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L'importance de politiques économiques saines face aux défis mondiaux

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Je suis ravi d'être à Londres aujourd'hui et d'avoir l'occasion de m'adresser à vous.

Le climat économique et politique mondial est très incertain ces temps-ci. Au Canada, le rythme de l'expansion avoisine le taux de croissance de la production potentielle, mais, dans la plupart des autres pays, la demande est anémique et les perspectives économiques peu reluisantes. Et, bien sûr, la grande préoccupation est la menace d'une guerre en Irak.

Voltaire disait : « Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule ». Nous, les décideurs publics, sommes rarement remplis de certitude, même lorsque tout va pour le mieux; comment l'être donc dans les circonstances actuelles? Lorsque règne, comme en ce moment, une grande instabilité, il est facile de se laisser absorber par l'ici et maintenant, alors que c'est justement en ces occasions qu'il importe de rester focalisés sur les objectifs à moyen terme des politiques macroéconomiques que nous appliquons. Voilà ce que nous nous efforçons de faire au Canada.

Lors des réunions internationales qui ont eu lieu cette année, un bon nombre de mes collègues ont commenté la vigueur de l'activité au Canada. Il est vrai que la chance a également été avec nous. Mais les excellents résultats enregistrés par notre pays au cours des deux ou trois dernières années, qui ont été éprouvantes pour l'économie mondiale, tiennent principalement aux efforts remarquables que nous avons déployés durant les années 1990 pour redresser notre cadre macroéconomique, à savoir nos politiques monétaire et budgétaire.

Bien sûr, ces efforts n'étaient pas propres au Canada. Au cours des années 1980, un consensus s'est dégagé parmi les pays de l'OCDE sur la combinaison de politiques la plus apte à produire de bons résultats économiques. Issu des expériences malheureuses menées antérieurement, ce consensus s'articule autour de quatre grands principes : la libéralisation des échanges commerciaux, la réforme des structures, la prudence en matière de finances publiques et un taux d'inflation bas et stable.

Pour comprendre comment ces principes interagissent, prenons l'exemple d'une chaise. Celle-ci est évidemment plus stable lorsque ses quatre pattes sont d'égale robustesse. De même, l'économie jouit d'une plus grande stabilité quand des progrès sont accomplis sur les quatre fronts mentionnés. Et si une patte commence à faiblir, la meilleure façon de restaurer l'équilibre est de la consolider, non pas de couper les trois autres.

Ces quelque dix dernières années, les Canadiens se sont appliqués à bâtir un cadre de conduite des politiques publiques fondé sur ces quatre principes. La mise en place d'un tel cadre a exigé des sacrifices économiques élevés à court terme. Mais, comme chacun le sait, il faut souvent consentir des sacrifices dans l'immédiat pour améliorer sa situation à long terme. Le Canada récolte maintenant les fruits de ses efforts. Depuis 1997, son économie n'a cessé de croître à un rythme supérieur au taux d'expansion moyen des pays les plus industrialisés. Et il devrait en être de même en 2003.

Le premier principe : la libéralisation des échanges commerciaux

Permettez-moi de passer brièvement en revue les quatre principes à la base du cadre macroéconomique en vigueur au Canada et les progrès accomplis à l'égard de chacun. Je commencerai par la libéralisation des échanges commerciaux. Nous savons tous que l'ouverture du commerce international aide les pays à tirer un meilleur parti des gains pouvant découler de la spécialisation et d'une amélioration de la productivité et de la compétitivité. Dans la deuxième moitié des années 1980 et la première moitié des années 1990, le Canada a dû procéder à quelques ajustements douloureux pour opérer une telle ouverture. Tout d'abord, il a conclu avec les États-Unis un accord de libre-échange, qui est entré en application en 1989. Puis, en 1994, est intervenu l'Accord de libre-échange nord-américain, qui inclut le Mexique.

L'une et l'autre de ces ententes ont soulevé une vive controverse politique. Et de nombreuses entreprises canadiennes redoutaient, on le comprend, une concurrence accrue. En outre, l'accord de libre-échange avec les États-Unis a pris effet à un moment où la politique monétaire nationale était restrictive pour juguler la forte inflation de l'époque.

Malgré leur appréhension initiale, les entreprises canadiennes ont su relever le défi de la concurrence. Certains des secteurs les plus protégés d'alors, comme les meubles, les vêtements et le vin, sont maintenant bien établis sur les marchés internationaux. Dans l'ensemble, les exportations canadiennes se sont multipliées depuis la signature de ces accords.

Voilà qui renforce notre résolution de voir de tels arrangements s'étendre au-delà des blocs commerciaux régionaux. Le Canada souhaite que les négociations multilatérales menées sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce dans le cadre de la déclaration de Doha débouchent sur des résultats concrets. Le dossier de l'agriculture s'annonce particulièrement épineux. Les pays développés, y compris les membres du G7, auront beaucoup à faire pour libéraliser le commerce des produits agricoles. Et dans d'autres secteurs, le chemin à parcourir est encore long. Il importe de persévérer dans cette voie pour le bien de l'économie mondiale. Ce ne sera pas une mince tâche, mais, à long terme, le jeu en aura valu la chandelle.

Le deuxième principe : la réforme des structures

En complément de la libéralisation des échanges vient le second principe, à savoir la nécessité d'améliorer la structure des économies nationales. Le but visé ici est double : accroître la flexibilité de nos économies afin qu'elles puissent s'adapter à l'évolution de la conjoncture économique mondiale et assurer la viabilité à long terme de nos programmes sociaux, dont ceux concernant la sécurité du revenu.

Une réforme structurelle est toujours une entreprise ardue, car elle touche les divers groupes de la société de façon différente et souvent douloureuse. De plus, les avantages économiques d'une flexibilité accrue ne se manifestent parfois qu'après un long moment. Mais ces contretemps ne doivent pas nous détourner de notre devoir de réduire les rigidités et d'accroître l'efficience.

Au Canada, des progrès ont été accomplis sur plusieurs fronts. Par exemple, les gouvernements ont pris des mesures pour atténuer les distorsions frappant le système d'imposition du revenu des particuliers et mis en oeuvre une taxe sur les produits et services en remplacement de la taxe sur les ventes des fabricants, devenue désuète. En outre, les prestations d'assurance-chômage ont été réduites et restructurées afin de renforcer l'incitation au travail.

Une autre importante réforme structurelle dont je veux parler est celle du système de pension de l'État. En 1996, les gouvernements fédéral et provinciaux ont convenu de certains changements pour asseoir le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec sur des assises financières solides. Pour cela, il leur a fallu restructurer les prestations dans une certaine mesure et relever substantiellement les cotisations. Ces décisions ont été aussi impopulaires que nécessaires.

Les excédents du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec représentent à l'heure actuelle près de 1 % du PIB. Et comme ils sont mis en réserve dans des comptes spéciaux, les gouvernements ne peuvent les affecter à des dépenses générales. L'actif du Régime de pensions du Canada est maintenant géré par un organisme complètement indépendant du gouvernement, l'Office d'investissement. Ce dernier a pour seul mandat de placer les cotisations sur les marchés afin qu'elles génèrent le meilleur rendement possible à long terme, sous réserve de l'obligation de prudence.

Le troisième principe : la prudence en matière de finances publiques

Ceci m'amène au principe suivant, qui concerne la politique budgétaire et la nécessité d'une plus grande discipline dans la gestion des deniers publics. La politique budgétaire doit avoir pour fondement de ramener le ratio de la dette publique au PIB sur une trajectoire descendante et viable.

Au Canada, cette tâche s'est avérée pleine d'écueils. L'assainissement des finances publiques effectué durant les années 1990 a été ardu, je puis vous l'assurer. J'étais sous-ministre fédéral des Finances à l'époque, et je n'ai pas oublié les nombreuses décisions difficiles et impopulaires qu'il a fallu prendre. Les provinces aussi ont dû faire des choix douloureux lorsqu'elles ont entrepris de réduire leurs dépenses et de se rebâtir une santé financière. Ces années ont été pénibles certes, mais attendre n'aurait qu'empiré les choses.

Enfin, les résultats sont là : le cercle vicieux des déficits et de l'endettement croissants s'est métamorphosé en un cercle vertueux, caractérisé par l'équilibre budgétaire et le recul de la dette. La réduction du déficit public au cours des années 1990 a renforcé la crédibilité du Canada à l'échelle internationale, ce qui a favorisé une diminution des primes de risque exigées par les investisseurs étrangers. Grâce à l'amélioration des finances publiques, il a été plus facile pour la Banque du Canada d'abaisser les taux d'intérêt quand les circonstances le justifiaient. En plus de faire chuter le coût du service de la dette, les bas taux d'intérêt ont stimulé la croissance économique, augmentant du même coup les recettes de l'État. Cette augmentation et la compression du coût du service de la dette ont à leur tour permis aux administrations publiques de redresser encore plus leur situation financière. À la fin de 2002, l'excédent budgétaire total au Canada équivalait à un peu plus de 1 % du PIB, abstraction faite de l'excédent des régimes de pension.

Le mois dernier, le ministre fédéral des Finances John Manley a annoncé que son gouvernement affichait un surplus pour le cinquième exercice d'affilée et qu'un budget équilibré, sinon excédentaire, était prévu pour les trois prochains. Le cadre de planification budgétaire des années précédentes a été maintenu. Celui-ci comprend une réserve pour éventualités de 3 milliards de dollars qui est affectée au remboursement de la dette si elle n'est pas utilisée. Le budget du prochain exercice comporte en plus un fonds de prévoyance de 1 milliard de dollars (lequel sera porté à 2 milliards l'année suivante) afin de se prémunir le plus possible contre les risques de nouveaux déficits.

Le fardeau de la dette au Canada cette année devrait être l'un des moins élevés parmi les pays du G7. Non seulement notre pays est parvenu à infléchir le ratio de son endettement au PIB, mais il a aussi remboursé près de 50 milliards de dollars sur sa dette souveraine. Cela lui a permis de recouvrer sa cote de crédit AAA, de sorte que le gouvernement fédéral dispose maintenant chaque année de quelque 3 milliards de dollars additionnels. Ce qu'il faut retenir, c'est que, si les mesures prises dans un premier temps pour corriger les finances publiques sont douloureuses, elles sont indispensables si l'on veut pouvoir toucher un jour les dividendes des efforts d'assainissement.

Le quatrième principe : un taux d'inflation bas et stable

Le quatrième principe concerne la politique monétaire, dont la responsabilité incombe à la Banque du Canada. Il stipule que la politique monétaire doit viser, à moyen terme, à garder l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible.

J'aimerais vous expliquer comment nous mettons en pratique ce principe. Depuis 1991, à la suite d'une entente avec le gouvernement fédéral, la Banque du Canada poursuit des cibles de maîtrise de l'inflation. Je ne m'attarderai pas sur le sujet, car le cadre dont le Royaume-Uni s'est doté environ deux ans après nous ressemble beaucoup au nôtre.

Nous cherchons à maintenir la hausse des prix à la consommation à 2 %, soit le point médian d'une fourchette cible qui va de 1 à 3 %. Si l'inflation tendancielle s'éloigne de ce taux dans un sens ou dans l'autre, la Banque intervient pour que le taux d'augmentation des prix y revienne dans les 18 à 24 mois suivants.

Notre régime de cibles d'inflation fonctionne de façon symétrique, limitant au maximum tant les risques d'une montée soutenue de l'inflation que ceux d'une déflation. De fait, durant la majeure partie des dix dernières années, nous avons réussi à maintenir l'inflation aux alentours du point médian visé de 2 %. En conséquence, les attentes d'inflation des Canadiens sont maintenant fermement ancrées autour de ce taux. Le climat d'inflation faible, stable et prévisible qui s'est installé a contribué à atténuer les fluctuations du cycle économique et à créer les conditions les plus propices qui soient à la croissance à long terme de l'économie canadienne.

L'inflation et les perspectives économiques

J'aimerais maintenant vous exposer le point de vue de la Banque du Canada sur l'état de l'économie canadienne et ses perspectives de croissance. Faisons d'abord un bref retour en arrière. Au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la Banque du Canada, à l'instar des autres grandes banques centrales, a abaissé rapidement et vigoureusement ses taux directeurs dans le but de restaurer la confiance. Ces mesures énergiques ont grandement aidé. Dès le printemps 2002, on constatait que les attentats n'avaient pas jeté l'économie canadienne hors de ses rails. Il devenait même de plus en plus manifeste que cette dernière progressait à un rythme supérieur à celui de son potentiel et absorbait la petite marge de capacités inutilisées restante. La Banque a donc relevé son principal taux directeur à trois reprises, de 75 points de base au total, entre avril et juillet.

Vers la fin de l'été dernier, les effets des vents contraires financiers, le climat géopolitique incertain et la faiblesse persistante de l'économie mondiale ont commencé à dominer la scène. Ces facteurs ont été à l'oeuvre tout au long de l'automne. Par conséquent, la Banque s'est abstenue d'augmenter les taux d'intérêt durant cette période, même si l'inflation s'accélérait.

Selon notre première analyse, la montée de l'inflation mesurée par l'indice des prix à la consommation (IPC) devait être temporaire. Cependant, les taux d'accroissement aussi bien de l'indice de référence de la Banque que de l'IPC global demeurent bien au-dessus de la cible visée. Cela tient aux cours plus élevés que prévu du pétrole brut et du gaz naturel, à l'ascension continue des primes d'assurance automobile et aux pressions qui s'exercent sur les prix dans des secteurs comme le logement, l'alimentation et certains services. La hausse de l'inflation traduit aussi la présence d'un contexte favorable aux majorations de prix. En d'autres termes, les augmentations des prix relatifs ne feraient pas grimper l'inflation tendancielle si la demande était faible.

De fait, la progression de la demande intérieure finale — en particulier celle de la dépense des ménages — est restée vigoureuse. L'expansion de l'économie canadienne s'est modérée néanmoins au quatrième trimestre de 2002, en grande partie sous l'effet du fléchissement des exportations, notamment des expéditions de produits automobiles vers les États-Unis.

Malgré le ralentissement des trois derniers mois de 2002, les révisions à la hausse apportées aux données des trimestres précédents révèlent que le niveau de l'activité économique est légèrement plus élevé que ce qui avait été observé. L'économie canadienne continue donc de tourner près des limites de sa capacité.

J'en veux pour preuve la forte utilisation des capacités industrielles; un taux d'activité frôlant des sommets historiques; le ratio record de l'emploi à la population; le niveau des profits des sociétés, qui est à son plus haut depuis le début de 2001; et, comme je l'ai mentionné il y a quelques instants, le fait que le taux d'accroissement de l'inflation tendancielle est supérieur à la cible.

Même si nous prévoyons toujours que la croissance de l'activité sera quelque peu inférieure à celle de la production potentielle durant les six premiers mois de 2003, nous nous attendons à ce que la demande augmente au second semestre de l'année et en 2004, à mesure que les incertitudes sur la scène mondiale s'estomperont. Toutefois, à la faveur d'une réduction adéquate de la détente monétaire en place, l'économie devrait continuer durant cette période à fonctionner près des limites de sa capacité.

Aussi la Banque a-t-elle tenu compte, dans sa décision du 4 mars dernier concernant les taux d'intérêt, des pressions inflationnistes internes; des prévisions selon lesquelles l'économie canadienne continuera de tourner presque à plein régime en 2003 malgré l'incertitude sur le plan géopolitique; du caractère expansionniste de la politique monétaire; et de l'amélioration des conditions sur les marchés des capitaux. Ces considérations l'ont amenée à relever son principal taux directeur de un quart de point de pourcentage, le portant ainsi à 3 %.

En dépit de cette augmentation, la politique monétaire demeure expansionniste. Par conséquent, de nouvelles réductions de la détente monétaire seront nécessaires au cours de l'année pour ramener l'inflation, à moyen terme, à la cible de 2 %. Comme la Banque l'a déjà signalé, le moment et le rythme auxquels s'opérera la hausse des taux directeurs dépendra d'un certain nombre de facteurs. Ces derniers sont l'intensité des pressions de la demande, l'évolution des attentes d'inflation, les répercussions sur la confiance des incertitudes liées à la situation géopolitique et à l'économie mondiale ainsi que l'incidence que la tournure des événements au Proche-Orient aura sur la demande et l'inflation, à l'échelle tant internationale que nationale. La Banque continuera de suivre de près tous ces facteurs.

Avant de conclure, permettez-moi de vous rappeler les quatre grands principes sur lesquels le Canada appuie la conduite de ses politiques macroéconomiques depuis dix ans et plus : la libéralisation des échanges commerciaux, la réforme des structures, la prudence en matière de finances publiques et un taux d'inflation bas et stable. Ces principes ne sont pas faciles à respecter, mais ils mènent, à moyen terme, à une meilleure tenue de l'économie.

Les bons résultats qu'affiche le Canada témoignent de l'efficacité de ces quatre principes. Alors que l'économie mondiale connaissait de graves difficultés, notre pays maintenait un taux de croissance enviable. Nous persistons à croire qu'il continuera d'en être ainsi, et nous ne sommes pas les seuls. En effet, l'OCDE et le FMI prévoient tous deux que l'expansion de l'activité au Canada dépassera celle des autres pays du G7 cette année.

Mais nous vivons des moments éprouvants. D'importantes incertitudes au sujet de l'évolution géopolitique et de l'économie mondiale planent encore sur les perspectives de croissance de tous les pays. C'est dans de tels moments que les décideurs politiques peuvent être tentés de délaisser les quatre principes que j'ai énoncés et d'accorder la priorité aux problèmes de court terme.

Au Canada, nous avons compris que, pour parvenir à mettre en place des structures économiques capables de résister aux turbulences, il convient de s'en tenir à ces quatre grands principes. Ceux-ci ont démontré qu'ils n'ont pas leur pareil pour surmonter les défis qui se posent dans un monde empreint d'incertitude.

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