Le présent document explique en termes non techniques la nature, le fonctionnement et l'importance de la politique monétaire. L'auteur se penche sur la volatilité de l'inflation et explique pourquoi celle-ci a des effets néfastes sur l'économie; il analyse aussi les raisons pour lesquelles une stabilité accrue de la croissance de la production est souhaitable.

Christopher Ragan1
Département des sciences économiques
Université McGill

Résumé

Le présent document explique en termes non techniques la nature, le fonctionnement et l'importance de la politique monétaire. L'auteur se penche sur la volatilité de l'inflation et explique pourquoi celle-ci a des effets néfastes sur l'économie; il analyse aussi les raisons pour lesquelles une stabilité accrue de la croissance de la production est souhaitable. Dans les deux cas, il examine l'incidence de l'un et l'autre cas sur l'évolution de la tenue de l'économie canadienne au cours des dernières décennies. L'auteur étudie aussi en profondeur le mécanisme de transmission de la politique monétaire et les types d'incertitudes auxquels les banques centrales sont confrontées dans la conduite de la politique monétaire. Enfin, il décrit les types de renseignements dont ces dernières ont besoin pour pouvoir mener une politique monétaire prudente.

Introduction

Les banques centrales et la conduite de la politique monétaire sont souvent considérées comme des mystères impénétrables, compris uniquement par une petite poignée d'initiés ayant réussi à obtenir accès à un cercle exclusif. Cette aura de mystère est amplifiée par les efforts que les membres de la presse financière consacrent à l'analyse et à l'interprétation des déclarations souvent hermétiques des hauts dirigeants des banques centrales.

Le présent document vise à répondre à plusieurs grandes questions portant sur la politique monétaire, sans toutefois exiger de la part du lecteur une connaissance particulière des sciences économiques. Premièrement, qu'est-ce que la politique monétaire? Deuxièmement, pourquoi de nombreuses banques centrales se concentrent-elles sur la maîtrise de l'inflation plutôt que sur d'autres variables macroéconomiques? Troisièmement, comment les mesures prises par la banque centrale influencent-elles le niveau de l'activité économique et le taux d'inflation? Et enfin, comment la politique monétaire peut-elle procurer des avantages réels et significatifs à la société? Même si les principaux messages véhiculés dans le présent document s'appliquent aux banques centrales et à la politique monétaire de nombreux pays, nous tenons à préciser que l'accent est d'abord mis sur la politique monétaire canadienne ainsi que sur le fonctionnement de la Banque du Canada.

Ce sujet devrait intéresser les non-spécialistes pour deux raisons reliées entre elles. Tout d'abord, la politique monétaire joue un rôle important dans le fonctionnement de l'économie. Se passe-t-il un jour sans que l'on entende des nouvelles traitant de l'inflation, de la croissance de la production réelle, des variations du taux de change ou des mesures que la banque centrale est susceptible d'annoncer à sa prochaine date d'établissement des taux d'intérêt? Même les citoyens bien informés peuvent difficilement se faire une idée précise des nombreux enjeux et débats économiques s'ils ne possèdent pas au moins une vague compréhension de ce que font les banques centrales et des motifs qui sous-tendent leurs actions.

La deuxième raison a rapport aux avantages plus larges d'une telle compréhension. Dans la majorité des pays, les banques centrales sont des institutions appartenant à l'État, mais qui fonctionnent de façon très indépendante des structures politiques dirigeantes. Il est donc essentiel que la banque centrale soit tenue de rendre des comptes à la population par l'entremise des élus. La politique monétaire s'avère parfois si complexe et technique que sa mise en oeuvre est confiée à des experts qui ne se spécialisent dans rien d'autre. Toutefois, dans une économie de marché bien huilée et démocratique, c'est aux citoyens que revient finalement la responsabilité de juger le rendement de ces experts. Or, pour en arriver à un tel jugement, il est nécessaire d'avoir une compréhension de base des principaux enjeux.

Le présent document est structuré comme suit : la Section 1 définit ce qu'est la politique monétaire et ce qu'elle n'est pas. Elle décrit les grandes lignes de cette politique et précise les raisons pour lesquelles la plupart des banques centrales se fixent comme principal objectif un taux d'inflation bas et stable. La Section 2 brosse un portrait de l'inflation au Canada au cours des 40 dernières années et explique pourquoi un bas taux d'inflation est souhaitable. Par exemple, un des importants avantages que procure un tel taux est de réduire l'incertitude et les interférences avec le fonctionnement du système de prix, ce qui a pour effet de diminuer les coûts pour la société. La Section 3 jette un coup d'oeil à la croissance globale de la production au Canada au cours des dernières décennies et montre que la production a progressé à un rythme plus stable au fil des ans. Nous analysons aussi pourquoi cette stabilité est avantageuse pour l'économie canadienne.

Certains détails sur le fonctionnement de la politique monétaire sont présentés à la Section 4. Nous y expliquons la façon dont la Banque du Canada applique son système de poursuite de cibles d'inflation. Il s'agit d'un sujet assez complexe qui exigera du lecteur quelques efforts pour comprendre le mécanisme de transmission de la politique monétaire. Une fois ces bases jetées, nous verrons quels sont les renseignements requis pour assurer une conduite prudente de la politique monétaire. Essentiellement, pour que la politique monétaire porte ses fruits, les banques centrales doivent investir dans la création, la surveillance et la projection des données économiques afin de mieux comprendre l'évolution des économies nationale et mondiale et les relations qui se développent en leur sein.

L'économie et la politique économique

L'économie consiste en la réunion de millions de consommateurs et d'entreprises qui interagissent quotidiennement pour déterminer quels biens et services seront produits, quelles entreprises fourniront ces biens et services, quels consommateurs les emporteront chez eux à la fin de la journée et à quels prix ils seront vendus. Même dans les pays à économie de marché, tels que le Canada et les États-Unis, tous les ordres de gouvernement jouent un rôle important : ils se procurent des revenus en levant des impôts sur de nombreuses activités économiques et consacrent ces ressources à la fourniture de services comme la défense, les soins de santé, l'éducation et le logement social. Même lorsqu'ils ne taxent pas et ne dépensent pas directement, les gouvernements font souvent sentir leur présence au moyen des règlements qu'ils prescrivent en matière de sécurité des produits, d'intérêts étrangers, de permis de télédiffusion, de quotas de production laitière et de salaire minimum, pour nommer quelques exemples.

La macroéconomie entre rarement dans le détail des données relatives à des marchés de biens et de services particuliers; elle s'intéresse plutôt au comportement des indices économiques tels que la production totale, l'inflation, le chômage et la croissance économique. La politique macroéconomique comporte deux grands volets : la politique budgétaire et la politique monétaire. La politique budgétaire est l'ensemble des décisions que prend un gouvernement en matière de fiscalité, de dépense et d'emprunt. Les trois ordres de gouvernement (fédéral, provincial et municipal) ont une politique budgétaire, tous ayant la capacité de se procurer des revenus par une forme quelconque de taxation, et de dépenser ces revenus en biens et services. La politique budgétaire de tout gouvernement, en particulier celle de l'administration fédérale, comporte de multiples dimensions, car les recettes fiscales proviennent de diverses sources et les dépenses peuvent porter sur de nombreux produits dans différentes régions et viser tout un éventail de bénéficiaires.

1.1 Qu'est-ce que la politique monétaire?

La politique monétaire est l'ensemble des décisions qu'un gouvernement prend, habituellement par l'entremise de sa banque centrale, relativement à la quantité de monnaie en circulation dans l'économie. Au Canada, la banque centrale met en oeuvre sa politique monétaire en modifiant les taux d'intérêt à très court terme de façon à ce que le rythme d'expansion de la masse monétaire soit compatible avec le maintien de l'inflation à un niveau bas et stable.

Les trois principales caractéristiques de la politique monétaire menée au Canada sont les suivantes :

  1. La conduite de la politique monétaire est confiée à la Banque du Canada, un organisme appartenant à l'État qui dispose, pour mener ses activités, d'une indépendance considérable par rapport au gouvernement fédéral, mais qui doit néanmoins en dernier ressort rendre compte au Parlement2.
  2. Compte tenu de la libre circulation des capitaux au Canada, les mêmes taux d'intérêt s'appliquent aux actifs semblables, peu importe la région. Par conséquent, le Canada n'a qu'une politique monétaire pour l'ensemble de son territoire. La Banque du Canada est le seul émetteur de la monnaie sous forme de billets de banque ayant cours légal au pays.
  3. Bien que plusieurs variables économiques influent sur les décisions de politique monétaire (nous reviendrons un peu plus tard sur bon nombre de ces variables), la Banque du Canada ne dispose que d'un seul instrument de politique.

Comme l'indique le troisième point, la politique monétaire n'a qu'un seul champ d'action, contrairement à la politique budgétaire. Il est important de souligner cette différence, en particulier dans l'optique de ce que la politique monétaire n'est pas. La Banque du Canada n'a pas le pouvoir d'établir des priorités en matière de dépenses et de fiscalité, et ce, pour aucun ordre de gouvernement canadien. Elle n'a pas non plus la capacité de réglementer les marchés du travail ou ceux des produits, bien qu'elle soit appelée à jouer un rôle limité dans la réglementation et la surveillance de certaines composantes du système financier. Si importante et si solide qu'elle soit, la politique monétaire est beaucoup plus limitée que la politique budgétaire pour ce qui est des instruments de politique à sa disposition.

En quoi consiste l'instrument de politique de la Banque du Canada, et quelle est sa relation avec la quantité de monnaie dans l'économie? Cet instrument est la cible que la Banque se fixe pour le taux du financement à un jour3. Au Canada, les banques commerciales s'octroient mutuellement des prêts pour de très courtes périodes au taux du financement à un jour, un taux qui est déterminé par le marché et qui fluctue quotidiennement. En annonçant un taux d'intérêt donné (25 points de pourcentage au-dessus du taux cible) auquel elle est disposée à prêter des sommes illimitées aux banques commerciales et un second taux d'intérêt donné (25 points de pourcentage au-dessous du taux cible) auquel elle est disposée à emprunter des sommes illimitées auprès des banques commerciales, la Banque du Canada peut maintenir le taux du financement à un jour à l'intérieur de la fourchette opérationnelle annoncée. De plus, en modifiant son taux cible, la Banque du Canada peut influencer le taux du financement à un jour exigé dans la pratique par les banques commerciales.

Comme nous le verrons plus tard dans le présent document, les modifications du taux du financement à un jour sont au coeur même de la manière dont la politique monétaire agit sur l'économie. Pour l'instant, toutefois, nous nous bornerons à illustrer l'incidence de la décision relative au taux cible sur la quantité de monnaie dans l'économie. Lorsqu'elle modifie son taux cible, la Banque influe sur toute la gamme des échéances dans le marché, allant du rendement des bons du Trésor à 30 jours à celui des obligations d'État à 30 ans, et du taux des certificats de placement garantis de 3 mois (CPG) à celui des prêts hypothécaires de 10 ans. Ainsi, lorsqu'elle abaisse le taux cible du financement à jour, les taux d'intérêt reculent, la demande de crédit des entreprises et des ménages se raffermit et les banques commerciales augmentent leur offre de crédit. (À l'inverse, lorsqu'elle le relève, les taux d'intérêt grimpent, la demande de crédit des entreprises et des ménages fléchit et les banques commerciales réduisent leur offre de crédit.)

En réaction à un accroissement de l'offre de crédit dans l'économie, le volume des transactions liées aux biens et aux services augmente comme, du coup, la demande globale de monnaie pour effectuer ces transactions. Les entreprises et les ménages peuvent répondre à leurs besoins d'argent en effectuant des retraits de leurs comptes dans des banques commerciales, souvent sous forme de billets de banque. Mais quand les banques commerciales commencent à manquer de billets de banque, que font-elles? Eh bien, elles peuvent en acheter auprès de la Banque du Canada en vendant d'autres actifs, en particulier des titres d'État. Ainsi, quand la Banque du Canada accroît le volume de billets de banque dans l'économie pour répondre à la demande accrue de la part des banques commerciales, elle le fait en acquérant des titres d'État. Pour la Banque, une telle transaction se traduit dans son bilan par une hausse de son actif (titres d'État) ainsi que par une augmentation de son passif (nouveaux billets de banque émis) 4.

Cela montre bien le rapport qui existe entre le taux cible du financement à un jour, le bilan de la Banque et la quantité de monnaie en circulation. Les modifications que la Banque du Canada apporte au taux cible se répercutent sur les autres taux d'intérêt et, par ricochet, sur la demande de crédit, la demande de monnaie et la demande de billets de banque. La Banque répond aux variations de la demande de billets en effectuant les transactions nécessaires dans son bilan. Aux yeux de certains observateurs, la Banque pourrait sembler avoir la capacité d'influencer les taux d'intérêt indépendamment de la quantité de monnaie et vice versa. Mais c'est une simple illusion : la décision de la Banque de modifier le taux cible a une incidence directe sur la variation éventuelle de la quantité de monnaie en circulation dans l'économie. Nous l'avons dit : il n'existe qu'un seul instrument de politique monétaire.

Voilà qui conclut notre exposé sur les grandes lignes de la politique monétaire. Nous reviendrons sur le sujet un peu plus loin. Voyons maintenant les raisons pour lesquelles la plupart des banques centrales ont adopté la maîtrise de l'inflation comme objectif général de leur politique monétaire, plutôt que la maîtrise des variables telles que la production globale, l'emploi ou le taux de chômage.

1.2 Pourquoi cette focalisation sur l'inflation?

L'objectif ultime de la Banque est de contribuer du mieux qu'elle peut au bon fonctionnement de l'économie canadienne et au bien-être général des Canadiens. Étayées par de nombreuses recherches théoriques et empiriques, les politiques de la Banque du Canada, et celles de la plupart des autres banques centrales, reposent sur deux propositions fondamentales :

  • une inflation élevée est nuisible à l'économie et coûteuse pour les particuliers et les entreprises;
  • la seule variable économique sur laquelle les banques centrales ont un effet direct et durable est le taux d'inflation.

Nous verrons plus en détail les coûts associés à une inflation élevée dans la prochaine section. Pour résumer, disons simplement qu'une inflation élevée crée de l'incertitude dans l'économie, et cette incertitude nuit au bon fonctionnement d'une économie de marché, qui dépend des variations des prix des marchés pour refléter les variations dans la rareté de divers produits. Voilà qui explique pourquoi les banques centrales s'efforcent de maintenir l'inflation à un niveau bas et relativement stable.

Toutefois, l'atteinte d'un tel niveau ne constitue que l'un des nombreux objectifs qu'une politique économique pourrait vouloir atteindre. Les banques centrales pourraient aussi souhaiter maintenir un taux de chômage bas ou un taux de croissance de la production globale relativement élevé. Après tout, un chômage faible et une croissance élevée se traduiraient par une hausse des revenus réels et du niveau de vie moyen. Cette constatation nous amène à la seconde proposition dont nous avons parlé plus tôt, à savoir les limites de la portée de la politique monétaire.

Dans les thèses qu'il a avancées avec grande éloquence, Milton Friedman (1968) explique comment la politique monétaire peut influencer sur de courtes périodes de nombreuses variables macroéconomiques, dont la production réelle, le taux de chômage et l'investissement, tout en précisant que l'action exercée par cette politique n'est durable que sur le taux d'inflation. Vers la fin des années 1960, ces thèses étaient très controversées et ne faisaient pas l'unanimité parmi les économistes. Cependant, au cours de la décennie suivante, de nombreux résultats théoriques et empiriques sont venus les conforter et ont favorisé leur acceptation généralisée. Fondamentalement, la théorie de Friedman repose sur la reconnaissance du fait que les variations des salaires et des taux d'intérêt réels qui découlent initialement d'une mesure de politique monétaire sont tôt ou tard neutralisées par les ajustements que les salaires et les taux d'intérêt subissent en réaction à des situations de demande ou d'offre excédentaire. Ainsi, une mesure de politique monétaire pouvant entraîner à court terme une variation des niveaux de production et d'emploi finit, à long terme, par influer uniquement sur le taux d'inflation. Près de 40 ans plus tard, les thèses fondatrices avancées par Friedman relativement aux limites de la politique monétaire sont si bien enracinées dans l'esprit des économistes qu'on les trouve aujourd'hui dans les ouvrages économiques de base.

Parallèlement au consensus qui se faisait autour des théories de Friedman, on admettait aussi de plus en plus, à la lumière des expériences vécues au fil des ans par de nombreux pays, que les grands écarts de taux d'inflation découlaient plus des différences entre les politiques monétaires menées qu'elles ne tenaient à toute autre variable ou politique macroéconomique. Il ne faut pas croire pour autant qu'aucun autre facteur n'influe sur le taux d'inflation d'un pays, mais seulement que les écarts de taux d'inflation entre les pays tiennent principalement aux différences entre la politique monétaire qu'ils mènent. Cette relation empirique étroite entre l'inflation et la monnaie est illustrée au Graphique 1, où le taux d'inflation annuel moyen est comparé au taux de croissance annuel moyen, entre 1962 et 2003, de l'offre monétaire dans un éventail représentatif de 38 pays 5. Les moyennes annuelles sont calculées sur de nombreuses années afin de faire ressortir les tendances à long terme des données et, partant, échappent aux irrégularités empiriques associées aux fluctuations économiques à court terme. Le Graphique 1 montre clairement l'existence d'une corrélation positive entre l'inflation et l'expansion monétaire — autrement dit, les pays dont la masse monétaire croît rapidement tendent aussi à avoir un taux d'inflation élevé 6. Le Canada semble se situer dans le groupe inférieur des valeurs affichées, son taux d'inflation annuel moyen s'établissant à 4,6 % et son taux d'expansion monétaire, à 8,5 %.

En résumé, si les banques centrales choisissent de viser le maintien de l'inflation à un niveau bas et relativement stable, il y a à cela deux raisons. Premièrement, un taux d'inflation bas est avantageux pour le fonctionnement de l'économie. Deuxièmement, tant les fondements théoriques que les résultats donnent à penser que la politique monétaire ne peut avoir un effet systématique et durable sur une autre variable macroéconomique que le taux d'inflation. Compte tenu de sa portée limitée, il serait illogique que la politique monétaire vise d'autres objectifs à long terme, tels que le taux de chômage ou le taux de croissance de la production réelle. Il est normal que les banques centrales visent une cible à long terme à l'égard de la seule variable qu'elles peuvent raisonnablement espérer influencer à long terme, à savoir le taux d'inflation 7.

Voilà pourquoi la Banque du Canada estime que c'est en maintenant l'inflation à un niveau bas et relativement stable qu'elle peut le mieux contribuer à la santé de l'économie canadienne. Afin de rendre cet objectif officiel, la Banque, de concert avec le gouvernement canadien, a adopté en 1991 un régime de cibles d'inflation axé sur le maintien du taux d'inflation annuel aux alentours de 2 %, soit au point médian d'une fourchette allant de 1 à 3 %. Lorsqu'ils évoluent dans un contexte d'inflation faible et stable, les entreprises et les particuliers sont en mesure de prendre des décisions en matière de dépense, d'épargne et d'investissement qui mènent à l'amélioration constante du niveau de vie moyen au pays.

Étant donné les résultats concluants des travaux théoriques et empiriques portant sur les effets à long terme de la politique monétaire, on pourrait se demander pourquoi les banques centrales n'ont pas lutté contre l'inflation avec autant de détermination plus tôt, durant les années 1980 par exemple, voire au cours de la décennie précédente. La raison en est simple : ce qui aujourd'hui est beaucoup plus clair pour un grand nombre de banques centrales et d'économistes était loin d'être aussi évident à l'époque. Ces dernières décennies, les économistes ont tiré de nombreuses leçons de l'évolution de la conjoncture mondiale et des erreurs du passé en matière de politique. L'avenir leur en réserve d'autres encore, et certains événements futurs pourraient même amener les banques centrales à modifier leur régime de politique monétaire. Mais, d'ici là, le bon sens et les résultats obtenus laissent croire qu'une politique monétaire visant le maintien de l'inflation à un taux bas et stable demeure le meilleur choix.

Nous examinerons maintenant deux questions essentielles concernant la réussite de la politique monétaire canadienne. Tout d'abord, comment la lutte à l'inflation au pays s'est améliorée au fil des ans, et l'importance que revêtent ces progrès. Puis, dans quelle mesure la croissance de la production globale au Canada est plus stable depuis quelques années, et comment cela contribue au bien-être des Canadiens. Nous analyserons ensuite quelques aspects des rouages de la politique monétaire et les outils nécessaires à une conduite efficace de cette politique.

L'importance d'une lutte efficace contre l'inflation au Canada

Signe de la réussite de la politique monétaire canadienne, l'inflation — soit le taux de variation des prix selon l'indice des prix à la consommation (IPC) du Canada — fait couler beaucoup moins d'encre aujourd'hui que durant les années 1970, époque où elle faisait souvent les manchettes. Le Graphique 2 présente le profil d'évolution de l'inflation canadienne de 1966 à 2004, illustrant les deux sommets qu'elle a atteints, soit plus de 14 % en 1973 et près de 13 % en 19798. Le Graphique montre également le recul marqué de l'inflation, qui est passé de plus de 12 % à 4 % au début des années 1980, sa modeste hausse de 4 à 6 % pendant le reste de la décennie, puis son repli d'un peu plus de 6 % en 1990 à environ 2 % au cours des années suivantes. Depuis 1992, le taux d'augmentation de l'IPC au Canada oscille autour de 2 %.

De nombreux jeunes Canadiens n'ont aujourd'hui aucun souvenir des taux d'inflation élevés des années 1970 et du début de la décennie suivante. N'ayant vécu que dans un climat d'inflation basse et stable, à un taux si bas et si stable en fait que la plupart ne s'en préoccupent probablement pas, il est difficile pour eux de mesurer l'importance du rôle que joue l'inflation. En fait, celle-ci demeure une sorte de mystère même pour les plus âgés, qui ont pourtant été confrontés directement à certaines des perturbations économiques qu'elle a provoquées durant les années 1970 et 1980. Ainsi, bien qu'ils sachent parfois d'instinct que l'inflation n'est pas souhaitable, ils peuvent difficilement expliquer pourquoi elle pose problème, et pourquoi il est si important de la combattre.

2.1 L'inflation et l'incertitude

Pendant de nombreuses années, les écrits émanant des milieux universitaires ont fait valoir qu'il existait une distinction entre l'inflation attendue et l'inflation non prévue, soulignant que seule la deuxième posait problème. Les auteurs soutenaient, par exemple, que si tout le monde attendait un taux d'inflation de 5 % au cours de la prochaine année, il serait relativement aisé de modifier la totalité des contrats pour y incorporer une hausse de salaire ou de taux d'intérêt de 5 %. Dans un tel cadre, l'inflation ne susciterait pas beaucoup d'inquiétude.

Toutefois, les dirigeants des banques centrales accordent peu d'importance à cette distinction pour deux raisons. Premièrement, dans le monde réel, les institutions tardent beaucoup à apporter le type d'ajustement à l'inflation que requiert la théorie des milieux universitaires (Friedman, 1977). Deuxièmement, et plus important encore, le monde réel affiche rarement un taux d'inflation stable et prévisible. Comme le Graphique 2 le montre dans le cas du Canada, l'inflation réelle tend à être assez instable et cette instabilité tend même à s'accroître lorsque le niveau moyen de l'inflation est élevé. En général, une inflation élevée est volatile et, par conséquent, difficile à prédire. Or, le vrai problème réside dans l'incertitude créée par l'inflation parce qu'elle amène les ménages et les entreprises à prendre des décisions qu'ils ne prendraient probablement pas dans un contexte de faible inflation et de plus grande certitude face à l'avenir (Stuber, 2001).

Le Graphique 3 reproduit, pour le même groupe de pays que celui utilisé dans le Graphique 1, la relation qui existe entre le taux moyen d'inflation d'un pays et la volatilité de ce taux au fil du temps9. Les pays qui affichent des taux moyens d'inflation supérieurs tendent également à avoir des taux d'inflation plus volatils. Le Canada se situe dans le coin inférieur gauche, son taux d'inflation annuel moyen s'élevant à 4,6 %, et l'écart-type de l'inflation, à 3,2 %10.

Étant donné la relation entre l'inflation et l'incertitude, la lutte contre l'inflation constitue le seul moyen efficace pour éviter l'incertitude associée à cette dernière. La diminution du taux moyen d'inflation réduit la volatilité de l'inflation et, en conséquence, les coûts de l'incertitude.

2.2 Les répercussions de l'incertitude associée à l'inflation

Dans une économie où la vaste majorité des transactions sont effectuées dans des marchés décentralisés et privés, et où les prix sont déterminés par l'interaction entre acheteurs et vendeurs, les prix du marché jouent un rôle primordial dans la transmission de l'information et l'affectation des ressources au sein de l'économie. Par affectation des ressources, les économistes entendent le modèle général de production et de consommation, c'est-à-dire quelles entreprises produisent quels biens, quelles quantités des divers biens sont produites, quelles technologies servent à leur production, et comment les consommateurs répartissent leur pouvoir d'achat limité entre les nombreux biens et services offerts. Dans une telle économie, les prix du marché sont un indice de la rareté relative des produits. Les hausses de prix indiquent une accentuation de la rareté d'un bien donné. Les producteurs sont alors incités à accroître l'offre de ce bien, et les consommateurs, à restreindre l'utilisation qu'ils en font, ce qui en diminue la rareté. À l'inverse, les baisses de prix indiquent une atténuation de la rareté de produits donnés. Dans ce cas, les entreprises sont poussées à réduire l'offre de ces produits, et les consommateurs, à accroître leur demande. L'information transmise par les prix dans une économie de marché est donc essentielle pour que les ressources soient affectées de manière efficiente, et ainsi entraîner une hausse de la production des produits très convoités et une baisse de celle des produits moins prisés des consommateurs11.

En raison de la présence d'inflation dans une économie de marché, et de l'incertitude qui y est associée, les prix ne transmettent pas clairement cette précieuse information. Par conséquent, les marchés ne fonctionnent pas aussi efficacement qu'ils ne le feraient dans un climat non inflationniste. Les prix des marchés où sévit l'inflation contiennent toujours de l'information sur la rareté, mais ils transmettent aussi d'autres renseignements qui n'ont rien à voir avec cette dernière; ils véhiculent en particulier de l'information sur les perceptions à l'égard du taux d'inflation global. Il en résulte que les acheteurs et les vendeurs ne sont jamais tout à fait sûrs de ce qu'il faut déduire d'un prix élevé : la hausse indique-t-elle qu'un bien donné se raréfie, ou tout simplement que tous les prix montent en raison d'une inflation généralisée? Dans le premier cas, les acheteurs devraient limiter leurs dépenses, et les vendeurs, s'efforcer d'augmenter leur chiffre d'affaires. Par contre, dans la deuxième éventualité, comme le prix donné n'augmente pas par rapport à la majorité des autres prix, les comportements d'achat et de vente ne devraient pas changer. Dans le monde réel, le problème qui se pose lorsqu'il y a inflation est que les deux types de changements coïncident, et que les ménages et les entreprises parviennent difficilement à percevoir clairement la situation. L'inflation amène les participants au marché à commettre des erreurs, c'est-à-dire à faire des transactions qu'ils n'auraient pas effectuées si la conjoncture n'avait pas été obscurcie par l'inflation; donc, le fonctionnement du marché n'est pas aussi efficient qu'il le serait en l'absence d'inflation.

Bon nombre de dirigeants de banques centrales soutiennent depuis des années que l'inflation réduit l'efficacité du système de prix. Voici le point de vue exprimé par Thomas Melzer (1996), ancien président de la Réserve fédérale de St-Louis :

À mon avis, le coût premier de l'inflation, même faible, est la confusion inutile qu'elle sème dans le système des prix relatifs. Pour assurer le bon fonctionnement des marchés, il est important de laisser les prix relatifs donner les indications les plus claires possible sur la tenue des marchés du crédit, des marchés des produits de base, des marchés du travail et, de façon générale, de tout marché où les prix d'aujourd'hui dépendent des perceptions à l'égard du pouvoir d'achat futur. [traduction]

Nous avons fait allusion plus tôt à la théorie voulant que l'inflation influe sur l'affectation des ressources et nuise au bon fonctionnement de l'économie. Mais qu'est-ce que cela signifie réellement? Le déplacement de ressources vers des activités inutiles sur le plan social, au détriment de la production de « choses réelles » qui nous tiennent à cœur, constitue l'un des exemples d'une mauvaise affectation des ressources découlant de l'inflation. Axel Leijonhufvud (1977, p. 280-281) l'explique ainsi :

[En présence d'inflation,] l'efficience et la compétitivité de la production et de la distribution de biens et de services « réels » devient moins importante pour les résultats socio-économiques réels. Il importe plus de prévoir l'inflation et de se prémunir contre ses effets. Les gens réaffecteront leurs efforts et leur ingéniosité en conséquence [...].

En bref, une bonne productivité dans les activités « réelles », autrement dit être capable de soutenir la concurrence, dans son sens courant, n'a plus la même priorité. Bien se protéger de l'inflation devient vital. [traduction]

Imaginez toutes les « choses réelles » que pourraient réaliser l'ensemble des personnes ingénieuses qui, dans un contexte d'inflation même modérée, s'attardent plutôt à prédire l'inflation, à créer et à échanger des outils financiers conçus de manière à conserver leur valeur dans une conjoncture inflationniste, de même qu'à modifier ou à interpréter un régime fiscal lourdement touché par l'inflation. Dans un contexte d'inflation basse et stable, ces précieuses ressources peuvent être consacrées à des choses qui nous tiennent vraiment à coeur, telles que donner des leçons de piano, forer des puits de pétrole, concevoir des logiciels ou écrire des livres.

Un climat sans inflation ne veut pas dire un climat de certitude totale ou sans variation des prix relatifs. Loin de là! Les prix relatifs s'ajustent constamment, parfois brusquement, dans un monde où les goûts des consommateurs évoluent continuellement et où les nouvelles technologies se multiplient. Mais ce type de volatilité est inévitable, et tout à fait normal dans les économies de marché. Dans ce monde-là, les entreprises et les ménages ont déjà bien assez de difficultés à prendre les meilleures décisions qui soient relativement à l'affectation de leurs ressources limitées. L'inflation accentue pour eux la difficulté de comprendre un environnement déjà déroutant. En maintenant l'inflation à un niveau bas et stable, la politique monétaire peut réellement contribuer à la qualité de vie, car elle facilite la prise de décision pour tout le monde.

Nous n'avons pas encore abordé la question de savoir si un bas niveau d'inflation favorise des taux de croissance réelle plus élevés en longue période. Les résultats des travaux empiriques sur la relation entre l'inflation et la croissance à long terme réagissent fortement aux changements des données de l'échantillonnage, de sorte que les économistes ne sont pas en mesure actuellement de fournir des preuves convaincantes de l'existence d'une telle relation. Pour une brève analyse de la question, voir l'Annexe ci-jointe.

L'importance d'une production stable au Canada

Tous les pays voient le taux de croissance de leur production globale fluctuer. Pour désigner ces fluctuations, on emploie souvent l'expression cycles économiques, bien qu'elles se produisent rarement en douceur et avec régularité, comme le laisse croire l'expression.

Nous avons vu pourquoi la Banque du Canada cherche à maintenir l'inflation à un niveau bas et stable. Ce que nous n'avons pas mentionné, c'est que cet objectif de la politique monétaire englobe un deuxième objectif connexe, celui de stabiliser le taux de croissance de la production12. Comment expliquer ce lien?

Le fonctionnement de la politique monétaire est décrit en détail dans la prochaine section, mais pour répondre à cette question nous en esquisserons les grandes lignes dès maintenant. Nous devons tout d'abord définir la notion de production potentielle, soit la capacité de production de l'économie. Il s'agit du niveau de production globale que l'économie peut soutenir sans créer de pression à la hausse ou à la baisse sur l'inflation. L'écart entre la production réelle et la production potentielle, à savoir l'écart de production, correspond au volume de la demande excédentaire, ou de l'offre excédentaire, dans l'économie; cet écart joue un rôle essentiel dans l'évolution de l'inflation.

Supposons que les meilleurs renseignements dont dispose la Banque du Canada indiquent que la production réelle dépassera probablement la production potentielle dans un avenir rapproché et que cette demande excédentaire entraînera une hausse de l'inflation. Dès l'apparition des pressions inflationnistes, la Banque cherchera à les atténuer en empêchant la production de dépasser sa capacité. En relevant sa cible pour le taux du financement à un jour, la Banque peut modérer la demande de crédit dans l'économie canadienne suffisamment pour réduire la dépense globale. Ce ralentissement amènera à son tour les entreprises à diminuer leur production (ou à en freiner la croissance). Le relèvement du taux cible par la Banque contribuera donc à ramener la production réelle au niveau de son potentiel et, par conséquent, à contenir les pressions inflationnistes.

À l'inverse, supposons que la Banque du Canada prévoit que, dans un avenir rapproché, la production réelle au pays tombera en deçà de son potentiel, entraînant une situation d'offre excédentaire dans laquelle l'inflation commence à fléchir. Si la Banque veut que l'inflation demeure relativement stable, sa politique cherchera à stimuler la production pour la ramener vers son potentiel, et elle y parviendra en abaissant le taux cible du financement à un jour. L'assouplissement des conditions de crédit qui en résultera poussera tôt ou tard la dépense globale à la hausse et incitera les entreprises à accroître leur production. À mesure que le niveau de la production réelle se rapprochera de celui de la production potentielle, les pressions à la baisse sur l'inflation s'atténueront.

Il ressort de la description qui précède qu'en essayant de maintenir l'inflation près de sa cible, la Banque du Canada réagit aux modifications sensibles de la conjoncture économique de manière à stabiliser le taux de croissance de la production globale. Lorsqu'elle prévoit que les chocs économiques feront grimper la production réelle au-delà de son potentiel, ou la feront tomber sous ce niveau, la banque centrale intervient pour contrecarrer ces chocs. Voilà qui explique pourquoi de nombreux économistes considèrent qu'une politique fondée sur des cibles d'inflation est une politique de stabilisation de la production.

3.1 La croissance de la production au Canada est-elle devenue plus stable?

Le Graphique 4 présente le profil d'évolution de la croissance de la production réelle (produit intérieur brut ou PIB) au Canada de 1981 à 2004. La Banque a adopté sa politique de cibles d'inflation en 1991, et si l'on postule que cette politique en est une de stabilisation, la croissance du PIB réel devra avoir été plus stable dans les années 1990 qu'au cours de la décennie précédente. C'est effectivement ce que montre ce graphique.

Dans les années 1980, le taux annuel de croissance de la production a fluctué généralement de -3 % à +6 %, dépassant les limites de cette bande à quelques reprises. Toutefois, depuis 1992, la croissance de la production est toujours demeurée à l'intérieur d'une bande plus étroite, allant de +1 % à +6 %. On constate donc que la croissance de la production s'est nettement stabilisée après l'adoption des cibles d'inflation13. Nous aborderons plus loin l'importante question de savoir si cette baisse de volatilité était attribuable à l'efficacité accrue de la politique monétaire, ou si elle tenait à d'autres facteurs.

On peut aussi observer la stabilité accrue de la production en étudiant le profil d'évolution de l'écart de production. Dans le Graphique 5, cet écart est exprimé en fraction de la production potentielle. Par exemple, vers la fin de 1982, lorsque l'économie canadienne était au creux d'une grave récession, la production réelle se situait à presque 6 % en deçà de son potentiel. À l'inverse, lorsque l'économie canadienne était florissante en 2000, la production réelle dépassait son potentiel d'environ 2 %. Le Graphique 5 démontre clairement que l'écart de production est moins volatil depuis dix ans qu'il ne l'a été au cours des dix premières années de l'échantillon. Au cours de la première décennie, il a varié de -6 % en 1982 à +2 % en 1989, tandis qu'au cours des dix dernières années, il a enregistré un creux de -3,5 % en 1992 et un sommet de +2 % en 2000. L'écart-type de production entre 1982 et 1991 était de 2,1; cette mesure de la volatilité de l'écart de production tombe à 1,5 pour la période allant de 1992 à 2004.

Deux questions reliées à la stabilité de la croissance de la production canadienne subsistent. Premièrement, pourquoi est-il souhaitable que la croissance de la production se stabilise? Deuxièmement, la stabilité accrue enregistrée au Canada après 1991 découle-t-elle de la politique monétaire de la Banque du Canada ou le pays a-t-il tout simplement eu la chance de vivre une décennie calme, pendant laquelle la banque centrale n'a pas eu à relever de multiples grands défis? Voyons ce qu'il en est.

3.2 Pourquoi la stabilité de la croissance de la production est-elle souhaitable?

Afin de comprendre pourquoi il est souhaitable pour un pays d'afficher une croissance relativement stable de sa production (ou que sa production effective se maintienne relativement près du niveau de croissance sans heurts de la capacité de production), il faut comprendre ce qui se passe au cours d'un cycle économique type. Nous nous penchons ici sur deux situations différentes, une où la production effective dépasse le potentiel de l'économie et l'autre où elle est inférieure à la production potentielle.

Examinons d'abord la situation où la production effective dépasse la capacité de production de l'économie. Dans ce cas, l'économie canadienne produit une quantité de biens et de services supérieure au niveau qu'elle peut soutenir, compte tenu du stock de capitaux productifs des entreprises et de la volonté de la main-d'oeuvre de travailler. La production effective ne peut excéder la capacité de l'économie que si les entreprises font tourner leurs usines et leurs machines au-delà du niveau soutenable et font travailler la main-d'oeuvre plus qu'à la normale — habituellement en ayant recours aux heures supplémentaires, mais souvent aussi en créant plus d'emplois à temps partiel. Le problème posé par ce contexte de demande excédentaire vient du fait que les entreprises fonctionnent tellement à plein régime que, par manque de temps, elles négligent la maintenance régulière de leurs usines et de leurs machines, et que les employés travaillent si intensément qu'ils ne peuvent avoir autant de loisirs qu'ils le souhaiteraient. Certes, il se peut que les bénéfices des entreprises et les revenus des travailleurs soient alors élevés, ce qui n'est pas négligeable, mais une telle situation est intenable : en effet, la demande excédentaire finira par gonfler les salaires et les prix d'autres intrants au point où des pressions inflationnistes généralisées commenceront à s'exercer. L'objectif de la Banque étant de maintenir l'inflation à un niveau bas et stable, on gagne à éviter que la production effective dépasse la production potentielle.

Voyons maintenant la situation inverse, où la production effective est inférieure à la production potentielle. Dans ce cas-ci, l'économie produit une quantité de biens et de services inférieure au niveau soutenable. Cette situation se présente en règle générale quand les entreprises n'utilisent pas toutes les machines à leur disposition, ou qu'elles les utilisent moins intensivement. En situation de capacité excédentaire, les investissements des entreprises ne rapportent habituellement pas le rendement que celles-ci planifiaient ou attendaient, de sorte que leurs bénéfices seront moins élevés. De même, dans une économie qui produit en deçà de sa capacité, les entreprises font travailler moins de personnel qu'en temps normal, ce qui entraîne habituellement des mises à pied et des heures de travail réduites pour les employés qui restent en poste. L'offre excédentaire exerce des pressions à la baisse sur les salaires et les prix d'autres intrants (ou sur leur taux de croissance) et cette situation provoque tôt ou tard un recul de l'inflation. Compte tenu de l'objectif de la Banque du Canada de garder l'inflation à un niveau stable et dans les limites d'une fourchette cible, il faut également chercher à éviter cette situation.

La stabilité relative de la croissance de la production est donc souhaitable pour deux raisons. D'abord, lorsque la production effective suit de près le niveau de croissance de la capacité, les entreprises et la main-d'oeuvre évitent les situations où elles sont poussées à produire au-delà de leurs limites, et celles où elles sont inactives pendant de longues périodes. Ensuite, en l'absence de situations de demande ou d'offre excédentaire, les pressions à la hausse ou à la baisse sur l'inflation sont réduites au minimum. Il est plus facile de maintenir l'inflation à un niveau bas et stable si les écarts de production demeurent relativement faibles.

3.3 Efficacité de la politique monétaire ou question de chance?

Bien que le Graphique 5 montre clairement que les écarts de production ont été moins volatils dans les années qui ont suivi 1991, il n'est pas certain que cette atténuation de la volatilité soit attribuable à la politique monétaire de la Banque du Canada. Les Canadiens ont peut-être tout simplement eu de la chance depuis, et l'accroissement de la stabilité aurait peu, sinon rien, à voir avec les politiques de la Banque.

Parce que de nombreuses variables évoluent en même temps, il est très difficile en macroéconomie de déterminer les causes et les effets, en particulier sur des périodes relativement courtes. Dans le présent document, nous n'essayerons pas de présenter une analyse formelle des effets du régime de cibles d'inflation de la Banque du Canada sur la stabilité de la croissance de la production. Nous nous contenterons plutôt de rappeler au lecteur que l'économie canadienne a subi de nombreux chocs au cours des deux dernières décennies et qu'il n'y a aucune preuve que la dernière ait été moins mouvementée que la précédente14.

Les années 1980 à 1989 ont été marquées par de nombreux facteurs : les contrecoups du deuxième choc pétrolier provoqué par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), la décision de s'attaquer aux niveaux d'inflation très élevés, la dépréciation de 20 % du dollar canadien par rapport au billet vert, la forte reprise économique du milieu de la décennie, l'effondrement des cours mondiaux du pétrole en 1986, la mise en oeuvre de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis en 1989, l'enracinement progressif des déficits budgétaires et l'accumulation de la dette publique, ainsi que les premiers efforts de la Banque du Canada en vue d'une stabilité des prix. On ne saurait parler d'une décennie de tout repos.

Mais la décennie suivante n'a pas été en reste. La taxe sur les biens et les services (TPS) a vu le jour, une récession de longue durée s'est installée au début de la période et la crise du peso mexicain a rejailli sur le Canada, mettant en lumière les défis d'ordre budgétaire auxquels était confronté le gouvernement fédéral. Celui-ci a alors mis en place une série de mesures budgétaires pour comprimer les dépenses publiques, puis le référendum tenu au Québec a suscité de vives inquiétudes sur les marchés financiers, et la crise asiatique a contribué à une importante dépréciation du huard. Quelques années plus tard, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont secoué les économies nord-américaines, d'importantes hausses des prix mondiaux du pétrole ont menacé de mettre un frein à la reprise de l'économie mondiale et une forte appréciation du dollar canadien a nécessité de pénibles ajustements dans l'économie du pays.

Lorsqu'on examine ce qui s'est produit ces douze dernières années, on peut difficilement conclure que le Canada a tout simplement eu la chance d'échapper aux multiples chocs majeurs qui avaient perturbé la décennie précédente. Au contraire, les chocs ont été nombreux également durant cette période, et l'économie canadienne a été propulsée dans toutes sortes de directions. À la lumière du passé récent, il semble raisonnable de conclure qu'au moins une part de la stabilité accrue que connaît la croissance de la production est attribuable à la manière dont la Banque du Canada mène sa politique monétaire.

Certains travaux récents parviennent aux mêmes conclusions, mais avec plus de précision (Cecchetti, Flores-Lagunes et Krause, 2004). Ces auteurs démêlent les effets combinés — soit la stabilité de la production et celle de l'inflation — sur les résultats macroéconomiques d'une variation de la volatilité des chocs économiques et aussi de la plus grande réussite de la politique monétaire. Selon les résultats obtenus, la volatilité des chocs économiques subis par le Canada après 1991 a augmenté par rapport à la période antérieure, mais la meilleure tenue économique découlerait de l'efficacité encore plus grande de la politique monétaire. Autrement dit, non seulement la politique monétaire de la Banque du Canada a-t-elle gagné en efficacité après l'adoption de la poursuite de cibles d'inflation en 1991, mais elle l'a fait suffisamment pour neutraliser amplement une hausse du nombre de chocs économiques, de telle sorte que les résultats macroéconomiques se sont, dans l'ensemble, raffermis.

Maintenant que nous avons vu comment la tenue de l'économie canadienne s'est améliorée, et comment cette amélioration a des chances d'être liée à la politique monétaire, nous allons étudier plus à fond comment fonctionne cette dernière. Il est essentiel de connaître un peu le sujet pour pleinement mesurer les difficultés à surmonter pour atteindre les objectifs poursuivis par la politique monétaire.

La politique monétaire : son fonctionnement et son cadre d'application

L'élément central de la politique monétaire menée par la Banque est l'engagement pris par cette dernière de maintenir l'inflation à un niveau bas et relativement stable, et en particulier de garder le taux d'inflation aux alentours de 2 %, le point médian de la fourchette de 1 à 3 % qu'elle vise. La Banque ne pourrait influencer les attentes d'inflation des entreprises et des ménages sans un tel engagement. Lorsqu'un choc menace de faire passer l'inflation au-dessus ou au-dessous de la cible, les entreprises et les ménages canadiens comptent sur elle pour ramener l'inflation au point médian de 2 % de la fourchette cible. Cette confiance à l'égard des politiques de la Banque tient au fait que celle-ci a respecté dans le passé son engagement de garder l'inflation à un niveau bas et stable.

Quand la Banque du Canada établit clairement ses objectifs et qu'elle prend ses mesures de politique monétaire en conséquence, elle augmente sa crédibilité. Par ricochet, cette crédibilité contribue à retenir les attentes concernant l'inflation future aux alentours de la cible d'inflation, ce qu'on appelle parfois l'arrimage ou l'ancrage des attentes d'inflation. Pour comprendre combien il est important que les attentes d'inflation soient fermement ancrées, il suffit de remonter aux années 1970 et 1980, lorsqu'elles ne l'étaient pas. À cette époque, l'inflation était difficile à maîtriser parce que les chocs économiques influaient sur les attentes, qui à leur tour alimentaient des comportements se répercutant sur l'inflation observée. Une leçon capitale apprise au début des années 1990, au Canada et ailleurs dans le monde, est que l'arrimage des attentes d'inflation à une cible contribue de façon cruciale à garder l'inflation à un niveau bas et relativement stable.

Avec pour toile de fond ces observations, nous pouvons maintenant nous pencher sur un cadre d'analyse simple, qui illustre de quelle façon les mesures de politique monétaire prises par la banque centrale influencent de nombreuses variables macroéconomiques et, tôt ou tard, aident à maintenir l'inflation à un taux bas et relativement stable.

4.1 Le mécanisme de transmission de la politique monétaire

Le mécanisme de transmission est une chaîne complexe de causes et d'effets qui vont des mesures prises par la Banque du Canada aux variations observées dans les prix des actifs, la demande globale, l'écart de production et, finalement, l'inflation. Les économistes ne s'entendent pas tous sur la nature de ce mécanisme de transmission. Engert et Selody (1998) soulignent l'importante différence d'opinions quant au rôle, passif ou actif, de la monnaie dans la transmission de la politique monétaire et affirment que la prise en compte des deux points de vue permet de diminuer les risques d'erreur stratégique15. Même ceux qui s'entendent sur le caractère général du mécanisme reconnaissent que beaucoup d'incertitude entoure le choix du moment à privilégier et l'importance quantitative de liens particuliers. Une série d'allocutions et de documents de recherche publiés par la Banque du Canada (1996) décrit la conception généralement admise du mécanisme de transmission de la politique monétaire16. Le Graphique 6 est une représentation simplifiée de ce mécanisme. La ligne pointillée qu'on y aperçoit démontre comment l'engagement de la Banque, et par conséquent la crédibilité qu'elle a acquise, contribue à ancrer les attentes des entreprises et des ménages au sujet de l'inflation future.

Afin de faciliter la compréhension du mécanisme de transmission, nous suivrons la trajectoire des effets d'une décision de politique monétaire hypothétique. Par exemple, prenons une conjoncture semblable à celle de l'automne 2004, quand la Banque du Canada avait de bonnes raisons de croire que la reprise qui se consolidait tant au Canada qu'à l'échelle mondiale exercerait des pressions à la hausse sur l'inflation canadienne au cours des mois à venir. Face à cette perspective, la Banque est intervenue en relevant sa cible pour le taux du financement à un jour. Comment une telle mesure de politique monétaire contribue-t-elle à contenir les pressions inflationnistes?

Après l'annonce d'un relèvement par la Banque, le taux du financement à un jour en vigueur s'ajuste presque instantanément. La hausse de ce taux provoque alors deux réactions. On assiste tout d'abord à une augmentation des taux d'intérêt à plus long terme au Canada, qui survient parce qu'un éventail complet d'actifs financiers, allant des prêts à un jour aux obligations à 30 ans, et leur taux ont tendance à évoluer ensemble. Puis, à mesure que le loyer de l'argent au Canada monte, les capitaux étrangers en quête de rendements supérieurs affluent au pays, entraînant par ricochet une appréciation du dollar canadien. La table est alors mise pour un changement quantitatif, particulièrement au niveau des investissements et des exportations nettes.

L'augmentation des taux d'intérêt à plus long terme fait grimper le coût des emprunts et a donc tendance à réduire les dépenses sensibles aux taux d'intérêt. Plus particulièrement, elle freinera le rythme d'expansion de la demande de crédit des entreprises à des fins d'investissement et celle des ménages pour l'achat de logements ou d'autres articles coûteux, comme les voitures, les meubles et appareils électroménagers. L'appréciation du dollar canadien pousse les prix des produits canadiens à la hausse par rapport aux produits étrangers et entraîne par conséquent des ajustements dans les dépenses. Plus précisément, on observera un repli de la demande de produits canadiens à l'étranger et une intensification de la demande de biens étrangers au Canada. La croissance des exportations canadiennes ralentira, et celle des importations venant de l'étranger s'accentuera — donnant lieu à un tassement de la progression des exportations nettes du Canada. Sous l'effet du ralentissement conjugué de la croissance de la consommation des ménages, de la demande d'investissement des entreprises et des exportations nettes, le taux d'expansion de la demande globale de biens et services canadiens fléchira 17.

Sur de courtes périodes, jusqu'à quelques années peut-être, la production de notre économie dépend du niveau de la demande pour l'ensemble des biens et services produits au Canada; autrement dit, la demande globale détermine la production. Étant donné que la demande globale progresse maintenant à un rythme plus lent que pendant la période précédant la mesure prise par la Banque, le taux de croissance de la production effective ne tardera pas à ralentir. En présence d'un taux de croissance sous-jacent donné de la production potentielle, ce ralentissement du taux de croissance de la production effective implique le creusement (ou élargissement) d'un écart de production « négatif », la production effective étant inférieure à la production potentielle.

Le dernier maillon du mécanisme de transmission lie l'écart de production et le taux d'inflation. L'écart de production est une mesure commode de la demande ou de l'offre excédentaire dans l'ensemble de l'économie. La production effective étant inférieure à la production potentielle, les entreprises produisent en deçà des limites de leur capacité. Cette situation d'offre excédentaire peut durer un certain temps, mais la sous-utilisation de l'appareil de production finira par entraîner une baisse du taux de progression des salaires et des prix des autres intrants. À cause de cette décélération au chapitre de leurs coûts, les entreprises sont moins enclines à majorer leurs prix, de sorte que les tensions inflationnistes s'atténuent.

4.2 Le temps et l'incertitude

Nous venons de voir comment la décision prise par la Banque du Canada de relever le taux cible du financement à un jour met en branle une séquence complexe de causes et d'effets qui aide à faire en sorte que l'inflation n'excède pas le taux visé18. Mais combien de temps s'écoule entre la prise de la mesure de politique monétaire par la Banque et la transmission des autres effets, particulièrement le tout dernier, sur le taux d'inflation?

Les économistes perçoivent habituellement le mécanisme de transmission comme une série de délais « longs et variables », ce qui implique que les banques centrales doivent non seulement s'armer de patience en attendant les résultats des mesures de politique monétaire qu'elles ont adoptées, mais également se préparer à accepter quelques imprévus entre-temps. Les rouages de l'économie sont assez complexes, et notre compréhension de celle-ci suffisamment incomplète, pour que les divers décalages s'avèrent finalement plus longs ou plus courts que nos prévisions initiales.

Les modifications apportées par la Banque du Canada au taux du financement à un jour dans le cadre de la conduite de la politique monétaire ont presque toujours des effets immédiats sur le taux de change et les taux d'intérêt. Toutefois, selon les estimations actuelles, il faut compter de 12 à 18 mois pour que la plus grande partie des retombées d'une mesure de politique monétaire sur la production globale soit observée et de 18 à 24 mois pour que le gros de l'effet se fasse sentir sur l'inflation (Duguay, 1996). Qui plus est, ces estimations peuvent varier de façon substantielle.

Les délais inhérents au mécanisme de transmission compliquent la conduite de la politique monétaire. C'est pourquoi les décisions de politique monétaire des banques centrales doivent être prospectives. Pour illustrer ce point, prenons deux exemples. Si, le 1er janvier de l'année, la Banque du Canada observe dans l'économie mondiale un événement qui risque d'affaiblir la demande globale à compter de juin de la même année, il n'y a rien qu'elle puisse faire en janvier pour neutraliser entièrement les effets du choc prévu. Même si la Banque réagissait immédiatement en abaissant son taux directeur dès le début de janvier, elle ne disposerait tout simplement pas d'assez de temps pour stimuler la demande globale et neutraliser les effets du choc avant juin.

Cet exemple illustre les raisons pour lesquelles la Banque du Canada accorde une attention plus grande aux chocs de longue durée qu'à ceux qui seront, croit-on, de courte durée : les effets d'une mesure de politique monétaire mettent tellement de temps à se transmettre dans l'économie qu'il serait illogique de réagir à des chocs qui se seront dissipés avant que la politique donne des résultats. De plus, la Banque pourrait mettre quelques mois à déterminer la pleine nature d'un choc, et sa durée probable. Par conséquent, une banque centrale tournée vers l'avenir doit faire de son mieux pour anticiper l'évolution éventuelle de l'économie.

Compte tenu de l'expérience canadienne récente, le second exemple nous est plus familier. Supposons que le taux d'inflation observé est faible, mais que l'évolution économique attendue dans un proche avenir engendrera une hausse peu souhaitable de l'inflation future. Dans pareil cas, une banque centrale consciente de l'importance des délais de transmission relèvera son taux directeur dès maintenant, même si les données actuelles ne laissent entrevoir aucun problème d'inflation. C'est à cause de cette attitude prospective qu'on accuse souvent les banques centrales vigilantes de se battre contre des moulins à vent. Le problème, c'est que si les banques centrales attendaient pour agir que les données indiquent la présence d'inflation, il serait trop tard pour que leurs mesures produisent l'effet souhaité. Être prospectif signifie prévoir où les problèmes feront surface et agir de manière préventive. Une banque centrale qui réussit à anticiper les pressions inflationnistes futures, et donc à prendre les mesures appropriées pour empêcher ces pressions de s'exercer pleinement, peut aisément être accusée de voir des dangers qui ne sont pas réels. La réalité, toutefois, c'est que les dangers ont peut-être justement été évités grâce à la vigilance de la banque centrale.

Bien que de nombreux dirigeants de banque centrale réussissent assez bien à prédire les événements, aucun ne possède de boule de cristal. L'avenir n'est clairement visible que lorsqu'on y est parvenu. Et c'est encore plus vrai en matière économique. En raison de l'information incomplète dont ils disposent, et qui est souvent révisée plusieurs mois après le fait, les économistes ne parviennent souvent à savoir précisément ce qui se passe dans le trimestre en cours que deux trimestres plus tard, parfois plus. Cette allusion à l'imperfection des données disponibles nous amène à aborder la question des besoins en matière d'information pour la conduite de la politique monétaire. En un mot, pour atteindre ses objectifs de politique monétaire, la Banque doit pouvoir compter sur beaucoup d'information de qualité.

4.3 La politique monétaire fait face à deux types d'incertitude

Afin de comprendre les besoins en matière d'information pour la conduite de la politique monétaire, il est utile de revenir au mécanisme de transmission. Le Graphique 7 est une nouvelle représentation de ce mécanisme, à laquelle nous avons ajouté deux types d'incertitude. Le premier type comprend l'incertitude liée aux particularités du mécanisme de transmission lui-même, à savoir le manque de clarté entourant la nature précise des liens entre les principales variables macroéconomiques. Ce premier type est illustré par les cercles roses numérotés. Le second concerne l'incertitude associée à l'évolution économique observée et future dans les économies canadienne et mondiale, et correspond aux étoiles jaunes.

On trouve six exemples d'incertitude du premier type dans le Graphique 7, chacun renvoyant à un aspect différent du mécanisme de transmission. Voici les questions qui se posent dans chacun des cas :

1. Structure par échéance des taux. Comment les modifications apportées au taux cible du financement à un jour entraînent-elles des variations des taux d'intérêt à plus long terme? Les mouvements vont-ils toujours dans la même direction? Quelle est l'ampleur des variations observées pour les taux d'intérêt à plus long terme?

2. Marché des changes. Comment les modifications qu'apporte la Banque au taux cible du financement à un jour causent-elles des fluctuations du taux de change? En règle générale, quelle est l'ampleur de la fluctuation du taux de change découlant d'une modification du taux directeur par la Banque du Canada?

3. Dépenses sensibles aux taux d'intérêt. Dans quelle mesure la consommation globale et l'investissement réagissent-ils aux mouvements des taux d'intérêt à long terme et combien de temps s'écoule-t-il avant leur réaction? Est-ce que les diverses composantes de la consommation et de l'investissement réagissent de façon différente aux mouvements des taux d'intérêt?

4. Sensibilité des exportations nettes. Dans quelle mesure les exportations réagissent-elles à une fluctuation du taux de change et combien de temps s'écoule-t-il avant leur réaction? Et qu'en est-il des importations?

5. Le multiplicateur. Quelle est l'importance du « multiplicateur » qui relie les variations initiales de la demande globale à la production globale? Combien de temps s'écoule-t-il avant que les effets se fassent pleinement sentir sur la production globale19?

6. Demande ou offre excédentaire. Combien de temps s'écoule-t-il avant que la demande ou l'offre excédentaire liée à un écart de production donné entraîne des variations du taux de progression des salaires et des prix des autres intrants? Combien de temps faut-il compter avant que ces variations se reflètent dans le taux d'inflation?

Huit exemples du deuxième type d'incertitude sont montrés au Graphique 7, chaque étoile jaune renvoyant à un type différent de choc susceptible de secouer l'économie. Voici une brève description de chacun :

A. Ajustement des portefeuilles. Pour plusieurs raisons, les créanciers peuvent décider d'ajuster leurs avoirs de titres à court et à long terme canadiens, ce qui entraîne des modifications des taux d'intérêt pratiqués au pays.

B. Marché des changes. Les taux de change fluctuent quotidiennement et pour de multiples raisons, dont les variations de l'expansion économique à l'échelle de la planète, des prix mondiaux des produits de base et des portefeuilles de placement internationaux.

C. Consommation et investissement. Les ménages modifient leurs dépenses et les entreprises révisent leurs projets d'investissement, souvent à l'improviste. Les perceptions relatives aux perspectives économiques sont importantes.

D. Dépenses publiques. Les gouvernements canadiens (fédéral, provincial, territorial et les administrations municipales) révisent leurs dépenses chaque année, parfois de manière inattendue.

E. Exportations nettes. Les modifications dans les revenus à l'étranger entraînent des variations de la demande d'exportations canadiennes. L'augmentation de la production de certains biens dans des pays donnés se traduit souvent par des changements dans la demande mondiale soit en faveur, soit au détriment des produits canadiens.

F. Production potentielle. La capacité de production de l'économie ne peut être observée directement et, par conséquent, elle doit être estimée. Sa croissance dépend de la progression de la main-d'oeuvre, de l'accumulation de capacités de production et de capital humain et de l'accroissement de la productivité. Les variations de la production potentielle ne peuvent souvent être détectées que bien après le fait.

G. Attentes d'inflation. Des variations importantes et soudaines dans les prix de biens donnés entraînent fréquemment des changements dans les attentes d'inflation. Toutefois, lorsque de tels chocs surviennent, l'engagement et la crédibilité de la banque centrale aident à ancrer les attentes.

H. Chocs sur l'inflation. Le taux d'inflation se ressent régulièrement des changements apportés aux impôts indirects, des brusques variations du prix de biens donnés et des fluctuations du taux de change qui modifient les prix en dollars canadiens des produits importés. Toute variation de l'inflation mesurée ne découle pas nécessairement d'une situation d'offre ou de demande excédentaire dans l'économie canadienne20.

Ensemble, ces incertitudes liées aux relations économiques et à l'évolution de l'économie jouent un rôle déterminant dans la conduite de la politique monétaire, en particulier en raison des décalages longs et de durée variable dont nous avons parlé plus tôt. Pour fixer son taux directeur maintenant de manière à garder l'inflation à l'intérieur de la fourchette cible pour l'avenir, la Banque doit anticiper les changements susceptibles de survenir dans l'économie au cours des deux prochaines années. Elle doit également prévoir de quelle façon les effets des mesures qu'elle prend se transmettront dans l'économie. Étant donné qu'aucune banque centrale n'a la capacité de prédire l'avenir ni une parfaite connaissance des divers liens présents dans l'économie, sa tâche est difficile. Mais la connaissance du mécanisme de transmission, illustré de façon simplifiée au Graphique 7, permet à la Banque de savoir systématiquement quelles questions se poser, et d'interpréter certaines des réponses analytiquement.

À la lumière de ces explications, on comprend pourquoi il est plus approprié de voir la politique monétaire sous l'angle des difficultés que soulève sa conduite dans un climat d'incertitude. La Banque doit donc avoir une vision prospective et demeurer à l'affût des multiples chocs possibles susceptibles de survenir dans un proche avenir. Elle doit aussi être consciente du fait que les conditions économiques reflétées dans les données actuelles peuvent ne pas durer longtemps ou même ne jamais avoir existé, selon ce que révèlent les données révisées par la suite21. Par conséquent, la Banque est obligée de se livrer à un jeu d'équilibre précaire, prenant parfois des mesures en prévision de ce qui est susceptible de se produire, alors qu'à d'autres moments elle attend de voir quelles nouvelles données seront confirmées. Comme on peut s'y attendre, un bon jugement étayé par une expérience considérable sont au cœur d'une bonne politique monétaire.

4.4 De l'information de qualité, en grande quantité

Outre le jugement et l'expérience, voyons ce que la Banque du Canada, et toute autre banque centrale, doit posséder pour mener la meilleure politique monétaire possible devant l'incertitude.

Le rôle de la recherche

Afin de remédier à l'incertitude entourant les divers liens entre les variables macroéconomiques (les cercles roses au Graphique 7), la Banque doit effectuer beaucoup de recherches économiques, aussi bien théorique qu'empirique, et soumettre les résultats de ses travaux à des tests continus. À cause de la complexité des économies modernes, cette tâche est incessante, et on n'obtiendra jamais toutes les réponses. Par exemple, même si la collectivité des chercheurs avait la capacité d'établir avec précision la relation entre les mouvements des taux d'intérêt à plus long terme et les projets d'investissement des entreprises, rien ne permet de croire que cette relation resterait stable au fil du temps, ou que les facteurs qui se sont avérés très importants dans le passé le seraient tout autant à l'avenir. Les relations économiques dépendent largement du comportement humain, qui repose lui-même sur les facteurs temps, lieu et forces à l'oeuvre.

Bref, compte tenu de l'évolution constante des relations économiques autour desquelles s'articule la conduite de la politique monétaire, il est difficile de les cerner. Ce simple fait oblige la Banque à mener continuellement des recherches sur la nature du mécanisme de transmission. Agir autrement irait à l'encontre de son mandat.

L'importance de l'analyse conjoncturelle

Pour parer à l'incertitude concernant les économies canadienne et mondiale (les étoiles jaunes du Graphique 7), il faut disposer d'un autre type d'information. La Banque doit réunir et analyser une grande quantité de données sur la conjoncture, ce qu'on appelle souvent l'analyse conjoncturelle, afin d'être en mesure d'évaluer ce qui se passe dans l'économie et ce qui est susceptible de se produire dans un proche avenir. Le nombre assez restreint d'étoiles jaunes au Graphique 7 pourrait laisser croire que l'énergie requise à cet égard est relativement faible, mais il n'en est rien. En fait, le grand nombre de variables qui alimentent chaque étoile — et les difficultés associées à la compréhension de chacune des variables —, signifie que, pour toute banque centrale, l'analyse conjoncturelle est une tâche colossale. Par conséquent, un très grand nombre de personnes à la Banque du Canada sont affectées à la collecte et à l'analyse des données de centaines de variables, allant de l'emploi et des exportations aux prix des produits de base et aux mises en chantier, des dépenses publiques et des régimes de taux de change à la production intérieure d'acier et aux pertes de récolte à l'étranger. C'est seulement lorsque la Banque a examiné et compris les différents chocs qu'a subis l'économie qu'elle peut espérer incorporer cette information avec succès dans son processus global de prise de décisions.

Par exemple, la Banque a entrepris ces dernières années un important programme de collecte et d'analyse de données dans l'espoir de mieux saisir les tendances émergentes dans l'économie. Dans le cadre de cette initiative, désignée sous le nom d'Enquête sur les perspectives des entreprises, les bureaux régionaux mènent chaque trimestre des consultations auprès d'une centaine d'entreprises dont la composition reflète celle de l'économie canadienne. Ils les interrogent sur un certain nombre de sujets, y compris la demande future probable pour leurs produits, les pressions qui s'exercent dans leur secteur particulier, toute nouvelle pénurie de main-d'oeuvre ainsi que sur leurs projets d'embauche et d'expansion. L'analyse approfondie de ces données permet à la Banque de mieux comprendre comment les entreprises canadiennes réagissent aux différents chocs qui touchent l'économie canadienne.

Les projections économiques

La recherche économique et l'analyse conjoncturelle ne sont pas des activités indépendantes. Pour réaliser des études empiriques fouillées, il est essentiel de connaître les données, et cette connaissance est habituellement tirée de l'expérience acquise en analyse conjoncturelle. À l'inverse, la capacité d'interpréter les données conjoncturelles — ce qui se passe et pourquoi — exige une grande compréhension des liens existant dans l'économie, elle-même acquise par l'intermédiaire de la recherche. Cette interaction continue entre la recherche et l'analyse conjoncturelle explique pourquoi de nombreux économistes à la Banque du Canada occupent des postes dans lesquels ils partagent leur temps entre des activités d'analyse conjoncturelle et des travaux de recherche.

Les projections, ou prévisions, établies par la Banque constituent le meilleur exemple de la façon dont celle-ci combine les renseignements tirés de la recherche économique aux connaissances réunies dans l'analyse conjoncturelle. La Banque effectue régulièrement de telles projections en s'appuyant sur son vaste et complexe modèle statistique de l'économie canadienne, le Modèle trimestriel de prévision (MTP). Ce modèle, qui rassemble la somme des connaissances sur les relations économiques acquises au fil de nombreuses années de recherche, est une représentation mathématique de l'interaction entre les divers agents économiques canadiens, à savoir les ménages, les entreprises et les administrations publiques. Il permet de voir comment ces relations doivent évoluer au fil du temps pour concorder avec les hypothèses sous-jacentes du comportement des agents. Le MTP incorpore ensuite des données passées et actuelles sur les économies canadienne et mondiale et projette la trajectoire que les variables macroéconomiques canadiennes, notamment la production, l'emploi, les salaires et les prix, sont le plus susceptibles de suivre.

Le monde évolue rarement comme le projetait le modèle, pour deux raisons. Premièrement, le modèle lui-même, aussi sophistiqué soit-il, n'en demeure pas moins une représentation très simplifiée de l'économie réelle. Il lui manque la complexité remarquable et changeante que possède dans les faits toute économie moderne. Deuxièmement, les données qui sont incorporées dans un modèle, si bonnes soient-elles, sont également imparfaites, et les meilleures prédictions de la Banque concernant l'évolution des économies canadienne et mondiale peuvent très bien se révéler erronées à certains égards. Par contre, les projections économiques procurent à la Banque du Canada un point de départ qui est cohérent sur le plan logique et clairement défini relativement à l'évolution à venir de l'économie canadienne, de même qu'une base pour l'analyse de l'incidence future probable de ses mesures de politique.

Ces trois activités de création d'information, à savoir la recherche, l'analyse conjoncturelle et l'établissement de projections économiques, sont imparfaites et donc continues. La recherche ne sera jamais entièrement « correcte » et, par conséquent, jamais complète. Par définition, l'analyse conjoncturelle est un processus ininterrompu, exigeant des efforts constants axés sur l'amélioration des définitions et de l'exactitude des données. Qui plus est, l'art de l'élaboration des modèles, et de la production de projections macroéconomiques sensibles et cohérentes en est, aussi incroyable que cela puisse paraître, encore à ses balbutiements. Toutefois, en dépit de leurs défauts, il n'est pas question d'abandonner ces activités. Une conduite prudente de la politique monétaire serait impossible sans la création et la production de pareille information. Par conséquent, on ne s'étonnera pas que les banques centrales de par le monde consacrent des ressources considérables à ces trois activités clés.

En résumé

Le présent document cherche à expliquer ce qu'est la politique monétaire et pourquoi elle est importante. En guise de résumé, voyons les principaux éléments qui s'en dégagent :

1. Pourquoi cibler l'inflation? En maintenant l'inflation à un niveau bas et relativement stable, les banques centrales apportent la meilleure contribution en leur pouvoir à la santé économique d'un pays. Cet objectif repose sur les propositions voulant 1) qu'une inflation élevée est nuisible à l'économie et 2) que la seule variable macroéconomique sur laquelle la politique monétaire a un effet direct et durable est le taux d'inflation.

2. Un bas niveau d'inflation est souhaitable. Le coût le plus élevé de l'inflation est l'incertitude qu'elle génère et les inefficiences qu'elle cause en déformant l'information véhiculée par les prix relatifs. Les résultats d'études portant sur plusieurs pays donnent à penser que les pays dont les taux d'inflation sont élevés ont également plus tendance à avoir des taux d'inflation volatils. Le taux d'inflation au Canada est plus bas et moins volatil depuis l'adoption, en 1991, d'un régime de cibles d'inflation, qu'il ne l'était au cours des années 1980.

3. Une croissance stable de la production est souhaitable. On tire de véritables avantages d'une stabilité accrue de la production effective et aussi du maintien d'un écart de production plus stable. La croissance de la production et l'écart de production au Canada sont plus constants depuis 1991 qu'ils ne l'étaient au cours de la décennie précédente.

4. Efficacité de la politique monétaire ou question de chance? Il est impossible d'établir avec précision que la stabilité accrue de l'inflation et de la croissance de la production est attribuable à la conduite d'une politique monétaire plus efficace plutôt qu'à un climat économique simplement moins volatil. Il existe toutefois des signes indiquant que ce dernier a affiché une instabilité plus grande dans les années ultérieures à 1991, donnant à penser qu'une partie de l'amélioration de la tenue du Canada sur le plan macroéconomique reflète bel et bien une plus grande efficacité de la politique monétaire.

5. La politique monétaire est prospective. Le mécanisme de transmission de la politique monétaire est une chaîne complexe de causes et d'effets qui relie les mesures prises par la Banque du Canada à la demande globale, à la production et à l'inflation. Compte tenu des délais longs et variables avec lesquels les effets de la politique monétaire se transmettent à l'économie, cette politique doit être prospective et anticiper les événements susceptibles de survenir dans les économies canadienne et mondiale.

6. Deux types d'incertitude sont présents. Deux types d'incertitude compliquent la conduite de la politique monétaire : l'incertitude liée au fonctionnement précis du mécanisme de transmission et l'incertitude entourant l'évolution économique tant au Canada qu'à l'étranger. Les deux types d'incertitude obligent la Banque du Canada à consacrer des ressources considérables à la recherche, à l'analyse conjoncturelle et à l'établissement de projections pour être en mesure de prendre des décisions de politique monétaire éclairées.

Bien qu'il fournisse un aperçu des activités de la Banque du Canada et des raisons qui motivent ses actions, le présent document ne fait qu'effleurer la question de la politique monétaire canadienne. Les économies sont des structures complexes, et nous nous employons continuellement à approfondir nos connaissances sur elles. La façon dont la politique monétaire transmet ses effets est complexe également. À mesure que nous poursuivrons nos travaux théoriques et notre analyse des données, notre connaissance de cette complexité croîtra, mais il en ira de même de nos questions. Compte tenu de l'importance de la politique monétaire pour la prospérité de notre pays, ces efforts constants valent pleinement qu'on les déploie.

Annexe

L'énigme permanente de la relation entre l'inflation et la croissance

La relation entre l'inflation et la croissance suscite, à juste titre, beaucoup d'intérêt chez les économistes, tant dans le monde universitaire que dans celui des banques centrales. Si la réduction du taux moyen d'inflation peut permettre de faire augmenter le taux moyen de croissance annuelle d'un pays ne serait-ce que d'un dixième de point de pourcentage, elle constitue une mesure qui mérite considération. Une hausse d'un dixième de point de pourcentage dans le rythme de croissance annuelle peut sembler minime, mais, sur de nombreuses années, même d'aussi faibles variations peuvent entraîner d'importants changements dans le niveau de revenu. Prenons par exemple un pays dont le revenu par habitant s'élève aujourd'hui à 100 et qui croît au taux de 1,5 % l'an. Au bout de 30 ans, le revenu par habitant aura atteint 156. Imaginons maintenant que la croissance annuelle se chiffre à 1,6 %. Après 30 ans, le revenu sera alors passé à 161. Si l'on prolonge la projection d'une autre période de 30 ans, le revenu généré par le taux de croissance le plus faible sera de 244, tandis que celui résultant du taux de croissance (un peu) plus élevé s'établira à 259. Ces écarts peuvent paraître minimes, mais ils ne sont aucunement négligeables. En effet, qui n'aimerait pas accroître son revenu même de quelques points de pourcentage?

Quelle que soit l'importance de la relation possible entre l'inflation et la croissance, l'examen de la recherche effectué par Ragan (2000) montre qu'il est difficile de trouver des preuves claires et convaincantes de l'existence d'une telle relation. Néanmoins, il en ressort nettement que, dans les pays ayant connu une inflation très élevée (« hyperinflation »), l'effet sur la croissance a été significatif et négatif. Il ne faut pas s'en surprendre. Lorsque l'inflation atteint des niveaux très élevés, l'argent perd de sa valeur si rapidement qu'il devient très vite inutile aussi bien comme moyen d'échange qu'à titre de réserve de valeur. Dans un tel climat, les entreprises et les travailleurs ainsi que les prêteurs et les emprunteurs sont amenés à faire leurs transactions sans argent; nous assistons alors habituellement à une résurgence des économies de troc. Cependant, le troc est si inefficace en comparaison à l'argent qu'il n'est pas surprenant que la production générée par de telles économies, et par conséquent le revenu réel accumulé par les résidents, se mette habituellement à chuter.

Ce qui est beaucoup moins clair dans la recherche empirique, c'est la relation entre l'inflation et la croissance de la production réelle dans les pays qui connaissent déjà une inflation basse, voire modérée. Ainsi, dans un pays dont l'inflation s'élèverait, disons, à 5 % par année, il est difficile de conclure d'après les données que la décision de faire passer l'inflation annuelle à 4 ou 3 % aurait une incidence sur le taux de croissance à long terme de la production de cette économie. Nous ne disons pas qu'une baisse de l'inflation ne présenterait aucun avantage (il y a les bénéfices notamment qui découleraient d'une réduction de l'incertitude entourant l'inflation), mais seulement que les données disponibles ne permettent pas d'affirmer avec certitude qu'un taux plus élevé de croissance de la production ferait partie de ces avantages. La question revêt suffisamment d'importance, toutefois, pour que les chercheurs continuent de réexaminer les données sous des angles nouveaux et plus efficaces jusqu'à ce qu'ils croient y avoir trouvé une réponse claire.

Glossaire des termes économiques

Affectation des ressources

Le profil général de consommation et de production de biens et de services : quelles entreprises produisent quels biens, et avec quels intrants; quelle quantité de chaque bien est produite; et comment les consommateurs affectent leurs ressources limitées aux nombreux produits.

Attentes d'inflation

Valeur attendue ou prévue du taux d'inflation pour une période donnée à venir. Le Conference Board du Canada publie périodiquement des mesures de l'inflation attendue par le secteur privé, obtenues à l'issue d'enquêtes.

Causalité

On dit qu'il existe un lien de causalité entre deux variables lorsqu'un mouvement dans l'une cause un mouvement dans l'autre.

Corrélation

Il y a corrélation entre deux variables lorsqu'elles tendent à évoluer ensemble. Dans le cas d'une corrélation positive, une des variables tend à être au-dessus de sa valeur moyenne lorsque c'est aussi le cas de l'autre, c'est-à-dire que les deux variables tendent à évoluer dans le même sens. Dans le cas d'une corrélation négative, une des variables tend à être au-dessus de sa valeur moyenne alors que l'autre se situe au-dessous de la sienne, c'est-à-dire qu'elles tendent à évoluer dans des directions opposées.

Demande globale

Au Canada, demande de biens et services produits au pays en provenance de toutes les sources — soit les ménages, les entreprises et les administrations publiques — et demande extérieure de produits canadiens. La demande globale représente donc la somme des projets de consommation et d'investissement, des exportations nettes et des programmes d'achat du secteur public.

Écart de production

Différence entre la production globale (PIB) effective d'une économie et le niveau de production potentielle que celle-ci peut atteindre. L'écart est positif quand la production effective dépasse le potentiel de l'économie et négatif quand elle est inférieure à la production potentielle. Un écart de production positif équivaut à une demande excédentaire et un écart négatif, à une offre excédentaire.

Écart-type

Mesure de la volatilité d'une variable. L'écart-type est important quand la variable tend à s'écarter sensiblement de sa valeur moyenne, et petit quand elle tend à peu s'en écarter.

Exportations nettes

Valeur des exportations (produits vendus à l'étranger) moins les importations (produits achetés de l'étranger). Si les exportations nettes sont positives, le pays affiche un excédent commercial, et si elles sont négatives, il accuse un déficit commercial.

Inflation

Taux de variation d'un indice global des prix quelconque. Dans de nombreux pays, on se sert couramment d'un indice fondé les prix d'un panier de biens de consommation, tel que l'indice des prix à la consommation (IPC). L'inflation mesurée par l'IPC correspond alors au taux de variation de cet indice.

Instrument de politique

Méthode particulière utilisée pour mettre en oeuvre une politique. Les instruments de politique budgétaire comprennent les divers taux d'imposition et niveaux de dépense (sur des produits particuliers). Au Canada, l'unique instrument de politique monétaire est le taux cible du financement à un jour.

Macroéconomie

Étude du comportement de variables économiques globales concernant la production (produit intérieur brut), la main-d'oeuvre, le taux de chômage, l'inflation et la croissance économique. La macroéconomie ne tient guère compte de la mine de renseignements disponibles sur chacun des marchés de biens et de services, s'attachant plutôt au comportement de l'économie dans son ensemble.

Mécanisme de transmission

La chaîne complexe des causes et des conséquences qui relient l'instrument de politique monétaire de la banque centrale (généralement la détermination d'un taux d'intérêt à court terme) aux prix des actifs, à la demande globale, à la production globale, à l'écart de production et, finalement, à l'inflation.

Politique budgétaire

Série de décisions qu'un gouvernement prend en matière de fiscalité, de dépense et d'emprunt.

Politique monétaire

Série de décisions prises par un gouvernement, habituellement par l'entremise de sa banque centrale, relativement à l'offre de monnaie dans l'économie. Au pays, la Banque du Canada ajuste le taux cible du financement à un jour de façon à ce que le rythme d'expansion de la masse monétaire permette de maintenir l'inflation à un niveau bas et relativement stable (aux alentours de 2 %).

Prix relatifs

Prix d'un produit exprimé en fonction du prix d'un autre produit (ou groupe de produits). Lorsqu'on dit que les variations des prix du marché reflètent les variations dans la rareté des produits, on fait référence aux variations de prix relatifs.

Production globale

Valeur totale des biens et des services produits par l'économie au cours d'une période donnée, habituellement un an. La mesure la plus courante de la production globale est le produit intérieur brut (PIB).

Production potentielle

Niveau de la capacité de production de l'économie. Il s'agit du niveau de production globale que l'économie peut soutenir sans créer de pressions à la hausse ou à la baisse sur l'inflation.

Bibliographie

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Type(s) de contenu : Publications, Livres et monographies

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Table des matières

  1. 1. Les opinions exprimées dans le présent document à l'égard de la politique monétaire sont celles de l'auteur; elles ne doivent pas être interprétées comme le point de vue officiel de la Banque du Canada. L'auteur a rédigé cette étude pendant son séjour à la banque centrale comme conseiller spécial invité (de septembre 2004 à août 2005), et il tient à remercier la Banque de lui avoir offert cette affectation. Il remercie également les nombreuses personnes qui lui ont fait part de leurs précieuses observations sur les versions successives du présent document. L'auteur assume néanmoins la responsabilité de toute erreur restante.[]
  2. 2. S'il désapprouve la politique de la Banque, le ministre des Finances est autorisé à donner publiquement au gouverneur des instructions sur la politique à suivre, mais, à ce jour, le cas ne s'est jamais présenté.[]
  3. 3. La Banque du Canada annonce le taux qu'elle vise pour le financement à un jour à huit dates d'annonce préétablies au cours de l'année.[]
  4. 4. En décembre 2004, l'actif (et le passif) de la Banque du Canada s'élevait à 46,7 milliards de dollars. La quasi-totalité de l'actif de la Banque est constituée de titres du gouvernement canadien à échéances variées. Le passif de la Banque comprend surtout des billets de banque émis par elle, qui circulent dans toute l'économie canadienne.[]
  5. 5. Les données proviennent des Statistiques financières internationales publiées par le Fonds monétaire international et portent à la fois sur les pays développés et les pays en développement. Nous excluons l'Argentine et le Pérou de l'échantillon, car leur taux d'inflation et le taux de croissance de leur masse monétaire au cours de la période d'échantillonnage sont si élevés (environ 250 à 300 % dans chaque cas) que le fait de les inclure dans le même diagramme masque la plupart des variations intéressantes entre les autres pays.[]
  6. 6. Le Graphique 1 montre une corrélation positive entre la croissance de la masse monétaire et l'inflation, sans toutefois établir de lien de causalité entre les deux. De nombreux résultats témoignent cependant de l'existence d'un tel lien : voir, par exemple, les résultats obtenus par Lucas (1980) et l'étude récente effectuée par McCallum (2004) ainsi que d'autres références.[]
  7. 7. Le fait que la politique monétaire ne peut avoir aucune incidence durable sur des variables autres que le taux d'inflation ne sous-entend aucunement qu'elle est totalement inopérante quand il s'agit de stabiliser le niveau de l'activité économique globale, c'est-à-dire d'atténuer les fluctuations à court terme de la production globale. À la Section 4, nous examinons en détail le processus par lequel la politique monétaire agit sur les variables macroéconomiques réelles pendant de courtes périodes.[]
  8. 8. Plusieurs mesures de l'inflation sont utilisées couramment. Celle illustrée au Graphique 2 est le taux de variation de l'IPC global. La Banque du Canada insiste aussi sur le profil d'évolution de l'inflation mesurée par son indice de référence, qui exclut les huit composantes les plus volatiles de l'IPC (soit les fruits, les légumes, l'essence, le mazout, le gaz naturel, le transport interurbain, les produits du tabac et les intérêts sur les prêts hypothécaires). Mais les deux conviennent dans le cas présent.[]
  9. 9. La mesure de la volatilité est l'écart-type de l'inflation. Nous avons exclu le Soudan, le Chili, le Mexique et Israël de l'échantillon parce qu'en raison du niveau très élevé de leur inflation et de la volatilité de celle-ci, il aurait, sinon, été difficile d'établir une distinction parmi les autres pays.[]
  10. 10. Encore là, la corrélation n'implique aucun lien de causalité. Voir Longworth (2002) pour une analyse d'autres mesures de l'incertitude associée à l'inflation au Canada.[]
  11. 11. Pour une analyse, élégante et qui fait toujours autorité, de l'importance de l'information pour le bon fonctionnement du système de prix, voir Hayek (1945), en particulier les pages 524 à 528.[]
  12. 12. La thèse voulant que la politique de la Banque puisse influencer la stabilité du taux de croissance de la production rejoint la deuxième proposition de la section 1.2, selon laquelle elle est peu susceptible d'avoir une incidence durable sur le taux de croissance lui-même.[]
  13. 13. L'écart-type de croissance de la production a reculé de 4,1 points de pourcentage durant la période de 1981 à 1991 pour tomber à 2,1 points pendant les années 1992 à 2004.[]
  14. 14. Voir Ragan (2005) pour une évaluation plus approfondie de la poursuite de cibles d'inflation au Canada et à l'étranger.[]
  15. 15. Laidler et Robson (2004), particulièrement au chapitre 3, expliquent les deux points de vue sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire de façon nuancée et accessible.[]
  16. 16. Voir, en particulier, Thiessen (1996) pour une description du mécanisme de transmission, et Duguay (1996), pour des estimations empiriques.[]
  17. 17. Les dépenses publiques en biens et services constituent la dernière composante de la demande globale. Dans la présente analyse, nous nous concentrons sur les effets des mesures de politique monétaire et nous postulons que les dépenses publiques (politique budgétaire) demeurent inchangées.[]
  18. 18. La même logique, mais dans le sens contraire, s'applique à la situation où la Banque abaisse le taux cible du financement à un jour pour empêcher l'inflation de tomber sous le niveau visé.[]
  19. 19. Le « multiplicateur » est le facteur décrivant l'ampleur de l'effet « boule de neige » des variations de la demande globale à court terme. L'expansion initiale de la demande entraîne une hausse de la production et des revenus qui, par ricochet, gonfle davantage la demande, provoquant une autre augmentation de la production, et ainsi de suite.[]
  20. 20. C'est l'une des raisons pour lesquelles la Banque du Canada surveille l'évolution de l'inflation « tendancielle ». En excluant les huit composantes particulièrement volatiles de l'IPC, et en procédant à des ajustements pour tenir compte de l'incidence des modifications apportées aux impôts indirects, on obtient une mesure de l'inflation qui donne une meilleure indication des pressions exercées par l'offre ou la demande excédentaire dans l'économie. Voir Macklem (2001).[]
  21. 21. Ce troisième type d'incertitude, lié à l'exactitude des données, est examiné par Bean (2005).[]