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L’atténuation du risque systémique et le rôle des banques centrales

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Introduction

Je suis ravi d’être ici aujourd’hui et de prendre part à ce panel. On m’a demandé de parler du rôle des banques centrales en ce qui a trait au risque systémique, et ce, en dix minutes. Inutile de préciser que c’est là tout un défi, d’autant plus grand que pour traiter de la question du risque systémique, il faut examiner le système financier dans son ensemble ainsi que toute la gamme d’instruments de politique et la façon dont ils interagissent.

Mais je m’efforcerai de m’attarder uniquement aux points essentiels, et je me réjouis à la perspective de la discussion et des questions qui suivront mon exposé.

Je tiens à souligner trois points.

Premièrement, nous avons accompli des progrès considérables dans la réforme des principaux éléments du système financier mondial. Bâle III représente un renforcement très important des règles internationales. Le programme de réforme aborde maintenant la question cruciale du système bancaire parallèle ou, ce qu’il convient d’appeler plus justement, financement sur les marchés, et du périmètre approprié de surveillance et de réglementation. La réalisation de ce programme de réforme est indispensable à l’accroissement de la résilience du système financier.

Deuxièmement, les banques centrales ont un rôle déterminant à jouer dans l’atténuation du risque systémique, à savoir :

  • cerner les vulnérabilités systémiques à l’aide de la vue panoramique qu’elles ont du système financier pour faire les liens;
  • soutenir la stabilité financière en accordant des liquidités d’urgence aux institutions solvables mais illiquides;
  • protéger le système financier mondial de la défaillance d’une institution en favorisant une solide infrastructure financière de base et en surveillant les systèmes de compensation et de règlement d’importance systémique, notamment les contreparties centrales chargées des produits dérivés de gré à gré.

Et troisièmement, même si un système financier mieux réglementé devrait faciliter la maîtrise de l’inflation, en cette période d’après-crise, les autorités monétaires auront de nouveaux éléments à prendre en considération.

Permettez-moi de donner des précisions sur chacun de ces points.

La réforme de la réglementation financière élaborée par le G20

Le point de départ logique du programme de réforme était le cœur du système, et des progrès considérables ont été réalisés à ce chapitre.

La crise financière a fait ressortir très nettement le fait que le système bancaire mondial était dangereusement sous-capitalisé et son levier financier, trop élevé, et que les réserves de liquidités étaient très manifestement inadéquates. Les nouvelles normes internationales énoncées dans l’accord de Bâle III sur l’adéquation des fonds propres contribuent à remédier à cette vulnérabilité fondamentale.

La crise nous a également appris que l’application d’une réglementation institution par institution est importante mais ne suffit pas. Le risque entourant le système financier est plus grand que le risque moyen qui pèse sur chaque institution. Pour le gérer, il faut se doter de nouveaux instruments d’envergure systémique et, là encore, des progrès notables ont été accomplis. Le volant de fonds propres contracyclique dont fait état le nouvel accord de Bâle III est un pas en avant très important. La Banque du Canada a joué un rôle de premier plan dans la mise au point de ce volant, qui prévoit d’accumuler des fonds propres additionnels au cours des périodes de poussée excessive du crédit en prévision d’un futur ralentissement économique.

Le programme de réforme va maintenant au-delà des éléments fondamentaux du système.

Il prend en compte l’importance considérable du système bancaire parallèle ou financement sur les marchés. Les activités d’intermédiation du crédit menées par les banques sont étroitement réglementées et surveillées, et sont garanties par l’assurance-dépôts et les liquidités fournies par les banques centrales. Par contre, le financement sur les marchés est moins réglementé et n’a pas accès aux mécanismes d’octroi de liquidités.

Il reste que c’est un secteur important, et la crise a fait ressortir les vulnérabilités systémiques qu’il peut engendrer.

C’est pour ces raisons que le programme international porte maintenant son attention sur le périmètre de réglementation et le financement sur les marchés. Il faudra absolument veiller à ce que les réformes établissent un juste équilibre entre les avantages du financement sur les marchés pour ce qui est de la concurrence, la diversification et l’innovation, et les risques liés à l’arbitrage réglementaire et aux vulnérabilités systémiques.

Le rôle des banques centrales

Voilà qui m’amène au rôle des banques centrales dans l’atténuation des risques systémiques. Comme je l’ai dit au début, l’un des rôles clés des banques centrales est de se servir de la vue panoramique qu’elles ont du système financier pour cerner les vulnérabilités systémiques.

Les banques centrales sont bien placées pour reconnaître les risques et déterminer lesquels sont prioritaires à l’intérieur d’un cadre qui met en relation les faiblesses potentielles et qui remonte la chaîne de cause à effet dans l’ensemble du système.

Mais pour pouvoir le faire efficacement, elles doivent mettre la barre plus haut. Elles doivent comprendre plus en profondeur les liens qui existent entre l’intermédiation financière, les flux de la monnaie et du crédit, les bilans des ménages et des entreprises, et la panoplie d’instruments de politique à leur disposition. Elles doivent en outre mieux repérer les déséquilibres financiers qui surgissent.

Pour ce faire, il faudra pouvoir compter sur un engagement du secteur privé et mettre sur pied des équipes multidisciplinaires réunissant, entre autres, des économistes, des spécialistes financiers, des comptables et des avocats.

Et il ne suffit pas de dresser de longues listes de vulnérabilités. Les risques doivent être évalués et classés en ordre d’importance, afin d’avoir une idée précise des priorités.

Depuis le début de la crise, la Banque du Canada a intensifié ses efforts pour inclure les flux de crédit dans son analyse des politiques. Les travaux de recherche récents constituent des avancées notables dans l’intégration de l’intermédiation financière aux modèles macroéconomiques. Cela nous permettra d’évaluer les nouvelles réalités dans le système financier ainsi que l’incidence de diverses mesures de politique sur la stabilité financière et l’activité économique.

Nous effectuons maintenant une analyse plus pointue des vulnérabilités systémiques dans la Revue du système financier, qui présente une évaluation et un classement des principaux risques.

En plus de cerner les risques systémiques, les banques centrales ont depuis longtemps un rôle à jouer dans l’octroi de liquidités permettant d’éviter les paniques et crises bancaires. Ce rôle de prêteur de dernier ressort est aussi ancien que l’activité de banque centrale.

Les banques centrales qui interviennent en tant que prêteur de dernier ressort ne préviennent pas les chocs, mais peuvent neutraliser les effets secondaires de ceux-ci. Elles injectent des liquidités là où le système les a générées au départ, en échangeant des actifs moins liquides pour d’autres actifs qui le sont plus.

Nos interventions pour soutenir la liquidité des marchés reposent sur des principes :

  • l’octroi de prêts destiné à favoriser la liquidité doit réduire l’aléa moral;
  • les interventions doivent être graduées, ciblées, bien pensées et créées de manière à ne pas engendrer davantage de distorsions sur les marchés.

La crise financière a nécessité l’adoption de nouveaux types de mécanismes d’octroi de liquidités, y compris des facilités à plus long terme ainsi qu’un éventail élargi de garanties admissibles et de contreparties. Il a été nécessaire de le faire au Canada, car les banques du pays éprouvaient davantage de difficultés à se financer lorsque les marchés mondiaux du crédit se sont paralysés pendant la crise financière. À l’heure actuelle, la Banque évalue l’efficacité des divers mécanismes exceptionnels utilisés durant la crise afin de renforcer les plans d’urgence, en prévision de nouveaux chocs.

Enfin, les banques centrales jouent un autre rôle important : elles atténuent les effets d’entraînement négatifs des défaillances en exerçant une surveillance rigoureuse des systèmes de compensation et de règlement d’importance systémique.

Les systèmes de compensation et de règlement sont l’une des rares composantes du système financier mondial qui ont bien fonctionné durant la crise. Ils ont traité des volumes de transactions énormes dans un contexte de conditions financières extrêmement volatiles et ont réussi à liquider les positions des contreparties défaillantes, diminuant ainsi les effets en chaîne néfastes.

Cependant, la crise a aussi fait ressortir l’importance systémique des marchés des produits dérivés de gré à gré. Elle a également mis en lumière la nécessité de compenser les transactions sur les produits dérivés de gré à gré standardisés au moyen de contreparties centrales protégées contre les risques. À l’échelle du globe, le marché des produits dérivés est colossal. L’an dernier, l’encours notionnel des instruments dérivés de gré à gré s’établissait à 618 billions de dollars. Ici au Canada, le marché des instruments dérivés de gré à gré libellés en dollars canadiens se chiffrait à environ 9 billions de dollars, dont un peu plus de 6 billions en swaps de taux d’intérêt.

Le recours aux contreparties centrales pour les produits dérivés de gré à gré apportera une plus grande certitude en ce qui a trait au paiement, en atténuant les répercussions néfastes de la défaillance d’une contrepartie et en réduisant la contagion en périodes de tensions. Mais ces contreparties peuvent aussi engendrer de nouveaux points de vulnérabilité uniques, ce qui demande de les concevoir avec soin et d’exercer une réglementation et une surveillance rigoureuses. Il sera également important de donner un accès suffisant aux contreparties centrales pour ne pas restreindre la concurrence. Cet accès est particulièrement crucial pour des pays comme le Canada, où il n’existe aucune grande contrepartie centrale internationale.

Deux voies concernant ces questions de conception sont activement étudiées en ce moment. La première consiste à promouvoir un accès équitable et ouvert aux contreparties centrales mondiales et à conclure des ententes de surveillance partagée, de manière à ce que de solides opérateurs de grande ou de moyenne envergure sur le marché des produits dérivés puissent accéder efficacement à la compensation centralisée. La seconde est de créer des contreparties centrales locales qui sont mieux adaptées aux risques et aux conditions du marché local. Plusieurs États se sont engagés à mettre en place leur propre contrepartie centrale nationale ou régionale, dont le Japon, la Corée, la Chine, Hong Kong, Singapour et le Brésil.

Ici au Canada, nous devons songer sérieusement à instaurer une contrepartie centrale nationale, ce qui ne veut pas dire que nous devrions rejeter l’option d’une contrepartie mondiale. Mais il y a de bonnes raisons d’envisager les contreparties centrales nationales. Celles-ci permettraient aux autorités de réglementation d’exercer une plus grande supervision et une meilleure surveillance de l’infrastructure des marchés financiers d’importance systémique. Les autorités canadiennes auraient un bien meilleur contrôle sur la conception et la mise en œuvre des mesures d’urgence – y compris l’octroi de liquidités d’urgence.

La Banque du Canada, en collaboration avec ses homologues du secteur public et le secteur financier canadien, est en train de déterminer quelle serait la meilleure voie à suivre concernant la compensation centralisée des opérations sur dérivés de gré à gré. La Banque a également appuyé la création d’une contrepartie centrale nationale pour les opérations de pension en dollars canadiens, dont l’inauguration est prévue plus tard cette année.

Les implications pour la politique monétaire

J’aimerais conclure en vous faisant part de quelques réflexions sur ce que tout cela signifie pour la politique monétaire. Le premier point, et le plus évident, est que nous devrions vivre une vie meilleure.

La mise en vigueur de Bâle III, conjuguée à l’élargissement du périmètre de réglementation et à la diminution de la contagion, réduira la fréquence et la gravité des crises financières. Les volants de fonds propres contracycliques devraient aider à contrer l’accumulation excessive de crédit, en amoindrissant l’effet d’accélérateur financier et en atténuant les fluctuations économiques. Tout cela devrait faciliter la conduite de la politique monétaire.

Toutefois, il y aura de nouveaux éléments à prendre en compte pour les autorités monétaires. Le fait même de recourir aux nouveaux outils macroprudentiels aura une incidence sur la transmission de la politique monétaire. L’utilisation de ces outils modifiera le comportement tant de l’économie que du secteur financier. Les autorités monétaires devront comprendre ces effets.

De plus, de nouveaux arbitrages pourront survenir. Examinons une situation où la croissance excessive du crédit nécessite de faire appel au volant de fonds propres contracyclique à un moment où l’inflation est déjà bien maîtrisée. Puisque le resserrement effectué à l’aide d’un tel outil macroprudentiel de portée générale devrait vraisemblablement exercer des pressions à la baisse sur l’inflation, deux choix s’offriraient pour la politique monétaire. Le premier serait de permettre cette restriction et de laisser l’inflation retourner à la cible à un horizon plus éloigné. Le deuxième serait d’abaisser le taux directeur et risquer d’affaiblir l’efficacité du volant de fonds propres contracyclique.

Enfin, même le cadre de réglementation et de surveillance le mieux conçu aura des limitations. Et dans certaines circonstances, la politique monétaire pourrait avoir à jouer un rôle complémentaire de soutien à la stabilité financière. Cela risque davantage de se produire dans des situations où le déséquilibre est généralisé ou alimenté par un contexte de bas taux d’intérêt.

Nous savons que la politique monétaire exerce une influence d’une vaste portée sur les marchés financiers et sur le levier des institutions financières. Cette incidence à grande échelle fait qu’elle est inappropriée pour composer avec des déséquilibres sectoriels, mais potentiellement utile pour résoudre les déséquilibres qui se sont propagés dans de multiples secteurs de l’économie.

De toute évidence, la clarification du rôle que la politique monétaire devrait jouer pour soutenir la stabilité financière est une question importante qu’il faudra examiner dans le cadre du renouvellement du régime de ciblage de l’inflation.

Je vous remercie de votre attention et vous invite à me poser vos questions et à me faire part de vos commentaires.