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La contribution de politiques économiques saines en période d'incertitude

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C'est un honneur et un privilège pour moi de prendre la parole devant le Club d'affaires germano-canadien de Berlin-Brandebourg lors de sa réunion inaugurale. Les groupes comme celui-ci remplissent de nombreuses fonctions importantes, dont la moindre n'est certes pas l'établissement de relations commerciales qui contribuent à renforcer l'économie de chacun de nos deux pays. La création et le resserrement de liens commerciaux internationaux sont l'une des clés de la bonne tenue affichée par l'économie canadienne ces dernières années. Mais il y en a bien d'autres. Je me propose donc aujourd'hui de vous entretenir de quelques-unes des politiques économiques que le Canada a mises en oeuvre au cours des dernières années et, ce faisant, j'aborderai certains des défis auxquels nous devons encore faire face.

Le cadre de politique monétaire du Canada

Je commencerai par la politique économique dont nous sommes responsables à la Banque du Canada, à savoir la politique monétaire. Le préambule de la Loi sur la Banque du Canada prévoit que nous devons mener la politique monétaire « dans l'intérêt de la vie économique de la nation » et de manière à « favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Nous savons qu'une demande trop forte peut engendrer des pressions inflationnistes et qu'une demande trop faible entraîne un gaspillage des ressources. Nous visons donc, en menant la politique monétaire — dans la mesure où celle-ci peut influer sur la demande —, à faire en sorte que l'économie tourne très près du niveau de la production potentielle.

Au fil du temps, nous avons constaté que la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter est le maintien de l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible afin de fournir les conditions les plus propices à une croissance vigoureuse et soutenue. La question est alors de savoir ce que la banque centrale devrait cibler pour y parvenir. Après que notre pays est revenu à un régime de changes flottants, en 1970, la Banque du Canada a essayé d'instaurer un climat de faible inflation en prenant pour cible le taux d'expansion monétaire de 1975 à 1982. Mais le lien entre l'expansion monétaire et le taux d'inflation s'est révélé instable.

Ainsi, en 1991, la Banque a adopté un système fondé sur des cibles explicites de maîtrise de l'inflation. Conformément à une entente conclue avec le gouvernement fédéral, nous cherchons à garder le taux d'inflation des prix à la consommation à 2 %, soit le point médian d'une fourchette qui va de 1 à 3 %. Si l'inflation tendancielle s'éloigne de la cible, la Banque intervient pour l'y ramener dans les 18 à 24 mois suivants.

Notre cadre est symétrique. Autrement dit, nous sommes aussi préoccupés lorsque l'inflation tombe en deçà de la limite inférieure de la fourchette visée que lorsqu'elle en dépasse la limite supérieure. Durant la majeure partie de la dernière décennie, nous avons réussi à maintenir l'inflation près de la cible. En conséquence, les attentes d'inflation des Canadiens sont maintenant ancrées autour de 2 %. Tous ces éléments ont contribué à atténuer les fluctuations du cycle économique et à créer les conditions les plus propices qui soient à la croissance à long terme de l'économie.

Ce cadre peut sembler simple en théorie, mais il est très complexe en pratique. Nos décisions de politique monétaire reposent sur des projections économiques, que des événements imprévus peuvent toujours venir fausser. Comme les effets des mesures de politique monétaire mettent un certain temps à se faire pleinement sentir sur l'économie, nous devons axer nos interventions sur l'état prévu de cette dernière à un horizon de 18 à 24 mois. Pour cela, nous tenons constamment compte de ce que l'on appelle l'écart de production, c'est-à-dire la différence entre le niveau réel de la production et le niveau de la production potentielle. Si l'économie tournait à un niveau supérieur à celui de la capacité de production et que l'inflation semblait susceptible de dépasser la cible dans l'avenir, alors nous resserrerions la politique monétaire. Cela aurait pour effet de modérer la demande et de ramener l'inflation au taux visé. À l'inverse, si l'économie fonctionnait en deçà des limites de sa capacité et qu'il semblait probable que le niveau de l'inflation s'établirait en dessous de la cible dans l'avenir, nous assouplirions les conditions monétaires afin de stimuler la demande, de combler l'écart de production et de ramener l'inflation au taux souhaité.

Cela signifie que nous suivons toujours de près la demande et l'offre au sein de l'économie et que nous nous employons à réaliser un équilibre entre les deux. Ainsi, en mettant en oeuvre la politique monétaire, nous consacrons une bonne partie de nos analyses aux nombreux facteurs qui peuvent se répercuter sur la demande et l'offre. Le facteur le plus important est, bien entendu, la vigueur de la demande intérieure. Mais le Canada est une nation commerçante, et le dynamisme de la demande mondiale joue aussi un rôle déterminant. Plus particulièrement, les États-Unis sont de grands importateurs de produits canadiens, et c'est pourquoi nous prêtons une attention particulière à la santé de leur économie.

L'activité économique est également influencée par les variations des taux de change. Vous n'êtes sûrement pas sans savoir que la valeur du dollar américain a récemment subi un ajustement important vis-à-vis de celle des autres grandes monnaies du monde, y compris le dollar canadien. Comme toujours, nous devons comprendre les causes de cette variation, ainsi que ses effets sur notre économie.

En outre, l'évolution des taux de change a des conséquences directes sur les prix des biens et services faisant l'objet d'échanges internationaux et donc sur l'inflation. Cependant, nos recherches indiquent que, dans les économies comme celle du Canada, l'effet des mouvements des taux de change sur les prix à la consommation était moins marqué ces dernières années, où le taux d'inflation était relativement bas, que durant les années précédentes, où l'inflation était élevée.

Beaucoup d'autres éléments entrent en ligne de compte dans nos décisions de politique monétaire. Nous nous renseignons auprès de nos bureaux régionaux établis dans différents coins du pays, qui demeurent en contact permanent avec les entreprises canadiennes. Nous examinons les renseignements économiques que contiennent les données relatives aux conditions du crédit, aux agrégats monétaires et aux prix de certains actifs. À ce propos, je tiens toutefois à préciser que nous n'avons pas de cible pour ces agrégats ni pour les prix des actifs. Enfin, nous voyons quelles sont les attentes des marchés financiers. Tous ces renseignements sont pris en considération dans nos décisions, qui visent toujours à faire en sorte que le taux d'inflation se situe à la cible de 2 % à moyen terme. Et, comme je le disais plus tôt, nous sommes convaincus que le maintien d'un taux d'inflation bas, stable et prévisible est la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter à une croissance forte et durable et à la bonne tenue de l'économie en général.

Les arguments en faveur de la flexibilité

Mais il en faut plus pour assurer la bonne santé de l'économie. Tout médecin vous dira qu'outre la force et l'endurance, un corps sain doit être flexible. Il en va de même pour l'économie. Les autorités financières doivent non seulement encourager une croissance robuste et durable, mais aussi chercher à améliorer la flexibilité de l'économie.

Au début de mon exposé, j'ai parlé brièvement des échanges commerciaux. L'élimination des barrières au commerce est l'un des principaux moyens de rendre une économie plus flexible. Nous savons tous que l'ouverture du commerce international aide les pays à tirer un meilleur parti des gains pouvant découler d'une concurrence accrue et de la spécialisation. Il est vrai qu'il n'est pas toujours facile de s'adapter à la libéralisation du commerce international. Le Canada a dû procéder à quelques ajustements douloureux après l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, en 1989, et celle de l'Accord de libre-échange nord-américain de 1994, qui inclut le Mexique.

L'une et l'autre de ces ententes ont soulevé une vive controverse politique au pays. De nombreuses entreprises canadiennes se préoccupaient, on le comprend, de leur capacité de faire face à la concurrence. Mais, malgré leur appréhension initiale, elles ont su relever le défi. Certains des secteurs les plus protégés d'alors, comme les meubles, les vêtements et le vin, sont maintenant bien établis sur les marchés internationaux. Dans l'ensemble, les exportations canadiennes se sont multipliées.

Le succès que nous avons remporté renforce notre résolution de voir la libéralisation des échanges commerciaux s'étendre au-delà des blocs commerciaux régionaux. Le Canada souhaite que les négociations multilatérales menées sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce dans le cadre de la déclaration de Doha débouchent sur des résultats concrets. Le dossier de l'agriculture s'annonce particulièrement épineux. Les pays développés, y compris les membres du G7, auront beaucoup à faire pour libéraliser le commerce des produits agricoles. Et dans d'autres secteurs, le chemin à parcourir est encore long. Il importe de persévérer dans cette voie pour le bien de l'économie mondiale. Ce ne sera pas une mince tâche, mais, à long terme, le jeu en aura valu la chandelle.

Accroître la flexibilité de l'économie peut également exiger une réforme structurelle. En améliorant la structure de nos économies nationales, nous ne faisons pas que faciliter notre adaptation à l'évolution de la conjoncture économique mondiale; nous contribuons aussi à assurer la viabilité à long terme de nos programmes sociaux, dont ceux concernant la sécurité du revenu.

La réforme structurelle se fait rarement sans difficulté, car les changements touchent fréquemment différents groupes de la société de façon douloureuse. De plus, comme les avantages économiques d'une plus grande flexibilité ne se manifestent parfois qu'après un assez long moment, il est d'autant plus difficile de maintenir la volonté politique nécessaire pour mener à bien les réformes requises. Mais ces contretemps ne doivent pas nous détourner de notre devoir de réduire les rigidités et d'accroître l'efficience.

Au Canada, des progrès ont été accomplis sur plusieurs fronts au fil des quelque dix dernières années. Au début des années 1990, le gouvernement fédéral a entrepris de modifier son régime d'assurance-chômage en réduisant et restructurant les prestations afin de renforcer l'incitation au travail. Au milieu de la même décennie, les subventions aux entreprises ont été amputées des deux tiers environ. En 1996, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ont convenu de certains changements pour asseoir le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec sur des assises financières solides. Pour cela, il leur a fallu restructurer les prestations dans une certaine mesure et relever substantiellement les cotisations. Ces décisions n'ont pas été populaires, mais elles s'imposaient. En 2000, le gouvernement fédéral a commencé à mettre en oeuvre un plan quinquennal visant à abaisser de 100 milliards de dollars les impôts des particuliers et des sociétés. Et dans le dernier budget fédéral, il a annoncé que l'impôt canadien sur le capital serait éliminé progressivement.

Je ne saurais passer sous silence par ailleurs les efforts déployés par le Canada dans les années 1990 pour assainir ses finances publiques. De nombreuses décisions difficiles et impopulaires ont dû être prises par les pouvoirs publics, à l'échelon tant fédéral que provincial. Mais le Canada a réussi à métamorphoser le cercle vicieux des déficits et de l'endettement croissants en un cercle vertueux, caractérisé par l'équilibre budgétaire et le recul de la dette. La réduction et, en définitive, l'élimination du déficit public au cours de la décennie 1990 a renforcé la crédibilité du pays à l'échelle internationale, ce qui a favorisé une diminution des primes de risque exigées par les investisseurs. Grâce à l'amélioration des finances publiques, il a été plus facile pour la Banque du Canada d'abaisser les taux d'intérêt quand les circonstances économiques le justifiaient. Les bas taux d'intérêt ont fait chuter le coût du service de la dette, stimulé la croissance économique et haussé du même coup les recettes de l'État. Cette augmentation et la compression du coût du service de la dette ont à leur tour permis aux administrations publiques de redresser encore plus leur situation financière.

Plus tôt en 2003, le ministre fédéral des Finances du Canada, John Manley, a annoncé que son gouvernement affichait un excédent pour le sixième exercice de suite et que le budget demeurerait équilibré cette année ainsi que l'an prochain, malgré une croissance plus lente que prévu. Le gouvernement fédéral s'est engagé à faire preuve de prudence dans sa planification budgétaire. Le fardeau de la dette au Canada cette année devrait être l'un des moins élevés parmi les membres du G7. Non seulement notre pays est parvenu à infléchir le ratio de son endettement au PIB, mais il a aussi remboursé près de 50 milliards de dollars sur sa dette souveraine. Cela lui a permis de dégager chaque année quelque 3 milliards de dollars additionnels pour le gouvernement fédéral. Ce qu'il faut retenir, c'est que, si les mesures prises dans un premier temps pour corriger les finances publiques sont douloureuses, elles sont indispensables si l'on veut pouvoir toucher un jour les dividendes des efforts d'assainissement.

Conclusion

Ces politiques dont je viens de parler — le redressement des finances publiques; une politique monétaire axée sur le maintien de l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible; et l'accroissement de la flexibilité de l'économie par la libéralisation des échanges commerciaux et la réforme structurelle — ont toutes été difficiles à appliquer. La mise en place d'un cadre solide pour la conduite des politiques économiques au Canada a exigé des sacrifices à court terme. Mais la robustesse de notre économie ces dernières années montre, d'une façon que j'estime concluante, que ces politiques sont les bonnes.

Loin de moi l'idée d'insinuer que le Canada a atteint la perfection. Il reste encore beaucoup à faire, surtout en ce qui concerne les politiques microéconomiques. Je ne veux pas non plus donner à entendre que tous les pays devraient suivre à la lettre l'exemple du Canada dans la mise en oeuvre de ces politiques. Le message que je désire vous transmettre est plutôt le suivant : ces principes économiques sont importants et leur application ardue, mais les dividendes économiques en valent la peine au bout du compte.

Lorsque l'incertitude pèse sur l'économie mondiale, on a naturellement tendance à retarder les réformes douloureuses ou à faire marche arrière sur des victoires chèrement gagnées. Or, c'est précisément dans ces moments qu'il importe le plus de tenir son cap. C'est ce que le Canada entend faire, pour ainsi bâtir une économie vigoureuse, dynamique et flexible.