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Déclaration préliminaire devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes

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Permettez-moi tout d'abord de dire combien j'apprécie la possibilité qui m'est donnée de rencontrer ce comité et de m'exprimer sur les enjeux stratégiques auxquels la Banque du Canada sera confrontée à moyen terme. Je me réjouis à la perspective des nombreux témoignages que j'aurai l'occasion de faire devant ce comité et le Comité sénatorial des banques et du commerce, puisque le gouverneur est appelé à se présenter périodiquement devant des parlementaires afin d'expliquer le point de vue de la Banque sur l'économie, la politique monétaire et le système financier. Il s'agit là d'un élément crucial de l'obligation qu'elle a de rendre compte de ses actes aux Canadiens et aux Canadiennes.

Je tiens toutefois à préciser d'entrée de jeu que je ne suis pas encore le gouverneur de la Banque du Canada. En vertu de la Loi sur la Banque du Canada, le gouverneur actuel, David Dodge, demeure responsable de la politique monétaire mise en oeuvre au pays jusqu'à la fin de janvier. Depuis quelques années, les décisions de politique monétaire de la Banque sont prises par consensus par le Conseil de direction de l'institution. Je ne fais pas encore partie du Conseil. C'est pourquoi, en répondant à vos questions aujourd'hui, je m'appliquerai à ne commenter ni la politique monétaire actuelle ni les perspectives économiques, de façon à éviter de porter préjudice aux décisions à venir du Conseil de direction. J'espère que l'ensemble de l'auditoire comprendra cette importante réserve.

En tenant compte du poste que j'occupe actuellement, j'aimerais axer mes propos sur les principaux défis stratégiques auxquels la Banque devra faire face à moyen terme. Comme il est énoncé dans le préambule de la Loi sur la Banque du Canada, l'objectif de l'institution consiste « de façon générale [à] favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Pour atteindre cet objectif, la Banque :

  • mène la politique monétaire de façon à maintenir l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible;
  • veille à la fiabilité et à la solidité du système financier canadien;
  • fait office d'agent financier du gouvernement du Canada afin de fournir des services de gestion financière efficients et efficaces;
  • émet des billets de banque de qualité aisément acceptés et dotés de caractéristiques anticontrefaçon. La Banque accorde une très grande importance à cette activité et elle collabore étroitement avec les procureurs de la Couronne et ses partenaires des organismes d'application de la loi – en particulier la GRC – et du secteur de la vente au détail pour faire échec au faux-monnayage, grâce à une stratégie d'information et de communication sur les billets et d'observation de la loi. Ces efforts ont donné, et continueront de donner, de très bons résultats.

Cela étant dit, je concentrerai le reste de mon allocution sur le travail que fait la Banque dans les domaines de la politique monétaire et du système financier.

Politique monétaire

En ce qui a trait à la politique monétaire, j'ai la chance d'hériter d'un cadre de conduite de la politique exceptionnellement fiable et solide. Au fil des ans, il est devenu évident que la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter au bien-être économique et financier du pays consiste à garder l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Autrement dit, la maîtrise de l'inflation n'est pas une fin en soi; c'est plutôt le moyen par lequel la politique monétaire peut le mieux contribuer au dynamisme de l'économie. Plus précisément, la Banque vise le maintien du taux d'accroissement annuel des prix à la consommation à 2 %, soit le point médian d'une fourchette de maîtrise de l'inflation qui va de 1 à 3 %. Ce faisant, la politique monétaire aide à faire en sorte que l'économie tourne à son plein potentiel et favorise une croissance économique soutenue.

Le Canada a été extrêmement bien servi par son régime de cibles d'inflation, qui a été imité par de nombreux pays. Les résultats exemplaires obtenus par la Banque au chapitre de la maîtrise de l'inflation nous ont évité les effets destructeurs d'une inflation élevée observés dans les décennies antérieures. Ces effets ont touché particulièrement les Canadiens les plus pauvres et ont fait baisser notre production et augmenter notre chômage. Depuis l'adoption des cibles d'inflation, malgré tous les chocs que le Canada a subis, la production réelle au pays a crû à un taux moyen de 3 % par année, et le taux de chômage est tombé à des niveaux qu'on n'avait pas vus depuis plus de trois décennies. Comme cela a été le cas dans les pays qui se sont dotés d'un régime de cibles d'inflation, le taux d'inflation et les taux d'intérêt ont généralement été plus bas et moins volatils.

L'adoption d'une cible explicite en matière d'inflation a été officialisée pour la première fois dans une entente conjointe conclue entre la Banque et le gouvernement du Canada en 1991. Étant donné le succès qu'elle a remporté au départ, l'entente a été reconduite à quatre reprises, moyennant de légères modifications, plus récemment jusqu'à la fin de 2011. Cette entente établit un objectif clair – la cible d'inflation – et fournit un cadre de responsabilité transparent pour la Banque du Canada. Cette dernière appuie ce cadre en communiquant de façon ouverte et fréquente avec les Canadiens et les Canadiennes. Si le taux d'inflation s'écarte de la cible, la Banque en expliquera les raisons et les mesures qu'elle prendra pour le ramener à la cible et précisera la durée prévue du processus. Il importe de souligner que la Banque suit une approche symétrique pour ce qui est de la maîtrise de l'inflation.

L'un des éléments clés de notre cadre de mise en oeuvre de la politique monétaire est le taux de change flottant. Grâce à lui, le Canada peut mener une politique monétaire indépendante, adaptée à sa conjoncture propre. Bien qu'il n'existe pas de cible en ce qui concerne le taux de change du dollar canadien, la Banque se préoccupe tout de même des facteurs à l'origine des variations de ce dernier et des effets qu'elles risquent d'avoir sur la production et l'inflation. Le taux de change est un prix relatif important au sein de notre économie. Ses mouvements influent sur le niveau des importations et des exportations, ce qui aide à équilibrer l'offre et la demande globales. Qui plus est, ces variations du taux de change sont un signal qu'il convient de déplacer des ressources vers des secteurs où la demande est la plus élevée. Un taux de change flottant facilite ce processus et contribue à réduire au minimum les ajustements dans d'autres secteurs de l'économie.

Le défi qui se pose pour la Banque est de comprendre les facteurs qui expliquent les variations de la monnaie, d'en tenir compte dans les évaluations qu'elle fait d'autres données, et d'orienter la politique monétaire de telle sorte qu'elle aide à maintenir la demande et l'offre globales en équilibre, et l'inflation au taux cible. Cela signifie qu'elle doit porter un jugement sur les causes et la persistance probable des mouvements du taux de change, la vitesse et le degré de transmission de ces mouvements aux prix intérieurs et leur incidence possible sur la confiance et, sous l'influence de celle-ci, sur la consommation et l'investissement.

Il est vrai que les mouvements du taux de change peuvent être, et ont été, passablement volatils. Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant que certaines personnes demandent au Canada d'arrimer sa monnaie au dollar américain. À mon avis, ce serait une erreur. Cela supposerait que le Canada adopterait de fait la politique monétaire américaine, même si les structures de nos économies sont très différentes et que, par conséquent, elles nécessitent souvent différents types d'ajustements en réponse à des changements sur la scène internationale. Les ajustements étant inévitables, la question est simplement de savoir comment s'adapter aux forces économiques mondiales. Avec un taux de change fixe, les ajustements devraient être opérés par des variations de la production globale et de l'ensemble des salaires et des prix. L'expérience passée montre que ces ajustements sont plus longs et plus difficiles que les ajustements de taux de change. Mais, là encore, je tiens à souligner que ce point de vue ne signifie pas que la Banque ne se soucie pas des mouvements du taux de change.

Un autre aspect important de notre cadre de conduite de la politique monétaire est la nécessité d'avoir une vision prospective, en raison des décalages entre les mesures prises et leurs effets sur l'économie. Une telle perspective est en effet essentielle au succès du régime de cibles d'inflation. L'entente conjointe entre le gouvernement du Canada et la Banque à l'égard de la cible d'inflation a aidé à arrimer les attentes d'inflation près de 2 %. Plus fondamentalement, la gestion efficace de la politique monétaire par mes prédécesseurs a mené à un processus qui a la capacité de se renforcer lui-même : une crédibilité accrue en matière de politique ancre davantage les attentes d'inflation, ce qui contribue à une plus grande stabilité de l'environnement macroéconomique, laquelle améliore à son tour la crédibilité de la politique. Nous ne devrions pas sous-estimer la valeur de ces gains durement acquis, et je n'ai aucunement l'intention d'y renoncer. Des attentes d'inflation bien arrimées aident à atténuer les variations des taux d'intérêt, à abaisser le coût des emprunts pour les Canadiens et les Canadiennes, à rendre le coût du capital plus stable et plus concurrentiel pour nos entreprises et, au bout du compte, à favoriser une croissance plus durable de la production et de l'emploi.

Malgré les succès qu'elle a obtenus, la Banque a l'obligation envers les Canadiens d'évaluer continuellement les possibilités d'amélioration du cadre de conduite de la politique. Elle a donc lancé un programme de recherche concerté ayant pour but de déterminer si ce cadre pouvait être amélioré et de quelle façon. Le programme porte essentiellement sur les avantages et les inconvénients que pourraient présenter l'adoption d'une cible d'inflation inférieure, la poursuite d'une cible basée sur le niveau des prix plutôt que sur l'inflation et les défis posés par la communication de ces changements éventuels à la population. La Banque mènera cette recherche et en publiera les résultats de manière transparente afin d'encourager le débat et la formulation de suggestions. Il faudrait que des résultats favorables à un changement soient très convaincants pour que nous voulions modifier un régime qui connaît manifestement beaucoup de succès depuis quinze ans.

Les défis à moyen terme pour la politique monétaire

Quatre tendances fondamentales mettront à l'épreuve la conduite de la politique monétaire au cours des prochaines années. Il est difficile de prévoir avec précision la rapidité de leur évolution, mais il est impossible de ne pas tenir compte de leur influence.

Ces tendances sont :

  • premièrement, la mondialisation des marchés des biens et des capitaux et, de plus en plus, – du fait de l'impartition et des technologies – de ceux du travail;
  • deuxièmement, la correction des déséquilibres mondiaux, qui nécessite un raffermissement de la demande intérieure dans les pays qui ont de gros excédents courants et le passage à un régime de changes flottants dans les pays ayant une importance systémique qui gèrent activement leur taux de change en ce moment. Comme la Banque l'a dit à maintes reprises, ce processus risque de se dérouler de manière désordonnée;
  • troisièmement, le rythme et l'orientation de l'innovation et de l'intégration financières, qui ont d'importantes implications pour le degré d'intermédiation financière, les niveaux des taux d'intérêt nominaux et réels ainsi que les mécanismes de transmission de la politique monétaire;
  • et quatrièmement, la trajectoire de la croissance de la production potentielle au Canada, qui reflète l'équilibre entre de profonds changements démographiques et l'évolution de la productivité au pays.

Ces tendances économiques et financières sous-jacentes rendent la poursuite de notre cible d'inflation plus ardue, non seulement parce qu'il est probable qu'aucune ne progressera à un rythme constant et prévisible, mais aussi parce qu'elles sont toutes liées les unes aux autres. Par exemple, les déséquilibres mondiaux, l'intégration financière et des taux d'intérêt nominaux historiquement bas peuvent tous s'expliquer en partie par le phénomène bien connu de l'intégration mondiale qui se produit actuellement à une échelle sans précédent. La Banque doit mieux comprendre ces forces afin de s'acquitter efficacement de ses responsabilités. Elle doit aussi continuer de communiquer son point de vue sur ces grandes tendances pour que les particuliers, les entreprises et les administrations publiques du Canada disposent de toute l'information qu'il leur faut quand vient le temps de prendre des décisions en matière d'épargne et d'investissement.

La vigueur de notre système financier aidera à déterminer l'incidence finale de ces tendances, puisque chacune peut en soi influer sur la volatilité des prix des actifs et la stabilité de la croissance et de l'emploi. Les systèmes financiers robustes et résilients absorbent les chocs, permettent d'affecter les ressources avec efficience et contribuent à améliorer l'efficacité de la politique monétaire. Ceux qui sont faibles, par contre, risquent d'amplifier les répercussions des chocs sur l'activité macroéconomique et de diminuer l'efficacité de la politique monétaire. Par conséquent, la Banque doit jouer un rôle fondamental de promotion de la fiabilité et de la stabilité du système financier canadien.

Le rôle de la Banque en matière de stabilité financière

Le rôle joué par la Banque à l'égard de la stabilité financière est au cœur du mandat qui lui est conféré par la loi, à savoir favoriser la prospérité économique et financière du Canada. Avant de terminer, j'aimerais vous faire part de cinq brèves observations à ce sujet.

Premièrement, en tant que banque centrale du pays, nous sommes chargés, par la loi, de la surveillance générale des systèmes de compensation et de règlement d'importance systémique en vue d'en assurer la fiabilité et la solidité.

Deuxièmement, nous remplissons un rôle de premier plan dans la fourniture de liquidités pour faciliter le règlement des transactions financières. Traditionnellement, la Banque procédait à des opérations de prise en pension sur le marché pour les titres de dette du gouvernement canadien seulement, et accordait des liquidités en vertu de son mécanisme permanent d'octroi de liquidités en contrepartie de garanties de grande qualité, afin de maintenir le taux du financement à un jour près de la cible visée. Toutefois, compte tenu des événements récents, il y a lieu de se questionner sur le rôle approprié des banques centrales dans l'injection de liquidités sur les marchés monétaires. Comme l'a fait remarquer mon collègue Pierre Duguay le mois passé, la Banque se demande en ce moment s'il ne conviendrait pas mieux, pour réagir à certaines défaillances du marché, que la banque centrale instaure un mécanisme d'octroi de liquidités à une échéance de plus d'un jour, contre des garanties pouvant appartenir à une gamme élargie de titres.

Troisièmement, la réaction à la turbulence récente sur les marchés financiers devrait confirmer que les acteurs du marché sont foncièrement responsables de leurs actes. Par exemple, il faut que les investisseurs comprennent la dynamique des prix et les risques de liquidité liés aux produits qu'ils achètent plutôt que de se fier uniquement aux agences de notation. Le marché entreprend de mettre en oeuvre bon nombre des changements requis : les institutions améliorent leur gestion de la liquidité et pratiquent une meilleure discipline en matière de crédit; et les initiateurs de prêts ainsi que les distributeurs de créances commencent à modifier leurs produits afin d'en uniformiser les modalités et d'harmoniser les incitations. Parallèlement, le marché doit absolument disposer d'informations exactes en temps opportun sur les risques sous-jacents pour pouvoir différencier les risques et les évaluer correctement. C'est pourquoi, comme le soulignait le gouverneur Dodge en septembre, il est crucial d'accroître la divulgation et la transparence.

Quatrièmement, l'évolution mondiale récente a fait ressortir l'importance pour les autorités canadiennes de maintenir une étroite collaboration. La Banque travaillera encore de concert avec ses partenaires, dont le ministère des Finances, le Bureau du surintendant des institutions financières, la Société d'assurance-dépôts du Canada et les commissions provinciales des valeurs mobilières à promouvoir le fonctionnement sûr et efficient des composantes clés de notre système financier.

Enfin, la Banque continuera de tirer parti de son appartenance à des organismes internationaux ainsi que de ses importantes capacités de recherche pour concourir à la sûreté, à la fiabilité et à l'efficience du système financier à l'échelle du globe. Par exemple, la Banque et le gouvernement du Canada se sont employés activement à promouvoir la réforme du Fonds monétaire international (FMI), notamment le renforcement de sa fonction de surveillance, ce qui peut contribuer de façon importante à la résolution des déséquilibres mondiaux et au développement d'un système financier international plus robuste. Dans le cadre des mesures prises à l'échelle internationale en réaction à la turbulence récente sur les marchés, la Banque participe aussi aux travaux du Forum sur la stabilité financière qui visent à examiner les propositions de modification des normes comptables et des dispositions réglementaires et à déterminer dans quelle mesure une surveillance accrue pourrait améliorer la gestion des risques de crédit et de liquidité dans les institutions financières mondiales.

Conclusion

Pour conclure, je tiens à vous dire que c'est un honneur et un privilège d'avoir été choisi pour servir les Canadiens et les Canadiennes en tant que huitième gouverneur de la Banque du Canada. Je me réjouis tout particulièrement à la perspective de diriger les employés talentueux et dévoués qui travaillent à la Banque pour relever les défis des années à venir. Je ferai de mon mieux pour être à la hauteur des normes très élevées établies par mes prédécesseurs. Je suis en outre persuadé que, grâce à mon expérience au sein des secteurs public et privé, je pourrai apporter une contribution utile au travail important qu'accomplit la Banque au nom de tous les Canadiens.