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Quand l'exception devient monnaie courante : la conduite de la politique monétaire en période extraordinaire

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Bonjour à tous. La turbulence financière qui a pris naissance sur le marché américain des prêts hypothécaires à risque en août 2007 a atteint son paroxysme vers la fin de 2008, pour finir par perturber l'ensemble de l'économie mondiale. Les tensions qui se concentraient au début dans une poignée de places financières majeures se sont muées alors en véritable crise, touchant aussi bien les pays industrialisés que les économies de marché émergentes par la voie des échanges commerciaux, des liens financiers et de la confiance.

Les autorités ont réagi rapidement, en adoptant des mesures de relance monétaire et budgétaire sans précédent dès que la gravité de la situation est devenue évidente. Les banques centrales sont intervenues en ramenant leurs taux d'intérêt cibles à des creux historiques et en fournissant des liquidités d'urgence à une échelle exceptionnelle. Si un certain nombre de « bourgeons de croissance » sont apparus dernièrement et que l'économie mondiale a cessé de se détériorer à un rythme de plus en plus soutenu, nous demeurons toutefois au coeur de la contraction la plus profonde et la plus synchrone de l'après-guerre.

Après avoir testé les limites de leurs instruments de politique monétaire classiques, de nombreuses banques centrales se sont tournées vers des mesures dites « non traditionnelles », une voie que d'autres songent d'ailleurs sérieusement à emprunter. Néanmoins, ces nouveaux instruments sortant de l'ordinaire, ils suscitent beaucoup de confusion quant à leur nature exacte et à leur mode de fonctionnement. Certains observateurs croient qu'ils seront largement inefficaces, de telle sorte qu'une spirale déflationniste serait inévitable. D'autres craignent, au contraire, qu'ils soient trop efficaces, ou laissés en place trop longtemps, au point d'engendrer une spirale inflationniste. Quel que soit le cas de figure, les mesures de politique monétaire non traditionnelles sont considérées par beaucoup comme une option vraiment risquée.

Mon exposé d'aujourd'hui vise principalement à répondre à ces idées fausses et à dissiper certaines des inquiétudes infondées qui ont vu le jour quant à l'usage des mesures de politique monétaire non traditionnelles. Tout d'abord, j'expliquerai ce que les banquiers centraux ont à l'esprit lorsqu'ils font référence à ces mesures, ainsi que la façon dont elles diffèrent des mesures classiques. Ensuite, je passerai en revue les principes qui ont été élaborés pour contribuer à en régir l'emploi, si celui-ci est jugé nécessaire. Enfin, je me pencherai sur la question de leur efficacité potentielle, à la lumière de leur application la plus récente.

Bien qu'il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions solides, l'expérience des mesures non traditionnelles a été jusqu'à présent largement positive. Je vous en donnerai des exemples dans un instant. Mais je commencerai par vous faire part de quelques observations au sujet de l'évolution économique récente et des mesures correctives qui ont été prises par les autorités.

L'évolution économique récente

Un de mes collègues du G7 a brillamment résumé l'expérience que beaucoup d'entre nous vivons actuellement en l'assimilant à « reconcevoir un avion tout en le pilotant ». On peut parfois, en effet, avoir cette impression, mais cette image ne rend pas justice aux cadres de politique cohérents et à la planification minutieuse qui servent à orienter les mesures que nous sommes en train d'instaurer. La conjoncture économique sans précédent avec laquelle nous devons composer nous oblige à faire preuve de plus en plus de créativité. De fait, l'ensemble des grands pays industriels sont maintenant en récession, tout comme une foule de pays à marché émergent. En outre, les économies de marché émergentes qui connaissent toujours la croissance ont enregistré une décélération marquée de leur activité économique réelle, et les espoirs de « découplage » ont fait long feu. Les inquiétudes quant au risque de stagflation, qui dominaient les débats ne serait-ce qu'il y a huit mois, se sont quasiment évanouies, cédant la place à des appréhensions en matière de déflation. Enfin, le taux d'inflation mesuré par l'indice global des prix à la consommation a chuté considérablement dans les économies avancées, sous l'effet de la forte correction des cours des produits de base et de l'élargissement des écarts de production, et on s'attend à ce qu'il descende brièvement en dessous de 0 % dans de nombreux pays.

Cela dit, en dépit des mauvaises nouvelles qui font les manchettes, la reprise est encore à l'horizon, et les mesures énergiques que prennent les autorités publiques y contribueront. Notre banque centrale a récemment publié la livraison du printemps de son rapport sur la politique monétaire, dans laquelle nous exposons notre point de vue sur la situation économique actuelle et son évolution à court terme. Nous y présentons également, dans une annexe spéciale, le cadre dont nous nous sommes dotés pour régir l'emploi d'instruments de politique monétaire non traditionnels et la manière dont nous pourrions l'appliquer, si nous le jugions nécessaire.

La période que nous vivons revêt un caractère exceptionnel et inquiétant; toute mesure qui peut réduire le degré d'incertitude et raviver la confiance est bonne à prendre. C'est en partant de ce principe que la Banque du Canada a décidé d'ajouter l'annexe spéciale à son rapport. Notre cadre usuel de conduite de la politique monétaire, qui se fonde sur un taux de change flottant, une cible explicite en matière d'inflation et la clarté de la reddition des comptes, nous a bien servis jusqu'à présent et continuera de guider nos actions futures. Dans l'annexe, nous nous sommes appuyés sur cette assise pour établir un plan d'urgence clair prévoyant l'usage de mesures non traditionnelles et permettant de faire face à des défis extraordinaires.

Les réactions des autorités monétaires et budgétaires

Les autorités publiques, au Canada, aux États-Unis et dans d'autres pays, ont réagi avec une rapidité et une détermination exceptionnelles pour soutenir les marchés financiers, restaurer la croissance et rééquilibrer l'économie réelle. Concrètement, elles ont apporté une aide sans précédent au secteur financier sous la forme de liquidités d'urgence, de garanties sur le passif des institutions, ou encore d'opérations d'achat d'actifs ou de recapitalisation, selon les cas. Les autorités budgétaires ont également adopté des mesures discrétionnaires ambitieuses et concertées, qui contribueront, en conjonction avec les stabilisateurs automatiques existants, à revitaliser la demande globale.

La réaction des autorités monétaires a été tout aussi impressionnante et rapide, comme celles-ci l'ont démontré en réduisant énergiquement leurs taux directeurs (voir Graphique 1). Ces taux à court terme sont maintenant proches de zéro, soit le niveau minimal auquel peuvent descendre les taux d'intérêt nominaux. Tout projet d'abaisser, de manière persistante, ces taux sous zéro serait futile, puisque les investisseurs ont toujours la possibilité de convertir leurs titres en argent comptant. De fait, comme je l'expliquerai par la suite, il est probable que la valeur plancher des taux directeurs se situe légèrement au-dessus de zéro. On peut en déduire que la plupart des grandes banques centrales ont déjà atteint la limite de leurs mesures monétaires traditionnelles. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles aient épuisé tous leurs moyens d'action.

Mesures de politique monétaire traditionnelles et valeur plancher des taux d'intérêt

En temps normal, soit lorsque les banques et les marchés financiers sont pleinement opérationnels, le processus de transmission de la politique monétaire suit un cheminement relativement direct et bien compris. La première étape consiste, pour la banque centrale, à surveiller et à prévoir avec soin l'évolution de l'activité économique et de l'inflation. En second lieu, l'institution doit décider s'il convient de stimuler davantage, ou moins, l'économie. Pour de nombreuses banques centrales, cette décision s'appuie sur une cible explicite (ou implicite) à l'égard de l'inflation 1; il est en effet généralement reconnu que le maintien d'un taux d'inflation bas, stable et prévisible est la meilleure contribution qu'une banque centrale puisse apporter au bien-être économique de la population. Je préciserai d'ici quelques instants l'avantage d'avoir en place une cible claire et crédible en la matière.

Troisièmement, si elle juge nécessaire d'intervenir, la banque centrale diminue ou relève son taux d'intérêt cible, selon les circonstances. À partir de là, l'impulsion monétaire se transmet aux taux d'autres instruments financiers dont l'échéance est plus éloignée, y compris les taux d'intérêt imposés par les banques sur les prêts qu'elles accordent. Il y a certes peu de transactions qui se concluent au taux cible, mais les autres taux d'intérêt que celui-ci influence dans d'autres segments de la courbe des rendements ont, eux, une incidence notable sur les décisions des ménages et des entreprises en matière de prêts et d'emprunts.

Cependant, la politique monétaire traditionnelle trouve ses limites une fois que le taux d'intérêt cible avoisine zéro. Comme je l'ai dit, les taux d'intérêt nominaux ne peuvent descendre en dessous de zéro, et la plupart des banques centrales préfèrent se laisser un peu de marge au-dessus de ce niveau. En effet, des taux directeurs trop faibles peuvent causer des problèmes sur les marchés financiers et restreindre les flux de crédit au moment même où les banques centrales cherchent à les restaurer.

C'est notamment pour ces raisons que les autorités monétaires rechignent, en règle générale, à abaisser leur taux cible nettement en deçà de 25 ou 50 points de base, un niveau qui en représente la valeur plancher pour de nombreuses banques centrales.

Instruments de politique monétaire non traditionnels

Lorsque les taux directeurs touchent leur valeur plancher, les conditions monétaires peuvent continuer d'être assouplies, mais il faut trouver d'autres moyens d'accroître les flux de crédit et abaisser les taux d'intérêt des échéances plus éloignées. Trois mécanismes de base ont été définis à cette fin.

1. Déclarations conditionnelles au sujet de la trajectoire future des taux directeurs. Le premier de ces mécanismes consiste, pour la banque centrale, à émettre publiquement des déclarations conditionnelles concernant la trajectoire future de son taux directeur. En temps normal, ce type d'indications se limite souvent au strict minimum ou s'exprime en termes très généraux. Dans des circonstances exceptionnelles – comme celles auxquelles nous devons faire face actuellement –, il peut s'avérer nécessaire d'être plus explicite et de prendre un engagement conditionnel clair quant au fait que l'on maintiendra le taux cible du financement à un jour à un bas niveau et pendant une période prolongée. Les banques centrales peuvent ainsi influer sur les taux d'intérêt d'échéances éloignées, car les taux à long terme reflètent largement les taux à court terme anticipés. Même si elles ne sont peut-être pas en mesure d'abaisser davantage le taux cible du financement à un jour, elles peuvent encore façonner les attentes à long terme en s'engageant, sous certaines conditions, à conserver ce taux à un bas niveau.

Cela dit, pour que ce mécanisme puisse fonctionner, il faut que l'engagement conditionnel de la banque centrale soit crédible et que les attentes en matière d'inflation demeurent solidement arrimées. L'expérience positive que le Canada a acquise ces 18 dernières années avec son régime de cibles d'inflation est très précieuse à cet égard. Ce régime a permis de réduire le risque d'attentes déflationnistes et de prendre des mesures énergiques pour faire face à la crise actuelle, et il facilitera sans aucun doute l'abandon des mesures non traditionnelles qui pourraient être adoptées.

2. Assouplissement quantitatif. Le second mécanisme non traditionnel que je voudrais évoquer est l'assouplissement quantitatif, que certains qualifient péjorativement – et à tort – de « planche à billets ». Il s'agit en fait, pour la banque centrale, d'acheter des titres du secteur privé ou public en augmentant son assiette de réserves. Ces opérations ont une incidence directe sur les rendements des actifs acquis, qui se traduit par des pressions à la baisse sur les taux d'intérêt associés à ces derniers et par des pressions à la hausse sur leurs prix. Elles permettent aussi d'injecter dans le système financier davantage de soldes de règlement dont les institutions de dépôt peuvent se servir pour accorder des prêts supplémentaires.

Par définition, les opérations qui sont menées dans le cadre d'un assouplissement quantitatif sont « non stérilisées ». Bien qu'elles soient considérées à juste titre comme non traditionnelles, ces opérations ressemblent tout de même beaucoup à la façon dont la politique monétaire est décrite dans la plupart des traités élémentaires d'économie et dont elle fut mise en oeuvre à l'apogée du monétarisme.

3. Assouplissement direct du crédit. L'assouplissement direct du crédit, le troisième mécanisme, est un terme exclusivement réservé aux achats, par une banque centrale, d'actifs privés dans des segments du marché où les dislocations et les contraintes de crédit semblent être les plus graves. Ce mécanisme est conçu pour assouplir les conditions du crédit en stimulant les échanges de certains actifs et en provoquant des substitutions de portefeuille.

La banque centrale peut effectuer des achats stérilisés d'actifs privés soit en vendant des actifs existants comptabilisés dans son bilan – il s'agit alors essentiellement de troquer de « bons » actifs contre des « mauvais » –, soit en créant des réserves additionnelles, puis en stérilisant, ou en épongeant, les excédents de liquidités par la vente de nouveaux titres d'État 2. L'assouplissement direct du crédit peut aussi être combiné à l'assouplissement quantitatif, auquel cas l'achat d'actifs privés demeure non stérilisé et l'assiette de réserves est accrue.

Quatre principes directeurs

Même si les trois instruments de politique monétaire non traditionnels que je viens de décrire ont fait l'objet d'études approfondies, ils n'ont été que très peu utilisés récemment. Toute décision d'y recourir s'accompagne donc nécessairement de certains risques et incertitudes. Afin de surmonter ces difficultés, la Banque du Canada a établi quatre principes essentiels qui visent à guider ses interventions au cas où elle déciderait d'employer ces instruments. Chacun des principes peut se résumer en un mot, ou presque : accent (sur la cible d'inflation), incidence, neutralité et prudence.

1. Accent sur la cible d'inflation. Toute mesure non traditionnelle prise par la Banque doit avoir pour principal objectif le maintien de l'inflation à la cible de 2 % qu'elle vise. Le rétablissement du fonctionnement normal des marchés financiers et des flux de crédit serait un important facteur à considérer, mais uniquement dans la mesure où il favoriserait l'atteinte de l'objectif ultime.

2. Incidence. Les décisions concernant le choix de l'instrument non traditionnel à employer et le moment de le faire dépendraient des conditions économiques courantes et attendues, plutôt que d'un plan prédéfini et appliqué mécaniquement. Seraient prises notamment en compte, dans le cas de l'assouplissement direct du crédit, la gravité de la défaillance du marché, la capacité de la Banque de la corriger et son importance pour le fonctionnement de l'économie réelle. Les marchés financiers subissant les pressions les plus intenses n'auraient pas forcément la priorité. C'est l'incidence des mesures sur la production et l'inflation qui serait le facteur déterminant.

3. Neutralité. Les mesures seraient aussi mises en oeuvre d'une façon qui limite au minimum le risque de créer des distorsions sur d'autres marchés ou d'avoir des répercussions indésirables dans d'autres secteurs. Cela signifie qu'on opérerait dans le segment de marché le plus large possible et qu'on éviterait toute aide ciblée au bénéfice de secteurs ou d'entreprises spécifiques 3.

4. Prudence. Le dernier principe directeur, c'est-à-dire la prudence, peut être appliqué de plusieurs manières. L'une d'entre elles consiste à diminuer le plus possible les risques que les mesures de politique monétaire non traditionnelles font peser sur le bilan de la banque centrale et, par conséquent, les contribuables. L'assouplissement direct du crédit et l'assouplissement quantitatif peuvent en effet exposer la banque centrale au risque de marché, surtout si elle détient des instruments à long terme et que les taux d'intérêt commencent à augmenter davantage que prévu. Paradoxalement, cette hausse pourrait être le signe que les mesures d'exception fonctionnent 4. L'assouplissement direct du crédit pourrait aussi exposer la banque centrale au risque de crédit, puisqu'il suppose l'acquisition d'instruments de qualité inférieure. Il est possible de limiter certains de ces risques en procédant à une sélection rigoureuse, en imposant une note de crédit minimale et en visant des instruments dont l'échéance est plus rapprochée. Mais cela ne sera pas toujours possible si la banque centrale compte obtenir un effet bien précis.

Une forme de prudence légèrement différente est aussi nécessaire pour veiller à ce que les mesures non traditionnelles mises en place puissent être défaites sans perturber indûment les marchés ou menacer les objectifs macroéconomiques de l'autorité monétaire. Certains actifs à court terme peuvent facilement être retirés du bilan de la banque centrale lorsqu'ils arrivent à échéance. En revanche, les actifs à plus long terme devront peut-être être vendus au fur et à mesure ou conservés jusqu'à leur échéance 5.

Quelques indicateurs utiles

En temps normal, les banques centrales surveillent un certain nombre d'indicateurs économiques et financiers, mais lorsque la situation devient incertaine, elles doivent faire preuve dans leur démarche d'encore plus d'éclectisme et de vigilance. Les variations des niveaux et des écarts de taux d'intérêt avant et après la mise en oeuvre d'une mesure non traditionnelle peuvent donner une idée approximative de son incidence. De même, les observations fournies par les entreprises, les ménages et les institutions financières dans le cadre des enquêtes qu'effectuent les banques centrales peuvent aussi aider ces dernières à suivre l'évolution des coûts et des modalités des prêts et des financements par emprunt. Les enquêtes qui sont menées dans la plupart des pays avancés auprès des responsables du crédit en sont un exemple.

La croissance de divers agrégats du crédit et de la monnaie peut également fournir d'assez bonnes indications. Puisque les variations de ces agrégats peuvent être causées par des facteurs liés soit à la demande soit à l'offre, il n'est pas toujours évident de savoir dans quel sens opèrent les liens réels et financiers. Les liens entre la monnaie, le crédit et l'économie réelle sont rarement stables, même en période calme, et cette instabilité s'accentue encore dans des périodes caractérisées par une forte volatilité et de très bas taux d'intérêt. Par conséquent, il est probable que les mesures des prix et des taux d'intérêt se révèlent plus fiables.

De nombreuses banques centrales ont établi des mesures sommaires pour jauger le degré global d'assouplissement ou de resserrement des conditions financières sur leurs marchés. Ces indices des conditions financières ont des fondements empiriques et intègrent de multiples indicateurs, dont chacun est pondéré selon son incidence estimative sur la croissance du PIB. Les graphiques 2 et 3 font état de certains indices représentatifs concernant le Canada et d'autres pays. Bien que le niveau atteint par l'un ou l'autre de ces indices ne signifie pas grand-chose en soi, de grandes variations d'indice témoignent probablement d'un assouplissement ou d'un resserrement prononcé.

La Banque du Canada a regroupé dans un seul et même site Web l'ensemble des indicateurs du crédit qu'elle utilise. Cet assortiment d'indicateurs, que nous qualifions de tableau de bord des conditions du crédit, se trouve à l'adresse : http://credit.bank-banque-canada.ca.

Les mesures de politique monétaire non traditionnelles fonctionnent-elles?

Une question fondamentale demeure : les mesures de politique monétaire non traditionnelles fonctionnent-elles vraiment? Il y a de bonnes raisons de croire que, si elles sont mises en oeuvre vigoureusement et jouissent du soutien sans équivoque des autorités, elles seront efficaces. Les premiers résultats des mesures non classiques récemment adoptées par le Canada, le Japon, la zone euro, le Royaume-Uni et les États-Unis sont à coup sûr prometteurs. Cependant, toute évaluation de leur efficacité doit nécessairement être traitée avec une grande prudence.

  • Premièrement, ces initiatives sont encore toutes récentes et l'on ne dispose pas de beaucoup de données sur lesquelles se fonder.
  • Deuxièmement, il arrive souvent que plusieurs mesures soient lancées simultanément, et il est donc difficile d'évaluer les répercussions propres à l'une d'entre elles en particulier.
  • Troisièmement, les effets d'entraînement d'un marché à l'autre pourraient s'avérer importants mais difficiles à détecter.
  • Quatrièmement, les retombées à court et à long terme pourraient différer considérablement et dépendront pour une bonne part des conditions économiques initiales et de la façon dont on applique la politique.
  • Cinquièmement, il se peut que la réduction des écarts et des taux d'intérêt tienne à un fléchissement de la demande et non à un assouplissement des conditions du crédit. Il est donc risqué d'essayer de tirer des conclusions définitives.

Il importe de ne pas perdre de vue que les circonstances économiques et institutionnelles varient d'un pays à l'autre et peuvent nécessiter une approche différente en matière d'assouplissement non traditionnel associé à la politique monétaire. Bref, il n'existe pas de solution unique. On le constate d'ailleurs dans les diverses stratégies adoptées dernièrement par certains pays. La Suisse, par exemple, ne possède pas de marchés profonds de titres d'État et du secteur privé et a ainsi décidé de procéder à un assouplissement quantitatif au moyen d'une intervention non stérilisée sur le marché des changes. Les marchés financiers du Japon n'ont pas été touchés aussi durement que ceux de bon nombre d'autres pays avancés, mais les banques nippones ont néanmoins eu besoin d'un soutien considérable et c'est pourquoi la plupart des mesures non classiques prises par les pouvoirs publics depuis un an ont été axées sur ces institutions 6.

Le Royaume-Uni a concentré essentiellement son assouplissement quantitatif sur le marché des obligations d'État, puisque l'émission de papier commercial et d'obligations de sociétés n'est pas aussi importante. Aux États-Unis, encore une fois, le point de mire est fort différent, et l'assouplissement quantitatif porte davantage sur les actifs privés.

Pour sa part, le Canada n'a pas été exposé à bon nombre des déséquilibres et des vulnérabilités qui ont affecté d'autres pays et, partant, a eu moins besoin de recourir à des mesures non traditionnelles. La Banque du Canada n'a pas appliqué de mesures d'assouplissement direct du crédit ou d'assouplissement quantitatif, mais a pris un engagement conditionnel concernant la trajectoire future du taux directeur. À sa dernière date d'annonce préétablie, l'institution a abaissé le taux cible du financement à un jour à 25 points de base – ce qui correspond, selon elle, à sa valeur plancher – et elle s'est engagée à le maintenir à ce niveau jusqu'à la fin du deuxième trimestre de 2010, sous réserve des perspectives en matière d'inflation. En outre, elle a étayé cet engagement conditionnel en décidant d'offrir des prises en pension assorties d'échéances pouvant aller jusqu'à un an, à des taux de soumission maximal et minimal prédéterminés 7.

Quels résultats toutes ces différentes interventions ont-elles donnés? Voici un bref bilan provisoire de l'efficacité des mesures non traditionnelles adoptées par le Canada et d'autres pays industriels à ce jour.

  • Engagement conditionnel – Plusieurs pays ont pris des engagements conditionnels et se sont dits prêts à maintenir leurs taux directeurs à la valeur plancher ou près de ce niveau pendant une période prolongée. Tous ces engagements semblent avoir produit un certain effet sur les rendements du marché, du moins au moment de l'annonce. Parmi les grands pays industriels, le Canada s'est engagé le plus explicitement en ce sens et a joint le geste à la parole. Le résultat s'est révélé appréciable et durable, soit une réduction de 10 à 20 points de base des rendements implicites des obligations d'État pour les échéances allant jusqu'à un an (voir Graphique 4).
  • Assouplissement quantitatif – L'expérience dans ce cas-ci est plus limitée, mais les achats non stérilisés et ciblés de titres d'emprunt de sociétés et de papier commercial au Japon et au Royaume-Uni paraissent avoir réduit les écarts sur ces actifs et accru leur émission. Les achats non stérilisés de titres d'État au Royaume-Uni et aux États-Unis ont provoqué des baisses marquées de leurs rendements pendant un court intervalle à la suite de l'annonce initiale de ces programmes, mais le mouvement s'est inversé depuis. Les autorités estiment que cette évolution n'est pas due à l'érosion de l'influence des programmes, mais plutôt à l'apparition de meilleures nouvelles économiques et d'autres facteurs qui auraient provoqué des hausses encore plus importantes si les programmes n'avaient pas été en place.
  • Assouplissement direct du crédit – Les coûts d'emprunt et les écarts de taux d'intérêt sur la quasi-totalité des marchés se sont améliorés pour diverses raisons, mais les changements appréciables observés sur certains marchés sont directement attribuables à la mise en oeuvre de programmes particuliers de la banque centrale (et du gouvernement) en matière d'assouplissement direct du crédit. Citons notamment, dans le cas du Canada, le Programme d'achat de prêts hypothécaires assurés du gouvernement fédéral, et dans celui des États-Unis, les achats, par la Réserve fédérale, de titres adossés à des créances hypothécaires et d'engagements directs d'agences fédérales de refinancement hypothécaire, ainsi que la Commercial Paper Funding Facility (voir Graphique 5).

Les résultats préliminaires de l'usage de ces trois instruments non traditionnels de politique monétaire sont généralement encourageants.

Conclusion

J'aimerais vous laisser sur quatre messages importants. Premièrement, les banques centrales n'ont pas épuisé toutes leurs munitions, et les mesures de politique monétaire non traditionnelles peuvent être efficaces. Deuxièmement, bien que leur application s'accompagne d'une incertitude légèrement plus grande que dans le cas des outils classiques, la nouveauté des mesures non traditionnelles ne devrait pas nous effrayer. Très souvent, elles sont le prolongement direct des actions que nous menons dans le cours normal de nos activités. Troisièmement, il existe des stratégies prudentes visant à limiter les risques de crédit et de taux d'intérêt assumés par le secteur public et, donc, par le contribuable. Quatrièmement, les autorités veilleront tout particulièrement à se « désengager » de manière ordonnée, en s'inspirant des cadres de conduite de la politique monétaire clairement définis dont disposent maintenant la plupart des banques centrales. Une telle démarche contribuera à réduire la possibilité d'un désengagement prématuré et déstabilisant ainsi qu'à prévenir une flambée de l'inflation.

En termes simples, les risques d'un effondrement déflationniste ou d'une spirale inflationniste ont été grandement exagérés. Les banques centrales ne manqueront pas de fermer le robinet des liquidités lorsqu'aucune impulsion additionnelle ne sera nécessaire. Mais ne précipitons pas les choses. Nous devons d'abord en arriver au point où la croissance se nourrira d'elle-même et où nous aurons l'assurance de pouvoir atteindre notre objectif en matière d'inflation.

  1. 1. La Banque du Canada est l'une des premières banques centrales à avoir adopté un régime de cibles explicites, et elle vise à garder l'inflation à 2 %.[]
  2. 2. Il importe de noter que cette dernière méthode entraînerait une expansion nette du bilan de la banque centrale, mais sans que les réserves qui y sont détenues augmentent. L'assouplissement quantitatif, au contraire, suppose l'accroissement de l'assiette de réserves que les institutions privées peuvent employer. Malheureusement, de nombreux observateurs croient, par erreur, que tout accroissement du bilan de l'institution correspond à un assouplissement quantitatif.[]
  3. 3. L'aide ciblée convient peut-être à l'atteinte d'autres objectifs économiques et sociaux, mais elle est considérée à juste titre comme l'apanage des gouvernements élus, et non des banques centrales.[]
  4. 4. La stabilisation des marchés financiers devrait provoquer le retour à des niveaux plus normaux des taux d'intérêt des échéances éloignées (en particulier ceux des titres d'État).[]
  5. 5. Bien que ce ne soit pas un principe directeur, une étroite coordination entre la banque centrale et le Trésor public est aussi nécessaire. Cela permet d'éviter la confusion et de maximiser l'efficacité des mesures prises en vue d'assouplir les conditions du crédit et de stimuler l'économie. En pleine crise financière, la démarcation entre stabilité monétaire et stabilité financière finit par s'estomper, et il en va de même pour la distinction entre les mesures monétaires et budgétaires. Il n'est pas rare qu'à la fois les banques centrales et les gouvernements lancent des mesures d'assouplissement du crédit, et il importe donc qu'ils travaillent de concert.[]
  6. 6. Au Japon, bien que le système financier ait été relativement épargné par la turbulence mondiale, les conditions sur les marchés du papier commercial et des obligations de sociétés se sont fortement resserrées à l'automne dernier. Dans ce contexte, la Banque du Japon a commencé à acquérir du papier commercial et des obligations de sociétés afin de faciliter le financement des entreprises.[]
  7. 7. La Banque a également annoncé que, selon elle, ces actions et l'assouplissement qu'elles supposaient suffiraient à rétablir l'équilibre au sein de l'économie réelle et à ramener l'inflation à sa cible de 2 % d'ici la mi-2011. Le recours à l'assouplissement quantitatif ne serait donc pas nécessaire, à moins que les conditions ne se détériorent par rapport à la projection de la Banque.[]