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Les implications de la mondialisation pour l'économie et les politiques publiques

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Je suis ravi de prononcer mon premier discours public à titre de gouverneur de la Banque du Canada à Vancouver, non seulement parce que mes racines se trouvent ici dans l'Ouest, mais aussi parce que Vancouver illustre parfaitement bien le sujet dont je souhaite vous entretenir aujourd'hui : la mondialisation.

J'ai choisi de traiter de la mondialisation dès le début de mon mandat, car il s'agit de l'une des forces qui continueront de façonner l'économie et les politiques économiques du pays dans les années à venir. Les progrès constants enregistrés dans les domaines du transport, des communications et des technologies de l'information, soutenus par l'adoption généralisée de politiques économiques de marché, contribuent à rapetisser le globe et à faire croître l'économie mondiale. Il est indéniable que l'actuelle vague de mondialisation a été, tout compte fait, très profitable : des centaines de millions de personnes se sont déjà sorties de la pauvreté, et des centaines de millions d'autres ont une chance réelle d'en faire autant 1.

La mondialisation a également présenté de nombreux avantages économiques pour le Canada. La récente période d'intégration internationale a coïncidé avec la deuxième phase d'expansion la plus longue de notre histoire, qui s'est caractérisée par une hausse du revenu réel, une forte augmentation de l'emploi ainsi qu'un niveau d'inflation bas, stable et prévisible. Toutefois, pareils résultats ne sont pas prédestinés; pour pouvoir récolter tous les fruits de la mondialisation, les décideurs publics doivent en mesurer les implications et en relever efficacement les défis.

Aujourd'hui, je me propose de discuter des défis qui se posent sur le plan des politiques, particulièrement au regard de la conduite de la politique monétaire. J'examinerai d'abord en quoi l'actuelle vague de mondialisation diffère des périodes d'intégration économique précédentes, puis j'aborderai certaines de ses incidences économiques. Avant de conclure, je dirai quelques mots sur les perspectives d'évolution de l'économie canadienne, qui – on s'en doute bien – sont influencées de manière importante par la conjoncture économique mondiale.

Qu'y a-t-il de différent?

À certains égards, l'actuelle vague de mondialisation ressemble aux précédentes. On a observé épisodiquement, au fil des siècles, des phases d'intense intégration économique, notamment à l'époque de l'Empire romain et durant la seconde moitié du XIXe siècle. Ces périodes ont en commun plusieurs caractéristiques, comme le fait que des innovations technologiques ont réduit la distance économique (par exemple, la standardisation du réseau routier, le télégraphe et, plus récemment, Internet) et, surtout, que les gouvernements ont appliqué des politiques économiques de soutien. Ces gouvernements ont reconnu les avantages à long terme de l'intégration économique, et étaient de taille suffisamment importante pour assumer les coûts – tant politiques que budgétaires – associés à la promotion de biens publics tels que la primauté du droit, l'adoption de normes communes en matière de commerce, de produits et de services ainsi que la libéralisation des échanges. Un grand nombre de leurs décisions, comme l'abrogation des lois sur le blé en Angleterre, ont suscité la grogne à l'époque mais se sont, en fin de compte, révélées bénéfiques 2. Il est à espérer que les participants aux négociations menées actuellement dans le cadre de la déclaration de Doha commenceront à être inspirés par un pareil courage.

La période d'intégration en cours diffère-t-elle des autres? Pour ma part, je dirais qu'elle se distingue sous trois rapports. Premièrement, l'ampleur du processus est sans précédent; deuxièmement, la taille relative des marchés émergents en train de s'intégrer au coeur de l'économie mondiale signifie que les politiques de ces derniers comptent autant pour les pays avancés que leurs propres politiques; et, troisièmement, l'adoption généralisée de la gestion de la chaîne d'approvisionnement par les entreprises accroît encore davantage le degré d'intégration.

En ce qui concerne l'ampleur du phénomène, on peut affirmer sans crainte de se tromper que, jamais dans l'histoire, l'intégration économique n'a touché autant d'individus, tant en chiffres absolus qu'en pourcentage de la population mondiale. Ainsi, lorsque l'Amérique du Nord et la périphérie de l'Europe ont été intégrées, durant la seconde partie du XIXe siècle, leur population totale équivalait à la moitié de celle des pays avancés de l'époque. Pour le Japon de l'après-guerre, cette proportion était de 10 %. Par comparaison, la Chine et l'Inde à elles seules représentent aujourd'hui deux fois et demie la population actuelle des pays avancés 3. Certes, les populations entières de la Chine, de l'Inde et d'autres marchés émergents ne sont pas instantanément intégrées à l'économie mondiale. Toutefois, si l'on tient compte du pourcentage de la population dans le secteur des biens échangeables, l'offre effective de main-d'oeuvre mondiale a quadruplé entre 1980 et 2005, le gros de l'augmentation s'étant produit après 1990 4. Et cette tendance est appelée à se poursuivre : la population active intégrée à l'échelle du globe devrait encore doubler d'ici 2050 5.

De même, les flux transfrontières de biens, de services et de capitaux atteignent une ampleur inédite. L'économie mondiale s'est ouverte radicalement : les exportations de marchandises représentent désormais quelque 20 % du PIB mondial, contre environ 9 % au sommet de la dernière grande vague de mondialisation, il y a une centaine d'années 6. Selon des recherches effectuées par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), grâce aux progrès de la technologie des communications, jusqu'à un service sur cinq est maintenant échangeable, bien qu'on n'ait à peine commencé à exploiter ce potentiel 7. Les flux de capitaux transfrontières comptent aujourd'hui pour environ 15 % du PIB mondial, comparativement à 3 % au tournant du siècle dernier 8.

La deuxième caractéristique propre à la présente vague de mondialisation tient à l'importance que revêtent les politiques économiques adoptées par les marchés émergents, compte tenu de la taille relative de ces derniers. Dans l'ensemble, ces politiques ont amélioré le bien-être des citoyens de ces pays et celui des nôtres, grâce aux gains tirés du commerce. Cependant, à certains égards, surtout en ce qui a trait à la flexibilité du taux de change et, par extension, à la conduite de leurs politiques monétaires respectives, certaines économies émergentes courent de grands risques. En particulier, elles continuent d'importer ce qui constitue pour elles une politique monétaire exagérément laxiste qui finira, en raison d'une hausse de l'inflation intérieure, par mener à des ajustements du taux de change réel ainsi qu'aux inévitables distorsions économiques, coûts d'ajustement et risques d'un atterrissage brutal.

Mentionnons également les importantes répercussions, sur le plan international, de ces politiques sur les autres économies, comme celle du Canada. Les stratégies de promotion des exportations soutenues par une monnaie sous-évaluée engendrent une accumulation de réserves sans précédent, les banques centrales intervenant afin d'empêcher un rajustement du taux de change 9. Contrairement aux périodes précédentes où les pays émergents importaient des capitaux pour financer leurs investissements, les principales économies émergentes d'aujourd'hui sont de grands exportateurs de capitaux, à tel point qu'elles contribuent fortement à la baisse des taux d'intérêt à long terme à l'échelle mondiale. Comme le niveau des taux à long terme influe sur la propension à prendre des risques et l'allocation du capital, la mesure dans laquelle ces taux sont déterminés par des forces non liées au marché peut entraîner des distorsions. De fait, le bas niveau et la relative stabilité des taux d'intérêt à long terme ont encouragé les investisseurs à rechercher de meilleurs rendements, ce qui, à son tour, a contribué à l'essor spectaculaire des produits de crédit hautement structurés, y compris ceux adossés à des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis.

Le troisième aspect qui distingue la phase de mondialisation actuelle concerne la relative nouveauté de la gestion de la chaîne mondiale d'approvisionnement. Les progrès au chapitre des technologies de l'information, les processus de production spécialisés et la baisse des coûts de communication et de transport ont permis à toute une nouvelle gamme de biens et de services de devenir échangeables. Par exemple, au cours des 30 dernières années, la part des importations en pourcentage de la production manufacturière a triplé, pour atteindre près de 30 % 10.

Il s'ensuit que les entreprises sont maintenant en mesure d'accroître l'efficience de la production par des moyens jusqu'ici inimaginables. En plus du commerce grandissant des composantes ou des produits intermédiaires, une toute nouvelle catégorie de services échangeables – notamment des services financiers, médicaux, juridiques et d'ingénierie – a vu le jour. Il y a lieu de croire que ces tendances se poursuivront. Grâce à ces avancées, on peut facilement envisager qu'un produit conçu et commercialisé au Canada soit assemblé en Chine, avec des pièces provenant d'autres pays émergents d'Asie, et que le soutien en soit assuré par des techniciens en Inde. En décomposant les processus de production en une chaîne d'approvisionnement mondiale, les entreprises sont mieux à même de réaliser les gains d'efficience qui permettent d'améliorer la productivité et de réduire les prix 11.

L'intégration a eu un effet modérateur manifeste sur les prix des biens manufacturés. Dans les faits, la technologie et la mondialisation facilitent l'application généralisée de deux des forces les plus puissantes en économie : la division du travail et l'avantage comparatif. Ceux-ci permettent aux entreprises d'organiser le processus de production de la façon la plus rentable possible, ce qui maximise les chances que le Canada conserve sa position dans les segments à forte valeur ajoutée de nombreuses industries. Il ressort d'une récente analyse du Conference Board du Canada que, du moins en ce qui concerne les chaînes d'approvisionnement en Asie, les firmes canadiennes pourraient en faire plus pour tirer parti des occasions qui se présentent 12.

Certaines implications économiques de la mondialisation

Parallèlement, la progression rapide de la fabrication dans les pays à marché émergent a provoqué une forte demande de nombreuses matières premières et, partant, une pression constante à la hausse sur les cours de beaucoup de celles que produit et exporte le Canada. La combinaison de la diminution des prix de nos importations et de la hausse des prix de nos exportations entraîne, par définition, une amélioration des termes de l'échange du pays. À elle seule, cette amélioration a fait bondir le revenu disponible réel par habitant de 8,5 % au cours des cinq dernières années, et contribué à l'assainissement du bilan des sociétés et au redressement continu des finances publiques.

Le Canada s'est bien ajusté aux brusques variations de ses termes de l'échange. Comme en témoignent les entretiens que la Banque a eus avec des chefs d'entreprise, les réponses fournies dans le cadre de son enquête sur les perspectives des entreprises ainsi que les données faisant état d'une augmentation annuelle moyenne de 8 % des investissements des entreprises depuis 2002, l'économie canadienne est de plus en plus axée sur les services haut de gamme. Au sein du secteur des biens, les entreprises se spécialisent et se concentrent sur les domaines où elles jouissent d'un avantage comparatif 13.

On reproche souvent à la mondialisation d'être à l'origine des inégalités grandissantes et de la chute des salaires dans certains secteurs des économies industrialisées, les emplois peu spécialisés étant délocalisés. De fait, selon les Perspectives de l'emploi de l'OCDE pour 2007, le ratio du revenu du travail au PIB a reculé dans la plupart des pays membres, dont le Canada, depuis 20 ans, tandis que dans 16 des 19 pays pour lesquels on dispose de données, la rémunération des travailleurs situés au haut de la distribution des salaires a progressé, depuis le début des années 1990, par rapport à la rémunération de ceux qui se trouvent au bas. Bien que la mondialisation ait joué un rôle dans ces tendances, elle est loin d'être le seul facteur en cause. De nombreuses données portent à croire que les changements technologiques expliquent pour une bonne part la diminution du ratio du revenu du travail au PIB 14. En outre, le revenu du travail au Canada a continué d'augmenter ces dernières années en raison de la forte croissance de l'emploi.

Ce qui ressort clairement, c'est que la mondialisation a modifié la composition de la population active de nombreux pays en favorisant un déplacement des processus de production exigeant beaucoup de main-d'oeuvre peu spécialisée vers les marchés émergents et en favorisant l'essor des activités de production hautement spécialisées et fondées sur le savoir dans les pays industrialisés. S'il est vrai que ce processus d'ajustement peut s'avérer difficile – et l'a d'ailleurs été – pour un certain nombre de personnes et d'entreprises, le bilan est, somme toute, très positif. Dans les pays où les marchés du travail sont flexibles, les travailleurs licenciés sont mieux à même de se recycler et, en définitive, de se trouver des emplois plus productifs. Depuis décembre 2002, au Canada, l'emploi dans le secteur de la fabrication a chuté d'environ 14 %, ce qui représente une perte de 320 000 emplois, alors que dans les autres secteurs producteurs de biens, il a affiché une progression de quelque 23 %, ce qui correspond à 382 000 nouveaux emplois. Au cours de la même période, le secteur des services a créé plus de 1,4 million d'emplois, et la rémunération horaire moyenne s'est accrue à un rythme annuel de 3,3 %. De plus, tout le monde au sein de notre économie profite de la baisse du coût des importations. Quoique l'excellente tenue de l'emploi au Canada ne puisse être attribuée à la mondialisation à proprement parler, celle-ci ne l'a certes pas empêchée. Parallèlement, de la même façon que la mondialisation a encore beaucoup de chemin à faire, le processus d'ajustement est loin d'être achevé. C'est pourquoi il est si important pour le Canada de continuer à améliorer sa flexibilité économique – comme on l'a fait valoir à maintes reprises dans les discours de la Banque du Canada.

Les défis posés par la mondialisation sur le plan des politiques

Il ressort clairement du débat au sujet de l'incidence économique de la mondialisation que cette dernière a aussi des implications importantes pour la conduite de la politique monétaire. Je passerai brièvement en revue quatre implications pour la Banque du Canada. Il convient toutefois de souligner d'emblée que celles-ci peuvent être conflictuelles et qu'aucune n'est inexorable; elles méritent donc un examen attentif.

Premièrement, la Banque doit garder à l'esprit la possibilité que les mouvements des termes de l'échange agissent sur la relation entre l'inflation mesurée par l'indice de référence et celle mesurée par l'IPC global. Il faut se rappeler que la mondialisation a entraîné une baisse des prix de nombreux biens manufacturés et une hausse des cours de beaucoup de produits de base, notamment de produits énergétiques. Même si ces deux groupes sont représentés dans l'IPC global, plusieurs prix de l'énergie sont exclus de notre indice de référence en raison de leur volatilité. Dans la poursuite de notre cible de 2 % fixée pour l'IPC global, nous nous servons de notre indice de référence comme guide dans la conduite de la politique monétaire, car il s'est avéré une bonne mesure de la tendance fondamentale de l'inflation et un meilleur indicateur prévisionnel des variations futures de l'IPC global que ce dernier. Selon une recherche de la Banque du Canada à paraître, cette relation se vérifie toujours chez nous, même si c'est moins le cas pour bien d'autres pays 15. La Banque continuera à surveiller la stabilité de cette relation et aussi à suivre de près tout un éventail d'indicateurs afin d'évaluer la tendance fondamentale de l'inflation. Ce faisant, elle doit constamment faire preuve d'un grand discernement et ne pas s'en remettre à une seule mesure.

Deuxièmement, la mondialisation peut faire varier le degré et la vitesse de transmission des mouvements du taux de change aux prix intérieurs. Il est généralement admis que la mondialisation a un effet stabilisateur qui limiterait les répercussions des variations du taux de change, car la concurrence accrue à laquelle font face les entreprises incitera celles-ci à comprimer leurs marges bénéficiaires pour rester compétitives et à absorber l'augmentation des coûts 16. À la longue, toutefois, les prix locaux devraient s'ajuster aux mouvements du taux de change, s'ils persistent. En fait, cet effet se manifeste peut-être déjà ici au Canada, car certains détaillants de véhicules automobiles et de livres ont récemment revu leurs prix à la baisse en réponse à l'intensification des pressions concurrentielles attribuable à la hausse du dollar canadien.

Troisièmement, la mondialisation peut avoir un effet conflictuel sur la productivité. J'ai déjà mentionné qu'elle favorise un accroissement de la productivité en permettant aux entreprises d'organiser leurs processus de production de la façon la plus rentable. Encore une fois, cependant, la réalité canadienne est plus complexe. Les fluctuations importantes des prix relatifs découlant de la mondialisation ont entraîné une réaffectation des ressources entre les secteurs et les régions. Cette réaffectation peut donner lieu à un ralentissement temporaire de la croissance de la productivité au moment où s'opèrent les ajustements. Cela est particulièrement vrai dans le secteur des ressources naturelles, où les délais inhérents aux investissements sont généralement longs, où une quantité substantielle de main-d'oeuvre a été absorbée et où les prix élevés des produits de base ont encouragé la production de ressources plus difficiles à exploiter. Ces effets expliquent peut-être en partie les résultats décevants du Canada au chapitre de la productivité ces dernières années 17.

Quatrièmement, l'incidence de la mondialisation sur les taux d'intérêt pratiqués sur le marché est un cas où la théorie économique et la réalité ne concordent pas tout à fait. L'accroissement de l'offre effective de main-d'oeuvre au sein de l'économie mondiale devrait avoir fait augmenter le rendement du capital investi, toutes choses égales par ailleurs, et poussé la demande de capital à la hausse, lequel aurait été affecté à l'embauche de cette main-d'oeuvre supplémentaire. Et cela aurait normalement entraîné une montée des taux d'intérêt. Cependant, comme je l'ai signalé plus tôt, les taux d'intérêt à long terme ont reculé à l'échelle mondiale depuis quelques années, en partie sous l'effet des politiques de change appliquées par certains pays à marché émergent. Il existe plusieurs autres explications possibles de ce phénomène, notamment l'équilibre entre l'épargne privée et l'investissement dans les économies émergentes, qui découle lui-même des politiques économiques menées par ces pays 18.

Compte tenu de ces quatre implications, d'aucuns ont avancé que l'ampleur importante de la vague actuelle de mondialisation nuit à l'efficacité de la politique monétaire 19. Je ne suis pas d'accord. En bref, dans la mesure où un pays conserve un taux de change flottant, il conserve la maîtrise de sa politique monétaire. Le taux d'inflation au Canada est tributaire de l'efficacité de la politique monétaire mise en oeuvre au pays face aux forces mondiales et à l'évolution de la situation intérieure.

Les principaux défis que pose la mondialisation pour les autorités monétaires sont essentiellement son incidence sur la croissance de notre production potentielle et les variations des prix relatifs, comme les prix de l'énergie et des biens manufacturés. Le taux d'accroissement du potentiel de notre économie est important, car il agit sur l'équilibre entre l'offre et la demande. Si l'effet de ces mouvements n'est pas pris en compte par la politique monétaire, ceux-ci influeront sur l'intensité des pressions inflationnistes. En ce qui a trait aux variations des prix relatifs, la Banque tente de voir au-delà des changements ponctuels parce qu'ils n'exercent qu'une influence temporaire sur l'inflation. Toutefois, les fluctuations « temporaires » du niveau des prix découlant de la mondialisation peuvent durer longtemps et leur rythme peut être variable. Il revient à la Banque du Canada de mener la politique monétaire de façon à prendre en compte ces chocs persistants et à faire en sorte qu'ils ne se répercutent pas sur les attentes d'inflation.

L'évolution économique et financière récente

Examinons maintenant l'incidence de ces différents facteurs sur la conduite de la politique monétaire au Canada. Il a beaucoup été question de bon nombre d'entre eux lors de la récente réunion des ministres des Finances et des gouverneurs de banque centrale des pays du G7 à Tokyo. Parmi les principaux sujets abordés, notons le ralentissement de l'économie américaine et le resserrement des conditions du crédit qui en a résulté dans la plupart des économies avancées. Mes collègues et moi avons exposé une série de mesures propres à améliorer le fonctionnement des marchés financiers et avons convenu que chaque pays devait continuer de mettre en oeuvre des politiques budgétaire et monétaire adaptées à ses propres conditions économiques.

La Banque a fait le point sur le contexte économique du Canada dans la Mise à jour du Rapport sur la politique monétaire qu'elle a publiée le mois dernier. Dans ce document, elle indiquait que l'économie fonctionnait au-dessus de sa capacité de production, grâce à la forte demande intérieure. Celle-ci a été soutenue par la hausse des revenus réels découlant des gains au chapitre des termes de l'échange du Canada, qui, comme je l'ai mentionné plus tôt, sont attribuables à la mondialisation. La progression de nos termes de l'échange sera largement fonction de la demande dans les grandes économies émergentes. L'incidence de cette progression est un facteur qui pourrait se traduire par une croissance de la demande intérieure plus vive que ce à quoi on s'attendait. La Banque continuera à suivre de près la situation.

L'évolution du degré de transmission des mouvements du taux de change aux prix constitue une autre question importante qui continuera à retenir notre attention. Comme je l'ai indiqué précédemment, certains détaillants, notamment de véhicules automobiles et de livres, ont réduit leurs prix en réponse à l'intensification des pressions concurrentielles attribuable à l'appréciation du dollar canadien. Dans la Mise à jour du Rapport sur la politique monétaire, la Banque a dit s'attendre à ce que cette variation des prix soit ponctuelle, mais il est possible que les pressions baissières sur les prix soient plus grandes et plus persistantes qu'elle ne l'avait supposé.

La Banque a aussi fait état du risque à la baisse que le resserrement des conditions du crédit soit plus prononcé et dure plus longtemps que prévu. Par ailleurs, le ralentissement de l'économie américaine pourrait se prolonger, ce qui freinerait davantage la croissance du PIB et l'inflation au Canada. Ces deux risques sont bien entendu reliés.

À la lumière de son scénario de référence et des risques connexes, la Banque a abaissé le taux cible du financement à un jour de un quart de point de pourcentage le 22 janvier. Elle avait fait de même le 4 décembre, de sorte que son taux directeur s'établit maintenant à 4 %. Dans l'annonce de sa décision en janvier, la Banque a précisé qu'il faudra probablement encore augmenter le degré de détente monétaire dans un proche avenir afin de maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande globales et de ramener l'inflation à la cible à moyen terme. Comme je l'ai dit récemment, nous déciderons du moment et du degré de cette détente lors des prochaines dates d'annonce préétablies, une fois que nous aurons mené une analyse approfondie de la situation et exercé notre jugement en nous fondant sur toute l'information à notre disposition à ce moment-là.

Conclusion

Permettez-moi de conclure en vous exposant brièvement comment les décideurs publics en général devraient, selon moi, aborder la question de la mondialisation. Cette intégration des marchés comporte des avantages énormes, mais aussi des coûts d'ajustement, qui se traduisent par l'exposition de nos économies à la concurrence internationale et par des variations des prix relatifs.

Le défi qui se pose pour les décideurs consiste à faire en sorte que les avantages de la mondialisation soient maximisés et largement partagés. En général, il convient pour ce faire de veiller à ce que les politiques n'empêchent pas les ajustements fondés sur le marché mais qu'elles favorisent la souplesse des marchés, surtout ceux du travail. Autrement dit, il faut accroître la capacité des travailleurs de se réorienter s'ils le souhaitent, maintenir des filets de sécurité sociale appropriés qui ne découragent pas l'emploi et mettre l'accent sur l'apprentissage et la formation tout au long de la vie. Au-delà des marchés du travail, les administrations publiques devraient axer leurs efforts sur l'intégration à l'intérieur de leurs frontières. L'Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'oeuvre conclu entre la Colombie-Britannique et l'Alberta est un bon exemple. À l'échelle internationale, les gouvernements devraient aussi s'attacher à supprimer les obstacles au commerce et à l'investissement afin de tirer profit le plus possible des avantages de la mondialisation. Ces impératifs seront mis à l'épreuve au cours du ralentissement économique que nous connaissons actuellement.

Du point de vue de la Banque du Canada, le défi que nous aurons à relever sera de comprendre les diverses façons dont la mondialisation influe sur la stabilité financière (qui fera l'objet d'un autre discours) et l'inflation. Nous continuerons à faire connaître notre opinion sur la mondialisation et sur les grandes tendances afin que les particuliers, les entreprises et les administrations publiques du pays disposent de toute l'information qu'il leur faut quand vient le temps de prendre des décisions en matière d'épargne et d'investissement. Enfin, étant donné l'importance grandissante des forces mondiales et le risque que les politiques de certains pays à marché émergent aient des retombées négatives, nous continuerons à profiter de notre participation à des forums internationaux pour orienter les institutions mondiales et les politiques nationales de sorte que tous puissent tirer pleinement parti des avantages de la mondialisation.

Information connexe

18 février 2008

Le gouverneur Carney traite des répercussions de la mondialisation sur le Canada

Le Canada s'est bien ajusté aux brusques variations de ses termes de l'échange et profite des nombreux avantages qu'offre la mondialisation de l'économie, a déclaré aujourd'hui le gouverneur de la Banque du Canada, M. Mark Carney, dans un discours prononcé devant la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique et le Business Council of British Columbia.
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  1. 1. Pour une analyse plus approfondie, voir X. Sala-i-Martin (2006), « The World Distribution of Income: Falling Poverty and . . . Convergence, Period », The Quarterly Journal of Economics, vol. 121, no 2, mai, p. 351-397.[]
  2. 2. Voir M. King (2006), Speech at a Dinner for Kent Business Contacts, Ashford (Royaume-Uni), 16 janvier. Dans ce discours, l'auteur cite l'exemple des manifestations contre l'utilisation de houblon étranger dans la bière.[]
  3. 3. Pour une analyse plus poussée, voir A. Maddison (2005), World Development and Outlook 1820-2030: Evidence Submitted to the House of Lords, 20 février. Document consultable à l'adresse : http://www.ggdc.net/maddison/.[]
  4. 4. Fonds monétaire international (2007), Perspectives de l'économie mondiale, avril, p. 178. La population active de chaque pays est pondérée en fonction de son ratio des exportations au PIB.[]
  5. 5. Ibid., p. 197.[]
  6. 6. Voir A. Maddison (1995), Monitoring the World Economy, 1820-1992, OCDE; et C. Alexander et K. Warwick (2007), « Governments, Exports and Growth: Responding to the Challenges and Opportunities of Globalisation », The World Economy, vol. 30, no 1, p. 178.[]
  7. 7. Voir D. van Welsun et G. Vickery (2005), Potential Offshoring of ICT-Intensive Using Occupations, OCDE, avril.[]
  8. 8. Voir K. H. O'Rourke et J. G. Williamson (1999), Globalization and History: The Evolution of a Nineteenth-Century Atlantic Economy; et R. Battellino (2006), Regional Capital Flows, discours prononcé lors de la sixième séance de réflexion des leaders économiques de demain de l'APEC, Sydney (Australie), 28 juin.[]
  9. 9. Entre la fin de 2001 et la fin de 2004, les réserves de change mondiales ont augmenté de plus de 1,6 billion de dollars É.-U., par suite de l'accumulation de réserves par les pays émergents d'Asie. Voir Banque des Règlements Internationaux (2005), Foreign exchange market intervention in emerging market economies: motives, techniques and implications, coll. « BIS Papers », no 24, mai.[]
  10. 10. OCDE (2007), Perspectives économiques de l'OCDE, no 81, p. 201.[]
  11. 11. M. Amiti et S.-J. Wei (2004), « Demystifying Outsourcing », Finance & Development, Fonds monétaire international, vol. 41, no 4, p. 36-39. Voir également D. Leung et Y. Zheng, What Affects MFP in the Long-Run? Evidence from Canadian Industries, document de travail no 2008-4, Banque du Canada.[]
  12. 12. Conference Board du Canada (2008), Canada's "Missing" Trade with Asia.[]
  13. 13. J. Mair (2005), « L'incidence de l'appréciation du dollar canadien sur les entreprises du pays : résultats des enquêtes de la Banque du Canada sur les perspectives des entreprises », Revue de la Banque du Canada, automne, p. 21-28.[]
  14. 14. Fonds monétaire international (2007), Perspectives de l'économie mondiale, avril, p. 177-212.[]
  15. 15. Voir Banque du Canada (2006), Reconduction de la cible de maîtrise de l'inflation – Note d'information; et J. Hoddenbagh, M. Johnson et E. Santor (2008), Total and Core Inflation: Recent International Evidence, document de travail, Banque du Canada, à paraître.[]
  16. 16. Des données indiquent que la concurrence des importations réduit les marges bénéficiaires au Canada. Voir D. Leung, Markups in Canada: Have They Changed and Why?, document de travail, Banque du Canada, à paraître.[]
  17. 17. R. Dion (2007), « La croissance de la productivité canadienne au cours de la dernière décennie : les résultats de la recherche récente », Revue de la Banque du Canada, été, p. 21-36.[]
  18. 18. La Banque du Canada a publié les résultats d'une recherche selon lesquels le bas niveau des taux d'intérêt s'expliquerait davantage par la faiblesse relative de la demande d'investissement que par la hausse relative du niveau souhaité de l'épargne à l'échelle mondiale (B. Desroches et M. Francis, World Real Interest Rates: A Global Savings and Investment Perspective, document de travail no 2007-16, Banque du Canada). Cette recherche a aussi permis d'établir que les principaux facteurs à l'origine des variations de l'épargne et de l'investissement étaient des variables dont l'évolution est lente, comme la croissance de la main-d'oeuvre et la structure par âge de la population. D'autres facteurs peuvent aussi expliquer les bas taux d'intérêt, dont les choix de politique de certains pays émergents et le développement imparfait des marchés financiers mondiaux.[]
  19. 19. C. Borio et A. Filardo (2007), Globalisation and inflation: New cross-country evidence on the global determinants of domestic inflation, document de travail, Banque des Règlements Internationaux, mai.[]