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L'architecture financière internationale et la résolution des crises financières

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Je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour discuter de la contribution de la Banque du Canada à la stabilité financière internationale et à la résolution des crises financières.

Comme le précise le préambule de la Loi sur la Banque du Canada, nous avons l'obligation de favoriser la prospérité économique et financière du pays. C'est dans cet esprit que nous cherchons à promouvoir la bonne tenue de l'économie par la stabilité monétaire, c'est-à-dire au moyen d'un taux d'inflation bas, stable et prévisible. Mais aucune économie de marché ne peut fonctionner correctement si elle n'est pas aussi appuyée par un système financier efficient et stable. Pour faciliter les opérations et canaliser adéquatement l'épargne vers l'investissement, il faut des institutions financières solides, une infrastructure robuste et des marchés financiers bien rodés.

Cela est vrai pour l'économie du Canada. Mais, dans le monde interdépendant d'aujourd'hui, ce l'est également pour l'économie mondiale. L'expérience des dernières années montre que des événements se produisant sur la scène internationale peuvent avoir de sérieuses retombées sur les marchés financiers nationaux, dont le nôtre, et même sur l'ensemble de notre économie. Pensons à la crise mexicaine de 1994-1995 et aux crises asiatique et russe de 1997 et 1998. Dans les deux cas, le Canada a été ébranlé. Et si les graves problèmes économiques et sociaux que l'Argentine a connus récemment n'ont pas eu de conséquences économiques notables au-delà de ses frontières, ils n'en ont pas moins touché les banques canadiennes qui détiennent des créances sur ce pays ou qui y sont actives.

L'intérêt des Canadiens pour la santé du climat financier mondial n'est donc pas une simple préoccupation passagère. Dans un monde de plus en plus intégré, il devient encore plus important d'avoir des politiques macroéconomiques saines et des systèmes financiers solides dans tous les pays.

Les périodes de stress financier que le monde a traversées au cours des dernières années ont mis en évidence certaines failles dans les fondements de l'architecture financière internationale. Ces problèmes doivent être résolus, et les fondements, consolidés, si nous voulons réduire la fréquence et l'impact des perturbations financières mondiales.

Au lendemain des crises de la fin des années 1990, la communauté internationale s'est mobilisée pour cerner les faiblesses de l'architecture financière et s'appliquer à les corriger.

Les Canadiens ont pris une part active à cet effort. Et nous aussi, à la Banque du Canada, avons joué un rôle. La Banque participe à plusieurs forums internationaux où la stabilité financière est à l'ordre du jour. Nous collaborons étroitement avec d'autres intervenants au renforcement de l'architecture financière internationale en élaborant des cadres de prévention, de gestion et de résolution des crises.

Aujourd'hui, j'aimerais faire le point sur certains des progrès qui ont été accomplis jusqu'à présent et sur ceux qu'il reste à faire. Mais auparavant, il importe de passer brièvement en revue les enseignements que nous avons tirés, ou aurions dû tirer, des perturbations financières récentes.

Prévention des crises : enseignements et progrès réalisés

Quels facteurs sont à l'origine des graves difficultés qui ont frappé le Mexique, certains pays d'Asie du Sud-Est, la Russie, le Brésil et, plus récemment, l'Argentine?

Les problèmes ont découlé d'une combinaison de facteurs, à savoir la lourdeur des déficits des balances courantes et des déficits budgétaires, la forte dépendance envers les emprunts à court terme, la faiblesse des systèmes bancaires, une mauvaise gestion des risques, la surévaluation des taux de change et le manque de transparence des politiques budgétaires, monétaires et financières. Par ailleurs, les emprunteurs et les prêteurs des pays à marché émergent se sentaient protégés, jusqu'à un certain point, par la présomption que la communauté internationale viendrait à leur rescousse en cas de besoin. Cela a faussé les signaux du marché et encouragé un recours excessif à l'emprunt et une surabondance du crédit.

Alors, comment réduire le plus possible les risques de nouvelles crises? Qu'est-ce qui a été fait en ce sens, et qu'est-ce qu'il reste à faire?

Un cadre de politique macroéconomique solide

À l'heure actuelle, on s'accorde généralement pour reconnaître que la meilleure arme contre les crises financières est l'application de politiques macroéconomiques saines et crédibles. Comme nous l'enseigne notre propre expérience ici au Canada, cela signifie une politique budgétaire axée sur le maintien des déficits et de l'endettement du secteur public à un niveau soutenable et une politique monétaire qui vise un taux d'inflation bas et stable.

Un cadre macroéconomique viable pour la croissance suppose que tant les politiques budgétaires que monétaires soient crédibles. Mais cette crédibilité a fait défaut à bon nombre de pays à marché émergent. Pour fournir un point d'ancrage à leur cadre de politique, ils ont choisi d'arrimer leur monnaie à une autre grande devise internationale ou à un panier de monnaies.

Mais un arrimage ne peut assurer qu'une crédibilité temporaire. Et lorsque des pays omettent de formuler des politiques budgétaires et monétaires et une réglementation adéquates, même des chocs économiques de faible amplitude risquent d'exercer des pressions sur la parité fixe. Il se peut alors que les marchés commencent à douter de la volonté des autorités de maintenir la parité et que les investisseurs locaux et étrangers se ruent vers la sortie, provoquant ainsi une crise. C'est justement ce qui s'est produit dans les économies qui se sont retrouvées en difficulté pendant la dernière décennie.

Beaucoup d'entre elles ont été forcées d'abandonner la parité fixe comme point d'ancrage et d'opter pour un taux de change flexible. Cependant, un point d'ancrage est toujours nécessaire. Sinon, le flottement libre de la monnaie risque de miner la confiance en la valeur de celle-ci, tant au pays que sur les marchés mondiaux. Ce point d'ancrage, ce sont les cibles de maîtrise de l'inflation intérieure.

Depuis quelques années, un nombre croissant de pays à marché émergent ont adopté un régime de changes flottants assorti de cibles d'inflation. Dans plusieurs cas, le Canada a joué un rôle important dans le processus de transition. Compte tenu de notre longue expérience des taux de change flottants et de notre solide réputation dans le domaine des cibles d'inflation, les banques centrales de plusieurs de ces pays ont demandé l'aide de la Banque du Canada pour élaborer et appliquer des cadres de politique fondés sur des cibles d'inflation.

Une infrastructure financière robuste

Les crises récentes nous ont permis de tirer une autre leçon majeure : la nécessité d'une infrastructure financière solide.

La faiblesse des systèmes bancaires était au coeur de presque toutes les crises financières survenues dernièrement. Pour bien jouer leur rôle crucial d'intermédiaires entre prêteurs et emprunteurs, les banques et les autres institutions financières doivent évoluer dans un cadre solide — un cadre où les conventions comptables et les normes de divulgation sont claires, où les pratiques de réglementation et de surveillance sont adéquates et où les règles en matière de faillite sont bien définies. Ce cadre présentait des lacunes dans un grand nombre des pays en cause.

La communauté internationale a fait beaucoup pour renforcer les systèmes financiers des économies de marché émergentes et pour améliorer la gestion des risques dans les grands pays industriels. Des organismes internationaux, comme la Banque des Règlements Internationaux (BRI), le Fonds monétaire international (FMI), le Groupe des Vingt (G20) et le Forum sur la stabilité financière, ont travaillé d'arrache-pied à poser des jalons — c'est-à-dire des codes et des normes — qui pourraient être acceptés à l'échelle mondiale et qui assureraient la bonne marche des institutions et des systèmes financiers.

Mais des jalons ne sont pas d'une grande utilité si on ne les suit pas. C'est pourquoi il était également essentiel de se donner les moyens d'évaluer la mesure dans laquelle les principales normes sont observées et de veiller à la divulgation des renseignements économiques et financiers importants. S'il est une leçon durable que l'on peut tirer de l'évolution récente, c'est qu'il faut accroître la transparence. Des données de meilleure qualité et plus à jour devraient permettre de porter des jugements plus éclairés sur les risques que présentent certains investissements, et ainsi contribuer à prévenir les crises qui éclatent lorsque les problèmes sont soudainement mis au grand jour.

Comme je l'ai dit précédemment, la Banque du Canada et le gouvernement fédéral ont participé et contribué activement à bon nombre de ces projets. J'aimerais souligner, en particulier, notre rôle au sein du Forum sur la stabilité financière et du G20, qui était présidé jusqu'à tout récemment par le ministre des Finances Paul Martin. Le Bureau du surintendant des institutions financières et les commissions des valeurs mobilières des provinces travaillent également avec le Forum sur la stabilité financière et la BRI afin de déceler les faiblesses systémiques et de mettre au point des normes et des codes financiers internationaux.

La Banque du Canada, en collaboration avec la Banque d'Angleterre, s'emploie par ailleurs à promouvoir l'idée d'assujettir les crédits officiels (c'est-à-dire les prêts consentis par les institutions financières internationales, comme le FMI) à des limites clairement définies à l'avance, comme moyen de conditionner les attentes des créanciers et des emprunteurs et donc de prévenir les crises. Je reviendrai sur ce point un peu plus tard.

Avant de poursuivre, j'aimerais ajouter que, pour ce qui est de l'évaluation des mesures prises par les États en vue de renforcer leur système financier, le Canada a été le premier pays industriel à soumettre son système financier à l'examen du FMI. Or, nous avons obtenu d'excellents résultats. Évidemment, nous ne pouvons pas pour autant nous reposer sur nos lauriers. Il est essentiel, au contraire, que nous continuions à chercher des moyens d'accroître l'efficience et la solidité de notre système financier.

Gestion et résolution des crises : un chantier où il reste encore beaucoup à faire

Comme vous pouvez le constater, d'importantes mesures de prévention ont été prises afin de réduire le risque de crises futures.

Bien sûr, même avec les meilleures mesures de prévention, on ne pourra éliminer complètement le risque que, de temps en temps, un choc quelconque ne provoque une crise quelque part dans le monde. Comme je l'ai dit plus tôt, lorsqu'un choc se produit, les politiques macroéconomiques nationales doivent être ajustées en conséquence. Mais cela demande du temps. Et si les politiques ne sont pas particulièrement crédibles et que les marchés deviennent nerveux, la seule perspective d'un ajustement peut se révéler insuffisante pour restaurer la confiance à court terme. Par conséquent, les investisseurs et les créanciers nationaux et étrangers peuvent être fortement incités à retirer leurs fonds du pays concerné, ce qui est susceptible de précipiter une crise.

Si l'on pouvait encourager les créanciers à être patients et à négocier une solution de manière ordonnée, cela servirait leur intérêt commun et celui de toute la communauté internationale. Mais quel est le meilleur moyen d'y parvenir?

Ce point s'est avéré plutôt controversé, le débat étant axé sur les rôles et les responsabilités que devraient assumer respectivement les bailleurs de fonds officiels et le secteur privé dans la gestion et la résolution des crises. La question fondamentale est de déterminer l'ampleur de l'aide d'urgence que les instances officielles sont censées apporter, et la part du problème que les débiteurs et les créanciers privés devraient régler eux-mêmes.

Traditionnellement, le FMI fournit la majeure partie de l'aide officielle d'urgence consentie aux pays aux prises avec des difficultés financières. Mais les ressources de cette institution sont limitées. Et lorsque les débiteurs ou les créanciers présument qu'un important plan de sauvetage officiel sera mis en place, il se présente un risque d'aléa moral : les débiteurs sont moins enclins à prendre des mesures de redressement et les créanciers se sentent moins poussés à pratiquer une gestion efficace des risques. Mais surtout, en l'absence de plafond à l'aide officielle, les bailleurs de fonds sont moins disposés à évaluer attentivement les risques au moment d'octroyer des prêts. Par ailleurs, le débiteur et ses créanciers sont peu portés à entreprendre rapidement des discussions sérieuses lorsque des problèmes surgissent. En fait, ils ne sont réellement motivés que lorsque la crise fait rage et que le financement s'épuise. Des limites claires favoriseraient une meilleure évaluation des risques, la tenue plus hâtive de négociations et, en principe, une résolution plus rapide et plus ordonnée de la crise.

Bien entendu, on pourrait éliminer complètement l'aide officielle et laisser les débiteurs et les créanciers résoudre eux-mêmes la situation. Toutefois, en l'absence de crédits officiels, des cessations de paiement chaotiques pourraient survenir plus fréquemment, ce qui occasionnerait des pertes de production et des perturbations financières dans les pays touchés et ailleurs.

Ces dernières années, la Banque du Canada et la Banque d'Angleterre ont élaboré ensemble une approche « intermédiaire » visant à encourager les créanciers du secteur privé à travailler étroitement avec les débiteurs afin de trouver des solutions de façon rapide et méthodique.

C'est ainsi que nous avons établi conjointement un cadre de résolution des crises financières internationales. Celui-ci comprend trois éléments de base. Premièrement, nous estimons que l'aide officielle devrait être limitée et que ces limites (souvent appelées « limites présumées ») devraient être bien connues à l'avance. Deuxièmement, nous n'excluons pas la possibilité d'accorder des crédits officiels exceptionnels, dans le cas peu probable où une crise menacerait la stabilité financière mondiale. Mais pareille aide serait assujettie à des critères et à des procédures explicites. Troisièmement, il est admis que, dans certaines circonstances, un moratoire ordonné (c'est-à-dire la suspension temporaire des paiements au titre du service de la dette) pourrait être utile afin de donner au pays débiteur en difficulté le temps de s'organiser, notamment en négociant un rééchelonnement de sa dette. De plus, le cadre proposé favorise une utilisation accrue de ce que l'on appelle les « clauses d'action collective ». Celles-ci ont pour objet de décourager les créanciers « récalcitrants » de s'opposer à une offre raisonnable concernant la restructuration de la dette.

Un tel cadre, qui clarifie d'entrée de jeu l'ampleur et les modalités de l'aide officielle disponible, permet aux débiteurs et aux créanciers de formuler des attentes plus réalistes. Ce faisant, il contribue à prévenir les crises et, si elles surviennent, à créer une motivation propice à leur résolution rapide.

Le Canada a travaillé activement au sein de nombreux forums internationaux — comme le FMI, le G20 et le G7 — en vue de favoriser l'adoption d'un tel cadre. Le mois dernier, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G7 ont adopté un plan d'action qui vise à régler beaucoup de ces questions. Les problèmes actuels de l'Argentine ont amené la communauté internationale à porter à nouveau son attention sur les moyens à prendre pour « accroître la prévisibilité des mesures stratégiques officielles dans les marchés émergents et réduire l'incertitude entourant ces dernières ».

Le plan d'action du G7 définit les éléments essentiels d'un cadre efficace de prévention et de résolution des crises qui encourage la participation tant des débiteurs que des créanciers. Tout d'abord, ce plan met en relief la nécessité de limiter les crédits officiels. Ensuite, il reconnaît le besoin d'inclure des règles, dans les contrats d'emprunt, qui prévoient l'imposition de moratoires ou de périodes de réflexion et empêchent de petits groupes de créanciers de s'opposer à une entente de restructuration raisonnable. Le plan d'action encourage aussi le FMI à continuer ses importants travaux sur des mécanismes de restructuration de la dette d'États souverains qui s'apparentent aux procédures de faillite concernant les entreprises nationales, comme celles qui sont énoncées au chapitre 11 du code américain de la faillite et dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies au Canada.

Les pays du G7 se sont engagés à collaborer avec les emprunteurs et les créanciers afin de veiller à ce que ces idées puissent être effectivement mises en pratique. De toute évidence, il reste beaucoup à faire, notamment en ce qui a trait aux questions opérationnelles et juridiques. Mais ne perdons pas de vue la raison d'être de cette entreprise. En contribuant à réduire la fréquence des crises financières et en en améliorant la résolution, le plan d'action créera des conditions favorables à une croissance soutenue et soutenable des investissements privés dans les pays à marché émergent, ce qui aidera à hausser leur niveau de vie.

Conclusion

Pour conclure, je dirai que des progrès considérables ont été accomplis en vue de définir les éléments d'une stratégie visant à limiter les crises à l'avenir.

Sur le plan de la gestion et de la résolution des crises, la communauté internationale a encore fort à faire. Il reste en effet de nombreuses questions à résoudre quant aux moyens de mettre en place un cadre propre à favoriser la restructuration ordonnée des dettes. Mais la situation progresse de façon sensible.

Les enjeux sont considérables, non seulement en raison des coûts économiques, mais aussi des coûts sociaux et de la souffrance humaine qu'engendrent les crises financières. Et, dans un monde de plus en plus intégré, nous sommes tous, plus que jamais, concernés par cette réalité.

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