Changez de thème
Changez de thème

Un cadre de politique monétaire toutes saisons

Disponible en format(s) : PDF

Introduction

Je suis très heureux de participer au forum sur la conduite de la politique monétaire américaine, qui réunit des universitaires, des praticiens et des participants aux marchés pour discuter des enjeux actuels en matière de politique monétaire.

Il y en a quelques-uns.

De fait, la crise a ébranlé les fondements de l’économie monétaire, rendant cette période fascinante pour un universitaire mais plus exigeante pour un praticien. La mesure dans laquelle les participants aux marchés apprécient la situation semble varier chaque jour.

Dans les économies en crise, les décideurs publics sont confrontés à la possibilité d’une déflation. Ils sont handicapés par les mécanismes de transmission qui, au mieux, ont des ratés et, au pire, ne fonctionnent plus. Alors que les ménages et les banques de ces pays tentent résolument de réduire leur levier d’endettement, les écarts de production demeurent marqués et le spectre de l’hystérèse plane.

Résultat : les horizons visés pour la politique monétaire ont été repoussés considérablement. La Réserve fédérale s’est montrée radicale à juste titre, en mettant en œuvre une gamme d’outils non traditionnels puissants. Les attentes des marchés selon lesquelles les taux cibles des pays du G3 resteront très bas pendant très longtemps semblent fermement enracinées. Les bilans des banques centrales du G3 ont gonflé, ils se situent à environ 25 % du PIB, en moyenne, et on peut raisonnablement penser que leur taille augmentera encore.

Dans les économies qui ont échappé à la crise, les autorités ont dû également prendre des mesures énergiques face au contexte extérieur difficile. Les retombées sur le système financier et la confiance de la situation observée dans les grands centres financiers créent d’importants remous. Compte tenu de la faible demande d’exportations, le maintien du dynamisme repose fortement sur la demande intérieure. Même si les systèmes financiers nationaux fonctionnent bien, les taux directeurs continuent d’avoisiner des creux historiques et les taux réels sont généralement négatifs.

Pour les pays épargnés par la crise, la possibilité d’une période prolongée de bas taux d’intérêt peut donner lieu à une expansion excessive du crédit et à une prise de risques indus. En outre, un système monétaire international qui manque de flexibilité favorise d’importantes opérations de portage, qui ont tendance à provoquer une surréaction des taux de change, des corrélations élevées et une volatilité considérable.

Chez les citoyens autres que les spécialistes, un mécontentement compréhensible a été de plus en plus manifeste. Ils souhaitent retrouver confiance dans le système afin de pouvoir continuer de vivre leur vie.

Il n’est guère étonnant qu’en raison de ces difficultés, les cadres de politique monétaire soient scrutés à la loupe.

Existe-t-il une réponse simple face à pareil chaos? Vous ne serez sans doute pas surpris si, en tant que gouverneur d’une des premières banques centrales à adopter des cibles d’inflation, j’affirme aujourd’hui qu’un régime flexible de ciblage de l’inflation demeure la meilleure réponse.

Nous ne sommes pas arrivés à ce constat par paresse. Au cours des cinq dernières années, la Banque du Canada s’est employée activement à examiner des solutions de rechange au cadre actuel, y compris l’adoption d’une cible d’inflation inférieure ou d’une cible fondée sur le niveau des prix. De concert avec le gouvernement canadien, elle a étudié ces options d’une façon calme et raisonnée et en tenant pleinement compte des leçons tirées de la crise financière. En définitive, elle a réaffirmé ses principes originaux 1.

Elle l’a fait parce que, dans un monde complexe et en mutation constante dont nul ne peut prévoir l’évolution avec certitude, les décideurs publics doivent pouvoir s’appuyer sur un cadre robuste, qui soit adapté à toutes circonstances. Le régime de ciblage de l’inflation est rigoureux mais flexible. Il permet aux banques centrales d’apporter la contribution attendue tout en faisant face aux imprévus.

La mort du ciblage de l’inflation?

Bien des gens ne seront pas d’accord avec cette conclusion. Sans égard au fait qu’une seule banque centrale dotée d’un régime de ciblage de l’inflation, la Banque d’Angleterre, a été à l’épicentre de la crise, certains affirment que cette dernière sonne le glas du cadre de conduite de la politique monétaire qui est peut-être le plus performant de l’histoire.

Ces opposants au régime de ciblage de l’inflation avancent essentiellement quatre principaux arguments.

Premièrement, la stabilité des prix n’est pas un gage de stabilité financière. À la Banque du Canada, nous sommes d’accord avec cet énoncé 2. Nous avons constamment souligné qu’une inflation basse, stable et prévisible peut engendrer un excès de confiance chez les participants aux marchés financiers, qui sont alors portés à prendre des risques en fonction du nouvel équilibre perçu. De fait, les risques semblent être particulièrement élevés lorsque leurs indicateurs sont au plus bas. Les investisseurs ont souvent tendance à être trop audacieux lorsqu’ils sont convaincus que les taux d'intérêt vont rester bas.

Autrement dit, un excès de confiance peut engendrer des comportements extrêmes et finir par provoquer une crise. Toutefois, cela ne signifie pas que les banques centrales dotées d’un régime flexible de ciblage de l’inflation sont forcées de faire preuve du même excès de confiance lorsqu’elles sont confrontées à une accentuation des déséquilibres financiers. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants.

Deuxièmement, la critique la plus vive de l’école autrichienne est que le ciblage de l’inflation peut alimenter fortement les vulnérabilités financières, surtout en présence de chocs d’offre positifs. Par exemple, dans un contexte d’augmentation de la croissance potentielle découlant d’une hausse de la productivité, les banques centrales poursuivant des cibles de maîtrise de l’inflation peuvent se sentir contraintes de réagir à la « bonne » déflation qui s’ensuit en abaissant les taux d’intérêt. Selon la perspective autrichienne, cette réaction peu judicieuse favorise la création excessive de monnaie et de crédit, qui donne lieu à une mauvaise répartition intertemporelle des capitaux et à une intensification des déséquilibres au fil du temps. Ces derniers finissent par imploser, ce qui se traduit par une crise et une déflation « néfaste » 3.

Comme je l’expliquerai plus tard, cette critique laisse entendre que la conduite de la politique monétaire se fait en vase clos, étant déconnectée d’une gestion macroprudentielle plus large. En outre, tout ce qu’elle a à offrir pour régler les problèmes actuels est une solution dictée par le désespoir : liquidez, liquidez, liquidez.

Troisièmement, la préoccupation opposée (exprimée entre autres par Joe Stiglitz) est que les banques centrales dotées d’un régime de ciblage de l’inflation seront obsédées par l’inflation en période d’après-crise 4. Celles-ci sont dépeintes comme des institutions obnubilées par une cible d’inflation étroite alors que l’économie s’écroule. Toutefois, dans un contexte d’après-crise caractérisé par une demande insuffisante, empêcher que l’économie ne s’écroule est entièrement compatible avec le fait d’empêcher l’inflation de tomber sous la cible. Comme il devrait ressortir clairement des actions prises par les institutions poursuivant une cible d’inflation, comme la Banque d’Angleterre, la Banque du Canada et maintenant la Réserve fédérale, le régime a encouragé, plutôt que découragé, les politiques d’assouplissement énergiques.

Enfin, certains ont soutenu qu’une cible d’inflation compatible avec la stabilité des prix est trop basse dans un contexte d’après-crise.

Bien que les économies en crise connaissent une reprise, celle-ci demeure modeste, surtout par rapport à la profondeur de la récession. Cela est conforme à l’évolution observée par le passé à la suite de crises financières. En effet, ce n’est qu’à la lumière des comparaisons qu’il convient de faire avec la Grande Dépression que l’efficacité des mesures d’intervention aux États-Unis ressort pleinement.

Même si on ne procède pas tout à fait de la même manière d’un pays ou d’une région à l’autre, les banques, les gouvernements et les ménages des économies frappées par la crise tentent de réduire leur levier d’endettement. L’une des façons de faciliter ce processus serait de conserver le régime de ciblage de l’inflation mais de relever le niveau de la cible, comme l’ont fait valoir Rogoff et d’autres.

Cependant, nous ne pensons pas à ce type de flexibilité quand nous qualifions le régime de ciblage de l’inflation de « flexible ». L’adoption, pour des raisons opportunistes, d’une cible d’inflation supérieure risquerait d’entraîner un désarrimage des attentes d’inflation et de compromettre les gains durement acquis qui découlent de la stabilité des prix. Il pourrait en résulter une prime de risque d’inflation plus élevée, qui pousserait à la hausse les taux réels et, ainsi, exacerberait la dynamique défavorable de la dette.

La stratégie de réduction de la dette la plus acceptable est de stimuler la croissance. Dans la réalité actuelle, les difficultés sont considérables. En Europe, par exemple, des réformes structurelles prolongées et nécessaires pourraient en fait freiner la croissance nominale pendant un certain temps. L’assainissement des bilans des ménages américains n’est pas encore terminé. Il en va de même pour le processus d’ajustement au Japon. En conséquence, les économies avancées pourraient être confrontées à une longue période de demande insuffisante et de croissance nominale modeste.

Le principal défi des autorités monétaires dans pareil contexte est d’éviter qu’une telle situation se produise. Le temps presse : plus les économies en crise et leurs marchés du travail demeurent moribonds longtemps, plus le risque d’un échec est grand.

L’adoption d’une cible fondée sur le niveau du PIB nominal serait-elle préférable?

Les vents contraires résultant de la réduction généralisée des leviers d’endettement dans les économies en crise rendent nécessaire une politique monétaire expansionniste. C’est pourquoi, quatre ans après le déclenchement de la crise, les taux directeurs dans ces économies sont toujours à la borne du zéro ou près de celle-ci et que de nouvelles mesures de politique non traditionnelles sont encore mises en œuvre 5. Dans la mesure où une plus grande détente monétaire est nécessaire, certains ont avancé que l’adoption d’une cible fondée sur le niveau du PIB nominal pourrait s’avérer très efficace pour faciliter le processus de réduction des leviers d’endettement.

En privilégiant cette option, la banque centrale tenterait de compenser l’écart de la production nominale par rapport à sa valeur tendancielle. Les écarts observés actuellement dans les économies en crise sont notables, atteignant environ 10 % aux États-Unis et au Royaume-Uni – soit près de deux billions de dollars au total. Un engagement à ramener le PIB nominal à sa trajectoire tendancielle d’avant la crise pourrait stimuler fortement les attentes de façon à réduire le fardeau réel de la dette et, plus généralement, fournir une impulsion additionnelle à l’économie grâce à une baisse des taux d’intérêt réels 6.

Selon la logique de Woodford, l’un des principaux attraits du ciblage du niveau du PIB nominal est qu’en compensant les déviations passées par rapport aux niveaux souhaités – c’est-à-dire en introduisant une plus grande dépendance à l’égard du passé – ce cadre permettrait de mieux mettre à profit le pouvoir des anticipations pour stabiliser l’économie 7.

En temps normal, ces avantages découlant d’une plus grande stabilisation ne seraient pas particulièrement importants. Dans le cadre des travaux réalisés en prévision du renouvellement de l’entente concernant la maîtrise de l’inflation, la Banque du Canada a analysé les avantages du ciblage du niveau des prix, qui, à l’instar du ciblage du niveau du PIB nominal, permet d’introduire une dépendance à l’égard du passé. Nos recherches montrent que, abstraction faite des épisodes où les taux avoisinent la borne du zéro, une meilleure exploitation du canal des anticipations ne saurait produire que des gains modestes.

Selon les simulations effectuées à l’aide du principal modèle de projection de la Banque, les avantages qui découlent de cette plus grande stabilisation résultant du ciblage du niveau des prix sont comparables à une diminution permanente de 25 points de base de l’écart-type de l’inflation mesurée par l’IPC. Cette réduction est bien inférieure à celle qui a été réalisée au Canada lorsque la Banque a adopté une cible d’inflation dans les années 1990. Ces avantages se font sentir essentiellement à la suite de chocs qui créent un arbitrage explicite entre la stabilisation de la production et celle de l’inflation, comme les chocs d’offre, étant donné qu’une cible de niveau des prix crédible et bien comprise améliore cet arbitrage.

Pour pouvoir récolter ces gains même modestes, il faudrait que les attentes s’ajustent comme la théorie l’indique. Cela signifie que le changement de régime doit être crédible et bien compris, autrement dit que les gens sont parfaitement au courant des implications du régime et confiants dans la capacité des décideurs de respecter leurs engagements. Ces conditions pourraient ne pas être réunies. Dans le pire des scénarios, si le ciblage du niveau du PIB nominal n’est pas entièrement compris ou crédible, il peut en fait avoir un effet déstabilisateur.

Selon nos recherches, les avantages du ciblage du niveau des prix sur le plan de la stabilisation semblent s’amenuiser rapidement à mesure que la proportion de gens qui ont un comportement adapté au régime diminue, et disparaissent lorsque cette proportion atteint 50 % 8. Nous avons également étudié plus directement – dans un environnement semblable à celui d’un laboratoire – comment les gens s’adapteraient à un régime de ciblage du niveau des prix. Les résultats obtenus indiquent que si les gens modifient leur comportement en fonction de ce régime, les changements qu’ils apportent révèlent qu’ils ne comprennent pas parfaitement les implications de ce dernier 9.

Essentiellement, par rapport au ciblage du niveau des prix et au ciblage de l’inflation, le ciblage du niveau du PIB nominal comporte des restrictions supplémentaires qui pourraient limiter la capacité de la banque centrale d’atteindre son objectif fondamental de maximisation du bien-être. Dans un tel régime, les variations de l’ensemble des prix et de l’activité réelle sont traitées comme un tout. À mesure que la croissance de la production potentielle varie dans le temps, soit la cible nominale va devoir changer, soit un rééquilibrage arbitraire va obligatoirement s’opérer entre les objectifs au chapitre de l’inflation et de l’activité réelle.

De plus, en régime de ciblage du niveau du PIB nominal, la banque centrale chercherait à stabiliser l’indice implicite des prix du PIB pour que la stabilité des prix soit atteinte. Cependant, cet indice mesure le niveau des prix des biens et services produits au pays, qui ne rend peut-être pas aussi bien compte du coût de la vie que l’indice des prix à la consommation, et c’est ce qui importe le plus pour le bien-être, surtout dans les petites économies ouvertes où les importations représentent une part substantielle du panier de consommation.

Cela étant dit, lorsque le taux directeur avoisine la borne du zéro, le régime de ciblage du niveau du PIB nominal pourrait être plus susceptible de fournir une impulsion additionnelle et de faciliter davantage le processus de réduction des leviers d’endettement au lendemain d’une crise financière. Du fait du caractère exceptionnel de la situation et de l’ampleur des écarts, un tel régime pourrait s’avérer plus crédible et plus facile à comprendre. En tenant compte de la gravité et de la durée des épisodes où les taux d’intérêt se rapprochent de la borne du zéro, nos calculs indiquent que l’adoption d’une cible (temporaire) de niveau des prix, si elle est bien comprise et crédible, pourrait contribuer à éliminer plus de la moitié des pertes associées à l’impossibilité d’accentuer la détente monétaire au moyen d’une baisse du taux directeur.

Le ciblage du niveau du PIB nominal mériterait donc d’être pris en considération comme outil de politique non traditionnel temporaire. Toutefois, il ne constitue pas, à notre avis, un cadre de politique complet. Ce qu’il faut, c’est un cadre robuste qui demeure approprié et bien compris en toutes circonstances.

Pourquoi le régime flexible de ciblage de l’inflation procure-t-il un cadre robuste

Le régime flexible de ciblage de l’inflation est ni plus ni moins un cadre toutes saisons.

Ce régime en place au Canada depuis 1991 (qui est semblable à celui adopté récemment par la Réserve fédérale) est axé sur la réalisation d’un objectif d’inflation à moyen terme. Il s’agit d’un moyen de parvenir à une fin, celle-ci étant le bien-être économique. La banque centrale se concentre sur cet objectif, parce qu’il est à la fois immuable et réalisable. La façon dont elle va l’atteindre peut être modifiée selon les circonstances. Cette flexibilité est importante, car elle contribue à stabiliser d’autres éléments de l’économie qui comptent également, mais dont le niveau souhaité peut changer au fil du temps ou en fonction de la situation.

Ainsi, en régime flexible de ciblage de l’inflation, la banque centrale cherche à ramener l’inflation à sa cible à moyen terme tout en s’efforçant d’atténuer la volatilité d’autres composantes de l’économie qui importent pour le bien-être, comme l’emploi et la stabilité financière. Pour ce qui est de la majorité des chocs, ces objectifs sont complémentaires. Cependant, dans le cas des chocs qui nécessitent un arbitrage entre ces différents objectifs ou qui font pencher la balance des risques dans une direction, la banque centrale peut faire varier l’horizon auquel l’inflation doit regagner la cible 1.

Le recours à cette flexibilité ne peut être arbitraire et il nécessite une approche claire et transparente en matière de communication, sur laquelle reposent l’efficacité de la politique monétaire et la reddition de comptes à ce chapitre. C’est pourquoi la Banque fait part régulièrement de son point de vue sur les forces à l’œuvre au sein de l’économie et sur leurs implications pour la trajectoire de l’inflation, et indique la fin de la période à laquelle elle s’attend à voir l’inflation revenir à la cible 10, 11.

Un régime flexible de ciblage de l’inflation qui est crédible procure un cadre solide permettant une meilleure adaptation à des circonstances complexes et changeantes pour stabiliser l’économie de manière optimale. C’est ce qui rend le régime de ciblage de l’inflation robuste, comme en fait foi sa capacité de composer avec les défis très différents auxquels sont exposées les économies en crise et celles qui ne le sont pas.

De la flexibilité pour les économies en crise

Dans les économies en crise, le défi à relever pour les banques centrales est de soutenir la demande globale durant une période d’ajustements réels importants.

Le régime flexible de ciblage de l’inflation se prête bien à l’atteinte de cet objectif. L’engagement pris à l’égard de la cible d’inflation concourt à la stabilité des prix en arrimant les attentes d’inflation à moyen terme. Il offre du même coup un cadre clair pour appliquer une politique monétaire non traditionnelle permettant de fournir, au besoin, un élan additionnel à court terme.

Prenons à titre d’exemple l’expérience du Canada durant la crise, même s’il n’était pas, et n’est pas, une économie « en crise ». Le régime canadien de ciblage de l’inflation, qui est limpide et crédible, s’est avéré un point d’ancrage d’une importance cruciale pendant cette période de turbulence, en procurant à la Banque un objectif ferme sur lequel axer ses mesures de détente monétaire forte et rapide et en offrant aux marchés financiers et au public un moyen clair de comprendre le raisonnement qui sous-tendait ces mesures.

À l’intérieur de ce cadre, notre première (et seule) incursion dans le domaine de la politique monétaire non traditionnelle a consisté, en avril 2009, à prendre l’engagement conditionnel de maintenir les taux à leur valeur plancher (c’est-à-dire près de zéro) jusqu’au milieu de 2010 12. Parce qu’il a été pris sous réserve des perspectives en matière d’inflation, cet engagement s’est trouvé ancré dans un objectif bien compris et s’est révélé encore plus efficace pour fournir l’impulsion nécessaire. Il nous a en outre permis de procéder en douceur aux changements d’orientation lorsque la situation l’exigeait.

La Réserve fédérale, qui s’est jointe récemment aux banques centrales dotées d’un régime flexible de ciblage de l’inflation, est maintenant aussi en mesure d’utiliser le point d’ancrage que constitue une cible d’inflation explicite pour accroître l’efficacité de sa stratégie de communication. Nous anticipons que l’élaboration par la Réserve fédérale de ses objectifs de politique à plus long terme renforcera l’effet de stimulation produit par son annonce du maintien des taux des fonds fédéraux à des niveaux exceptionnellement bas au moins jusqu’à la fin de 2014.

La communication d’indications extraordinaires quant à l’orientation future de la politique monétaire dans le cadre d’un régime flexible de ciblage de l’inflation a aidé la Banque du Canada à fournir un élan additionnel au moment où cela était nécessaire et elle devrait permettre à la Réserve fédérale de faire de même. Nous suivrons avec intérêt les résultats de la publication par cette dernière de la trajectoire des taux d’intérêt en périodes normales, lorsque la situation se régularisera.

De la flexibilité pour les économies épargnées par la crise

La robustesse du régime flexible de ciblage de l’inflation profite aussi aux économies épargnées par la crise. Au sein d’une économie mondiale, les liens qui existent entre les échanges commerciaux, la finance et la confiance mettent en rapport les économies en crise et celles qui ne le sont pas. Du fait de la mauvaise tenue de l’économie à l’échelle du globe et de la reprise encore très fragile, les chocs peuvent être ressentis loin de leur point d’origine.

En régime flexible de ciblage de l’inflation, les économies qui ne sont pas touchées par la crise peuvent absorber plus facilement les chocs associés aux vents contraires extérieurs en continuant à garder l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible afin que les entreprises et les ménages puissent investir et faire des projets d’avenir en toute confiance.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples tirés de notre expérience au Canada.

À mesure que la reprise progressait, la Banque a maintenu une politique monétaire plus souple que ne l’aurait impliqué une règle simple à la Taylor (selon laquelle le taux cible du financement à un jour varie de façon mécanique en fonction des écarts de l’inflation actuelle par rapport à la cible). Ainsi, elle a pu ramener plus rapidement l’inflation à la cible, et la production, à son potentiel en contrecarrant plus fortement les vents contraires soutenus découlant de la faiblesse de la demande étrangère 13. Le ciblage de l’inflation nous a aussi permis d’indiquer aux participants aux marchés que, dans un contexte où soufflent de forts vents contraires extérieurs, la résorption de l’écart de production ne correspond pas nécessairement au retour du taux directeur à son point neutre.

Cet exemple illustre que, dans un monde complexe en constante évolution, il est illusoire de penser que l’application mécanique d’une simple règle est souhaitable dans toutes les circonstances auxquelles sont confrontées les autorités monétaires.

Non seulement le régime flexible de ciblage de l’inflation permet à la banque centrale de composer avec les chocs, mais il procure aussi la marge de manœuvre qu’il faut pour atténuer l’accroissement des vulnérabilités financières qu’un contexte caractérisé par une période prolongée de bas taux d’intérêt peut alimenter.

Cela est important, car l’expérience donne à penser que des périodes prolongées de taux exceptionnellement bas peuvent embrouiller l’évaluation des risques financiers, provoquer une quête de rendement et retarder les ajustements des bilans des banques, des entreprises et des ménages 14.

On peut observer dans les économies épargnées par la crise une hausse de l’endettement des ménages à des niveaux préoccupants, comme cela a été le cas au Canada, où le bon fonctionnement du système financier s’allie à un contexte de bas taux d’intérêt depuis 2008.

La première ligne de défense contre l’accumulation de tels déséquilibres financiers est la réglementation et la surveillance micro- et macroprudentielles. Les banques canadiennes sont en train de renforcer leurs niveaux de fonds propres déjà élevés afin de satisfaire aux exigences de Bâle III (établies pour 2019) d’ici le début de l’année prochaine. Le gouvernement canadien a déjà apporté à trois occasions des changements prudents et à point nommé aux modalités de financement hypothécaire. Les autorités canadiennes continueront de surveiller la situation financière du secteur des ménages et elles collaborent étroitement en ce sens.

Ces lignes de défense contribueront fortement à limiter le risque d’excès financiers, mais dans certains cas, il faudra peut-être encore tenir compte de considérations liées à la stabilité financière dans la formulation de la politique monétaire. C’est évidemment le cas lorsque les déséquilibres financiers influencent les perspectives d’évolution à court terme de la production et de l’inflation.

Dans des circonstances exceptionnelles où les déséquilibres financiers représentent une menace pour l’économie dans son ensemble ou sont favorisés par un contexte de bas taux d’intérêt, le recours à la politique monétaire peut s’avérer nécessaire pour soutenir la stabilité du système financier. Cette politique a une incidence à grande échelle difficilement évitable sur les marchés financiers et sur le levier des institutions financières. À cause d’une telle incidence, ce n’est pas un outil adapté à la correction des déséquilibres propres à certains secteurs, mais elle peut être utile pour résoudre les déséquilibres susceptibles de se répercuter sur l’ensemble de l’économie 15.

L’une des vertus du régime flexible de ciblage de l’inflation est que si le régime est crédible, la cible d’inflation peut contribuer à arrimer les attentes d’inflation tout en laissant une marge de manœuvre aux décideurs publics pour qu’ils puissent, à l’occasion, recourir à la politique monétaire dans l’intérêt de la stabilité financière.

Le taux directeur de la Banque du Canada est demeuré à son niveau actuel de 1 % pendant plus d’un an. Il s’agit d’un degré de détente monétaire approprié dans un contexte où l’économie canadienne est exposée à de forts vents contraires extérieurs. Dans la projection qu’elle a présentée dans sa dernière livraison du Rapport sur la politique monétaire, la Banque a intégré une réduction progressive de la détente monétaire au cours de la période de projection, afin de permettre le retour de l’inflation mesurée par l’IPC global à la cible de 2 % en sept trimestres. Cette durée est conforme à l’horizon habituel de la politique monétaire.

Comme je l’ai expliqué, toutefois, l’une des principales caractéristiques du régime de ciblage de l’inflation du Canada est la latitude dont on dispose pour modifier cet horizon lorsque les circonstances le justifient. Forte de cette flexibilité, la Banque continuera à suivre de près la situation économique et financière au pays et à l’étranger, de même que l’évolution des risques, et à établir la politique monétaire de façon à atteindre la cible d’inflation de 2 % à moyen terme.

Conclusion

Le contexte d’après-crise offre de nombreux défis aux économistes, aux universitaires et aux décideurs publics. Le principal est la conduite de la politique monétaire durant une période de profonds ajustements sur laquelle planent des risques liés à la déflation, à l’inflation et à la stabilité financière.

La Banque du Canada est convaincue qu’un régime flexible de ciblage de l’inflation procure un cadre robuste toutes saisons, et elle profitera de tous les avantages qu’il offre pour assurer la stabilité des prix et améliorer le bien-être économique des Canadiens.

Information connexe

24 février 2012

Le régime flexible de ciblage de l’inflation, un cadre toutes saisons, selon le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney

Dans un discours qu’il a prononcé aujourd’hui dans le cadre du forum sur la conduite de la politique monétaire américaine, le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a passé en revue les avantages du régime flexible de ciblage de l’inflation du Canada. Évoquant un « monde complexe et en mutation constante dont nul ne […]
Type(s) de contenu : Médias, Communiqués
24 février 2012

Forum sur la conduite de la politique monétaire américaine

Un cadre de politique monétaire toutes saisons - Le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, prononce un discours dans le cadre du forum sur la conduite de la politique monétaire américaine.

  1. 1. Banque du Canada (2011), Reconduction de la cible de maîtrise de l’inflation : document d’information – novembre 2011.[]
  2. 2. M. Carney (2009), Quelques considérations sur le recours à la politique monétaire pour stabiliser l’activité économique, discours prononcé à un symposium organisé par la Banque fédérale de réserve de Kansas City, Jackson Hole (Wyoming), 22 août.[]
  3. 3. W. White (2006), Is Price Stability Enough?, document de travail no 205, Banque des Règlements Internationaux.[]
  4. 4. J. Stiglitz (2008), « The Failure of Inflation Targeting », Project Syndicate, mai.[]
  5. 5. S. Kozicki, E. Santor et L. Suchanek (2011), « L’expérience internationale du recours à une mesure de politique monétaire non traditionnelle : l’achat d’actifs par les banques centrales », Revue de la Banque du Canada, printemps, p. 13-27.[]
  6. 6. De façon plus générale, le niveau du PIB nominal visé croît à un taux équivalant à la cible d’inflation – disons 2 % –, plus le taux de croissance potentielle de l’économie à long terme. Dans le cas de pays comme les États-Unis et le Canada, cela supposerait de garder le PIB nominal sur une trajectoire qui progresserait à un taux variant entre 4 et 5 %. La banque centrale assouplirait la politique monétaire lorsque le niveau du PIB nominal glisse (risque de glisser) sous la trajectoire visée et resserrerait la politique lorsqu’il la dépasse (risque de la dépasser). Si le PIB nominal tombait sous la cible une année donnée, le passé n’appartiendrait pas au passé : la banque centrale chercherait à compenser ce recul dans les années subséquentes.[]
  7. 7. Dans plusieurs documents qui font autorité, Michael Woodford fait valoir que la dépendance à l’égard du passé constitue une caractéristique essentielle d’une politique monétaire optimale avec engagement. La dépendance à l’égard du passé suppose que l’outil de la politique monétaire tienne compte des conditions économiques passées, en plus des conditions actuelles et attendues. Par exemple, à la suite d’un choc dont l’effet initial a été de pousser l’inflation à la hausse, une politique dépendante à l’égard du passé continuerait à maintenir les taux d’intérêt réels au-dessus de leur niveau naturel, même une fois l’effet du choc complètement dissipé, ce qui en définitive amènerait l’inflation en deçà du niveau auquel elle se situait avant le choc. Toutes choses égales par ailleurs, une telle politique a un effet déstabilisateur précisément parce qu’elle est à l’origine de ce cycle secondaire de l’inflation. Toutefois, Woodford montre que si les agents privés anticipent correctement ce type de réaction de la part des autorités lorsqu’ils établissent les prix au moment où le choc survient, la hausse initiale de l’inflation sera plus faible, ce qui peut compenser largement le cycle secondaire subséquent. Voir M. Woodford (2000), « Pitfalls of Forward-Looking Monetary Policy », American Economic Review, vol. 90, no 2, p. 100-104; (2001) « The Taylor Rule and Optimal Monetary Policy », American Economic Review, vol. 91, no 2, p. 232-237; (2003), « Optimal Interest-Rate Smoothing », Review of Economic Studies, vol. 70, no 4, p. 861-886; et M. Woodford (2011), « Optimal Monetary Stabilization Policy », Handbook of Monetary Economics, sous la direction de B. Friedman et M. Woodford, Amsterdam, Elsevier, vol. 3B, p. 723-828.[]
  8. 8. S. Murchison (à paraître), Consumer Price Index Targeting, Banque du Canada.[]
  9. 9. R. Amano, J. Engle-Warnick et M. Shukayev (2011), Price-Level Targeting and Inflation Expectations: Experimental Evidence, document de travail no 2011-18, Banque du Canada.[]
  10. 10. Pour des exemples, consulter diverses livraisons du Rapport sur la politique monétaire, publié chaque trimestre par la Banque du Canada.[]
  11. 11. Normalement, la Banque cherche à faire en sorte que l’inflation regagne la cible à un horizon de six à huit trimestres. Toutefois, au cours des vingt dernières années, cet horizon a connu des variations considérables en réponse à des circonstances et des chocs économiques différents. Durant cette période, l’horizon au terme duquel l’inflation devait retourner à la cible de 2 % a varié de deux à onze trimestres. La Banque a étendu à neuf reprises son horizon de référence à plus de huit trimestres. Pour des exemples, consulter diverses livraisons du Rapport sur la politique monétaire, publié chaque trimestre par la Banque du Canada.[]
  12. 12. Voir la livraison d’avril 2009 du Rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada.[]
  13. 13. Banque du Canada (2011), « Vents contraires, vents favorables et taux directeur », Rapport sur la politique monétaire, note technique 2, juillet, p. 32-33.[]
  14. 14. S. Cociuba, M. Shukayev et A. Ueberfeldt (2011), Do Low Interest Rates Sow the Seeds of Financial Crises?, document de travail no 2011-31, Banque du Canada; H. Damar, C. Meh et Y. Terajima (2011), Leverage, Balance Sheet Size and Wholesale Funding, document de travail no 2010-39, Banque du Canada; T. Paligorova et M. Santos (2012), Bank Risk-Taking in Episodes of Easy Monetary Policy, document de travail, Banque du Canada (à paraître); et Banque du Canada (2011), Reconduction de la cible de maîtrise de l’inflation : document d’information – novembre 2011. Voir aussi T. Adrian et H. Shin (2010), « Financial Intermediaries and Monetary Economics », Handbook of Monetary Economics, sous la direction de B. Friedman et M. Woodford, Amsterdam, North Holland, vol. 3A, p. 601-650; R. Rajan (2006), « Has Finance Made the World Riskier? », European Financial Management, vol. 12, no 4, p. 499-533; et G. Jiménez, S. Ongena, J. Peydró et J. Saurina (à paraître), « Credit Supply and Monetary Policy: Identifying the Bank Balance-Sheet Channel with Loan Applications », American Economic Review.[]
  15. 15. J. Boivin, T. Lane et C. Meh (2010), « La place de la politique monétaire dans la lutte contre les déséquilibres financiers », Revue de la Banque du Canada, été, p.27-41; et Banque du Canada (2011), Reconduction de la cible de maîtrise de l’inflation : document d’information – novembre 2011. Certains soutiennent en plus que la conviction généralisée parmi les acteurs économiques, selon laquelle on aura recours à la politique monétaire pour contrer l’accumulation de tels risques et déséquilibres, est de nature à renforcer l’influence stabilisatrice de cette approche, F. Mishkin (2011), Monetary Policy Strategy: Lessons from the Crisis, document de travail no 16755, National Bureau of Economic Research, ainsi que I. Christensen et C. Meh (à paraître), Countercyclical Loan-to-Value Ratio and Monetary Policy, Banque du Canada.[]