Les marchés du crédit, la stabilité financière et la politique monétaire

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Mesdames et Messieurs, bonjour. C'est un plaisir pour moi d'être de retour dans ma province natale de l'Alberta et d'avoir l'occasion de discuter avec vous de certains sujets intéressants à une époque qui n'est pas non plus dépourvue d'intérêt. Je me rappelle m'être dit, en janvier dernier, que les cinq mois précédents avaient été les plus occupés de ma carrière à la Banque du Canada. Mais je peux affirmer aujourd'hui que les huit derniers mois ont été sans contredit les plus actifs – et les plus intéressants – depuis que je travaille à la Banque.

J'aimerais aborder ici quelques-unes des questions cruciales auxquelles nous avons dû faire face au cours de cette période. Je commencerai par un bref aperçu des principaux événements à l'origine de la turbulence qui continue de secouer les marchés financiers et qui a grandement contribué aux écarts de crédit considérables que l'on observe maintenant. J'examinerai certaines des analyses en cours à la Banque du Canada au sujet de ces écarts. Je me pencherai ensuite sur les questions relatives aux politiques de stabilité financière qui ont été mises au jour par la turbulence, et j'exposerai quelques-unes des mesures que nous prenons afin de favoriser la stabilité du système financier en cette période d'incertitude. Enfin, j'expliquerai comment nous tenons compte de l'évolution des marchés financiers dans la formulation de la politique monétaire, ainsi que le rôle important joué par celle-ci dans la promotion de la stabilité économique et financière au Canada.

Qu'est-ce qui a mené à cette situation?

Quelles sont les causes premières de la turbulence qui touche actuellement les marchés? Nous savons que, depuis quelques années déjà, le niveau désiré de l'épargne à l'échelle du globe dépassait celui des investissements, ce qui a entraîné une diminution des taux d'intérêt réels à long terme partout dans le monde. Les investisseurs se sont donc mis à rechercher des rendements plus élevés et à accepter de prendre des risques moyennant des primes moins généreuses que par le passé. Cette quête de rendements élevés a notamment eu pour effet de fortement stimuler la demande – et la création – de produits financiers structurés plus complexes, tels que les titres garantis par des créances (TGC) adossés à des titres adossés à des actifs ou à d'autres TGC ainsi que le papier commercial adossé à des actifs (PCAA) garanti par des TGC, dont certains (après 2000) reposaient sur des prêts hypothécaires américains à risque 1.

Ces instruments financiers complexes étaient évalués par les agences de notation du crédit à l'aide de la même échelle que celle qui s'appliquait aux titres de dette ordinaires des sociétés. Certains vendeurs insistaient sur le fait que ces produits avaient une note de crédit élevée – beaucoup étaient cotés AAA – mais passaient sous silence leurs autres caractéristiques. Bon nombre d'investisseurs ont failli à leur devoir d'analyse et de diligence raisonnable et se sont fiés exagérément aux notes de crédit en tant qu'indicateurs du risque ultime associé à ces instruments d'emprunt complexes. Ce faisant, ils ont négligé de prendre en considération d'autres risques, comme le risque de liquidité. Dans bien des cas, la complexité de ces produits les rendait opaques, et trop souvent les investisseurs ont placé leur argent et leur confiance dans des instruments qu'ils ne comprenaient pas entièrement.

Parallèlement, les taux directeurs aux États-Unis ont augmenté et la qualité générale des prêts hypothécaires américains à risque s'est détériorée tout au long de 2005 et 2006, quoique cette détérioration n'ait pas été réellement apparente avant le premier semestre de 2007. La constatation tardive par les agences de notation de la piètre qualité de ces prêts s'est traduite par un déclassement des produits structurés exposés aux prêts hypothécaires à risque, souvent de plusieurs crans. Ces instruments étaient détenus par une vaste gamme de fonds de placement, dont les promoteurs étaient dans bien des cas des banques. De fait, certains produits étaient détenus directement par les banques elles-mêmes. Les investisseurs, tant au Canada qu'aux États-Unis, ont vite constaté que la valeur des instruments de dette structurés bien cotés pouvait chuter substantiellement et que ceux-ci étaient susceptibles de subir d'importantes baisses de cote. Ils ont par conséquent commencé à se détourner de presque tous les types de produits structurés, en partie parce que la complexité de ces instruments empêchait de nombreux participants au marché de bien les comprendre et donc d'évaluer correctement le risque auquel ils exposaient les institutions financières. Au Canada, il s'agissait, entre autres, d'instruments comme le PCAA. Presque immédiatement, le PCAA non bancaire a cessé d'être renouvelé au pays, ce qui a mené à un moratoire dans le cadre de l'accord de Montréal.

Le déclassement des produits structurés fondés sur des prêts hypothécaires américains à risque et le tarissement des marchés du PCAA ont fait naître deux autres préoccupations chez les acteurs du marché. Premièrement, on s'est inquiété de la santé financière des contreparties, notamment des banques. Deuxièmement, on a craint que les activités de titrisation se poursuivent à un rythme beaucoup plus lent que par le passé, et que la réintermédiation qui en résulterait n'entraîne une croissance plus rapide du bilan des banques et un besoin connexe de capitaux. Ces deux préoccupations ont donné lieu à un net élargissement de l'écart de taux d'intérêt entre les titres de dette des banques et les titres de référence du gouvernement.

L'élargissement des écarts de crédit

Au fil du temps, il n'y a pas que les écarts de crédit des banques qui se sont creusés. Nous savons par expérience que les variations des écarts de crédit peuvent être induites par différents facteurs. Parmi les composantes fondamentales des écarts de crédit, mentionnons la perte prévue en cas de défaillance et les primes de risque, lesquelles se divisent en deux grandes catégories : la prime de risque de crédit et la prime d'illiquidité 2. La prime de risque de crédit est liée à la variabilité de la perte prévue sous-jacente, et tant cette prime que la perte prévue en cas de défaillance sont influencées par les fluctuations de l'activité macroéconomique. La prime d'illiquidité est en rapport avec un manque de liquidité sur le marché en général. Ces deux primes, tout comme d'autres primes de risque, peuvent varier en fonction de la propension au risque des investisseurs.

Examinons maintenant de plus près la situation au Canada. Du début de 2004 au milieu de 2007, les écarts relatifs aux obligations de sociétés canadiennes de bonne qualité et aux obligations à rendement élevé étaient plutôt stables et étroits par rapport aux données historiques, comme c'était le cas dans la plupart des autres pays industrialisés. (C'est ce que l'on peut constater au Graphique 1.) Mais ces écarts ont commencé à s'élargir l'été dernier, la crise sur le marché des prêts hypothécaires à risque étant alors bien amorcée. Cet élargissement est dû notamment aux préoccupations grandissantes quant à l'incidence, sur les perspectives d'évolution de l'économie canadienne, d'une éventuelle récession aux États-Unis. Cependant, les écarts de crédit – même s'ils ne s'établissent pas tous à des sommets historiques – sont aujourd'hui beaucoup plus élevés qu'on aurait pu s'y attendre, compte tenu, d'une part, des ralentissements économiques passés et, d'autre part, du fait que notre économie est en meilleure santé que celle des États-Unis. (Le Graphique 2 montre les écarts relatifs aux obligations de bonne qualité au Canada et aux États-Unis.)

Les importants écarts de crédit que l'on observe actuellement, non seulement au Canada mais aussi à l'échelle mondiale, s'expliquent en partie par une hausse inhabituelle des facteurs non liés au risque de crédit, tels que l'érosion systémique de la liquidité sur le marché des titres de sociétés, en particulier des titres émis par des entreprises bien cotées comme les institutions financières. Ces écarts tiendraient également à ce qui semble être un pessimisme excessif à propos des taux de défaillance attendus. On en voit d'ailleurs la manifestation dans le coût très élevé de la protection contre les défaillances sur de nombreux marchés, même si une certaine amélioration s'est fait sentir récemment 3. (Le Graphique 3 illustre l'évolution du coût des primes des swaps sur défaillance en Amérique du Nord et en Europe, tant pour les émetteurs d'obligations de bonne qualité que pour les émetteurs d'obligations de qualité intermédiaire, lesquelles se situent à la limite des titres de bonne qualité et des titres à rendement élevé.)

Tout en cherchant à mieux comprendre les facteurs à l'origine de ces écarts de crédit particulièrement larges, nous sommes bien conscients que, si difficile que puisse être l'évaluation du risque, la situation actuelle démontre que l'évaluation de l'incertitude l'est encore bien davantage 4. Les participants au marché sont aux prises avec des questions et des problèmes qui leur sont peu familiers et qu'ils ne peuvent facilement résoudre, d'où l'incertitude. Celle-ci est attribuable, entre autres, à la nature particulière de la crise immobilière qui frappe en ce moment les États-Unis. C'est en effet la première fois en plus d'un demi-siècle qu'on y enregistre une chute d'une telle ampleur des prix nominaux des logements.

Une deuxième source d'incertitude sur les marchés a trait aux questions liées à la solvabilité des institutions financières. Lorsque les participants au marché perdent confiance dans leur capacité d'évaluer la solvabilité de leurs contreparties – qui, dans bien des cas, sont des institutions financières –, ils deviennent réticents à se consentir des prêts entre eux. Dans l'exemple qui nous occupe actuellement, quand les entreprises ont accepté de s'accorder des prêts mutuellement, elles ont souvent exigé des taux d'intérêt à court terme inhabituellement élevés, qui ont contribué à l'élargissement des écarts de crédit que l'on observe aujourd'hui. Tout récemment, le cas de Bear Stearns nous a fourni un exemple éloquent des effets de cette incertitude. La bonne nouvelle, c'est que les institutions financières ont fait de plus en plus état de leurs pertes et des risques auxquels elles sont exposées, et qu'elles ont pris des mesures pour se reconstituer du capital. En réaction, les marchés ont eu tendance à se stabiliser. Comme je l'ai laissé entrevoir un peu plus tôt, l'incertitude qui plane sur les marchés touche l'ensemble du globe. Dans la plupart des pays industrialisés, on a assisté à un creusement prononcé, et souvent sans précédent, des écarts entre les taux des marchés du crédit à court terme – tels que le taux LIBOR (« London Interbank Offered Rate ») et le CDOR (« Canadian Dollar Offered Rate ») à trois mois – et les taux du financement à un jour anticipés. (Le Graphique 4 montre l'élargissement considérable des écarts de taux à court terme depuis août dernier. Au Canada, les écarts sont maintenant bien en deçà de leurs sommets, mais demeurent supérieurs à la norme.)

Une troisième source d'incertitude concerne la réduction de l'effet de levier des fonds de couverture, des pupitres de négociation pour compte propre et d'autres institutions à fort levier financier. Certains courtiers privilégiés subissant des contraintes en matière de capital et la volatilité des prix des actifs s'étant accrue, certaines institutions – dont les fonds de couverture – voient diminuer leurs lignes de crédit et augmenter les exigences relatives au dépôt de garanties. Elles sont alors généralement forcées de vendre des actifs, ce qui a accentué l'illiquidité des marchés et rendu extrêmement difficile pour les participants la tâche d'évaluer ces actifs ou, parfois, de trouver un marché pour eux. On pourrait penser que pareille situation offrirait une excellente occasion d'achat aux importants investisseurs institutionnels sans effet de levier, qui ont des fonds à placer. Or, la plupart d'entre eux en ont très peu profité. Ils hésitent peut-être en raison de l'incertitude persistante, préférant attendre de voir si le marché chutera davantage et créera ainsi des occasions d'achat encore plus intéressantes. Encore une fois, le fait que les institutions financières divulguent davantage d'information sur leurs pertes et les risques auxquels elles sont exposées pourrait grandement contribuer à atténuer les incertitudes.

Les politiques de stabilité financière

Je vais maintenant vous entretenir de questions relatives aux politiques de stabilité financière que cette période de turbulence a mises en lumière. Je passerai brièvement en revue trois types de politiques : premièrement, celles liées à la transparence et à l'information; deuxièmement, celles portant sur la réglementation des institutions financières et, troisièmement, les politiques des banques centrales en matière de stabilité financière 5.

Nous savons que les marchés fonctionnent le mieux lorsque l'information pertinente est accessible à tous. À la suite de la récente tourmente, des préoccupations ont été soulevées au sujet de la transparence des instruments financiers complexes et du rôle de l'information fournie par les agences de notation. Au Canada, les problèmes liés à la transparence des instruments ont été le plus prononcés dans le cas du PCAA, surtout le PCCA non bancaire visé par l'accord de Montréal. Certaines mesures visant à favoriser une transparence accrue ont déjà été prises dans les segments bancaires de ce marché 6. Toutefois, augmenter la transparence des instruments financiers ne suffit pas : les investisseurs doivent aussi savoir comment interpréter l'information. Les agences de notation les ont aidés à le faire par le passé, mais elles ont retenu l'attention dernièrement pour le rôle qu'elles ont joué dans les bouleversements survenus sur les marchés financiers. Cependant, étant tributaires de leur réputation, elles sont fortement incitées à améliorer le contenu informatif des cotes qu'elles attribuent aux instruments financiers complexes, à veiller à ce que tout renseignement important soit divulgué de manière rapide et concise, et à résoudre la question des conflits d'intérêts inhérents au processus de notation. Elles se sont montrées désireuses et capables de tirer des leçons de leurs erreurs, et elles s'emploient continuellement à affiner leurs méthodes de notation 7. Cela ne veut pas dire pour autant que les investisseurs peuvent se fier uniquement au jugement d'autres personnes. En définitive, ce sont eux qui doivent assumer la responsabilité de comprendre et de gérer le risque de crédit associé à leurs portefeuilles.

Je me pencherai maintenant sur certains enjeux touchant les institutions financières et leur réglementation. Je m'attarderai sur les modes d'opération de ces institutions, la gestion des risques ainsi que la gestion et la réglementation de la liquidité. Nous pouvons constater aujourd'hui que l'un des principaux problèmes posés par les prêts hypothécaires à risque titrisés des États-Unis était lié au modèle d'octroi puis de cession du crédit, selon lequel les initiateurs des prêts (qui, bien souvent, ne sont pas assujettis à la même réglementation que les banques) ont conclu des contrats hypothécaires avec des propriétaires, puis ont liquidé ces actifs à mesure qu'ils étaient titrisés. En principe, il n'y a rien de mal à recourir à un modèle d'octroi puis de cession du crédit, mais, en pratique, plusieurs choses importantes ont mal tourné, comme en témoigne la situation récente aux États-Unis. Par exemple, certains initiateurs de prêts n'avaient pas les motivations suffisantes pour procéder à une vérification en bonne et due forme de la solvabilité de leurs clients. Ce modèle fait maintenant l'objet d'un examen rigoureux, dans ce pays et à l'échelle du globe, de la part des organismes de réglementation, qui visent à donner les motivations appropriées aux initiateurs et distributeurs et à s'assurer de la compatibilité de celles-ci.

La gestion des risques au sein des banques est également passée au crible. Dans bien des cas, les pratiques suivies par ces institutions en la matière ne les ont pas préparées à la turbulence qui a secoué les marchés récemment; elles devront donc être revues.

Alors que le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire s'est employé presque exclusivement ces dernières années à mener à terme son travail sur les fonds propres, il consacre désormais davantage de temps et de ressources à l'analyse des mécanismes de gestion des risques utilisés par les banques et aux principes de gestion de la liquidité appliqués par ces dernières 8.

J'aimerais maintenant dire quelques mots sur les politiques de stabilité financière mises en oeuvre par les banques centrales. En cas de défaillance manifeste des marchés et de perturbation majeure de la stabilité financière, une banque centrale peut, selon les circonstances, chercher à atténuer les contraintes de liquidité éprouvées par le système financier en prenant une ou plusieurs des mesures suivantes : assortir ses opérations sur le marché d'échéances plus longues, agir en concertation étroite avec les autres banques centrales lorsque le problème revêt une dimension internationale, élargir la gamme de titres admissibles dans le cadre de ses opérations sur le marché ou ses facilités de prêt, ou encore accroître la fréquence de ces opérations 9.

La Banque du Canada a opté pour les trois premières de ces mesures dans le cas des prises en pension à plus d'un jour qui ont été annoncées le 12 décembre et le 11 mars. Même si nous avons l'habitude de procéder à des prises en pension à un jour, les deux opérations rendues publiques en mars étaient assorties d'échéances beaucoup plus longues (28 jours). Les interventions communiquées en décembre et en mars étaient coordonnées avec celles de quatre autres banques centrales et jouissaient de l'appui de deux autres. Pour toutes ces opérations, la gamme de titres admissibles était essentiellement la plus vaste permise aux termes de la Loi sur la Banque du Canada.

Les modifications annoncées récemment, visant à moderniser la Loi, permettront d'élargir encore davantage la gamme des instruments admissibles dans le cadre d'opérations de ce type. Comme l'exigent les modifications proposées, la Banque rendra publique sa politique régissant l'utilisation de ces pouvoirs 10. Elle veillera à étudier soigneusement les circonstances dans lesquelles ces derniers seront exercés.

En ce qui concerne ses opérations de prêt, la Banque du Canada n'est pas limitée par la loi qui la régit dans le type d'instruments financiers qu'elle peut accepter en garantie en vertu de son mécanisme permanent d'octroi de liquidités, auquel on peut avoir recours en temps normal ou en période de turbulence. Le 31 mars, elle a déclaré qu'à l'avenir, elle allait accepter du PCCA qui répond à certains critères – reposant notamment sur la transparence. Deux grands principes directeurs l'ont guidée dans sa décision. Le premier est que les critères d'admissibilité doivent viser à atténuer les risques auxquels s'expose la Banque en acceptant du PCAA en nantissement dans le cadre de son mécanisme permanent d'octroi de liquidités. Le second est que ces critères doivent faciliter le développement d'un marché du PCAA qui fonctionne bien en améliorant sa transparence auprès des investisseurs et en favorisant l'émergence d'un marché secondaire dynamique pour ces titres. La Banque a aussi fait savoir qu'elle comptait accepter en garantie les obligations du Trésor américain d'ici le milieu de l'année.

En outre, la Banque poursuit son examen des politiques axées sur le recours aux opérations à plus d'un jour et aux facilités de prêt à terme en période de perturbation majeure de la stabilité financière. Ce travail s'appuie sur les expériences et l'analyse d'autres banques centrales.

La politique monétaire en période de turbulence financière

J'ai mentionné plus tôt qu'en cas de perturbation majeure de la stabilité financière, une banque centrale peut être forcée d'accroître la fréquence de ses opérations. Pour des raisons liées à la politique monétaire, c'est-à-dire pour maintenir le taux du financement à un jour près de la cible visée, nous avons souvent procédé à des prises en pension spéciales (à l'occasion, plus d'une fois par jour) 11.

Voilà qui m'amène naturellement à parler de la politique monétaire en période de turbulence financière. Il est très clair qu'en situation de grande incertitude, il est plus important que jamais que la politique monétaire joue un rôle stabilisateur. D'où la nécessité pour la Banque de maintenir l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible et de continuer à surveiller les tendances de l'économie réelle et leurs répercussions sur l'inflation. Certes, nous sommes conscients de l'évolution du secteur financier. Mais dans l'optique de la conduite de la politique monétaire, cette évolution ne sera importante que dans la mesure où elle sera susceptible d'influer sur celle de l'économie réelle et, par conséquent, sur l'inflation. Je ne voudrais pas donner l'impression de minimiser la turbulence financière actuelle, qui, de fait, a des répercussions sur l'économie réelle des États-Unis et, dans une moindre mesure, sur la nôtre. À la Banque, nous allons continuer de suivre ces effets, mais en veillant à ne favoriser aucun segment particulier du marché et à ne pas mettre les participants au marché à l'abri des conséquences de leurs décisions.

En ce qui a trait à la turbulence financière, les écarts de crédit en particulier – et les conditions du crédit auxquelles sont confrontés les entreprises et les ménages plus généralement – influent sur la demande globale et, par là même, peut-être aussi sur l'inflation. Nous devons tenir compte de ce fait dans l'établissement des taux directeurs. (Les Graphiques 5 et 6 donnent une indication du coût, en niveaux, des emprunts à court et à long terme, respectivement.) Dans la livraison d'octobre du Rapport sur la politique monétaire, nous estimions que le resserrement des conditions du crédit représentait environ 25 points de base par rapport au taux du financement à un jour visé par la Banque. Puis, dans la Mise à jour du Rapport parue en janvier, nous indiquions que ce resserrement pourrait être plus prononcé et durer plus longtemps que prévu. En outre, nous précisions que le ralentissement de l'économie américaine pourrait se prolonger. Dans ces circonstances, nous avons abaissé le taux directeur de 25 points de base. Dans notre communiqué du 4 mars annonçant notre décision relative à ce taux, nous signalions que la détérioration de la conjoncture économique et financière aux États-Unis pouvait avoir des retombées notables sur l'économie mondiale. Nous mentionnions aussi que ces facteurs donnaient à penser que d'importants risques à la baisse pesant sur les perspectives d'évolution de l'économie canadienne, dont on avait parlé dans la Mise à jour de janvier, étaient en train de se matérialiser et, à certains égards, de s'intensifier. Face à cette situation, nous avons diminué notre taux directeur de 50 points de base pour le ramener à 3,50 % et avons souligné qu'il faudrait probablement encore augmenter le degré de détente monétaire dans un proche avenir afin de maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande globales et d'atteindre la cible d'inflation de 2 % à moyen terme.

Conclusion

J'ai traité de certaines des causes de la récente turbulence qui a secoué les marchés financiers et des leçons que l'on a pu en tirer. Comme je l'ai indiqué au début de mon discours, à la Banque du Canada, nous poursuivons notre analyse des écarts de crédit exceptionnellement élevés observés actuellement et de ce qu'ils représentent pour la stabilité du système financier, voire pour l'économie, l'inflation et la politique monétaire. Il est indéniable que ces écarts inhabituels, et les bouleversements sur les marchés financiers qui les ont exacerbés, continueront à faire sentir leurs effets pendant un certain temps. Nous ne savons pas exactement quand ni comment cette situation finira par se résoudre. Vous pouvez être assurés, cependant, que la Banque du Canada continuera à mettre l'accent sur ses fonctions essentielles axées sur le soutien de la stabilité financière et le maintien de l'inflation mesurée par l'IPC à la cible de 2 % qu'elle vise. C'est ainsi que nous garderons un point d'ancrage pour l'économie au cours d'une période qui continuera d'être très intéressante.

Je vous remercie beaucoup de votre attention. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

  1. 1. Pour une analyse approfondie des événements ayant marqué les marchés financiers, voir la plus récente livraison de la Revue du système financier de la Banque du Canada, parue en décembre 2007.[]
  2. 2. T. Gravelle et A. Garcia (2008), « Decomposing Canadian Corporate Spreads: What Are the Drivers of the Current Widening? », Revue du système financier, Banque du Canada, juin. À paraître.[]
  3. 3. Par exemple, au cours des dernières semaines, les taux de défaillance que laisse supposer le niveau de l'indice iTraxx Crossover ont atteint presque le double du taux de défaillance total enregistré au cours des deux dernières récessions par des sociétés ayant une notation comparable.[]
  4. 4. L'incertitude dont il est question ici est l'incertitude dite « knightienne », selon laquelle des probabilités ne peuvent être attachées à des événements particuliers et, partant, le risque (ou la variance) ne peut être mesuré.[]
  5. 5. Pour une analyse plus approfondie de ces questions et d'autres, voir M. Carney (2008), « Les turbulences des marchés financiers et les moyens d'y réagir », discours prononcé devant la Chambre de commerce de Toronto, Toronto (Ontario), 13 mars.[]
  6. 6. Par exemple, on a adopté des facilités de trésorerie de type international, des institutions ont cherché à faire évaluer leurs instruments par plusieurs agences de notation, et la Banque du Canada a annoncé qu'elle accepterait du PCAA qui répond à certains critères – reposant notamment sur la transparence. Ce dernier point est traité un peu plus loin dans le présent discours.[]
  7. 7. Pour un examen approfondi de cette question, voir M. Zelmer (2007), « La réforme du processus de notation financière », Revue du système financier, Banque du Canada, décembre, p. 53-60.[]
  8. 8. Pour un examen détaillé de cette question, voir Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (2008), « Liquidity Risk: Management and Supervisory Challenges », février.[]
  9. 9. Une banque centrale peut aussi choisir d'accroître l'éventail des participants à ses opérations et ses facilités de prêt.[]
  10. 10. Cette politique permettra à la Banque d'élargir la gamme des instruments admissibles dans le cadre de ses opérations sur le marché, et ce, sans qu'elle doive nécessairement invoquer le pouvoir déjà établi qu'elle a de le faire, dans les cas où le gouverneur déclare qu'une tension grave et exceptionnelle s'exerce sur un marché financier ou un système financier.[]
  11. 11. Il est aussi arrivé que la Banque procède à des cessions en pension.[]