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La mesure de l’inflation : méthodologie et idées fausses

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Ces derniers mois, le moins qu'on puisse dire, c'est que les banquiers centraux ont eu du pain sur la planche, et les derniers jours ont été tout aussi fertiles en événements. Si la situation à Wall Street a beaucoup retenu l'attention, il en a été de même pour le coût de la vie, un enjeu qui nous touche tous, que ce soit au moment de faire le plein d'essence, de réserver un billet d'avion ou simplement d'acheter un pain à l'épicerie. Bien entendu, cet enjeu est toujours au premier rang de nos priorités à la Banque du Canada, dont l'objectif principal de la politique monétaire est de veiller au maintien de l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible à moyen terme. Il est certes plus difficile d'atteindre cet objectif à certains moments qu'à d'autres, mais, si nous voulons mettre en oeuvre des politiques efficaces aussi bien en périodes de calme qu'en périodes d'agitation, nous devons comprendre les facteurs à l'origine de l'inflation et être capables d'anticiper son évolution future.

C'est pourquoi, ce soir, j'ai l'intention de traiter en détail de l'inflation : préciser ce qu'elle représente, comment nous la mesurons et comment nous évaluons les pressions économiques sous-jacentes qui la poussent à la hausse ou à la baisse. Je veux vous entretenir en particulier de la mesure de l'inflation fondamentale utilisée par la Banque du Canada et expliquer pourquoi et comment celle-ci guide la Banque dans la conduite de la politique monétaire. J'ai choisi ce thème parce qu'il est d'actualité, si l'on considère les pressions à la hausse, sous diverses formes, qui s'exercent actuellement sur les prix. En outre, j'aimerais m'appuyer sur cet examen de l'inflation fondamentale pour vous montrer à quel point la recherche menée à la Banque est cruciale pour la conduite de la politique monétaire au Canada. Des recherches et des analyses novatrices portant sur l'inflation fondamentale, ou sur tout autre domaine que nous abordons, viennent étayer la formulation et la mise en oeuvre de cette politique et concourent de façon notable à améliorer notre compréhension du fonctionnement de l'économie.

Je dois souligner que la Banque cherche systématiquement à maintenir l'inflation à un niveau bas et stable, non pas parce que cet objectif constitue une fin en soi à ses yeux, mais parce qu'il rehausse la tenue de l'économie. Viser une cible d'inflation explicite de 2 % aide à stabiliser non seulement les prix, mais aussi la production réelle et l'emploi, ce qui favorise une croissance durable maximale de l'économie. L'expérience révèle que c'est la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter au bien-être économique des Canadiens.

L'évolution de l'inflation à l'échelle mondiale

Avant d'exposer de manière détaillée les mesures et l'expérience propres au Canada en matière d'inflation, permettez-moi de prendre un peu de recul pour examiner le portrait international. Comme je l'ai mentionné précédemment, les Canadiens sont devenus de plus en plus conscients des pressions qui s'exercent sur les prix, mais il s'agit là en fait d'un phénomène mondial. On a en effet observé une vive accélération de l'inflation dans les économies avancées et à marché émergent ces derniers mois. Il est vrai que les prix mondiaux du pétrole, du gaz naturel, de nombreux minéraux et des aliments ont reculé au cours des dernières semaines, mais la hausse de l'inflation découle de l'augmentation spectaculaire passée des prix de ces produits. Dans bien des cas, certains des taux enregistrés sont les plus élevés qu'on ait connus ces dix à quinze dernières années.

Il importe de souligner que la tenue de l'inflation varie fortement d'un pays à l'autre. Dans certains cas, des politiques monétaires exagérément expansionnistes, mises en oeuvre pour tenter de pousser la croissance au-delà des limites soutenables de la capacité de production d'un pays, ont aussi constitué un facteur important.

Dans bien des pays, la récente montée de l'inflation s'est accompagnée d'un ralentissement considérable de la croissance économique réelle, ce qui a ranimé le souvenir des années 1970 et fait resurgir les craintes de stagflation – la conjugaison défavorable d'inflation élevée et de croissance lente ou négative. La plupart des observateurs sont d'avis qu'il serait exagéré d'établir des parallèles entre la situation actuelle et celle des années 1970. Il reste que les événements survenus dernièrement posent un défi de taille aux banquiers centraux en matière de politiques, surtout lorsqu'on les combine aux bouleversements et aux difficultés qui secouent les marchés financiers mondiaux.

Des mesures de politique monétaire classiques risquent de ne pas être adéquates dans des circonstances caractérisées par une poussée de l'inflation, un tassement de l'expansion du PIB et des préoccupations entourant l'instabilité financière. Une hausse de l'inflation, par exemple, entraîne souvent des pressions en faveur d'un durcissement de la politique monétaire. Cependant, une telle intervention serait-elle judicieuse si l'on s'attendait à ce que la décélération de l'économie et d'autres événements renversent ces tensions inflationnistes dans l'avenir? Par ailleurs, une baisse de régime entraîne souvent des pressions en faveur d'un assouplissement de la politique monétaire. Serait-il sage d'appliquer une mesure pareille si l'on croyait que les pressions inflationnistes s'intensifient plutôt que de s'atténuer?

À l'échelle du globe, les autorités monétaires sont déterminées à ne pas répéter les erreurs commises dans les années 1970, lorsque des mesures de politique exagérément incitatives se sont traduites par un taux d'inflation dans les deux chiffres et un accroissement des attentes inflationnistes. Nous essayons tous de trouver des indicateurs fiables permettant de mesurer la gravité et la persistance des pressions inflationnistes observées actuellement. Ce type d'information pourrait influer de manière notable sur l'orientation de la politique monétaire. Cette situation montre pourquoi les autorités monétaires doivent réunir et examiner autant de renseignements que possible avant de prendre leurs décisions – et pourquoi la recherche consacrée à l'inflation revêt une telle importance.

La définition et la mesure de l'inflation globale et de l'inflation fondamentale

Avant de vous donner un aperçu de notre recherche portant sur l'inflation, j'aimerais fournir quelques précisions sur les mesures de l'inflation dont nous nous servons à la Banque du Canada, lesquelles sont fondées sur l'indice des prix à la consommation (IPC) de Statistique Canada. Comme chacun sait, l'inflation correspond à une augmentation persistante du prix moyen des biens et services, autrement dit à une hausse tendancielle du coût de la vie. Elle est mesurée par l'IPC global, qui est cité dans les manchettes, et qui suit les prix de détail d'un panier de biens et services représentatif au fil du temps. Il s'agit également de la cible officielle visée par la Banque du Canada pour sa politique monétaire. Je vous rappelle que la Banque a conclu une entente formelle avec le gouvernement fédéral établissant à 2 % le taux cible d'accroissement annuel de l'IPC. Comme je l'ai mentionné au début, nous cherchons à réaliser un niveau d'inflation bas et stable parce qu'il rehausse la tenue de l'économie.

Mais même si nous visons un taux d'inflation bas, stable et prévisible, nous devrons toujours composer avec de fortes variations de l'IPC global. Celles-ci sont généralement provoquées par des changements des prix volatils d'un nombre restreint de biens et services. Au Canada, par exemple, pas moins de 90 % des mouvements mensuels observés au sein de l'IPC tiennent aux variations de prix de seulement 8 des 54 principales catégories de biens et services comprises dans l'IPC. Qui plus est, il arrive souvent que ces variations de prix soient temporaires et qu'elles s'inversent rapidement. Ce faisant, elles ajoutent beaucoup de « bruit » à l'IPC global. Il est ainsi difficile de discerner les mouvements réels dans l'évolution tendancielle de l'inflation.

C'est pourquoi de nombreuses banques centrales ont recours à des mesures de l'inflation fondamentale conçues pour réduire au minimum l'effet des composantes les plus volatiles de l'IPC. Bien que les opinions diffèrent parmi les banquiers centraux quant à l'utilité de ces mesures, nombreuses sont les autorités monétaires – dont la Banque du Canada – qui les trouvent utiles, et ce, pour deux raisons importantes. Premièrement, en mettant l'accent sur les composantes plus stables de l'IPC, les décideurs peuvent se faire une idée plus précise de l'inflation tendancielle. Cet aspect est important, parce que la transmission de la politique monétaire se caractérise par des délais longs et variables. Il peut s'écouler jusqu'à deux ans avant que les effets d'une modification de cette politique ne se fassent pleinement sentir sur l'inflation. La politique monétaire doit donc être prospective et axée sur un horizon de un à deux ans. Toute tentative pour contrôler des mouvements à court terme de l'inflation se révélera sans doute contre-productive et contribuera simplement à déstabiliser l'inflation et l'activité économique réelle. Une mesure de l'inflation fondamentale peut donc constituer un bon guide pour la conduite de la politique monétaire, car elle voit au-delà de ces variations à court terme des prix.

La deuxième raison pour laquelle les mesures de l'inflation fondamentale peuvent s'avérer utiles est qu'elles peuvent aider à ancrer les attentes d'inflation des entreprises et des ménages. L'adoption d'une cible d'inflation explicite de 2 %, conjuguée au ferme engagement de l'atteindre, permet de progresser vers la réalisation de cet objectif. Cependant, le fait de fournir une mesure fiable de l'inflation fondamentale que le public peut utiliser facilement pour suivre la tendance de l'IPC peut renforcer l'arrimage des attentes en garantissant au public que la Banque empêchera la hausse des composantes volatiles de s'étendre à d'autres prix.

Les mesures de l'inflation fondamentale de la Banque du Canada

Permettez-moi maintenant de traiter en détail de nos mesures de l'inflation fondamentale. Les indices mesurant l'inflation fondamentale sont normalement calculés de l'une de deux façons. La méthode d'exclusion est la plus simple et, comme son nom l'indique, elle exclut les prix des biens et services qui affichent habituellement plus qu'un degré prédéterminé de variabilité. La méthode de repondération, en revanche, ne fait abstraction du prix d'aucun bien et service. Elle attribue plutôt à chaque composante un poids qui est inversement proportionnel à sa variabilité. Autrement dit, les prix plus volatils obtiennent un poids plus faible.

La mesure de l'inflation fondamentale dont se sert la Banque du Canada actuellement, IPCX, est fondée sur la méthode d'exclusion. Elle exclut huit des composantes les plus volatiles de l'IPC global et l'effet des modifications des impôts indirects, comme la TPS. Ces huit composantes sont les fruits, les légumes, l'essence, le mazout, le gaz naturel, les intérêts sur les prêts hypothécaires, le transport interurbain et les produits du tabac. Il importe de préciser, toutefois, que la Banque calcule et suit plusieurs mesures différentes de l'inflation tendancielle, à part IPCX. Elle a aussi recours à de nombreuses autres sources d'information, qu'elle compare à la mesure de l'inflation fondamentale qu'elle préfère. Si toutes les mesures de l'inflation tendancielle évoluent généralement de manière similaire, les différences peuvent être informatives.

Il convient aussi de mentionner que la Banque a modifié sa définition de l'inflation fondamentale avec le temps afin d'accroître la fiabilité de cette mesure. Lors de l'instauration du régime de poursuite de cibles d'inflation en 1991, la mesure de l'inflation fondamentale qu'elle utilisait était semblable à celles de nombreuses autres banques centrales et faisait abstraction de tous les prix des aliments et de l'énergie. Elle comprenait donc moins de composantes que l'indice actuel. Après avoir pris plus d'expérience et mené des recherches et des analyses approfondies, la Banque a affiné sa mesure de l'inflation fondamentale, de même que les autres mesures auxquelles elle a recours actuellement. En 2001, elle a adopté IPCX, cet indice s'étant révélé supérieur sur le plan tant empirique que théorique. Des recherches additionnelles, réalisées au moment de la reconduction de la cible d'inflation en 2006, ont permis de confirmer l'avantage d'IPCX. Ce dernier a fait l'objet d'autres tests récemment dans le cadre d'une étude internationale plus étendue portant sur un éventail de mesures de l'inflation globale et de l'inflation fondamentale.

Ce processus de perfectionnements et de tests n'est visiblement jamais terminé. En effet, il est d'une importance cruciale pour la Banque de pouvoir déterminer quels indicateurs de l'inflation sous-jacente sont les plus efficaces, et quelles améliorations pourraient y être apportées au fil du temps. La question qui se pose alors est de savoir ce qui distingue les mesures efficaces des autres. Pour être efficace, une mesure de l'inflation fondamentale doit répondre à quatre grands critères. Le premier, et le plus évident, est que cette mesure doit être moins volatile que celle de l'inflation globale. Deuxièmement, elle doit être exempte de biais, c'est-à-dire qu'elle doit suivre de très près les mouvements à long terme de l'IPC global. En troisième lieu, elle doit donner une estimation fiable de l'évolution tendancielle future de l'IPC global. Enfin, elle doit être facile à comprendre et à expliquer au grand public.

Si l'on tient compte de tous ces critères, on constate qu'IPCX est égal ou supérieur à toutes les autres mesures qui sont à la disposition de la Banque. Cependant, si l'on ne retient qu'un ou deux des quatre critères, on voit que certaines mesures peuvent surpasser IPCX. IPCP, par exemple, qui est calculé par repondération, fournit parfois des prévisions légèrement plus justes de l'IPC global, et il est un peu plus représentatif des tendances à long terme de l'IPC global. Il s'agit néanmoins de différences très mineures, que viennent contrebalancer d'autres facteurs tels que la facilité de compréhension. Voilà pourquoi la Banque conserve sa préférence pour IPCX comme mesure de l'inflation fondamentale. Toutefois, devant les atouts affirmés d'IPCP et d'une ou deux autres mesures de l'inflation tendancielle, elle continue de surveiller tout un éventail d'indicateurs plutôt que de s'en remettre à un seul.

Les idées fausses répandues au sujet de l'inflation fondamentale

Le choix de la Banque de recourir à IPCX pour guider sa conduite de la politique monétaire a été parfois une source de controverse et a fait se répandre plusieurs idées fausses sur le sujet. Des journalistes et d'autres observateurs de la scène économique remettent fréquemment en question l'utilisation d'IPCX et d'autres mesures de l'inflation tendancielle comme boussoles. Selon eux, ces mesures présentent une vision exagérément optimiste de l'inflation réelle, surtout durant les périodes où les prix des aliments et de l'énergie montent en flèche. Les critiques allèguent que, si le taux d'accroissement d'IPCX est souvent inférieur à celui de l'IPC global, c'est que la Banque a fait abstraction des prix qui augmentent le plus rapidement. Ils soutiennent qu'IPCX ne rend pas compte de la réalité des ménages types. « Après tout, soulignent-ils, quels sont les ménages qui n'achètent pas de nourriture, et qui n'ont ni voiture ni prêt hypothécaire? »

Je répondrai à ces critiques en trois points, tous interreliés. D'abord et avant tout, le taux d'inflation de 2 % qui constitue la cible officielle de la Banque est basé sur l'IPC global, et non sur IPCX. Ce dernier n'est qu'un des nombreux indicateurs dont la Banque se sert pour juger de l'évolution probable de l'IPC global. Il s'agit d'un outil important qui lui permet d'évaluer les tendances de l'inflation, mais ce n'est pas la cible que nous visons.

Deuxièmement, la décision de la Banque de fonder sa conduite de la politique monétaire sur l'inflation fondamentale est motivée exclusivement par des facteurs empiriques. IPCX n'est utilisé que parce que les faits ont démontré qu'il permettait d'anticiper les mouvements de l'IPC global mieux que ne le font les fluctuations antérieures de l'IPC global lui-même. Si les choses venaient à changer et si IPCX perdait sa supériorité à cet égard, la Banque cesserait d'y avoir recours.

Finalement, comme je l'ai mentionné plus tôt, la Banque doit impérativement continuer de centrer son attention sur l'évolution future, et non sur le niveau actuel, de l'inflation globale, en raison des délais longs et variables avec lesquels la politique monétaire fait sentir son action. Si la Banque intervenait chaque fois qu'on observe une variation de l'IPC global, elle produirait un effet déstabilisateur tant sur l'inflation que sur la croissance économique réelle. Elle réagirait à des changements passagers qui touchent un sous-ensemble restreint de prix et qui ne tarderaient probablement pas à s'inverser.

L'inflation fondamentale est-elle toujours un meilleur indicateur prévisionnel que l'inflation globale?

L'expérience du Canada montre que l'inflation fondamentale est effectivement un meilleur guide de conduite de la politique monétaire que ne l'est l'inflation globale. Lorsqu'il y a divergence entre les deux séries, c'est généralement l'inflation mesurée par l'IPC global qui converge vers l'inflation fondamentale, et non le contraire. L'inflation fondamentale donne donc une meilleure estimation de la trajectoire future de l'inflation globale. Ce phénomène explique peut-être le succès que la Banque enregistre depuis 17 ans dans le maintien de l'inflation globale près de la cible de 2 %. Lorsque le taux d'accroissement de l'IPC global passe temporairement au-dessus ou au-dessous de 2 %, les ménages et les entreprises savent qu'il reviendra probablement au taux cible dans un laps de temps relativement court.

Le bilan n'est pas toujours aussi positif ailleurs dans le monde. Certains pays ont constaté que l'inflation fondamentale tend à s'éloigner de façon persistante de l'inflation mesurée par l'IPC global et qu'elle ne procure pas une mesure très fiable des pressions inflationnistes sous-jacentes. Ces différences ont été documentées récemment par les chercheurs de la Banque, mais elles ne sont pas bien comprises 1. Elles semblent être de nature systématique, et non le fruit du hasard, et les chercheurs de la Banque soupçonnent qu'elles découlent des différentes manières de définir l'inflation fondamentale et des disparités structurelles des diverses économies. La situation n'étonne pas outre mesure dans les pays peu développés et les marchés émergents; or, des écarts persistants entre l'inflation fondamentale et l'inflation globale ont également été relevés dans les pays avancés. Les mesures de l'inflation fondamentale s'avèrent généralement très efficaces en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, par exemple, mais elles donnent de piètres résultats dans les pays de la zone euro, au Japon et au Royaume-Uni. De plus amples recherches seront nécessaires pour comprendre ces différences 2.

La réussite que connaît la Banque dans son utilisation d'IPCX a contribué à ancrer les attentes en matière d'inflation au Canada, ce qui a aidé à atténuer les fluctuations de l'inflation globale. Lorsque les ménages et les entreprises ont la conviction que le taux d'inflation reviendra rapidement à 2 %, ils sont moins enclins à former des anticipations de nature extrapolative à partir des variations de l'inflation globale, qui fait l'actualité. En conséquence, ils sont moins susceptibles de pousser les prix à la hausse ou à la baisse. Ce processus d'autorenforcement facilite grandement le travail de la Banque et profite évidemment à l'ensemble de l'économie. La feuille de route impressionnante du Canada sur le plan de l'inflation au cours des 17 dernières années témoigne avec éloquence de l'utilité de nos cibles d'inflation, de la pertinence de nos décisions de politique monétaire et du rôle d'appui joué par les mesures de l'inflation fondamentale.

L'inflation au Canada

Cela étant dit, que nous révèle IPCX sur les pressions s'exerçant actuellement sur les prix au Canada? À première vue, il semblerait indiquer que l'inflation sous-jacente, ou tendancielle, avoisine 1,5 % depuis quelque temps. Même si une augmentation modeste est prévue vers la fin de cette année, ce taux reste largement inférieur à celui de l'inflation globale dont la presse fait état, et qui se chiffre à environ 3,4 %. Ce taux de 1,5 % étant également en deçà de la cible d'inflation de 2 % visée par la Banque, peut-on supposer que l'inflation n'est pas vraiment problématique au Canada? Je ne voudrais pas m'avancer aussi loin, mais il est vrai que le niveau relativement bas d'IPCX redonne au moins une certaine assurance quant au caractère raisonnablement contenu des pressions inflationnistes. De plus, comme en faisait mention notre annonce de taux du 3 septembre, on s'attend à ce que certains facteurs temporaires touchant l'IPC global et IPCX se dissipent dans les prochains trimestres, et que les deux mesures de l'inflation convergent vers 2 % au second semestre de 2009. D'ici là, le taux d'accroissement de l'IPC global devrait poursuivre sa montée en réaction aux hausses antérieures des cours de l'énergie. Cependant, vu la baisse récente des prix au comptant et à terme des produits de l'énergie, la hausse du taux d'augmentation de l'IPC global d'ici le premier trimestre de 2009 sera inférieure aux projections établies en juillet dernier.

D'un autre point de vue, le fait qu'IPCX augmente actuellement de 1,5 % laisse-t-il entendre que l'inflation est trop peu élevée et que, par conséquent, l'activité économique est déprimée? Je ne serais pas prêt non plus à avancer une telle hypothèse, parce que d'autres mesures donnent à penser que l'inflation sous-jacente se situe juste au-dessus de 2 %. Par surcroît, il y a lieu de croire que, tout dernièrement, IPCX a sous-estimé très légèrement l'inflation tendancielle. La raison en est que cet indice attribue une pondération plus forte aux achats d'automobiles que certaines autres mesures de l'inflation tendancielle, et qu'il fait abstraction des intérêts sur prêts hypothécaires. Le biais a été particulièrement manifeste récemment, du fait que les prix des automobiles ont reculé dans les douze derniers mois tandis que les coûts d'intérêt hypothécaire ont monté plus rapidement que de nombreuses autres composantes du panier de l'IPC. Je ne pense pas que cela veut dire qu'IPCX n'est plus fiable. À mon avis, il s'agit plutôt d'une situation temporaire, mais qui démontre bien pourquoi il est important d'examiner plusieurs indices et de comprendre ce qui peut les amener à évoluer différemment.

Finalement, j'aimerais dire quelques mots au sujet de l'inflation et de la politique monétaire dans le contexte des perturbations récentes des marchés, en général, et des événements des derniers jours, en particulier. Nous savons d'expérience que le processus de maîtrise de l'inflation évolue d'une manière beaucoup plus prévisible lorsque les marchés financiers fonctionnent bien et qu'ils s'appuient sur un système financier solide et stable. Il est vrai que, ces dernières semaines, les marchés canadiens ont été volatils, mais il est important de noter que les tensions sur les marchés du crédit ont été considérablement moins intenses au Canada qu'aux États-Unis et ailleurs dans le monde. La Banque est résolue à soutenir le fonctionnement efficace des marchés financiers et, plus tôt aujourd'hui, elle a annoncé qu'elle conclura des prises en pension d'une valeur de 2 milliards de dollars assorties d'une échéance de 28 jours. La nécessité de procéder à d'autres transactions continuera d'être examinée à la lumière des conditions sur les marchés financiers. Les banques du pays affichent une bonne santé financière et leur niveau absolu d'endettement est nettement inférieur à celui de bon nombre de leurs homologues étrangères. Elles sont moins présentes que les banques américaines sur le marché des prêts hypothécaires à risque, qui est à l'origine des turbulences, et elles dépendent moins de la titrisation pour leur financement et des marchés de capitaux pour leurs revenus.

Tout au long de cette période de perturbations, les responsables de la Banque du Canada sont restés en communication étroite avec les décideurs tant au pays qu'à l'étranger, y compris avec leurs collègues des autres grandes banques centrales. Nous suivons de près l'évolution de la situation sur les marchés mondiaux, et nous continuerons de fournir des liquidités au besoin afin de soutenir la stabilité du système financier canadien et le fonctionnement des marchés financiers.

Conclusion

J'aimerais que vous reteniez quatre points principaux de mon exposé de ce soir. Tout d'abord, l'inflation fondamentale continue d'être un guide utile pour la conduite de la politique monétaire. Deuxièmement, l'information qu'elle fournit est toujours recoupée avec d'autres afin d'évaluer l'état actuel et l'orientation future de l'inflation tendancielle. En troisième lieu, IPCX n'a pas remplacé l'IPC global comme cible d'inflation officielle de la Banque. C'est un simple outil qui nous aide à atteindre notre objectif de 2 % en ce qui concerne le taux d'accroissement de l'IPC global. Finalement, les recherches continues de la Banque sur ce sujet et d'autres questions d'importance critique en matière de politiques apportent une aide inestimable à la Banque dans l'exercice de ses responsabilités.

Comme je le disais au début, les recherches réalisées à la Banque ont joué un rôle crucial dans l'efficacité de la conduite de la politique monétaire au Canada. Bien entendu, les chercheurs de l'institution poursuivent leur travail; ils étudient en ce moment la faisabilité de nouveaux modes de calcul des mesures de l'inflation fondamentale, par opposition aux méthodes classiques d'exclusion et de repondération. Les travaux actuels des chercheurs de la Banque portent évidemment sur de nombreux sujets, dont je n'ai pas le temps de discuter maintenant, mais je vous invite à consulter le site Web de la Banque pour en savoir davantage 3.

Références

Armour, J. (2006). An Evaluation of Core Inflation Measures, document de travail no 2006-10, Banque du Canada.

Armour, J., et T. Laflèche (2006). « Évaluation des mesures de l'inflation fondamentale », Revue de la Banque du Canada, été, p. 21-31.

Banque du Canada (2006). Reconduction de la cible de maîtrise de l'inflation : Note d'information – novembre 2006.

Binette, A., et S. Martel (2005). Inflation and Relative Price Dispersion in Canada: An Empirical Assessment, document de travail no 2005-28, Banque du Canada.

Cogley, T. (1998). A Simple Adaptive Measure of Core Inflation, document de travail no 98-06, Banque fédérale de réserve de San Francisco.

Crawford, A., J.-F. Fillion et T. Laflèche (1998). « L'IPC est-il une mesure adéquate pour la définition de la stabilité des prix? », Stabilité des prix, cibles en matière d'inflation et politique monétaire, actes d'un colloque tenu à la Banque du Canada en mai 1997, Ottawa, Banque du Canada, p. 41-78.

Hoddenbagh, J., M. Johnson et E. Santor (2008). Core and Total Inflation: Recent International Evidence, version préliminaire.

Hogan, S., M. Johnson et T. Laflèche (2001). Core Inflation, rapport technique no 89, Banque du Canada.

Laflèche, T. (1997). « Mesures statistiques du taux d'inflation tendanciel », Revue de la Banque du Canada, automne, p. 29-47.

Lascelles, E., et G. Pascal (2008). The Core Argument Against Total CPI, TD Economics.

Macklem, T. (2001). « Une nouvelle mesure de l'inflation fondamentale », Revue de la Banque du Canada, automne, p. 3-14.

Martel, S. (2008). A Structural VAR Approach to Core Inflation in Canada, document d'analyse no 2008-10, Banque du Canada.

Parkin, M. (1984). « On Core Inflation by Otto Eckstein », Journal of Monetary Economics, vol. 14, no 2, p. 251-264.

  1. 1. Les premiers travaux sérieux sur de nouvelles mesures de l'inflation fondamentale réalisés à la Banque du Canada ont été ceux de Laflèche (1997), de Crawford et autres (1998), de Hogan et autres (2001) et de Macklem (2001), lesquels s'appuyaient sur les efforts d'universitaires canadiens tels que Parkin (1984) et de chercheurs des autorités monétaires des États-Unis tels que Cogley (1998). Ces travaux se sont poursuivis avec Armour (2006), et ils se sont élargis récemment grâce à l'analyse novatrice de Hoddenbagh et autres (2008) et de Martel (2008).[]
  2. 2. L'une des raisons de ces piètres résultats au Royaume-Uni et dans la zone euro est que ces pays ont recours à un indice des prix à la consommation harmonisés, qui exclut les frais de logement – une composante importante du coût de la vie.[]
  3. 3. https://www.banqueducanada.ca/fr/bourses/grandes_lignes_08.html[]