Changez de thème
Changez de thème

S'adapter à une économie en mutation

Disponible en format(s) : PDF

Mesdames et Messieurs, bonjour. C'est un plaisir d'être avec vous à Montréal aujourd'hui.

Les gens d'affaires, mais aussi tous les Canadiens, traversent actuellement une période d'incertitude. Nous sortons d'une année éprouvante, qui a comporté son lot de défis pour chacun d'entre nous. Dans des moments comme ceux-ci, on a tendance à se concentrer sur les problèmes à court terme. Mais en faisant cela, on risque de perdre de vue l'ensemble du tableau. La Banque du Canada a beaucoup traité des perspectives économiques à court terme dans la Mise à jour du Rapport sur la politique monétaire qu'elle a publiée il y a quelques semaines. Je vais donc parler aujourd'hui des tendances à long terme de l'économie canadienne.

Pour situer mes propos, je commencerai par faire un bref retour sur certains des événements économiques qui ont marqué les dernières décennies, et j'expliquerai les façons dont nous avions alors abordé la question des ajustements à opérer. Puis, je passerai en revue les mesures requises à l'heure actuelle et dans les prochaines années. J'espère, de cette façon, mettre en lumière les leçons tirées du passé. Ma présentation s'articule autour des politiques économiques structurelles, des politiques macroéconomiques et du rôle du taux de change dans le processus d'ajustement.

Politiques d'ajustement appliquées au fil des ans

Remontons aux années 1970. Au moins deux facteurs à l'oeuvre à ce moment-là ont provoqué la nécessité de transformations économiques. Le premier était une chute notable du taux de croissance de la productivité. Le Canada, comme les États-Unis, s'était habitué durant les années 1950 et 1960 à ce que la productivité augmente à un rythme rapide. Et cette augmentation s'accompagnait d'une hausse continue des revenus réels. Mais la croissance tendancielle de la productivité a brusquement ralenti au début des années 1970.

À l'époque, les décideurs publics, les entreprises et les travailleurs ont supposé qu'il s'agissait d'un ralentissement cyclique. Ce n'était pas le cas. Encore aujourd'hui, les économistes ne peuvent expliquer entièrement ce qui s'est passé. Mais nous comprenons mieux maintenant à quel point les gains de productivité durant les années 1950 et 1960 étaient liés aux progrès des technologies d'application générale implantées dans l'ensemble de l'économie. Les entreprises ont su profiter des diverses innovations techniques dans toutes sortes de domaines, ce qui leur a permis d'accroître leur productivité de façon considérable.

Lorsque la croissance de la productivité s'est ralentie dans les années 1970, bien des gens ont supposé que la situation serait temporaire et que la vive progression qu'on avait connue reprendrait d'elle-même. Ils avaient tort. En l'absence de solides gains de productivité, l'économie n'a pu générer les hausses de revenus réels auxquelles chacun en était venu à s'attendre. Cette situation a été envenimée par le deuxième grand événement qui a marqué les années 1970, à savoir la crise de l'énergie. Au Canada, malheureusement, nous n'avons pas saisi au départ toutes les implications de cette crise. Nous avons été lents à comprendre que la montée des cours du pétrole entraînerait aussi une réduction de la capacité de production de l'économie.

Les autorités canadiennes ont essayé d'atténuer les effets du renchérissement de l'énergie et du ralentissement de la croissance de la productivité en augmentant les transferts et les subventions, et en assouplissant les politiques budgétaire et monétaire. Par exemple, la Banque du Canada a accru les liquidités en grossissant la masse monétaire trop vite compte tenu de la progression plus faible de la capacité de production de l'économie. Sous l'effet de ces politiques structurelles et macroéconomiques, l'inflation s'est accélérée et les déficits budgétaires se sont creusés, ce qui a freiné le processus d'ajustement structurel à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Le tout a été aggravé par des erreurs de perception généralisées quant au ralentissement de la productivité. Les entreprises, les ménages et les gouvernements s'attendaient tous à une reprise de l'expansion économique et à une poursuite, au même rythme qu'avant, de la hausse des revenus réels. Toutefois, en l'absence d'une forte avance de la productivité, l'économie n'était plus en mesure de satisfaire ces demandes.

Mais nous avons tiré une leçon du pénible épisode de 1975 à 1985. Nous avons appris que des ajustements structurels sont essentiels et inévitables, et aussi que les politiques macroéconomiques ont un rôle à jouer pour que ces ajustements s'opèrent rapidement et donnent lieu à moins de perturbations. Le Canada a eu l'occasion de mettre cette leçon en pratique durant les années 1990. Voici comment.

D'abord, rappelons-nous l'état dans lequel se trouvait notre économie à l'aube des années 1990. Même si l'inflation avait beaucoup diminué par rapport à dix ans auparavant, elle était encore relativement élevée selon nos normes actuelles. La situation budgétaire du pays était peu reluisante et se détériorait. Le déficit du secteur public canadien allait toucher un sommet d'environ 8 % du PIB, et les niveaux d'endettement continuaient de grimper. De toute évidence, la situation n'était plus viable. Il fallait de toute urgence entreprendre des changements.

Le premier changement important date de 1991, lorsque la Banque et le gouvernement fédéral ont convenu d'adopter une série de cibles explicites de réduction de l'inflation. L'entente initiale prévoyait que la cible d'inflation — exprimée en taux d'augmentation annuel de l'indice des prix à la consommation — descendrait graduellement à 2 %, le point médian d'une fourchette de 1 à 3 %. L'entente a été reconduite trois fois depuis et s'étend maintenant jusqu'à la fin de 2006. Chaque fois, le milieu de la fourchette visée a été maintenu à 2 %.

Ce cadre a très bien fonctionné. De la fin de 1994 à aujourd'hui, l'inflation s'est située en moyenne à presque exactement 2 %. Et en plus d'avoir baissé, elle est devenue plus stable. En effet, l'inflation fondamentale, que nous mesurons à l'aide d'un indice de référence, est demeurée à l'intérieur de la fourchette visée presque continuellement au cours des dix dernières années. Plus important encore, nous avons constaté, après quelques années d'application du nouveau cadre, que les attentes d'inflation des Canadiens se sont alignées sur la cible de 2 %, et elles sont demeurées proches de cette cible au cours des dernières années.

Une autre correction majeure s'est amorcée vers le milieu de la dernière décennie. À ce moment-là, le Canada était aux prises avec un déficit budgétaire intenable. Les dépenses de l'État devaient être remises sur une trajectoire viable à long terme, et le ratio de la dette publique au PIB devait adopter une courbe descendante.

Au milieu des années 1990, les administrations publiques — fédérale et provinciales — avaient entrepris la tâche douloureuse mais nécessaire d'équilibrer leurs finances et d'alléger le fardeau de leur dette. Cet effort d'assainissement a contribué à accroître la crédibilité des politiques économiques du Canada et a fait baisser la prime de risque exigée par les investisseurs sur les obligations du gouvernement canadien. Le repli des taux d'intérêt a réduit les coûts du service de la dette et stimulé la croissance économique, ce qui a accru les revenus de l'État. Le ratio Dette/PIB du gouvernement fédéral, qui avait culminé à près de 70 %, est tombé à environ 44 %. Le rapport entre l'ensemble du passif des administrations publiques et le PIB est passé d'un sommet de 100 % à quelque 80 % selon l'OCDE.

L'autre grand changement survenu dans les années 1990 a été la restructuration dans les secteurs public et privé. Dans un cas comme dans l'autre, les ajustements effectués ont été extrêmement utiles, car ils ont rendu l'économie canadienne plus flexible.

En ce qui concerne le secteur public, les administrations sont parvenues à atténuer les distorsions au sein de l'économie en éliminant de nombreuses subventions aux entreprises, en réduisant les impôts et en faisant en sorte que le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec reposent sur une base viable. De plus, le gouvernement fédéral a modifié son régime d'assurance-chômage afin de mieux respecter les principes de l'assurance et d'améliorer l'employabilité de la main-d'oeuvre. Du côté du secteur privé, les entreprises et leurs employés ont dû subir la restructuration découlant des accords de libre-échange, qui ouvraient davantage les portes de notre pays à la concurrence internationale. Aucun de ces ajustements n'a été facile, mais grâce à eux l'économie canadienne est plus flexible et en meilleure position pour surmonter les chocs et, partant, pour progresser à un rythme soutenu.

Notre régime de changes flottants a facilité les ajustements sur ces divers fronts en transmettant aux entreprises des signaux sur les types de changements requis. Les firmes qui produisaient des biens et des services exportés, et qui ont pu tirer avantage des accords de libre-échange et de la force de la demande étrangère, ont vu leur rentabilité s'améliorer. Et comme la dépréciation du dollar canadien faisait monter le coût des machines et du matériel par rapport à celui de la main-d'oeuvre, les entreprises des secteurs en expansion ont été incitées à absorber une partie de la main-d'oeuvre dont les secteurs en décroissance n'avaient plus besoin. L'utilité du taux de change flottant s'est aussi fait sentir sur le plan macroéconomique. La dépréciation de notre dollar vers la fin des années 1990 a stimulé la demande étrangère au moment où celle du secteur public canadien était contenue.

Vous avez là trois facteurs qui se sont combinés durant les années 1990 pour jeter les bases d'une économie plus vigoureuse dans l'avenir : un cadre sain de conduite des politiques macroéconomiques, des ajustements structurels appropriés et un taux de change flottant. Ils ont tous fait leur part pour aider l'économie à s'adapter aux conditions changeantes de la dernière décennie.

Les ajustements économiques à venir

Voici qui met fin à mon bref retour en arrière. J'aimerais maintenant parler de quelques-unes des forces à long terme qu'on peut s'attendre à voir à l'oeuvre au sein de l'économie dans les années à venir et des ajustements économiques qu'il faudra probablement apporter.

D'abord et avant tout, je veux signaler que nous aurons à nouveau la possibilité, dans les prochaines années, d'enregistrer des gains de productivité marqués. Cette fois, les technologies d'application générale qui pourront donner lieu à une augmentation soutenue de la productivité et des revenus viennent des secteurs de l'information et des communications. Bien sûr, la simple existence de technologies de pointe ne peut à elle seule être garante d'une productivité accrue. L'investissement, la formation, les changements organisationnels et la souplesse doivent aussi être de la partie. Les Canadiens ont commencé à investir dans les technologies d'amélioration de la productivité à la fin des années 1990. Après une pause au début des années 2000, ces investissements semblent avoir repris.

Ces efforts d'amélioration de la productivité sont très importants, surtout lorsqu'on les examine sous l'angle des défis considérables auxquels nous devrons faire face en matière démographique au cours des prochaines années. Ce qui m'amène au deuxième point que je veux soulever : le vieillissement de notre main-d'oeuvre. Selon les projections actuelles, la proportion de la population en âge de travailler, soit les personnes entre 15 et 64 ans, commencera à chuter dans 15 ans environ. Nous devrons tenir compte de ces modifications de la population et nous employer à abolir ce qui empêcherait les travailleurs plus âgés de demeurer sur le marché du travail s'ils le souhaitent.

Ma troisième observation est que certains facteurs importants qui agissent sur l'économie mondiale méritent notre attention. Ainsi, les graves déséquilibres des balances courantes et des balances des capitaux des divers pays, que l'on observe actuellement, doivent être corrigés. Par ailleurs, les pays à marché émergent, ceux d'Asie notamment, deviennent des acteurs de plus en plus puissants sur la scène économique internationale. Ces facteurs auront une incidence sur l'économie canadienne dans les années qui viennent.

Dans ce contexte, quel genre d'ajustements économiques devrons-nous entreprendre dans les prochaines années? Permettez-moi de vous faire part de mon opinion à ce sujet.

Premièrement, les structures économiques du Canada doivent continuer de s'adapter aux conditions changeantes. Il faudra se consacrer davantage aux activités les plus productives. Cependant, pour qu'il y ait une reprise vigoureuse de la croissance de la productivité, les gouvernements doivent faire en sorte que leurs politiques microéconomiques encouragent la flexibilité et qu'elles n'entravent pas l'innovation, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Les travailleurs devront avoir la formation et les compétences requises pour tirer avantage des nouvelles technologies. Enfin, les entreprises devront faire en sorte que leur organisation et leurs pratiques leur permettent d'exploiter au maximum les possibilités offertes par les nouvelles technologies.

Deuxièmement, le Canada doit garder ses finances en bon ordre. Le ratio de la dette publique au PIB devra baisser encore afin que nous puissions dégager davantage de ressources pour soutenir notre population vieillissante. Cela signifie que tous les niveaux de gouvernement devront maintenir un budget relativement équilibré, voire réaliser des surplus.

Cela dit, qu'en sera-t-il de la politique monétaire? Dans la livraison du mois dernier de la Mise à jour du Rapport sur la politique monétaire, nous avons mentionné que le rôle de la politique monétaire est de faciliter les ajustements en contribuant à soutenir la demande globale.

Qu'entendons-nous par là? Comme toujours, cela signifie que nous tenterons de ramener l'inflation à la cible de 2 % en nous efforçant de faire tourner l'économie aussi près que possible des limites de sa capacité. C'est le but que nous poursuivons en permanence. Mais nous devrons aussi surveiller les facteurs qui donneront lieu à des ajustements économiques au cours des prochaines années. Dans un contexte d'appréciation du dollar canadien, nous savons que l'économie devra moins s'appuyer sur la demande étrangère et s'en remettre davantage à la demande intérieure afin d'afficher une croissance vigoureuse et continue. Nous tiendrons compte de cet aspect dans la formulation de la politique monétaire.

J'aimerais maintenant passer au dernier point, c'est-à-dire le taux de change. Le régime de changes flottants en vigueur demeurera un élément clé de notre cadre de conduite de la politique monétaire, puisqu'il facilite les ajustements qui s'imposent en transmettant dans les prix des signaux importants. Les entreprises canadiennes doivent continuer à se laisser guider par l'évolution des prix, notamment des taux de change. De la même façon qu'elles ont réagi à l'affaiblissement du dollar canadien dans les années 1990, elles doivent maintenant s'ajuster à la hausse du dollar par rapport à la devise américaine, ainsi qu'aux variations du taux de change par rapport aux autres monnaies.

Le raffermissement du dollar canadien cadre bien avec les transformations qui devront être opérées au sein de notre économie, même si la vitesse à laquelle il s'est produit récemment a rendu les ajustements plus difficiles. Parce qu'il fait baisser le coût des machines et du matériel par rapport à celui de la main-d'oeuvre, un dollar plus fort est compatible tant avec la nécessité d'améliorer la productivité qu'avec les pressions démographiques qui s'exerceront dans l'avenir sur notre population active. L'appréciation de notre monnaie va aussi de pair avec la hausse du prix des produits de base comparativement à celui des biens manufacturés et des services. Elle fait également augmenter le prix des biens confinés au marché intérieur par comparaison à celui des biens faisant l'objet de commerce international. Cela devrait encourager le déplacement de la main-d'oeuvre et des capitaux vers les secteurs qui alimentent la demande intérieure.

Nous voyons déjà des signes que les entreprises canadiennes procèdent véritablement à des ajustements en réaction au raffermissement du dollar. Chaque trimestre, la Banque du Canada les sonde pour faire le point sur leurs activités, et, d'après les récentes enquêtes, les sociétés canadiennes sont plutôt optimistes face à l'avenir. De toute évidence, l'appréciation du dollar canadien a touché les différentes entreprises de différentes façons. En particulier, certains fabricants qui n'ont pas été avantagés par la hausse des cours des produits de base ont eu du mal à s'adapter. Mais la plupart des entreprises ont adopté des mesures qui leur permettent, entre autres, d'accroître leur productivité, de réduire leurs coûts, de modifier leurs sources d'approvisionnement et de se protéger contre le risque de change. Les entreprises que le raffermissement du dollar a favorisées ont également procédé à des ajustements. Certaines ont diminué leurs prix, d'autres, renforcé leur situation financière et d'autres encore, accru leur productivité. L'information tirée de notre dernière enquête est versée dans notre site Web. Nos enquêtes, ainsi que celles qui ont été menées par Exportation et développement Canada et le Conference Board du Canada, semblent indiquer que les investissements des entreprises augmenteront.

Je sais bien que certaines de ces transformations ne vont pas sans mal. Pour bon nombre d'employés et d'entreprises, le processus peut s'avérer difficile. Cependant, dans le monde actuel, les entreprises n'ont pas d'autre choix. Heureusement, grâce à la solidité du cadre de conduite des politiques économiques, le contexte actuel se prête relativement bien à la mise en place des changements requis. En ce moment, de nombreux facteurs sont propices aux investissements : l'inflation demeure à un niveau bas, stable et prévisible et les conditions du crédit sont favorables. La confiance et la situation financière des entreprises sont solides, et les marchés boursiers affichent une bonne tenue.

Conclusion

J'aimerais terminer par quelques observations au sujet des leçons à tirer de l'expérience passée. Les points principaux qui s'en dégagent sont clairs. Les économies doivent avoir suffisamment de flexibilité pour s'adapter aux conditions changeantes. Autrement dit, elles doivent adopter des politiques structurelles saines ainsi que des politiques macroéconomiques appropriées, qui, combinées à un régime de changes flottants, permettront aux ajustements de s'effectuer de façon plus harmonieuse.

Nous tous, gens d'affaires ou responsables des politiques économiques, devons reconnaître rapidement la nécessité d'apporter des correctifs quand il le faut. Il est périlleux de rester passif devant les réalités économiques. Quand les ajustements s'effectuent trop lentement, l'économie en souffre. Et l'effet négatif de politiques inadéquates peut se faire sentir pendant plusieurs années avant d'être corrigé. En revanche, quand les ajustements adéquats sont opérés rapidement, l'ensemble de l'économie en bénéficie.

À vous, gens d'affaires, qui devrez vous adapter aux défis économiques de l'avenir, je puis vous assurer que vous pouvez compter sur la Banque du Canada pour poursuivre la politique monétaire appropriée afin de vous aider dans votre tâche.

Information connexe

11 février 2004

Le gouverneur David Dodge traite de la nécessité de s'adapter à une économie en mutation

S'adressant aujourd'hui à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le gouverneur de la Banque du Canada, M. David Dodge, a parlé des tendances à long terme de l'économie canadienne et des défis auxquels elle sera confrontée dans les prochaines années, ainsi que des ajustements qu'il faudra opérer en vue de relever ces défis.

Type(s) de contenu : Médias, Communiqués