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La nécessité de principes en périodes intéressantes

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J'aimerais remercier les étudiants des universités d'un océan à l'autre qui se sont joints à moi en ce jour spécial, qui marque le 75e anniversaire de la Banque du Canada. Cet après-midi, je parlerai du passé et du présent de l'institution, dans l'espoir d'inciter quelques-uns d'entre vous à prendre part au futur de la Banque.

Je tiens à prévenir les participants aux marchés que rien de ce que je vais dire n'a trait au « futur proche », c'est-à-dire à l'horizon approprié à la prise de décisions en matière de politique monétaire. Donc, si vous n'êtes pas intéressés par l'histoire de la Banque, le cadeau que celle-ci vous offre en ce jour d'anniversaire est une heure de temps libre.

Introduction

Le mandat de la Banque du Canada consiste à préserver la valeur de la monnaie nationale et à favoriser la prospérité économique et financière des Canadiens. C'est pourquoi nous nous concentrons sur les grandes questions macroéconomiques de l'heure. Au cours des deux dernières années, celles-ci ont été de taille.

Avec les débats en cours, qui vont de la relation entre la stabilité des prix et la stabilité financière à l'avenir du système monétaire international, la période que nous traversons est très stimulante pour les banques centrales. Toutefois, je crois que pour des étudiants comme vous, les enjeux auxquels sont confrontées les banques centrales sont toujours captivants car ils sont au cœur même du fonctionnement des économies modernes et, de fait, du comportement humain.

La Banque, quant à elle, a besoin de vous. C'est une organisation axée sur l'apprentissage qui assume d'énormes responsabilités. Son travail s'appuie sur des recherches universitaires, il est perfectionné par l'analyse et soumis à la discipline qu'exige une focalisation incessante sur son mandat. Sa réaction à la crise économique récente a été à la hauteur des normes les plus élevées établies au cours de son histoire. Guidée par des cadres bien étayés et fondés sur des politiques, la Banque est intervenue de manière énergique. Ainsi, ces cadres, de par leur clarté et leur crédibilité, ont accru la portée des actions de la Banque. L'importance de cette combinaison a été démontrée à maintes reprises.

Les défis considérables d'ordre économique et financier que le pays doit relever aujourd'hui ne sont pas nécessairement moins difficiles à affronter que ceux du passé. Les forces économiques ne changent pas. Cependant, la vitesse et l'ampleur de l'information, des flux de capitaux et des échanges sont totalement différents. L'interdépendance fondamentale au sein de l'économie mondiale n'a jamais été aussi grande et, par conséquent, le temps de réaction des décideurs s'est raccourci de façon marquée. Dans ce contexte, la valeur des cadres de politique fondés sur des principes est inestimable.

Je me rappelle une histoire que m'a racontée Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne. Un collègue commun se trouvait dans un petit village des Highlands, en Écosse, au début de la crise. Privé de son BlackBerry et impatient de connaître les dernières nouvelles financières, il entre dans un kiosque à journaux et demande le Financial Times.

  • Le commis lui demande : « Voulez-vous le journal d'hier ou celui d'aujourd'hui? »
  • Étant donné l'ampleur des événements, il répond sans hésitation : « J'aimerais mieux celui d'aujourd'hui. »
  • Et le commis de lui répondre : « Alors revenez demain. »

De nos jours, les décideurs ne peuvent pas attendre jusqu'à demain. Ils doivent agir maintenant. Pour être efficaces, ils ont besoin de principes directeurs.

J'aimerais approfondir cette idée en passant en revue trois défis qui se sont posés au fil des ans.

La réaction des autorités monétaires à la crise économique mondiale

Premièrement, imaginons une récession grave et synchronisée à l'échelle du globe, déclenchée par une crise financière au cœur du capitalisme. Les cours des matières premières plongent et le protectionnisme est en hausse. Des banques font faillite partout dans le monde, mais pas au Canada. Néanmoins, notre pays n'est pas épargné. Le chômage monte en flèche et l'activité économique dégringole. Ça vous rappelle quelque chose?

Provoquée par le krach boursier d'octobre 1929, la Grande Dépression a eu un effet dévastateur sur l'économie mondiale et la nôtre. En 1933, les cours boursiers au Canada avaient chuté de plus de 70 % par rapport à leur sommet, et la production nationale avait reculé de 40 %, les provinces des Prairies frappées par la sécheresse étant les plus durement éprouvées. À l'échelle du pays, la déflation faisait rage, les prix à la consommation se repliant de plus de 9 % tant en 1931 qu'en 1932. Avec un taux de chômage qui atteignait pas moins de 20 % en 1933, le coût humain était colossal.

En 1933, alors que la contraction des prêts bancaires se poursuivait, la pression dont faisait l'objet le gouvernement fédéral pour lutter contre la situation était devenue intense. Étant donné le coût élevé du crédit et sa faible disponibilité, le public se montrait méfiant à l'égard des banques à charte 1. Les agriculteurs de l'Ouest, aux prises avec une réduction marquée des récoltes et des prix, critiquaient ouvertement les banques dirigées depuis l'Est du pays et appuyaient de tout cœur la création d'une banque centrale. Le gouvernement a réagi en adoptant la Loi sur la Banque du Canada, et la Banque a ouvert ses portes et émis ses premiers billets de banque il y a 75 ans jour pour jour.

Alors, qu'a fait la Banque? Au départ, pas grand-chose au chapitre de la politique monétaire. L'économie amorçait déjà une reprise, et la Banque a laissé inchangé le taux officiel d'escompte à 2 1/2 % 2. Par ailleurs, la notion selon laquelle les banques centrales avaient le pouvoir de stabiliser l'activité macroéconomique à l'intérieur de leurs frontières est relativement nouvelle 3 , 4.

Qui plus est, la Banque accordait encore beaucoup d'importance à l'or, même si le Canada avait officiellement rompu le lien formel entre le dollar canadien et l'or en 1931. Elle hésitait donc à faire quoi que ce soit qui puisse provoquer des sorties de capitaux. En outre, on s'entendait généralement pour dire que les taux américains constituaient un véritable plancher pour les taux canadiens comparables 5.

Comparons cette situation à celle que nous venons de vivre. Ce qu'il est convenu d'appeler la « Grande Récession », dont nous sortons tout juste, était bel et bien susceptible de reproduire les circonstances désastreuses des années 1930. Toutefois, même si les répercussions de l'expérience récente sont loin d'être terminées, les interventions énergiques et à point nommé des banques centrales de par le monde, dont la Banque du Canada, nous ont non seulement permis d'éviter le pire, mais ont aussi préparé le terrain pour une reprise durable.

Reconnaissant les importantes difficultés provoquées par la paralysie des marchés financiers, la Banque a fortement assoupli les conditions monétaires et injecté des liquidités considérables dans le système financier. Ses actions étaient régies par son cadre prospectif axé sur la poursuite d'une cible d'inflation, qui a dicté l'assouplissement avant le début de la récession et l'accélération de l'adoption de mesures de relance lorsque la crise s'est intensifiée.

Entre décembre 2007 et avril 2009, la Banque a abaissé le taux cible du financement à un jour de 425 points de base au total, pour l'établir à un creux historique de 1/4 %, son niveau le plus bas possible. Une fois le taux fixé à sa valeur plancher, nous avons élaboré et publié un cadre de conduite de la politique monétaire reposant sur des mesures non traditionnelles. Notre engagement conditionnel est le seul élément de ce cadre que nous ayons utilisé. Si ce cadre a montré aux Canadiens que nous n'étions pas à court de munitions, l'utilisation de l'engagement conditionnel les a convaincus que nous n'étions prêts à nous en servir que si la situation l'exigeait, nos actions étant plutôt dictées par la poursuite de notre cible d'inflation.

Il ne suffit pas de prendre des mesures. Celles-ci doivent être mises en œuvre dans le contexte adéquat. Je le répète : la Banque accorde une très grande importance aux mesures de politique qui s'inscrivent dans un cadre bien développé.

Les mesures de politique monétaire prises par la Banque en réaction à la crise récente ont été conformes au mea-culpa que Ben Bernanke a adressé à Milton Friedman et Anna Schwartz au sujet de l'absence de réaction de la Réserve fédérale pendant la Dépression : « Vous avez raison, nous l'avons fait. Nous sommes vraiment désolés mais, grâce à vous, nous ne recommencerons pas. »

Cet aveu de Bernanke souligne l'importance de la recherche et de l'apprentissage, concepts que la Banque a saisis depuis longtemps. Des recherches approfondies, exhaustives et impartiales ont toujours été essentielles au succès de l'institution. L'une des premières tâches accomplies par Graham Towers, le premier gouverneur de la Banque, a été de créer un département des recherches et des statistiques 6. D'intenses efforts de recrutement visant des jeunes universitaires prometteurs et la collaboration de chercheurs universitaires et de collègues de partout dans le monde ont permis à la Banque de faire des innovations, dont des modèles macroéconomiques de pointe (comme RDX et TOTEM), les travaux sur la poursuite de cibles de niveau des prix et la recherche très avancée sur les systèmes de paiement 7.

La Banque a aussi tiré des leçons de la conduite de la politique monétaire, notamment des erreurs qu'elle a commises. On s'en souviendra, Gerald Bouey a admis que « nous n'avions pas abandonné M1, c'est M1 qui nous avait abandonnés », avant de se mettre à la recherche d'un nouveau point d'ancrage monétaire. Plus récemment, la Banque s'est montrée déterminée à ne pas répéter les erreurs des années 1970, alors qu'elle avait surestimé le taux de croissance de la production potentielle au lendemain d'un choc mondial majeur 8.

Mais surtout, la Banque est maintenant guidée par la discipline d'une cible d'inflation. Le Canada a été parmi les premiers pays à adopter des cibles d'inflation en 1991 pendant le mandat du gouverneur John Crow 9. Au cours de la Grande Récession, la valeur d'une telle cible était manifeste. En servant de cadre à nos objectifs et en favorisant la transparence et la reddition de comptes, la cible a permis d'arrimer les attentes d'inflation, assurant ainsi que les baisses de notre taux cible du financement à un jour entraîneraient un recul des taux d'intérêt réels et stimuleraient l'économie.

La stabilité du système financier et l'octroi de liquidités

Abordons maintenant un deuxième défi qui s'est présenté au fil des décennies. En pleine crise économique, une institution financière de taille moyenne fait faillite, risquant ainsi d'entraîner toute une série de défaillances de contreparties au sein des systèmes financiers. Le choc se propage aux quatre coins du monde et menace le fonctionnement des marchés et la stabilité financière.

C'est là l'histoire de la Bankhaus Herstatt, une banque allemande de taille moyenne, active sur les marchés des changes, qui a fait faillite en 1974 lors du premier choc pétrolier. Elle a fermé ses portes à la fin de la journée ouvrable, alors que de nombreuses banques avaient encore des contrats de change à régler. Cette défaillance a eu des répercussions internationales considérables, même dans le monde « moins interdépendant » des années 1970. Les conséquences des transactions non dénouées s'accumulant, les fonds bruts transférés à New York ont chuté de 60 % dans les jours qui ont suivi.

La faillite de la Herstatt a fait ressortir comment une infrastructure de marché inadéquate et des comptes de capital plus ouverts transmettent les chocs financiers partout dans le monde. Elle a mené, à l'échelle internationale, à un processus mûrement réfléchi visant à remédier à ces lacunes.

La même année, les gouverneurs des banques centrales des pays du G10 – dont M. Bouey – ont mis sur pied le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, qui, encore aujourd'hui, sert de tribune importante pour la coopération en matière de surveillance bancaire. En 1980, un deuxième groupe sur les systèmes de paiement voyait le jour; il deviendra plus tard le Comité sur les systèmes de paiement et de règlement (CSPR).

Après des épisodes moins retentissants de défaut de règlement et de défaillance financière 10, les travaux de ces comités ont conduit à la création de la CLS Bank. Cette institution lie plusieurs systèmes de paiement nationaux et règle simultanément dans ses livres les opérations de change que lui soumettent les banques membres.

En dépit de la lenteur avec laquelle elles ont été adoptées, les mesures prises à la suite de la faillite de la Herstatt ont finalement permis d'instaurer l'infrastructure de marché nécessaire pour éliminer le risque lié au paiement intrajournalier. Elles ont aussi favorisé l'approfondissement de structures institutionnelles comme le G10. Mais surtout, ces actions ont porté leurs fruits durant la récente crise. Le G10 a coordonné certaines des initiatives les plus importantes des banques centrales. Le système de règlement des opérations de change lui-même s'est révélé d'une solidité à toute épreuve, malgré l'énorme tourmente financière. Cependant, d'autres voies de contagion sont apparues dans les nouveaux marchés.

Au lendemain de l'effondrement, en septembre 2008, de Lehman Brothers, une banque d'investissement américaine de taille moyenne, le coût des emprunts interbancaires a bondi pour atteindre des niveaux inégalés. Les marchés des pensions, des actions, des prêts et des produits dérivés ont cessé de fonctionner, la valeur des actifs remis en garantie a dégringolé et un vent de panique au sujet du risque de contrepartie a balayé le système financier. En l'espace de quelques jours, d'autres grands noms de la finance se sont écroulés ou ont été poussés au bord du gouffre. La possibilité d'une paralysie du système financier mondial tout entier était bien réelle.

Devant la virulence des flux internationaux de capitaux, on disposait cette fois non pas de dizaines d'années, mais de jours pour réagir.

Les banques centrales des pays du G10, dont la Banque du Canada, sont rapidement passées à l'action en procédant à une réduction concertée des taux d'intérêt de 50 points de base. Puis, lors d'une réunion historique, les pays du G7, y compris le Canada, ont pris les engagements suivants :

  • recourir à tous les moyens à leur disposition pour soutenir les institutions financières d'importance systémique et prévenir leur défaillance;
  • prendre toutes les mesures nécessaires afin que les banques et les autres institutions financières aient un large accès aux liquidités et au financement.

Les actions menées par le G7 – bien qu'absolument nécessaires – ont plongé le système financier en plein aléa moral. Ici encore, la nécessité de cadres de politique reposant sur des principes s'est imposée clairement.

Les opérations d'injection de liquidités exceptionnelles de la Banque répondaient à ce critère. À mesure que la crise s'intensifiait, nous avons mis en place des facilités ancrées dans un cadre fondé sur des principes que nous avions élaboré au printemps précédant la faillite de Lehman Brothers. L'encours total a atteint jusqu'à 41 milliards de dollars. On s'emploie actuellement à dénouer ces positions en fonction des conditions du marché et conformément à nos principes 11.

La crise a aussi révélé de graves lacunes dans la structure et la réglementation des marchés. En ce qui concerne la structure, la Banque, au lieu d'attendre 30 ans, a déjà apporté son soutien à une initiative prise par l'industrie visant à établir un système de contreparties centrales pour les marchés canadiens des pensions. Ce système, qui sera mis en fonction plus tard cette année, contribuera à assurer le fonctionnement continu des marchés de financement essentiels, y compris en période de tensions. De plus, la Banque joue un rôle très actif par l'entremise de la BRI pour faire progresser la réforme des dispositifs de marge à l'échelle mondiale afin d'atténuer les spirales de liquidité, en conformité avec les conclusions tirées des études universitaires et de l'expérience pratique 12.

Enfin, par l'intermédiaire du G20 et du Conseil de stabilité financière, la Banque contribue à rendre le système financier mondial plus résilient. À cet égard, les éléments suivants s'avèrent indispensables : un nouveau régime de fonds propres pour les banques, la mise au point d'une approche plus systémique en matière de réglementation et une série d'initiatives ayant pour but de créer un système apte à résister aux défaillances 13.

Dans toutes ces initiatives, la Banque s'appuie à la fois sur des recherches universitaires, des analyses réalisées à l'interne et une dose de jugement pragmatique.

Le système monétaire international

Enfin, examinons un troisième défi. Le système monétaire international fait obstacle à l'ajustement et accroît les tensions. Les pays affichant une balance courante excédentaire accumulent des réserves considérables, ce qui force les autres à adopter des mesures déflationnistes. En conséquence, la croissance économique mondiale est à la fois plus volatile et sous-optimale. Il faut une nouvelle architecture internationale, qui favorise l'ajustement opportun et symétrique.

C'est le problème épineux qui hantait l'économie mondiale dans les années 1930. Il n'a pu être résolu qu'après la Seconde Guerre mondiale, au cours de la carrière de Louis Rasminsky, notre troisième gouverneur. Permettez-moi de faire un petit rappel historique. Dans les années 1930, en raison de la fidélité des États-Unis à l'égard de l'or et de la politique monétaire restrictive de la Réserve fédérale, les pressions déflationnistes qui s'exerçaient dans ce pays se sont propagées rapidement, ce qui a affaibli davantage l'économie mondiale. Incapables de s'adapter, des pays se sont vus obligés d'abandonner l'étalon-or, auquel ils avaient adhéré depuis plus d'un siècle. Si les pays déficitaires ont subi les effets de la crise les premiers, tous ont souffert de l'effondrement ultérieur des règles du jeu.

En 1944, pour éviter de se retrouver aux prises avec les problèmes des années 1930, 730 délégués de 44 pays se sont réunis dans le village de Bretton Woods, au New Hampshire. Rasminsky a joué un rôle de premier plan dans ces efforts 14. Durant trois semaines en juillet, ses homologues et lui ont élaboré un nouvel ordre monétaire international visant à établir un système qui permettrait un ajustement symétrique des problèmes de balance des paiements ainsi qu'un régime d'échanges commerciaux libéralisés.

Le système de Bretton Woods, fondé sur des parités de change fixes mais ajustables, répondait directement à l'instabilité de l'entre-deux-guerres. Il était très différent de l'étalon-or : il était plus réglementé et les marchés y jouaient un moins grand rôle, l'ajustement était coordonné par le Fonds monétaire international, des règles remplaçaient les conventions et le contrôle des capitaux était généralisé.

Malgré ces changements institutionnels, les pays en excédent résistaient encore à l'ajustement. Préfigurant les problèmes actuels, les pays avaient tendance à stériliser les effets des surplus sur l'offre de monnaie nationale et les prix intérieurs. Tout comme aujourd'hui, on justifiait ces interventions en soutenant que les déséquilibres étaient temporaires et que, quoi qu'il en soit, les excédents étaient davantage un signe de vertu qu'un signe de déséquilibre. Par contre, l'épuisement des réserves demeurait une contrainte pour les pays en déficit, qui n'avaient pu s'ajuster à temps.

En 1950, le Canada a dû faire face à ses propres problèmes d'ajustement, et la Banque, en tant qu'institution axée sur l'apprentissage, a réagi. L'afflux de capitaux menaçait de faire grimper l'inflation au Canada dans le contexte de notre taux de change fixe de l'époque. Afin de maintenir la stabilité des prix, le pays a alors pris la décision, décriée à l'échelle internationale, de laisser flotter le dollar canadien, qui s'est apprécié comme prévu. Cette décision contrevenait certes aux règles de Bretton Woods, mais elle en respectait l'esprit, puisqu'un dollar flottant permettait de réaliser la stabilité intérieure et de laisser le marché déterminer le taux de change, au lieu que celui-ci soit établi par les autorités afin de s'assurer un avantage national. La décision du Canada d'adopter un taux de change flottant a préparé le terrain à l'effondrement du système de Bretton Woods 20 ans plus tard.

Revenons à notre époque.

L'intensité et l'ampleur de la récente crise témoignent des déséquilibres économiques sans précédent entre les économies nationales. Les déséquilibres importants et insoutenables entre les balances courantes des grandes zones économiques ont joué un rôle déterminant dans l'accentuation des vulnérabilités au sein de nombreux marchés d'actifs. Encore une fois, le système monétaire international n'a pas réussi à favoriser un ajustement ordonné en temps opportun. Certains marchés émergents sont aujourd'hui confrontés à des difficultés similaires à celles qu'éprouvait le Canada dans les années 1950.

En novembre dernier, le G20 a lancé un important processus afin de s'attaquer à ces défis. Les pays membres se sont engagés à favoriser une croissance vigoureuse, durable et équilibrée de la demande mondiale et se sont entendus sur un cadre mettant l'accent sur la responsabilité qu'ils partagent de veiller à ce que leurs politiques appuient cet engagement.

Bref, la réussite de ces discussions est essentielle pour une croissance mondiale durable à moyen terme. Le Canada, qui dispose d'un des systèmes financiers les plus solides de la planète, contribue à ces échanges en proposant une stratégie macroéconomique propre à favoriser une croissance durable et équilibrée à l'échelle du globe. Notre économie est l'une des plus ouvertes, et les actions que nous avons menées en réaction à la crise ont été parmi les plus énergiques. Nous possédons aussi une longue expérience des taux de change flottants et une compréhension approfondie de la façon dont on peut le mieux gérer les politiques intérieures dans ce contexte 15.

Conclusion

Permettez-moi de conclure. Au cours des 75 dernières années, la Banque du Canada a dû relever des défis de taille. Ces expériences l'ont conduite à innover et à devenir une institution plus efficace.

Comme la crise mondiale l'a montré, les enjeux sont élevés. Le Canada est une petite économie ouverte soumise à d'immenses forces économiques mondiales. Les chocs peuvent être grands et le délai de réaction court. D'où l'importance d'une application rigoureuse de cadres de politique fondés sur des principes. La Banque doit combiner le meilleur de la recherche universitaire, de l'analyse empirique et de l'expérience pratique pour réussir dans un tel monde.

C'est donc dire que nous allons avoir besoin de gens comme vous : pour reprendre le flambeau et contribuer avec nous à maintenir un climat dans lequel les entreprises et les ménages canadiens peuvent investir et faire des projets d'avenir en toute confiance.

Information connexe

  1. 1. Le taux généralement pratiqué sur les prêts commerciaux de premier ordre était de 6 % au début des années 1930, ce qui suppose que les taux d'intérêt réels (après inflation) s'établissaient à pas moins de 15 % ou même davantage.[]
  2. 2. De fait, la première baisse du taux officiel d'escompte ne s'est produite qu'en 1944.[]
  3. 3. D. Dodge (2005-2006), « Soixante-dix ans de banque centrale au Canada », Revue de la Banque du Canada, hiver, p. 3-6.[]
  4. 4. Selon la Banque, comme les banques à charte n'empruntaient que rarement, voire jamais, auprès de la banque centrale, le taux officiel d'escompte avait peu d'incidence sur les taux des prêts commerciaux. Apparemment, elle n'a pas envisagé la possibilité que les banques modifient leur politique si le taux officiel d'escompte était abaissé. Le taux officiel d'escompte était considéré comme un taux auquel étaient assortis les prêts de dernier ressort plutôt que comme un instrument de politique monétaire.[]
  5. 5. La Banque a joué un rôle actif à d'autres égards. En avril 1936, l'Alberta a suspendu le remboursement de ses titres provinciaux et réduit unilatéralement le taux dont étaient assorties les obligations. D'autres provinces de l'Ouest ont menacé de faire de même. Comme la politique monétaire a une envergure nationale, elle ne pouvait pas régler des problèmes régionaux de cette nature. Craignant le défaut de paiement d'une deuxième province, le gouverneur Towers a plutôt prêté la somme de 3 millions de dollars à la Saskatchewan. Il s'agissait là d'une intervention extraordinaire, qui a été unique dans l'histoire de la Banque.[]
  6. 6. Voir D. McQueen (1997), « La recherche économique à la Banque du Canada de 1935 à 1965 », paru initialement en anglais dans Canadian Business Economics, vol. 5, nos 2-3, hiver-printemps, p. 89-95. Version française accessible à l'adresse : https://www.bank-banque-canada.ca/fr/publication/mcqueen-f.html.[]
  7. 7. J. F. Helliwell (2005-2006), « De la jeunesse à la maturité intellectuelle : rétrospective de l'évolution de la recherche rue Wellington », Revue de la Banque du Canada, hiver, p. 35-45.[]
  8. 8. Voir Banque du Canada (2009), « Révisions apportées aux estimations de la production potentielle », Rapport sur la politique monétaire, avril, p. 15.[]
  9. 9. La Nouvelle-Zélande a été le premier pays à adopter une cible d'inflation en 1990. Le Canada a suivi 11 mois plus tard.[]
  10. 10. Par exemple : la banque d'affaires Drexel Burnham Lambert, la BCCI (Bank of Credit and Commerce International), la banque Barings et le fonds LTCM (Long-Term Capital Management).[]
  11. 11. Voir D. Longworth (2010), Les mécanismes d'octroi de liquidités de la Banque du Canada : le passé, le présent et l'avenir, discours prononcé devant l'Institut C. D. Howe, Toronto, 17 février. Voir également : W. Engert, J. Selody et C. Wilkins (2008), « Les interventions des banques centrales face aux perturbations des marchés financiers », Revue du système financier, Banque du Canada, juin, p. 75-82; L. Zorn, C. Wilkins et W. Engert (2009), « Mesures de soutien à la liquidité mises en œuvre par la Banque du Canada en réaction à la tourmente financière », Revue de la Banque du Canada, automne, p. 3-24; C. A. Northcott et M. Zelmer (2009), « Une analyse des normes de liquidité dans un contexte macroprudentiel », Revue du système financier, Banque du Canada, décembre, p. 41-47.[]
  12. 12. Voir The Role of Margin Requirements and Haircuts in Procyclicality, rapport destiné au Comité sur le système financier mondial de la Banque des Règlements Internationaux, à paraître en mars 2010; M. K. Brunnermeier et L. H. Pedersen (2009), « Market Liquidity and Funding Liquidity », The Review of Financial Studies, vol. 22, no 6, juin, p. 2201-2238; M. K. Brunnermeier (2009), « Deciphering the Liquidity and Credit Crunch 2007-2008 », Journal of Economic Perspectives, vol. 23, no 1, hiver, p. 77-100.[]
  13. 13. Pour une analyse plus approfondie, voir M. Carney (2009), La réforme du système financier mondial, discours prononcé au Rendez-vous avec l'Autorité des marchés financiers, Montréal, 26 octobre.[]
  14. 14. À titre de président du comité de rédaction, Rasminsky a aidé à concilier les points de vue, et servi de médiateur entre les Britanniques et les Américains. Après la formation du FMI, Rasminsky en a été nommé le premier administrateur pour le Canada, fonction qu'il occupait à temps partiel et bénévolement, tout en demeurant cadre supérieur à la Banque du Canada. J. Powell (2005), Le dollar canadien : une perspective historique, Ottawa, Banque du Canada, p. 74.[]
  15. 15. Voir, entre autres, J. Murray, S. Van Norden et R. Vigfusson (1996), Excess Volatility and Speculative Bubbles in the Canadian Dollar: Real or Imagined?, rapport technique no 76, Banque du Canada; J. Murray, L. Schembri et P. St-Amant (2003), « Revisiting the Case for a Flexible Exchange Rate in North America », North American Journal of Economics and Finance, vol. 14, no 2, p. 207-240; J. Murray (2003), « Why Canada Needs a Flexible Exchange Rate », The Dollarization Debate, sous la direction de D. Salvatore, J. Dean et T. Willett, New York, Oxford University Press; R. Issa, R. Lafrance et J. Murray (2008), « Turning Black Tide: Energy Prices and the Canadian Dollar », Revue canadienne d'économique, vol. 41, no 3, p. 737-769.[]