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Le ciblage de l’inflation en période d’après-crise

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Introduction

C’est un plaisir pour moi d’être ici et je vous remercie de m’avoir invitée. L’une de mes principales responsabilités à la Banque du Canada est la surveillance des analyses de l’évolution économique canadienne réalisées à l’appui des décisions de politique monétaire. Il est toujours très utile pour nous de rencontrer les gens et de visiter les endroits à l’origine des tendances économiques que nous suivons.

Mon discours aujourd’hui porte sur le ciblage de l’inflation. On peut difficilement se le représenter maintenant, mais dans les années 1980, les taux d’intérêt hypothécaires ont dépassé les 20 %. C’était bien sûr avant la conclusion, en 1991, de l’entente en matière de maîtrise de l’inflation, novatrice à l’époque, entre la Banque et le gouvernement fédéral.

En effet, le Canada était alors le deuxième pays au monde - après la Nouvelle-Zélande - à adopter un régime de ciblage de l’inflation. On ne peut pas souvent dire qu’un produit fonctionne mieux qu’annoncé. Pourtant, ce fut le cas : le ciblage de l’inflation a surpassé de loin nos attentes.

Depuis 1991, l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) au Canada s’est établie à 2 % en moyenne, et sa variabilité a diminué des deux tiers environ.

Les Canadiens en ont bénéficié de maintes façons. Une plus grande stabilité des prix a permis aux consommateurs et aux entreprises de gérer leur situation financière en sachant mieux ce que serait le pouvoir d’achat futur de leur épargne et de leurs revenus. Les taux d’intérêt nominaux et réels ont également été plus faibles pour toute une gamme d’échéances. Compte tenu de cette évolution, le niveau bas, stable et prévisible de l’inflation a favorisé une croissance économique plus solide, ainsi que le bon fonctionnement et une stabilité accrue du marché du travail.

En outre, le régime de ciblage de l’inflation a servi à la fois de phare et d’ancre pendant la crise financière mondiale.

L’entente relative à la cible d’inflation est renouvelée en collaboration avec le gouvernement à peu près tous les cinq ans. Cette entente fixe l’objectif en matière d’inflation à 2 %, soit le point médian d’une fourchette cible allant de 1 à 3 %, et assure à la Banque une réelle indépendance pour l’atteindre. Le dernier renouvellement remonte à 2011. Nous considérons ces réévaluations périodiques comme un élément essentiel de notre engagement à l’égard d’une bonne gouvernance.

Le prochain renouvellement devant avoir lieu en 2016, je veux vous parler aujourd’hui des grands enjeux que nous avons examinés en 2011, des évolutions importantes qui se sont produites depuis, et des questions que nous analyserons au cours des deux prochaines années.

J’aimerais d’abord préciser que rien ne cloche. Le régime flexible de ciblage de l’inflation a bien servi les Canadiens tant dans les périodes calmes que les périodes agitées. Pour ce qui est de le changer, la barre est donc placée très haut.

La situation en 2011

À l’approche du renouvellement en 2011, la Banque a axé ses recherches sur les trois questions suivantes : fallait-il réduire le taux cible d’inflation, devait-on passer à une cible de niveau des prix et de quelle manière pouvait-on tenir compte des considérations relatives à la stabilité financière dans la politique monétaire? Ces questions n’étaient pas nouvelles. Cependant, la crise financière a jeté un éclairage différent sur elles.

Laissez-moi vous présenter les conclusions de la Banque au sujet de chacune de ces questions afin de mettre en contexte les recherches menées actuellement à la Banque et que j’exposerai plus tard1.

Faudrait-il réduire le taux cible d’inflation?

La Banque du Canada, comme la plupart des banques centrales des économies avancées qui ont adopté le ciblage de l’inflation, a fixé son taux cible à 2 %. Pourquoi 2 %?

Nous savons qu’une inflation élevée et variable est lourde de conséquences. Elle érode le pouvoir d’achat, crée de l’incertitude, fausse les prix relatifs et les décisions d’investissement, et donne lieu à une redistribution arbitraire de la richesse entre les épargnants et les emprunteurs. Le taux cible doit donc être suffisamment bas pour réduire au minimum ces distorsions. Parallèlement, les taux d’inflation très bas comportent des risques, le plus important étant celui qui est associé à la borne du zéro sur les taux d’intérêt. Plus la cible d’inflation est basse, plus le taux directeur nominal moyen est bas. La probabilité que les chocs négatifs poussent les taux d’intérêt à proximité de la borne du zéro s’en trouve accrue, ce qui limite la capacité de la banque centrale d’intervenir à l’aide de mesures de politique traditionnelles. Par ailleurs, un taux d’inflation positif contribue à « mettre de l’huile dans les rouages », l’économie étant alors moins susceptible d’être limitée par la rigidité à la baisse des salaires nominaux2. Un autre argument en faveur d’une cible d’inflation légèrement positive est que les statistiques officielles sur les prix sont sujettes au biais de mesure; elles surestiment, dans les faits, l’inflation véritable3.

Un taux cible d’inflation inférieur à 2 % procurerait-il des avantages nets?

L’idée d’une cible plus basse est intuitivement séduisante, puisque même avec un taux d’inflation de 2 %, le niveau des prix double tous les 35 ans. Une cible inférieure pourrait réduire encore plus les distorsions découlant de l’indexation incomplète des contrats établis en termes nominaux et du régime fiscal ainsi que les obstacles à la détention de la monnaie. Les recherches effectuées par la Banque en vue du renouvellement de la cible en 2011 ont apporté davantage d’arguments en faveur de l’abaissement de la cible d’inflation. Toutefois, nos recherches et les enseignements de la crise ont également fait ressortir les risques considérables liés à la borne du zéro. Si les instruments non traditionnels de politique monétaire, comme les achats d’actifs et les indications prospectives, ont semblé stimuler l’économie, leurs avantages et leurs coûts ne seront entièrement connus qu’avec le temps.

Nos recherches ont indiqué que les épisodes où les taux d’intérêt avoisinent la borne du zéro devraient être assez rares lorsque la cible d’inflation est de 2 %, mais que cette probabilité était beaucoup plus grande lorsque la cible est inférieure à 2 %. La Banque en est donc arrivée à la conclusion que les avantages d’une réduction de la cible d’inflation n’étaient pas suffisants pour justifier une exposition au risque accru d’être soumis à la contrainte de la borne du zéro.

Devrait-on passer à une cible de niveau des prix?

La deuxième question sur laquelle la Banque s’est penchée était de savoir si la poursuite d’une cible de niveau des prix serait avantageuse. La particularité du ciblage du niveau des prix est que, contrairement au ciblage de l’inflation, le passé n’appartient pas au passé. Les écarts passés du taux d’inflation par rapport à la cible doivent être corrigés. Ainsi, après une période d’inflation inférieure à la cible, la politique serait établie pour que l’inflation soit supérieure à la cible pendant une certaine période afin que le taux de variation visé pour le niveau des prix soit atteint au fil du temps. En plus de fournir une assurance accrue au sujet du niveau des prix à long terme, le régime de ciblage du niveau des prix, grâce à son mécanisme inhérent d’autocorrection des attentes d’inflation, pourrait réduire la volatilité de la production et de l’inflation, ce qui serait sans doute particulièrement utile lorsque les taux se heurtent à la borne du zéro.

Cependant, pour que le ciblage du niveau des prix fonctionne, les gens doivent faire preuve d’un comportement prospectif, et la politique doit être bien comprise et crédible. En définitive, la Banque a conclu qu’en temps normal, les avantages attendus de la poursuite d’une cible de niveau des prix étaient trop faibles pour justifier les risques associés à l’abandon de l’objectif de politique monétaire actuel, qui est bien compris.

Comment aborder les considérations touchant la stabilité financière?

La crise a fait ressortir clairement que la stabilité des prix et la stabilité financière sont intimement liées et que si l’on poursuit la première sans égard à la seconde, on risque fort de ne réaliser ni l’une ni l’autre. De fait, un taux d’inflation bas, stable et prévisible ainsi qu’une faible variabilité de l’activité peuvent engendrer un excès de confiance chez les participants aux marchés financiers, qui sont alors portés à prendre des risques en fonction du nouvel équilibre perçu. La question cruciale qui se pose pour les décideurs est de déterminer si la politique monétaire devrait servir à contrer l’accumulation de déséquilibres financiers.

La politique monétaire a une incidence si grande sur les marchés et le levier des institutions financières qu’elle est difficilement évitable. Comme l’a observé Jeremy Stein, ancien gouverneur à la Réserve fédérale américaine, la politique monétaire « s’engouffre dans toutes les brèches »4. C’est pourquoi la politique monétaire n’est pas un outil adapté à la correction de déséquilibres circonscrits à des secteurs précis, mais elle peut être utile pour résoudre les déséquilibres touchant l’ensemble de l’économie.

Quoi qu’il en soit, nous en avons conclu que la politique monétaire devrait être la dernière ligne de défense, les premières étant une attitude responsable de la part des particuliers et des institutions ainsi qu’une réglementation et une surveillance micro- et macroprudentielles efficaces. Ces lignes de défense devraient contribuer fortement à limiter les risques. Dans certaines circonstances, la politique monétaire pourrait tout de même jouer un rôle. C’est évidemment le cas lorsque les déséquilibres financiers influencent les perspectives d’évolution à court terme de la production et de l’inflation.

Dans des situations exceptionnelles, surtout si les déséquilibres et la prise de risques excessive sont généralisés ou encouragés par le bas niveau des taux d’intérêt, on pourrait devoir recourir à la politique monétaire, quitte à ce que l’inflation dévie de sa trajectoire sur une période prolongée. Notre régime crédible de ciblage de l’inflation favorise cette souplesse, tout en demeurant tout à fait compatible avec l’objectif de stabilité des prix à long terme.

Permettez-moi de résumer les conclusions de l’analyse effectuée en prévision du dernier renouvellement. Après bien des recherches et des discussions, la Banque a conclu en 2011 que notre régime existant était robuste et constituait l’outil approprié pour favoriser la stabilité des prix et accroître le bien-être économique des Canadiens.

Notre priorité actuelle

Comment la situation a-t-elle évolué depuis? Qu’avons-nous appris et sur quels enjeux axerons-nous nos recherches en vue du renouvellement de l’entente en 2016?

La cible d’inflation optimale - le taux de 2 % davantage remis en question

Compte tenu de l’expérience acquise et des analyses effectuées depuis le renouvellement en 2011, nous sommes encore plus convaincus de l’importance de la borne du zéro. Or, dans l’avenir, les taux d’intérêt seront probablement inférieurs en moyenne aux niveaux auxquels ils se situaient avant la crise. Par conséquent, les épisodes où le taux directeur avoisine la borne du zéro pourraient devenir plus fréquents. Ces facteurs conjugués donnent à penser qu’une cible d’inflation supérieure à 2 % devrait être prise en considération.

Ces dernières années, la croissance économique à l’échelle du globe a été à de nombreuses reprises en deçà des attentes. La conséquence pour beaucoup d’économies avancées a été que la borne du zéro a imposé une contrainte plus persistante que prévu sur la politique monétaire. Cela ne veut pas dire pour autant que les banques centrales sont impuissantes lorsque les taux sont près de la borne du zéro. De fait, selon un nombre grandissant de travaux, les mesures de politique monétaire non traditionnelles ont eu une incidence positive sur l’activité économique et l’inflation5.

Cela dit, on ne sait pas précisément jusqu’à quel point les mesures de politique monétaire non traditionnelles peuvent se substituer aux traditionnelles. En outre, le recours aux premières peut engendrer des risques, notamment ceux liés à l’indépendance de la banque centrale et aux complications associées au désengagement. Nos recherches viseront à apporter un éclairage supplémentaire sur la capacité des mesures de politique monétaire non traditionnelles à atténuer les effets de la borne du zéro.

Les leçons que nous avons tirées de l’expérience récente de la conduite de la politique monétaire à la borne du zéro sont étayées par l’analyse des perspectives à plus long terme relatives aux taux d’intérêt. Selon nos estimations, le taux d’intérêt neutre réel se situait dans une fourchette de 2 1/2 à 3 1/2 % au milieu de la décennie 2000. Aujourd’hui, nous croyons qu’il est plus probable qu’il s’établisse dans une fourchette de 1 à 2 % (ou de 3 à 4 % en valeur nominale)6.

Toutes choses égales par ailleurs, un taux neutre plus faible suppose une probabilité accrue d’être aux prises avec la contrainte de la borne du zéro. Les résultats préliminaires pour le Canada tendent à indiquer qu’avec un taux cible d’inflation inchangé, cette probabilité passe d’environ 5 % à quelque 15 %. Ce n’est pas négligeable.

En revanche, certains facteurs ont l’effet contraire et réduisent la probabilité que survienne un épisode où les taux d’intérêt se rapprochent de la borne du zéro. Le plus important est la réforme internationale de la réglementation financière, qui devrait diminuer la probabilité des crises financières, une cause fréquente des chocs suffisamment importants pour qu’il soit nécessaire d’établir les taux d’intérêt à un niveau presque nul7,8.

Bien que d’éminents économistes aient plaidé en faveur d’une cible d’inflation plus élevée, nous avons de bonnes raisons d’être prudents9. La crédibilité de la cible d’inflation de 2 % est précieuse. Elle s’est établie graduellement au fil du temps, à mesure que la cible de 2 % est venue à être perçue comme un objectif stable et atteignable. En modifiant la cible, on pourrait laisser croire que celle-ci est temporaire. Or, une cible moins crédible restreindrait la flexibilité et l’efficacité de la politique monétaire comme outil de stabilisation.

Dans le cadre de nos recherches, nous mènerons une analyse rigoureuse des coûts et avantages d’une modification de la cible.

L’intégration des considérations liées à la stabilité financière - un chantier en cours

En 2011, la Banque a conclu que la politique monétaire devrait être la dernière ligne de défense contre les déséquilibres financiers. Cette opinion est depuis devenue le point de vue dominant parmi les banques centrales. Toutefois, après des années de mesures de relance monétaire énergiques dans les grandes économies avancées, les préoccupations relatives à l’aggravation des risques entourant la stabilité financière se sont accentuées, ce qui a mené certains observateurs à se demander si un arbitrage approprié s’effectue entre la stabilité financière et la stabilité des prix. Certains critiques ont d’ailleurs fait valoir que les mesures de détente monétaire en vigueur contribuent simplement à semer les graines de la prochaine crise financière. Toutefois, comme le gouverneur Poloz l’a mentionné dans un discours récent, la solution de rechange n’a rien pour séduire10.

Les risques qui planent sur la stabilité financière au Canada - principalement les déséquilibres dans le secteur des ménages - sont dans notre ligne de mire. Pour résoudre ces déséquilibres, certains changements ont été apportés à la réglementation, ce qui a contribué à une évolution plus constructive, bien que les risques se soient inscrits en légère hausse11.

Les risques liés à la stabilité financière ont aussi été pris en compte dans notre cadre de conduite de la politique monétaire axée sur la gestion des risques12. Lorsque la Banque dispose de la marge de manœuvre nécessaire pour rétablir la trajectoire de l’inflation vers la cible dans un délai raisonnable, elle adopte des tactiques visant à éviter d’exacerber les préoccupations au sujet de la stabilité financière. La Banque a indiqué entre avril 2012 et octobre 2013 qu’elle penchait pour un resserrement des conditions monétaires, signalant que l’évolution des risques liés aux déséquilibres dans le secteur des ménages pourrait influer sur le moment et le degré d’une réduction de la détente monétaire en place. L’institution n’a toutefois pas eu jusqu’à maintenant recours à son instrument de politique monétaire pour contrer les risques financiers. Dorénavant, il serait utile de réaliser des recherches supplémentaires afin de préciser davantage dans quelles circonstances il serait approprié pour la Banque de recourir à la politique monétaire dans l’intérêt de la stabilité financière.

Les travaux réalisés récemment à la Banque semblent indiquer que le résultat optimal est atteint lorsque la politique macroprudentielle cible les déséquilibres qui émergent au sein de l’économie, tels que la croissance excessive du crédit, la politique monétaire étant ainsi axée sans contraintes sur la stabilité des prix13. Bien sûr, chacune de ces politiques doit être menée en tenant compte de l’autre. C’est pourquoi, par exemple, un resserrement de la politique macroprudentielle nécessiterait une politique monétaire plus expansionniste, toutes choses égales par ailleurs, et vice versa.

La meilleure manière d’intégrer les considérations liées à la stabilité des prix et à la stabilité financière demeure un chantier en cours. La mise en œuvre du programme de réforme financière mondiale, tant au pays qu’à l’étranger, devrait accroître la résilience de notre système financier et réduire la nécessité d’une réaction au moyen de la politique monétaire. Cela étant dit, nous avons encore beaucoup de choses à apprendre sur l’efficacité des instruments de politique macroprudentielle et la combinaison optimale des outils d’intervention. Les défis sur le plan de la communication associés à la possibilité que la politique macroprudentielle et la politique monétaire évoluent en sens contraire devraient également être étudiés.

La mesure de l’inflation fondamentale - l’IPCX devrait-il demeurer notre principal guide?

Même si nous visons un taux d’inflation bas, stable et prévisible, nous devrons toujours composer avec de fortes variations de l’inflation mesurée par l’IPC. Celles-ci sont généralement provoquées par des changements des prix volatils d’un nombre restreint de biens et services qui ont souvent tendance à s’inverser rapidement. Ces variations de prix peuvent ajouter beaucoup de « bruit » à l’IPC global, ce qui fait qu’il peut être difficile de discerner les mouvements réels dans l’évolution tendancielle de l’inflation. C’est pourquoi de nombreuses banques centrales ont recours à des mesures de l’inflation fondamentale conçues pour réduire au minimum l’effet des composantes les plus volatiles de l’IPC.

Pour être efficace, une mesure de l’inflation fondamentale doit répondre à quatre grands critères. Elle doit être moins volatile que celle de l’inflation globale; suivre de très près les mouvements à long terme de l’IPC global (en d’autres mots, elle doit être « exempte de biais »); donner une estimation fiable de l’évolution tendancielle future de l’IPC global; et être facile à expliquer au grand public et à comprendre.

La Banque établit et publie plusieurs mesures de l’inflation fondamentale qui répondent à ces critères à divers degrés. Parmi ces mesures, l’IPCX est notre principal guide depuis 200114. Bien que l’IPCX ne constitue pas une mesure parfaite de l’inflation sous-jacente, il présente des avantages. Il est relativement peu volatil et assez facile à calculer15. Toutefois, l’exclusion de certaines des composantes les plus volatiles de l’IPC ne garantit pas que la mesure obtenue sera toujours lisse. Les prix de certaines composantes de l’IPCX (notamment l’électricité) ont affiché une volatilité assez élevée ces dernières années, tandis que l’évolution des prix d’autres composantes (telles que les automobiles et certains services réglementés) a été généralement contracyclique, ce qui a contribué à brouiller la relation entre l’écart de production et l’IPCX16.

D’autres mesures de l’inflation fondamentale fournissent de l’information additionnelle précieuse dans ce contexte. Par exemple, la composante commune de la Banque convient bien pour faire abstraction des variations de prix ponctuelles et isolées, et a tendance à être plus fortement corrélée avec les mesures des capacités excédentaires présentes au sein de l’économie17. Mais ce n’est pas non plus une mesure parfaite. Elle peut être difficile à expliquer étant donné qu’elle se fonde sur des méthodes statistiques plus complexes.

Dans ces circonstances, les propriétés de diverses mesures de l’inflation fondamentale seront réexaminées pour déterminer si la Banque devrait continuer de recourir à une mesure prééminente de l’inflation dans la conduite de la politique monétaire et, si c’est le cas, si l’IPCX devrait continuer de jouer ce rôle.

Conclusion

En conclusion, le régime de ciblage de l’inflation du Canada est digne d’exception. Il a produit de très bons résultats en périodes favorables et il nous a aidés à traverser les périodes difficiles. C’est pourquoi toute modification qui pourrait y être apportée devra faire l’objet de recherches approfondies et être évaluée avec soin. Cela ne signifie pas qu’il n’y a aucun point à améliorer, mais simplement que - comme je l’ai mentionné précédemment - pour ce qui est d’y apporter des changements, la barre est placée très haut. En ancrant les attentes inflationnistes, la politique a acquis une précieuse crédibilité. Ce serait une erreur de miner cette dernière.

La crise financière et ses répercussions forcent les banques centrales à réévaluer leurs cadres opérationnels et leurs mandats, mais ce type d’exercice de révision est déjà une habitude bien établie à la Banque du Canada. Nous croyons qu’une des principales forces de notre cadre de conduite de la politique monétaire est le programme de recherche que nous menons en prévision du renouvellement périodique de l’entente conclue avec le gouvernement du Canada. Les recherches sur les questions que j’ai soulevées durant mon exposé aideront à éclairer le prochain renouvellement et, plus généralement, la mise en œuvre de la politique monétaire.

Nous attachons beaucoup d’importance à la transparence. Nous tiendrons le public informé des progrès de nos travaux au cours des deux prochaines années. Nous réunissons dans notre site Web des documents liés au cadre et aux recherches que nous effectuons en vue du renouvellement de l’entente en 2016.

Une chose est certaine : peu importe ce qui sera décidé, la contribution la plus importante qu’une banque centrale puisse apporter au bien-être économique des ménages et des entreprises est l’atteinte et le maintien d’un niveau d’inflation bas, stable et prévisible. Il est hors de question de sacrifier cette contribution. La seule question qui se pose, comme toujours, est de savoir si elle peut être fournie de manière encore plus fiable et efficace.

Je vous remercie de votre attention.

  1. 1. Pour en savoir plus sur le renouvellement de l’entente en 2011, voir https://www.banqueducanada.ca/wp-content/uploads/2011/11/background_nov11-f.pdf. Voir aussi M. Carney (2012), Un cadre de politique monétaire toutes saisons, discours prononcé dans le cadre du forum sur la conduite de la politique monétaire américaine, New York (New York), 24 février; et M. Carney (2011), Le renouvellement du cadre de conduite de la politique monétaire du Canada, discours prononcé devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Montréal (Québec), 23 novembre.[]
  2. 2. Plus la cible d’inflation est basse, plus grande est la probabilité qu’il faille diminuer occasionnellement les salaires nominaux afin de faciliter l’ajustement économique. La réticence éventuelle des travailleurs à accepter ces baisses nuirait au processus d’ajustement réel sur le marché du travail. Bien que certaines indications fassent état de rigidités à la baisse des salaires nominaux au Canada, Crawford et Wright (2001) constatent que les effets de ces rigidités n’apparaissent pas comme étant significatifs sur le plan économique. Voir A. Crawford et G. Wright (2001), Downward Nominal-Wage Rigidity: Micro Evidence from Tobit Models, document de travail no 2001-7, Banque du Canada. D’autres, par contre, avancent qu’il pourrait s’agir d’un problème important. Voir, par exemple, P. Fortin (2013), The Macroeconomics of Downward Nominal Wage Rigidity: a Review of the Issues and New Evidence for Canada, cahier de recherche no 13-09, Centre interuniversitaire sur le risque, les politiques économiques et l’emploi.[]
  3. 3. On estime que le biais de mesure au Canada est d’environ 0,5 %. Voir P. Sabourin (2012), « Les biais de mesure inhérents à l’indice des prix à la consommation canadien : une mise à jour », Revue de la Banque du Canada, été, p. 1-12.[]
  4. 4. J. C. Stein (2013), Overheating in Credit Markets: Origins, Measurement, and Policy Responses, discours prononcé dans le cadre du symposium de recherche intitulé « Restoring Household Financial Stability After the Great Recession: Why Household Balance Sheets Matter », organisé par la Banque fédérale de réserve de St. Louis, St. Louis (Missouri), 7 février.[]
  5. 5. Voir E. Santor et L. Suchanek (2013), « Les politiques monétaires non traditionnelles : évolution des pratiques, effets et coûts potentiels », Revue de la Banque du Canada, printemps, p 1-17.[]
  6. 6. Le taux neutre désigne le taux directeur qui sera en vigueur une fois dissipés les effets de tous les chocs cycliques. Le déclin estimé du taux neutre reflète principalement la croissance potentielle plus faible et la hausse de l’épargne mondiale. Voir C. Wilkins (2014), La politique monétaire et la reprise décevante, discours prononcé devant la CFA Society Toronto, Toronto (Ontario), 22 septembre; et R. Mendes (2014), The Neutral Rate of Interest in Canada, document d’analyse no 2014-5, Banque du Canada, septembre.[]
  7. 7. Par exemple, une étude menée par le Conseil de stabilité financière et le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, avec la participation du personnel de la Banque du Canada, a démontré qu’une hausse de 2 points de pourcentage des ratios de fonds propres bancaires entraîne une baisse de la probabilité d’une crise financière, qui passe de 4,5 à 1,6 %.[]
  8. 8. Nous devons aussi envisager la possibilité que le biais de mesure entachant l’IPC soit moins important, étant donné les améliorations apportées par Statistique Canada au cours des dernières années. Un biais moins important se traduirait par un taux d’inflation véritable plus élevé pour une cible d’inflation donnée, ce qui atténuerait la nécessité de relever la cible.[]
  9. 9. Voir P. Krugman (2014), Inflation Targets Reconsidered, Forum des banques centrales de la BCE, Sintra (Portugal), mai; et L. Ball (2014), A Case for a Long-Run Inflation Target of Four Percent, document de travail no 14/92, Fonds monétaire international, juin. Les banques centrales avaient été auparavant invitées à au moins envisager un relèvement de leur cible dans O. Blanchard, G. Dell’Ariccia et P. Mauro (2010), Rethinking Macroeconomic Policy, coll. « Staff Position Notes », Fonds monétaire international, 12 février.[]
  10. 10. S. Poloz (2014), L’héritage de la crise financière : ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, discours prononcé devant le Conseil canadien des sociétés publiques-privées, Toronto (Ontario), 3 novembre.[]
  11. 11. Le ministre des Finances a resserré les règles de l’assurance hypothécaire, le surintendant des institutions financières a élaboré des principes plus rigoureux de souscription de prêts hypothécaires et la Société canadienne d’hypothèques et de logement a restructuré ses programmes.[]
  12. 12. S. Poloz (2013), La politique monétaire comme outil de gestion des risques, discours prononcé devant le Cercle canadien de Montréal, Montréal (Québec), 12 décembre. Voir également S. Poloz (2014), Intégrer l’incertitude dans l’élaboration de la politique monétaire : la perspective d’un praticien, document d’analyse no 2014-6, Banque du Canada, octobre.[]
  13. 13. S. Alpanda, G. Cateau et C. Meh (2014), A Policy Model to Analyze Macroprudential Regulations and Monetary Policy, document de travail no 461, Banque des Règlements Internationaux, septembre.[]
  14. 14. L’IPCX exclut huit des composantes les plus volatiles de l’indice des prix à la consommation ainsi que l’effet des modifications des impôts indirects sur les autres composantes. Ces composantes sont les fruits, les légumes, l’essence, le mazout, le gaz naturel, le transport interurbain, les produits du tabac et les intérêts sur les prêts hypothécaires.[]
  15. 15. T. Laflèche et J. Armour (2006), « Évaluation des mesures de l’inflation fondamentale », Revue de la Banque du Canada, été, p. 21-31.[]
  16. 16. Voir l’Encadré 2 de la livraison d'avril 2014 du Rapport sur la politique monétaire.[]
  17. 17. La composante commune fait ressortir, à partir d’un modèle factoriel, la composante de l’inflation qui est commune à toutes les séries de données constituant l’IPC. Voir M. Khan, L. Morel et P. Sabourin (2013), The Common Component of CPI: An Alternative Measure of Underlying Inflation for Canada, document de travail no 2013-35, Banque du Canada, octobre.[]