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On arrive bientôt? Les États-Unis et le Canada après la crise financière mondiale

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Introduction

Je suis très heureux d’être ici à l’Université Carleton.

Même si l’époque où j’étudiais ici est loin derrière, septembre me rappelle toujours l’effervescence de la rentrée. C’est un moment propice au renouveau et à un regain d’énergie.

Aujourd’hui, j’aimerais vous entretenir de l’économie des États-Unis et du Canada, et de l’évolution des liens économiques entre les deux pays en cette période de reprise qui se poursuit, au lendemain de la crise financière de 2008-2009. J’examinerai l’incidence, sur le Canada, des mesures de politique monétaire non traditionnelles mises en œuvre par la Réserve fédérale et de leur retrait graduel. Bien que ce dénouement implique des risques, la Banque du Canada le voit comme un signe tangible que l’économie américaine vit son propre renouveau et connaît un regain d’énergie.

Les liens qui nous unissent… ou presque

Commençons par aborder la question des liens entre les États-Unis et le Canada. Nous sommes plus que des voisins; peut-être sommes-nous plutôt comme des colocataires en dernière année universitaire. Sur le plan économique, nous avons besoin l’un de l’autre et sommes unis par de solides attaches. Au fil des années, nous avons traversé de bons et de moins bons moments. Nous sommes à l’aise ensemble, tant que chacun respecte l’espace de l’autre.

De manière générale, le fait que notre destin soit lié à celui des États-Unis est avantageux pour le Canada. Nos entreprises peuvent profiter des occasions qu’offre un marché beaucoup plus grand et cela crée des possibilités d’emploi au pays.

Ces dernières années, cependant, des événements nous ont rappelé que ces forts liens nous exposent à des effets défavorables en périodes de tensions. Le vieil adage voulant que « quand les États-Unis éternuent, le Canada attrape le rhume » est représentatif d’une certaine réalité, mais a tout de même ses limites. Nos économies ne sont pas parfaitement synchronisées, notamment parce que leurs structures sont différentes : de toute évidence, la nôtre dépend beaucoup plus des ressources naturelles. De plus, malgré la grande influence des États-Unis, en tant que responsables de politiques économiques au Canada, nous disposons d’une appréciable marge de manœuvre quant au choix du chemin à emprunter.

Afin d’examiner ces liens - particulièrement en ce qui concerne mon domaine de prédilection, la politique monétaire -, intéressons-nous de plus près à la crise financière de 2008-2009, à la récession mondiale qui a suivi et à la reprise cahoteuse. Je parlerai tout d’abord brièvement de l’expérience du Canada pendant cette période, qui a été similaire à celle des États-Unis, sans être identique. Ensuite, je discuterai plus en détail de notre situation actuelle, des difficultés auxquelles les décideurs américains sont confrontés et des conséquences de celles-ci pour le Canada.

La saga d’une récession mondiale

La crise financière, qui trouve ses racines dans un marché américain du logement caractérisé par la surchauffe et le financement précaire, n’a pas seulement touché le Canada : elle a déclenché une récession mondiale. En 2008, la spectaculaire faillite de Lehman Brothers a permis, à tout le moins, de canaliser les esprits : le monde entier a sondé l’abîme et pris acte de la gravité de la situation.

Parvenant à un consensus historique, les pays du G7 ont convenu de prendre les mesures nécessaires, quelles qu’elles soient, pour juguler la crise. Ils ont abaissé les taux directeurs de façon marquée (Graphique 1) et coordonnée, inondé le système financier de liquidités pour endiguer la panique et soutenu les institutions financières d’importance systémique.

Ces interventions énergiques et concertées ont permis d’éviter une débâcle financière et économique à l’image de la Grande Dépression. Néanmoins, elles n’ont pas empêché la grave et longue récession mondiale à l’origine de la période de croissance faible et inégale qui se poursuit encore à l’échelle du globe.

Durant et après la crise, la Réserve fédérale a pris des mesures énergiques et non traditionnelles, d’abord pour contenir la crise et, plus tard, pour soutenir la reprise. Comme d’autres banques centrales, elle a commencé par abaisser vigoureusement son instrument habituel de politique monétaire, le taux des fonds fédéraux, jusqu’à ce qu’il atteigne son minimum. Une fois les taux directeurs à leur valeur plancher, la Fed a aussi déployé des efforts extraordinaires pour fournir des indications prospectives : elle a ainsi précisé pendant combien de temps ces taux étaient susceptibles de rester à ce niveau et a, plus récemment, défini les facteurs qu’elle prendrait en considération pour décider quand elle commencerait à les relever.

La Réserve fédérale a également innové en procédant à des achats massifs d’actifs, ce qu’on appelle communément l’« assouplissement quantitatif ». Il s’agit d’une injection de liquidités dans une économie stagnante grâce à l’acquisition, par la banque centrale, d’actifs financiers comme des obligations d’État et des titres hypothécaires.

Ces achats ont eu des effets généralisés sur les marchés financiers - pas seulement aux États-Unis, mais à l’échelle mondiale. Ils agissent de diverses manières, notamment en faisant baisser les taux d’intérêt à long terme et la valeur externe du dollar américain, et monter le prix des actifs financiers risqués comme les actions (Graphique 2). Ces opérations effectuées par la Réserve fédérale, conjuguées aux mesures non traditionnelles des banques centrales d’autres grandes économies, ont eu comme effet connexe de faire diminuer la volatilité des actifs financiers, qui avoisine des creux historiques (Graphique 3). Les conditions financières exceptionnellement favorables qui s’en sont suivies donnent à penser que les risques et la vulnérabilité ont augmenté dans le système financier. Mais, durant cette période, le retour à une croissance économique soutenue aux États-Unis a été d’une importance capitale.

On a craint que l’assouplissement quantitatif provoque une flambée d’inflation, mais celle-ci ne s’est pas produite. En réalité, la faiblesse de l’économie américaine s’est maintenue et l’inflation est restée, globalement, en deçà de la cible de la Réserve fédérale. La raison en est que l’assouplissement quantitatif a été mis en place sur fond de réduction généralisée, après la crise financière, du levier d’endettement dans le secteur privé : malgré leur ampleur sans précédent, les opérations menées n’ont pas suffi à sortir l’économie de sa torpeur d’après-crise.

Le Canada : simple spectateur?

Ici, au Canada, nous n’avons pas connu de krach financier d’origine interne. Même si la Banque du Canada a agi promptement et énergiquement pour fournir les liquidités nécessaires afin que les marchés financiers puissent continuer de fonctionner, aucune banque n’a eu besoin d’être secourue et les prix des maisons n’ont pas chuté. Cela dit, le pays n’a pas été épargné. En effet, en 2007, un marché canadien spécialisé s’est écroulé, soit le marché du papier commercial adossé à des actifs non bancaire. C’est uniquement grâce à une intervention rapide et vigoureuse des secteurs public et privé que la situation a été résolue sans entraîner de vastes retombées.

Le Canada a néanmoins été durement éprouvé par la récession, et ce, en raison surtout de l’effondrement de ses exportations. Non seulement les trois quarts environ des exportations canadiennes sont destinés aux États-Unis, mais celles-ci sont aussi liées à des secteurs de l’économie américaine, comme le logement et les investissements des entreprises, qui ont été particulièrement frappés par la récession.

Afin de passer au travers de cette période de très faibles exportations, nous avons aussi eu recours à une politique monétaire expansionniste. À l’instar des États-Unis et d’autres économies avancées, nous avons abaissé notre taux directeur à sa valeur plancher, soit 1/4 %. Nous n’avons toutefois pas eu besoin de mettre en place d’assouplissement quantitatif comme ce fut le cas au sud de la frontière. Nous avons par contre fourni des indications prospectives à l’égard de notre taux directeur pour l’année suivant avril 2009, ce qui constitue en soi une forme de mesure de politique monétaire non traditionnelle. Notre système financier étant plus robuste, la politique monétaire laxiste a entraîné une expansion du crédit pour les entreprises et les ménages canadiens. Contrairement aux États-Unis, notre marché du logement est resté vigoureux, bien qu’inégal, pendant et après la récession.

Un autre facteur important est le fait que les prix des ressources naturelles sont demeurés à des niveaux élevés, ce qui a permis à nos industries des ressources de se redresser rapidement. Ces prix ont été alimentés par la forte croissance enregistrée en Chine et dans d’autres économies émergentes, laquelle a ralenti durant la récession mondiale, mais a vite remonté par la suite. Battant son plein, le secteur des ressources a stimulé les revenus disponibles, l’emploi, les investissements dans les activités d’ingénierie et les recettes de l’État.

Le Canada a rebondi rapidement. À la fin de 2010, le PIB et l’emploi avaient dépassé les sommets atteints avant la crise : le pays était sorti de la phase de reprise et avait amorcé une période d’expansion. À la Banque du Canada, nous avons perçu le besoin de relever les taux d’intérêt et avons ainsi remonté, par étapes, notre taux directeur jusqu’à 1 %.

Cependant, nous avons alors connu à notre tour une série de déceptions et de difficultés. À mesure que la reprise progressait au Canada, les déséquilibres économiques s’y accentuaient. Nos exportations hors énergie, après s’être redressées promptement, ont stagné bien en deçà de leur niveau d’avant la récession (Graphique 4). La croissance de l’économie est devenue de plus en plus dépendante de la construction de logements financés par des prêts hypothécaires à taux extrêmement bas, ce qui a fait monter l’endettement des Canadiens jusqu’à des sommets sans précédent (Graphique 5). Cette source de croissance, en voie de se tarir, a donné lieu au sein de notre système financier à une accumulation de vulnérabilités susceptibles, à terme, d’engendrer des problèmes.

Autre déception : l’an passé, alors même que l’économie américaine a commencé à se raffermir, les exportations canadiennes hors énergie ne se sont pas ressaisies comme prévu. Et pourquoi donc? C’est un mystère que nous sommes aujourd’hui en passe d’élucider, quoique nous ne comprenions pas encore parfaitement la situation. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, mes collègues ayant déjà beaucoup discuté de la faiblesse de nos exportations1. Je dirai simplement qu’en raison de cette faiblesse, le Canada a dû compter sur des mesures exceptionnelles de détente monétaire pendant encore plus longtemps que prévu. Notre taux directeur est resté à 1 % depuis 2010.

Quelle a été l’influence des mesures de politique monétaire non traditionnelles de la Réserve fédérale sur le Canada durant cette période? Notre analyse montre que, pour notre pays, leur effet net a été favorable. Ces mesures ont fait baisser les taux d’intérêt sur notre marché et, en soutenant la croissance américaine, elles ont stimulé la demande visant nos exportations. Par contre, elles pourraient avoir figuré parmi les facteurs ayant exercé des pressions à la hausse sur le dollar canadien. Quoi qu’il en soit, dans l’ensemble, les retombées ont été positives pour le Canada.

Un jour nouveau pour l’Amérique?

Alors, où en sommes-nous dans ce long retour vers une croissance économique soutenue?

L’économie américaine est en expansion, sous l’impulsion du secteur privé.

Les vents contraires provoqués par la réduction graduelle de la lourde dette des consommateurs s’apaisent et la valeur nette de ces derniers s’est accrue sensiblement (Graphique 6). De plus, l’assainissement des finances publiques, qui consiste à ramener le déficit budgétaire fédéral à un niveau plus soutenable, est pour l’essentiel achevé (Graphique 7).

Toutefois, la croissance est demeurée relativement modeste. On ne sait pas très bien pourquoi. Peut-être l’incertitude au sujet de la demande incite-t-elle les entreprises à retarder leurs décisions et leurs investissements. Compte tenu des embûches rencontrées ces dernières années, il fallait s’y attendre.

Les marchés américains du logement se redressent, mais ils suivent une trajectoire inégale et incertaine, et il reste beaucoup de progrès à faire. La construction résidentielle se situe bien en deçà de son niveau d’avant la récession, et le stock de logements excédentaires est en grande partie épuisé (Graphique 8).

De même, il reste des progrès à accomplir au chapitre des marchés du travail, qui sont loin d’être revenus à la normale.

Il s’est créé en moyenne quelque 200 000 nouveaux emplois nets par mois au cours des trois dernières années. Le taux de chômage, qui a bondi durant la récession, a chuté d’environ 4 points de pourcentage depuis son sommet.

Maintenant, qu’en est-il de ce côté-ci de la frontière?

Étant donné que le Canada a connu une plus courte récession, les conditions de son marché du travail ne se sont pas détériorées autant et se sont rétablies plus vite. Ainsi, dès janvier 2011, notre pays avait récupéré le nombre d’emplois perdus durant la récession, tandis que les États-Unis n’ont franchi ce cap qu’en mai de cette année (Graphique 9). Depuis 2011, cependant, le Canada a créé de nouveaux emplois à un rythme beaucoup plus lent que les États-Unis. Dans le même ordre d’idées, notre taux de chômage n’a pas augmenté autant durant la récession, mais il redescend plus lentement. De plus, quand on le mesure selon les mêmes critères, il se situe maintenant à peu près au même niveau que celui des États-Unis.

Dans les deux pays, le taux de chômage ne rend pas totalement compte de la marge de ressources inutilisées sur le marché du travail. Tant aux États-Unis qu’au Canada, on note encore des niveaux élevés de chômage à long terme et d’emploi à temps partiel involontaire, alors que les gains salariaux demeurent modestes par rapport aux données historiques (Graphique 10). Et ici, comme aux États-Unis, les jeunes ont du mal à se trouver un emploi, et bon nombre d’entre eux ont quitté la population active. Selon l’indicateur exhaustif mis au point par la Banque, la marge de ressources inutilisées sur le marché du travail a été moins importante qu’aux États-Unis, mais l’écart se rétrécit (Graphique 11).

Somme toute, si l’économie américaine s’améliore, elle a néanmoins connu des soubresauts et en connaîtra d’autres à mesure que l’expansion se poursuit.

Que fait la Réserve fédérale?

C’est dans ce contexte que la Réserve fédérale a réduit progressivement le rythme de ses achats dans le cadre du programme d’assouplissement quantitatif et a indiqué qu’elle prévoyait revenir graduellement à une politique monétaire plus normale, à compter de l’année prochaine. Le moment et le rythme exacts de ce désengagement dépendront de la tenue de l’économie. Pareille décision, comme c’est souvent le cas, exige de mettre les risques en balance. Si la Fed resserre sa politique monétaire trop tôt, l’économie pourrait s’enfoncer de nouveau dans la récession. À l’inverse, si elle intervient trop tard, l’inflation pourrait s’envoler et ainsi nécessiter un resserrement plus important pour la juguler, sans compter la possibilité que surgissent des déséquilibres financiers plus prononcés qui, par la suite, s’ils se corrigent, pourraient faire replonger l’inflation.

L’une des différences formelles entre la Banque du Canada et la Réserve fédérale tient au « double mandat » dont est investie cette dernière et qui consiste à favoriser un niveau d’emploi maximal et la stabilité des prix. Ce mandat tranche avec le cadre de conduite de la politique monétaire de la Banque du Canada, qui repose sur une cible d’inflation de 2 %. Ce contraste n’est cependant pas aussi marqué qu’il le semble. Lorsque les attentes d’inflation sont fermement ancrées, pour ramener durablement l’inflation à la cible, il faut principalement que l’économie se remette à tourner à son plein potentiel ou, en d’autres termes, que l’écart de production se résorbe. L’évaluation de cet écart passe en particulier par l’examen des conditions sur le marché du travail.

La semaine passée, la Réserve fédérale a réitéré son intention de mettre fin à son programme d’assouplissement quantitatif lors de sa prochaine réunion, en octobre. Autrement dit, elle ne s’attend plus à acheter d’autres actifs financiers dans le cadre de ce programme, qu’elle comprime d’ailleurs graduellement depuis janvier dernier.

Le prochain défi pour la Réserve fédérale a trait à la façon de retirer les divers autres éléments de la détente monétaire non traditionnelle mise en place, à savoir les taux d’intérêt extrêmement bas, les réserves excédentaires importantes accumulées dans le système financier et la taille importante de son bilan (Graphique 12). La composition de ce dernier (obligations d’État assorties de différentes échéances, titres hypothécaires, etc.) peut également entrer en ligne de compte. Quand convient-il de commencer à inverser ces mesures de détente monétaire? À quel rythme et dans quel ordre doit-on procéder?

Une étape essentielle de la normalisation de la politique monétaire consistera à commencer à relever le taux cible des fonds fédéraux, qui se situe encore à l’intérieur d’une fourchette comprise entre 0 et 1/4 %. La Réserve fédérale peut atteindre cet objectif, en partie, en haussant progressivement le taux d’intérêt qu’elle verse sur les réserves excédentaires.

La Réserve fédérale retirera aussi les réserves excédentaires du système financier afin de maîtriser les taux d’intérêt à court terme. À cette fin, elle a adopté et mis à l’essai un mécanisme de cession en pension à un jour.

Les efforts de la banque centrale américaine en vue de ramener son bilan à sa taille normale devraient s’étaler pour leur part sur une période plus longue encore. Il importe de souligner, cependant, que la taille de son bilan ne nuira pas à sa capacité de contrôler le taux directeur et le niveau des liquidités au sein de l’économie. Le cadre énoncé par la Fed limitera le risque que l’accumulation de réserves excédentaires importantes donne lieu à une offre excessive de crédit et à une hausse marquée de l’inflation.

Si vous trouvez tout cela compliqué, c’est avec raison. Mais nous avons pleinement confiance dans l’aptitude de nos collègues de la Réserve fédérale à bien gérer ce processus.

Comment le retour à la normale de la politique monétaire se déroulera-t-il dans le système financier, tant aux États-Unis que dans le reste du monde? Les prix des actifs, les primes de risque et la volatilité s’établissent à des niveaux qui reflètent l’abondante liquidité fournie au moyen des mesures de politique monétaire non traditionnelles mises en œuvre aux États-Unis et dans d’autres pays, ainsi que les attentes de voir les taux d’intérêt maintenus à un très bas niveau pendant longtemps. La Réserve fédérale s’attachera à orienter le processus pour permettre aux marchés de se réajuster harmonieusement à mesure qu’elle ramènera la politique monétaire à la normale, mais il existe un risque important que des difficultés surviennent en cours de route.

Quelles seront les conséquences du désengagement de la Réserve fédérale pour le Canada?

Dans l’ensemble, le retrait prévu des mesures de politique monétaire non traditionnelles de la Réserve fédérale est de bon augure pour le Canada. C’est le signe qu’une expansion soutenue aux États-Unis est bien engagée. Une expansion plus soutenue aux États-Unis - caractérisée par un raffermissement du marché du logement et des investissements robustes des entreprises - devrait favoriser nos exportations hors énergie, qui demeurent en deçà de leur niveau d’avant la récession. Le regain de vigueur de l’économie américaine devrait également contribuer à renforcer la confiance des entreprises et des consommateurs au Canada.

Toutefois, du point de vue d’un décideur public, le retour à la normale de la politique monétaire américaine se traduira par un resserrement des conditions monétaires et financières canadiennes. L’analyse selon laquelle l’assouplissement quantitatif a eu des effets stimulants sur le Canada vaut aussi en sens inverse : le retrait des mesures non traditionnelles devrait faire augmenter les taux d’intérêt du marché au Canada et brider l’expansion aux États-Unis. Cet effet ne serait contrebalancé qu’en partie par la pression à la baisse que le désengagement de la Fed exercerait sur la valeur du dollar canadien. Si le retour à la normale ne se déroulait pas en douceur sur les marchés financiers, le Canada pourrait s’en ressentir fortement.

Cela dit, comment tous ces facteurs influeront-ils sur les décisions que devra prendre la Banque du Canada? Vous devinez sans doute déjà ma réponse : « Ça dépend. »

L’objectif que poursuit la Banque du Canada est d’atteindre sa cible d’inflation de 2 % de façon durable, ce qui nécessite que l’économie canadienne fonctionne près des limites de sa capacité de production. Nous devrons évaluer les divers effets compensatoires à la lumière de la conjoncture économique et financière canadienne plus généralement. À l’instar de la Réserve fédérale, nous mettrons en balance le risque d’agir trop tôt et d’étouffer la croissance économique en plein essor avec le risque d’agir trop tard et de laisser l’inflation monter en flèche et d’alimenter les déséquilibres sur les marchés canadiens du logement. Mais la résultante des risques au Canada sera probablement différente de ce qu’elle sera aux États-Unis.

C’est pourquoi je tiens à souligner que, si la politique monétaire américaine a des répercussions importantes au Canada, la politique monétaire canadienne n’en est pas moins indépendante et peut s’éloigner de celle menée par la Réserve fédérale. De fait, notre taux directeur est déjà plus élevé que celui de la Fed, en raison de nos interventions il y a quatre ans en réaction à l’amélioration de la conjoncture économique. Nos décisions futures concernant le taux directeur dépendront, comme c’est toujours le cas, de l’état de l’économie canadienne. Préserver la valeur de la monnaie en maintenant l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible, voilà notre mandat.

On arrive bientôt?

Permettez-moi de conclure. La crise financière de 2008-2009 nous a rappelé à quel point les économies américaine et canadienne sont étroitement liées - pour le meilleur et pour le pire.

Et la reprise économique nous a montré que la guérison après une crise financière est lente et souvent douloureuse.

Les mesures prises par la Réserve fédérale des États-Unis, la banque centrale la plus proche de l’épicentre de la crise, ont empêché l’aggravation de celle-ci et de la récession qui a suivi. Et elles continuent de soutenir l’économie américaine et l’économie mondiale au cours de ce long processus de guérison.

Les mesures de politique monétaire non traditionnelles de la Réserve fédérale ont eu des incidences sur le Canada par la voie de divers canaux, notamment par la baisse des taux d’intérêt partout dans le monde. De la même façon, à mesure que la politique monétaire de la Fed reviendra à la normale, une normalité qui sera probablement différente d’avant la crise, il s’ensuivra un resserrement des conditions financières au Canada. Mais cela se fera dans le contexte d’une croissance économique plus vigoureuse.

Nous nous éloignons ainsi encore un peu plus des jours sombres de la Grande Récession et pouvons y voir la confirmation que les efforts considérables déployés ces six dernières années en vue de la reconstruction de l’économie portent leurs fruits.

  1. 1. S. Poloz (2014), Le flottement du huard, discours prononcé devant la Société de développement économique de Drummondville, Drummondville (Québec), 16 septembre.[]