ces questions, compte tenu de la complexité des facteurs qui influencent le comportement de l'économie. Ce sont en fin de compte la souplesse, l'efficience et la productivité des entreprises canadiennes qui détermineront le taux de croissance qui peut être soutenu et la mesure dans laquelle le taux de chômage peut baisser. J'entends par là l'utilisation efficace de techniques nouvelles; les compétences, la formation et la faculté d'adaptation de la main-d'oeuvre; la capacité de maîtriser les coûts; et l'esprit d'initiative et l'aptitude avec lesquelles les entreprises canadiennes pénètrent et développent de nouveaux marchés à l'étranger.

La contribution que la politique monétaire peut faire à cet égard est de veiller à ce que le rythme d'expansion demeure soutenable. Essentiellement, cela signifie que la politique monétaire doit encourager l'émergence de conditions monétaires qui permettront à l'économie de tester les limites de sa capacité de croissance, sans toutefois provoquer la réapparition de l'inflation et des périodes de surchauffe et de récession que nous avons vécues au cours des deux dernières décennies.

Le problème est qu'il existe au Canada, comme aux États-Unis, une grande incertitude quant au niveau d'activité économique qui convient à notre capacité de production et quant à la vitesse à laquelle cette capacité s'accroîtra au fil du temps. C'est là que les cibles de maîtrise de l'inflation de la Banque du Canada devraient nous être utiles, à mesure que nous orientons l'économie sur la trajectoire d'une croissance soutenable. La Banque du Canada vise actuellement à maintenir l'inflation à l'intérieur d'une fourchette de 1 à 3 %.

L'existence d'une telle cible explicite permet, entre autres avantages, d'avoir une idée immédiate de l'état de l'économie, en comparant la tendance effective de l'inflation à la fourchette cible. Si la tendance de l'inflation semble vouloir dépasser la limite supérieure de la fourchette, cela signifie que la demande croît à un rythme insoutenable et que les conditions monétaires doivent être resserrées. En revanche, si l'inflation est constamment inférieure aux niveaux historiques et aux niveaux auxquels elle devrait se situer compte tenu de la demande du moment, et si elle tend à crever le plancher de la fourchette, il est probable que l'économie dispose de plus de latitude pour croître que prévu et que les conditions monétaires puissent être assouplies.

Pour pouvoir réagir à de tels signaux, la Banque du Canada doit veiller à ce que sa stratégie de maîtrise de l'inflation soit crédible. C'est en menant une politique monétaire prudente lorsque l'économie est dans la phase ascendante du cycle que la Banque peut convaincre les Canadiens que l'inflation restera maîtrisée lorsque l'économie commencera à tourner à des niveaux proches des limites de sa capacité. Si les entreprises, les particuliers et les investisseurs en sont convaincus, ils ne réagiront pas immédiatement aux signes de fortes pressions de la demande en exigeant des hausses des prix, des salaires et des taux d'intérêt. Un tel contexte permet à l'économie de tester les limites de la croissance et de l'emploi sans compromettre immédiatement l'expansion.

Conclusion

En guise de conclusion, je voudrais vous dire simplement que la période à venir sera intéressante. C'est la première fois depuis les années 60 que toutes les conditions qui permettraient à l'économie canadienne d'atteindre pleinement son potentiel sont réunies. L'inflation étant maîtrisée et les finances publiques allant s'améliorant, nous avons maintenant l'occasion de voir ce que notre économie est en mesure d'engendrer, à la fois au chapitre de la croissance durable de la production et de l'emploi et de l'amélioration des niveaux de vie. Le rôle de la Banque du Canada est de veiller à ce que la politique monétaire fournisse à l'économie l'appui approprié, c'est-à-dire un climat de stabilité s'accompagnant d'un bas taux d'inflation.