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L'intégration économique en Amérique du Nord

Depuis plus de 70 ans déjà, le Couchiching Institute on Public Affairs réunit des Canadiens dans le but d'inciter à la réflexion et d'encourager des débats animés et stimulants ainsi que des initiatives concernant une vaste gamme de questions importantes liées aux politiques publiques. Par exemple, c'est à l'institut Couchiching, il y a 56 ans, que l'idée de créer l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) a pour la première fois été lancée publiquement par Escott Reid, un haut fonctionnaire du ministère des Affaires extérieures du Canada. L'OTAN a été fondée un an et demi après, suivant de près les grandes lignes de la vision exposée par Reid à cette occasion.

Je suis ravi d'avoir été invité à participer à la conférence de cette année, qui a pour thème : « Le continentalisme : qu'avons-nous à y gagner? ». Voilà encore une fois une question qui donne à réfléchir, et que certains qualifieraient même de provocante!

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens cependant à préciser que je ne suis pas venu ici pour défendre l'intégration accrue de l'Amérique du Nord. Il s'agit là en effet d'une décision d'ordre politique qu'il revient aux Canadiens et à leurs élus de prendre. C'est une décision très importante, et nous devrons tous, en tant que société démocratique, déterminer ce que nous voulons vraiment.

Je ne suis pas politicien; je suis économiste. Je me propose donc ce soir d'établir certains paramètres pour pouvoir discuter convenablement des questions concernant l'intégration économique accrue du continent nord-américain.

Dans un premier temps, j'aimerais aborder les avantages et les coûts de l'intégration économique. Par « intégration économique », j'entends la libre circulation des biens et services, des capitaux et de la main-d'oeuvre et l'harmonisation des règles régissant le fonctionnement de ces trois importants marchés. Je passerai brièvement en revue les progrès que le Canada a accomplis sur chacun de ces fronts, ainsi que les gains que nous avons retirés de l'ouverture de nos marchés à la concurrence internationale et au libre mouvement des capitaux. Je traiterai ensuite des obstacles qui restent à une intégration économique plus poussée et, enfin, je dirai quelques mots sur les voies qui s'ouvrent à nous dans l'avenir.

Les avantages et les coûts économiques de l'ouverture des marchés

i) Le libre-échange

Si le commerce des biens et services s'est instauré à l'échelle internationale, c'est que les pays possèdent chacun des ressources naturelles et une main-d'oeuvre spécialisée différentes et que les goûts des consommateurs varient d'un pays à l'autre.

David Ricardo, un économiste britannique du XIXe siècle, soutenait qu'un pays pouvait tirer profit des échanges commerciaux même quand un autre pays jouissait d'un avantage absolu dans la production de tous les biens et services. Il faisait valoir, avec raison, que, s'il s'employait à produire les biens et services pour lesquels il était relativement plus efficient et qu'il importait les produits pour lesquels il était relativement moins efficient, un pays pouvait accroître son revenu national. Et ce serait le cas même si ce pays était moins efficient en termes absolus dans la fabrication de tous les produits. Il s'agit du célèbre principe de l'avantage comparatif. C'est sur ce principe que les économistes se fondent pour dire que les barrières commerciales nuisent à la prospérité économique de tous les pays. Quand les pays exportent les biens et services pour lesquels ils sont le plus concurrentiels et qu'ils importent ceux pour lesquels ils le sont moins, les consommateurs de partout en profitent, et la production potentielle de toutes les nations augmente, tout comme le niveau de vie mondial.

Ouvrir ses frontières revient également à s'exposer à une concurrence mondiale accrue, ce qui encourage fortement les entreprises de partout à devenir plus efficientes et plus productives. En ce qui concerne le Canada, la concurrence internationale incite notre marché intérieur à devenir plus compétitif, même dans les secteurs où l'échelle optimale peut ne correspondre qu'à une ou deux entreprises canadiennes en exploitation. Au bout du compte, les pressions concurrentielles conduisent à une hausse de l'efficience et de la productivité et à un relèvement du niveau de vie.

Une intégration économique plus poussée avec les autres pays du monde présente donc des avantages économiques certains. Bien sûr, des coûts d'ajustement doivent être supportés à mesure que les barrières commerciales sont éliminées. Certaines entreprises et certains secteurs ne seront pas en mesure d'affronter la concurrence étrangère et disparaîtront ou devront réduire leur taille. Cela a pour effet de libérer des ressources, aussi bien humaines que physiques, au profit des industries et des firmes qui tirent parti des nouveaux marchés à l'étranger. Par conséquent, il est important que soit mis en place un mécanisme visant un partage équitable des coûts d'ajustement à court terme pour pouvoir bénéficier des avantages à moyen et à long terme de la libéralisation des échanges commerciaux.

Les marchés canadiens sont ouverts aux produits et services étrangers depuis la Seconde Guerre mondiale. À mon avis, cette interaction avec le reste du monde a été couronnée de succès et a été extrêmement profitable tant aux Canadiens qu'à leurs partenaires étrangers.

Comme vous le savez, l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) de 1989 et l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994, qui inclut le Mexique, ont d'abord été accueillis avec beaucoup de scepticisme au pays. En outre, la période initiale d'adaptation à l'ALE a été difficile. Mais, à la fin des années 1990, il était évident que le Canada tirait de gros avantages de la libéralisation du commerce en Amérique du Nord. Les deux accords ont ouvert aux entreprises canadiennes de formidables débouchés sur les marchés américain et mexicain. Ils ont également contraint nos entrepreneurs à devenir plus productifs, un défi qu'ils ont manifestement relevé. Nos exportations se sont multipliées, et les consommateurs canadiens bénéficient maintenant d'un plus grand choix de produits et de meilleurs prix.

Dans le cadre de l'ALE et de l'ALENA, nous avons beaucoup accru la liberté des échanges de biens manufacturés. Et nous avons accompli d'importants progrès à l'égard de certains services. Mais nous éprouvons encore des problèmes dans des secteurs clés. Par exemple, il nous reste bien du chemin à parcourir dans le cas de l'agriculture. Et même si les barrières commerciales ont théoriquement disparu en ce qui a trait aux produits forestiers et à l'acier, il arrive que des complications surgissent du fait que les États-Unis ont conservé la capacité d'user de recours commerciaux. L'actuel différend à propos du bois d'oeuvre est un exemple des problèmes auxquels le Canada se heurte en raison des recours commerciaux pris par les Américains, plus particulièrement l'imposition de droits antidumping et de droits compensateurs. C'est en partie pourquoi certains analystes au Canada se sont mis dernièrement à plaider en faveur d'une union douanière, ou d'une forme quelconque de marché commun, avec les États-Unis.

De toute évidence, certains articles de l'ALENA doivent être modifiés si l'on veut parvenir à éliminer tous les obstacles non tarifaires (tels que les droits mentionnés ci-dessus) et à réduire les coûts que doit assumer l'industrie pour se conformer à un certain nombre de règles spéciales, comme les règles d'origine. Pour résoudre ces problèmes, il faut également une intégration accrue des régimes réglementaires en Amérique du Nord.

J'aimerais maintenant passer des questions relatives au commerce des biens et services à celles liées à la libre circulation des capitaux.

ii) La libre circulation des capitaux

Au début des années 1950, le Canada a aboli les contrôles des changes mis en place durant la guerre. Pendant la majeure partie de la période écoulée depuis, nous avons donc pu profiter grandement de la libre circulation des capitaux et de la concurrence sur les marchés financiers.

Les flux de capitaux ont joué un rôle très important dans le développement du Canada en tant qu'économie moderne. En effet, tout particulièrement au cours des années 1950 et 1960 et au début des années 1970, nous avons pu utiliser l'épargne étrangère pour financer les grands projets d'investissement nécessaires à l'expansion de notre infrastructure industrielle et de notre capacité de production, notamment dans les secteurs des ressources naturelles et de la fabrication. Dans le même temps, les Canadiens ont pu établir des entreprises et tirer parti des occasions d'investissement à l'étranger. Les investissements directs bilatéraux nous ont aussi permis de mettre à profit les innovations et les processus techniques mis au point ailleurs.

Dans le contexte nord-américain, la libéralisation des mouvements de capitaux n'a pas fait l'objet de négociations officielles entre le Canada et les États-Unis. Dans l'un et l'autre pays, il s'est agi principalement d'une initiative intérieure, c'est-à-dire que l'intégration des marchés de capitaux du Canada et des États-Unis a progressé aussi rapidement que les Américains et nous avons pu réduire les obstacles intérieurs à la liberté des mouvements de capitaux.

iii) La libre circulation de la main-d'oeuvre

Examinons maintenant les marchés du travail et la circulation de la main-d'oeuvre entre le Canada et les États-Unis.

Au XIXe siècle, la mobilité de la main-d'oeuvre était considérable entre nos deux pays. Mais les mouvements transfrontaliers des travailleurs ont beaucoup diminué à compter des années 1920, et particulièrement au lendemain de la Grande Crise.

Aujourd'hui, la frontière entre les marchés du travail canadien et américain est un peu moins étanche qu'elle ne l'était à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais, par comparaison avec les marchés des produits et des capitaux, elle est encore la moins perméable. Cette situation s'explique par les politiques d'immigration des deux pays et les multiples lois régissant la reconnaissance des qualifications à l'échelle nationale et à l'échelon des provinces et des États américains. Pour tirer pleinement parti des avantages d'un marché unique, un assouplissement substantiel des lois et des règlements qui entravent la mobilité de la main-d'oeuvre serait nécessaire. Je reconnais toutefois que cela se révélerait extrêmement difficile, surtout dans le contexte canado-américano-mexicain.

Voilà qui complète mon tour d'horizon des grands marchés canado-américains des biens et services, des capitaux et du travail. Je crois qu'il n'est pas exagéré de dire que, même s'il existe moins de barrières tarifaires et non tarifaires « officielles » entre nos deux pays qu'il y a 15 ans, le fait est que les frontières existent toujours bel et bien. Comme nous le rappelle John Helliwell, « les effets frontaliers sont encore trop importants pour ne pas être pris en compte et trop complexes pour être qualifiés aisément de bons ou de mauvais » 1.

iv) Les régimes réglementaires

Comme je viens de le souligner en parlant du marché du travail, il y a beaucoup d'obstacles non tarifaires à surmonter pour profiter pleinement de l'intégration économique.

Parmi eux, et ce fait est important, figurent les différents régimes réglementaires existant à l'échelle nationale et à l'échelon des provinces et des États américains. À cet égard, il me semble que l'une des questions cruciales que nous devrions nous poser est de savoir si nous avons suffisamment réfléchi à l'harmonisation d'un certain nombre de nos règlements avec ceux des États-Unis. Par « harmonisation », j'entends un rapprochement des cadres réglementaires des deux pays visant à les rendre compatibles, mais pas forcément identiques.

J'estime que nous avons réalisé certains progrès sur ce point, mais pas beaucoup. Je reviendrai là-dessus un peu plus tard.

Quelle stratégie adopter pour l'avenir?

Quelle voie prendrons-nous dans l'avenir?

Le libre-échange en Amérique du Nord nous a procuré de grands avantages, cela ne fait aucun doute. Mais, idéalement, nous devrions, en tant que pays, chercher à supprimer les barrières de façon multilatérale, afin que le monde entier ouvre ses portes au commerce. C'est ce que la communauté internationale tente d'accomplir depuis 1947, mais le processus est très long, car l'établissement d'un consensus en la matière continue d'être ardu, comme on peut le voir aujourd'hui avec les négociations menées dans le cadre de la déclaration de Doha.

À mon avis, le libre-échange à l'échelle mondiale demeure l'idéal à atteindre. Ici, au Canada, nous ne pouvons nous permettre de perdre cet objectif de vue en misant exclusivement sur le libre-échange nord-américain. Mais, si nous ne pouvons faire tomber les barrières multilatéralement, nous devrions du moins continuer de les abolir entre les provinces, entre le Canada et les États-Unis, entre le Canada et le Mexique, et, même, à la grandeur des Amériques.

Comme j'ai eu l'occasion de le souligner, un certain nombre d'analystes au Canada ont récemment appelé de leurs voeux l'élargissement de l'intégration économique en Amérique du Nord, souhaitant qu'elle se poursuive sous diverses formes allant d'une union douanière ou d'une sorte de marché commun jusqu'à l'avènement d'une union économique et monétaire complète.

Bien entendu, tout le monde au Canada n'est pas convaincu des mérites d'une intégration économique plus étroite de l'Amérique du Nord. En réalité, ainsi que vous aurez sans doute le loisir de le constater au cours de cette conférence, de nombreux Canadiens s'inquiètent des conséquences d'une telle évolution sur notre souveraineté et notre indépendance en matière de politiques publiques.

Je le répète, je m'exprime ici en qualité d'économiste. Je laisserai donc de côté les grandes questions politiques pour me concentrer sur les facteurs qui me semblent pertinents dans l'optique d'une intégration économique plus poussée.

Cela dit, je tiens à faire remarquer que si le Canada s'intéresse au renforcement de l'intégration pour des raisons essentiellement économiques, il ressort clairement que les Américains, eux, voient dans la sécurisation de leur frontière avec nous un élément important de cette intégration. Ainsi, nous, Canadiens, ne pourrons envisager une intégration plus étroite sans réfléchir aux mesures à prendre pour instaurer un véritable périmètre commun de sécurité autour de l'Amérique du Nord. Je ne désire pas m'étendre sur le sujet : d'autres à cette conférence qui connaissent mieux le dossier peuvent en parler à meilleur escient que moi. Toutefois, il importe d'admettre que, pour nos voisins du sud, l'intégration sur le plan de la sécurité et l'intégration économique vont absolument de pair.

Ces précisions apportées, permettez-moi de vous entretenir des voies qui s'ouvrent à nous dans l'avenir.

Commençons par le commerce. Le principal enjeu en ce domaine pour le Canada est la limitation du « risque frontalier » : en d'autres termes, l'accès garanti des produits et des services canadiens au marché américain, sans tracasseries et coûts à la frontière et sans la menace de se voir subitement privé de cet accès par une mesure discrétionnaire de la part des États-Unis. C'est un aspect important.

Voici quelques mesures qui iraient en ce sens :

  • l'établissement d'un tarif extérieur commun, par l'instauration d'une union douanière et de pratiques communes aux frontières à l'égard des importations en provenance de pays d'outre-mer et des exportations qui leur sont destinées;
  • l'harmonisation des politiques et des règles en matière de commerce;
  • la fin des recours commerciaux en Amérique du Nord;
  • l'uniformisation des politiques de subvention à l'échelon des autorités fédérales et des États américains ou provinces.

Nous pourrions aussi tenter d'élargir la portée de l'ALENA pour inclure les produits agricoles, bien qu'une telle entreprise présente des difficultés évidentes. Et nous pourrions chercher à abolir les barrières qui entravent le commerce des services dans les domaines de la culture, du droit, des finances et des communications, même si l'harmonisation des réglementations au niveau des autorités fédérales et des États ou provinces poserait, ici encore, des problèmes considérables.

Arriver à un accord sur des mesures de nature à limiter le risque frontalier ou à étendre la portée de l'ALENA ne sera pas facile, j'en conviens, puisque les étapes les moins complexes ont pour la plupart été franchies. Par ailleurs, n'oublions pas que les Américains n'ont pas les mêmes préoccupations à l'endroit du Mexique qu'envers nous. Nombreux sont les obstacles d'ordre pratique et politique qu'il reste à surmonter. Mais si nous pouvions aboutir à un accord visant l'approfondissement ou l'élargissement de l'ALENA, nous en retirerions de grands avantages. Les bienfaits de la concurrence pourraient être étendus à un éventail plus large de secteurs, l'incertitude qui découle des mesures de rétorsion commerciales prises unilatéralement s'atténuerait et les barrières non tarifaires (qui dressent souvent des obstacles encore plus redoutables aux échanges que les tarifs) seraient fortement réduites. De plus, un accord sur des règles et des tarifs communs pour le commerce extérieur permettrait de renoncer aux règles d'origine et simplifierait énormément le contentieux frontalier.

Je passerai maintenant, si vous le voulez bien, du commerce des biens et services à d'autres considérations liées à l'intégration économique ou à la formation de ce que les Européens appellent le « marché unique ». Ces considérations concernent largement l'harmonisation des régimes réglementaires visant non seulement le marché des biens et services, mais aussi ceux des capitaux et du travail.

L'adoption en Amérique du Nord de dispositions réglementaires communes serait de nature à produire des gains d'efficience. Des normes communes auraient l'avantage non seulement de réduire les coûts de conformité, mais de permettre à nos entreprises de rivaliser avec leurs homologues américaines à armes égales. La réalisation d'une telle harmonisation constitue cependant un processus long et laborieux, comme le montre l'expérience européenne. Dans bien des cas, les Européens ont substitué un tout nouvel ensemble de règles aux dispositions souvent divergentes en place dans les 15 États membres de l'Union. Nous ne sommes pas confrontés, en Amérique du Nord, à une tâche aussi énorme (certainement pas au Canada et aux États Unis) tant sont similaires la structure et la philosophie de base des règles qui gouvernent le commerce, le travail et le fonctionnement des marchés financiers — sans pour autant être identiques, loin s'en faut. Ainsi, le processus d'harmonisation à l'échelle nationale sera moins ardu qu'en Europe, mais il exigera tout de même beaucoup de temps et d'efforts. En outre, la difficulté, c'est que, pour profiter des avantages de l'harmonisation, nous devrons probablement aligner l'essentiel de nos propres dispositions réglementaires sur celles de nos voisins du sud, compte tenu de l'importance des États-Unis.

Certes, pareille harmonisation de nos normes et procédures réglementaires avec celles en vigueur dans ce pays comporte des inconvénients. Les normes américaines ne sont peut-être pas toujours idéales dans le contexte canadien. Néanmoins, nous ne devrions pas les écarter du revers de la main sous prétexte qu'elles ne sont pas parfaites. Nous devrions au contraire les examiner très sérieusement et nous demander chaque fois s'il serait préférable de les adopter, afin d'harmoniser les régimes réglementaires en Amérique du Nord, plutôt que de garder nos propres règles, même si celles-ci sont peut-être mieux adaptées à nos besoins particuliers.

Autrement dit, si nous décidons de maintenir des régimes différents en matière de régulation économique, il vaudrait mieux que ce choix repose sur de sérieux motifs et que les différences que nous conservions produisent vraiment de meilleurs résultats pour les Canadiens.

Il se peut bien entendu que nous préférions faire les choses différemment au Canada dans certains cas, pour des raisons d'ordre social ou politique. Par exemple, s'il est une question débattue de nos jours au Canada, c'est celle de la fourniture des soins de santé, du régime de santé publique et de la réglementation des médicaments. Un autre sujet d'actualité concerne les politiques relatives à l'immigration. Toutes ces questions méritent un examen approfondi. Et nous devrions encourager les analystes à comparer soigneusement les avantages et les coûts du maintien de régimes différents à ceux qu'impliquent des régimes s'harmonisant davantage.

Enfin, je voudrais faire remarquer, pour clore ce volet sur la réglementation, que nous avons au Canada un problème de taille. Je pense bien sûr à la multiplicité des normes provinciales dans des domaines aussi cruciaux que les marchés du travail, les marchés financiers et les marchés de certains services. Les critères variés de reconnaissance professionnelle dans les corps de métier, les différentes dispositions provinciales sur les valeurs mobilières et les multiples règles en matière de transport viennent tout de suite à l'esprit. Ce type de diversité nous dessert le plus souvent. Par conséquent, il est primordial que nous harmonisions aussi nos propres normes réglementaires.

Étant donné que la plupart des aspects de l'harmonisation des réglementations que j'ai abordés ce soir touchent aussi bien les marchés des biens et services que ceux du travail et des capitaux, je voudrais faire quelques observations concernant plus précisément le renforcement de l'intégration de ces derniers.

L'intégration des marchés du travail serait grandement favorisée si le Canada et les États-Unis établissaient des procédures rapides, simples et peu coûteuses pour la délivrance de permis de travail autorisant les citoyens des deux pays à occuper un emploi de l'autre côté de la frontière. Il va sans dire que ces procédures seraient plus faciles à négocier si les deux pays mettaient en place, dans le même temps, un périmètre commun de sécurité autour de l'Amérique du Nord pour l'immigration, quoique l'adoption de ce périmètre ne soit pas, en toute logique, une condition préalable.

Pour que le bien-être progresse réellement, les initiatives destinées à ouvrir les marchés du travail exigeraient également une plus grande harmonisation des règles relatives à la reconnaissance professionnelle, de telle sorte que les gens puissent effectivement travailler de part et d'autre de la frontière. Évidemment, il faudrait d'abord harmoniser les politiques du marché du travail et adopter des normes communes en matière de reconnaissance professionnelle dans l'ensemble des provinces canadiennes.

Les marchés financiers du Canada et des États-Unis sont déjà étroitement intégrés et, comme je l'ai mentionné précédemment, les Canadiens (et les Américains) profitent largement de l'ouverture, de la transparence et de la compétitivité de ces marchés. Puisque nous cherchons tous à améliorer la qualité de la gouvernance des entreprises et aspirons à davantage de transparence dans la foulée des récents scandales comptables, voici une excellente occasion de mieux harmoniser les réglementations en Amérique du Nord, sinon à l'échelle internationale. Les autorités de par le monde se sont mises en quête d'un ensemble judicieux de principes et de règles applicables à la comptabilité et au commerce des valeurs mobilières. Nous ne devons pas manquer l'occasion — et je crois que nous sommes sur la bonne voie — de parvenir à une uniformisation plus poussée des normes, tant par rapport aux États-Unis qu'entre provinces canadiennes.

En somme, pour arriver à maximiser les avantages économiques, l'harmonisation des normes et pratiques réglementaires, surtout en ce qui concerne les marchés des capitaux et du travail, est appelée à devenir une priorité.

Intégration économique et union monétaire

J'aimerais, pour finir, traiter brièvement de l'intégration monétaire. L'on m'a demandé, dans l'éventualité où une décision de nature politique était prise au Canada en faveur d'un renforcement de l'intégration en Amérique du Nord, s'il serait encore avantageux que nous gardions notre monnaie nationale, ou si nous devrions envisager d'adopter le dollar américain.

Tout d'abord, permettez-moi de souligner que la possibilité d'une union monétaire ne devrait être étudiée que lorsque nous aurons accompli davantage de progrès dans la création d'un marché unique pour les biens et services, les capitaux et le travail. En l'absence d'un marché unique et efficace du travail, l'adoption d'une monnaie commune pourrait imposer aux travailleurs de lourds coûts d'ajustement. Mais si nous nous dirigions vers la formation d'un marché unique, devrions-nous songer alors à une union monétaire? La réponse à cette question, comme je l'ai déjà expliqué dans d'autres allocutions, dépend dans une large mesure du degré de similitude ou de dissimilitude des structures industrielles des deux pays.

Bien qu'il soit toujours possible que ces structures convergent à l'avenir (ou même divergent!), il n'en reste pas moins, pour l'instant, qu'elles sont très différentes. C'est pourquoi les chocs économiques n'ont généralement pas la même incidence sur nos deux économies. Dans ces conditions, une monnaie distincte dont le cours flotte facilite l'ajustement à ces chocs en limitant au maximum les pertes de production et la hausse de l'inflation.

Supposons cependant que nous soyons sur le point d'établir un véritable marché unique pour les biens et services, le travail et les capitaux. Il serait alors normal d'envisager l'adoption d'une monnaie commune, compte tenu du degré de convergence des structures industrielles à ce moment-là, afin de voir si les avantages découlant de la baisse des coûts de transaction que permet l'utilisation d'une seule monnaie compensent l'accroissement des coûts d'ajustement économique.

Conclusion

Permettez-moi de résumer, en terminant, l'essentiel de mon propos.

Fondamentalement, la décision de renforcer l'intégration économique en Amérique du Nord est une décision politique qui reviendra aux Canadiens et à leurs élus.

D'un point de vue strictement économique, j'ai, en tant qu'économiste, un net penchant pour la poursuite de l'abolition des barrières commerciales — de préférence, de façon multilatérale, mais en commençant par celles en place au Canada et en Amérique du Nord, par souci de réalisme. À long terme, ce choix favorisera l'augmentation de l'efficience et de la productivité de notre économie, ouvrira à nos entreprises et à nos travailleurs de nouveaux horizons et, par-dessus tout, haussera le niveau de vie des Canadiens.

Évidemment, cela ne va pas sans certains inconvénients. Une intégration plus poussée avec les États-Unis pourrait nous exposer davantage aux fluctuations conjoncturelles de ce pays. Nous perdrions peut-être aussi la possibilité de définir des politiques adaptées à tous nos besoins ou destinées à encourager certains secteurs d'activité au Canada. Ces questions méritent toute notre attention et doivent être examinées avec soin. Mais, pour l'instant, la théorie économique et notre expérience nous confortent dans l'idée que, tout bien pesé, les avantages liés à l'ouverture sur le reste du monde l'emportent sur les inconvénients.

J'ai exposé ce soir quelques-uns des éléments que j'estime pertinents pour juger de l'opportunité de renforcer l'intégration économique en Amérique du Nord et de l'étendue des mesures à prendre si les Canadiens décidaient d'aller de l'avant.

Je me réjouis à la perspective d'entendre les vues que les autres participants auront sur la question au cours de cette conférence.

  1. 1. J. F. Helliwell (1998), How Much Do National Borders Matter?, Washington (D. C.), The Brookings Institution.[]