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Déclaration préliminaire devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce

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Bonjour, Monsieur le Président et honorables sénateurs et sénatrices. Merci de m’avoir invité à témoigner à propos du dollar canadien devant le Comité.

Depuis 1991, le gouvernement canadien et la Banque du Canada ont une entente formelle selon laquelle la politique monétaire doit viser à maîtriser l’inflation. Au fil du temps, la Banque a constaté que le maintien de l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible est le meilleur moyen de s’acquitter de son mandat, qui consiste à promouvoir le bien-être économique et financier des Canadiens et des Canadiennes.

Le principal instrument de conduite de la politique monétaire dont la Banque dispose, à savoir le contrôle qu’elle exerce sur le taux du financement à un jour, lui sert à maintenir l’inflation au taux convenu de 2 %, soit le point médian de la fourchette de maîtrise de l’inflation, qui va de 1 à 3 %. Cela signifie que le Canada doit avoir un taux de change flottant. Dans la mesure où elle poursuit une cible d’inflation dans le but de préserver la valeur intérieure du dollar canadien, la Banque ne peut parallèlement définir un objectif en ce qui concerne sa valeur extérieure.

À la Banque, nous décrivons le régime de changes flottants comme un « amortisseur de chocs économiques ». Par là, nous voulons dire que les mouvements du cours de la monnaie aident l’économie à s’adapter aux chocs, tels que les fluctuations de la demande et des prix des biens et des services que le Canada produit. Ces fluctuations entraînent des variations des termes de l’échange du pays – le ratio des prix que le Canada obtient de ses exportations à ceux qu’il paie pour ses importations –, et ces variations nécessitent des ajustements économiques. Les ajustements peuvent être difficiles pour les particuliers et les entreprises directement touchés. Toutefois, par expérience, nous savons que ces ajustements sont moins pénibles lorsqu’ils se font par l’intermédiaire du taux de change plutôt que seulement par celui des variations des salaires et des prix intérieurs.

Depuis le milieu de 2014 environ, nous avons observé un recul considérable des prix d’un bon nombre des matières premières que le Canada produit et exporte. Le pétrole est l’exemple le plus évident, mais ce n’est pas le seul. Les prix d’autres produits, comme le cuivre et l’aluminium, ont aussi baissé de façon marquée. Les ressources ont toujours occupé une place prépondérante au sein de notre économie, et l’indice des prix des produits de base établi par la Banque du Canada, qui suit l’évolution des cours mondiaux des ressources les plus importantes, a chuté de plus de 50 % du milieu de 2014 à la fin de 2015. Durant la même période, le dollar canadien s’est déprécié, passant d’environ 94 cents américains à quelque 72 cents américains, pas très loin de son niveau actuel.

Avant de parler du processus d’ajustement, j’aimerais souligner deux points. Premièrement, ce n’est pas la première fois que l’économie canadienne doit composer avec de fortes variations des prix des ressources. En avril 2000, le gouverneur de la Banque à l’époque, Gordon Thiessen, venu témoigner devant le Comité, a dit : « La dépréciation qu’a subie le dollar canadien […] était due, dans une grande mesure, à la chute des cours mondiaux des produits de base que le Canada exporte. Notre économie devait s’adapter à cette réalité; la baisse du taux de change a facilité un déplacement de l’activité du secteur primaire vers le secteur manufacturier et vers d’autres secteurs d’exportation. » On pourrait faire le même constat aujourd’hui.

En outre, n’oublions pas que le dollar s’est apprécié lorsque les cours des produits de base ont augmenté et que nos termes de l’échange se sont améliorés de 2003 jusqu’au milieu de 2014 environ, ce qui a contribué à faciliter les ajustements qui s’imposaient pendant cette période.

Deuxièmement, le Canada n’est pas le seul pays qui est en train de s’ajuster au recul des prix des ressources. Permettez-moi d’attirer votre attention sur le Graphique 5 du Rapport sur la politique monétaire (RPM) que la Banque a publié en janvier. Ce graphique illustre l’évolution des termes de l’échange et du taux de change effectif réel de divers pays depuis le milieu de 2014. Il montre que les économies ouvertes riches en matières premières, comme le Canada, le Chili, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Brésil, ont toutes vu leurs termes de l’échange se détériorer et leur monnaie s’affaiblir. En revanche, les pays importateurs nets de produits de base, tels que les États-Unis et le Royaume‑Uni, ont connu un raffermissement de leur monnaie.

Dans le même Rapport, nous expliquons la manière dont nous prévoyons que l’économie canadienne s’ajustera à cette détérioration de nos termes de l’échange. La première réaction est une restructuration de notre secteur des ressources, et nous avons déjà observé un recul des investissements et de l’emploi chez les producteurs de matières premières. Ce recul s’est produit assez rapidement. Nous nous attendons aussi à ce que la perte de revenus ait une incidence plus vaste, qui se fera sentir sur les dépenses des ménages et les investissements des entreprises à l’extérieur du secteur des ressources. Cette incidence connaît une évolution plus prolongée et elle ne devrait pas atteindre son point culminant avant l’an prochain.

Parallèlement, la chute des prix des produits de base est un signal indiquant qu’il convient de retourner les ressources productives vers le secteur hors ressources. Ce processus sera long et complexe, mais les mouvements du taux de change sont utiles à cet égard. Le gouverneur Poloz a traité de cet ajustement en détail dans un discours qu’il a prononcé à Ottawa le mois dernier. Permettez-moi d’en récapituler certains points importants.

Premièrement, la dépréciation du dollar canadien compense partiellement la baisse des prix des produits de base, qui sont habituellement libellés en dollars américains. Autrement dit, les revenus en dollars canadiens des exportateurs de ressources diminuent moins que leurs revenus en dollars américains.

Deuxièmement, la dépréciation du dollar aide les exportateurs canadiens du secteur hors ressources. Ceux dont les prix sont établis en dollars canadiens affichent une compétitivité accrue, alors que ceux dont les prix sont en dollars américains voient leurs revenus augmenter.

Nous constatons déjà des signes de cet effet. Parmi les industries qui sont sensibles aux mouvements du taux de change, nous en avons recensé 21 – représentant près de 30 % des exportations de biens non énergétiques – dont les expéditions affichent une tendance à la hausse. Ce groupe exporte notamment des produits pharmaceutiques, des moteurs et des pièces de véhicules automobiles ainsi que des machines industrielles. Ces industries connaissent aussi une progression de l’emploi depuis le milieu de 2014, selon l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail de Statistique Canada. L’Enquête sur la population active de Statistique Canada fait également état d’une augmentation plus générale de l’emploi dans le secteur manufacturier depuis le début de 2015.

Le dernier effet de la dépréciation du dollar canadien que je mentionnerai est le fait qu’elle fait monter les prix des importations. D’une part, cela signifie que l’ensemble des Canadiens perdent une partie de leur pouvoir d’achat pour des biens importés, comme les produits frais qui n’ont pas de substituts simples. Cet effet signifie aussi des pressions sur les prix pour les entreprises qui dépendent des intrants importés. D’autre part, la dépréciation rend les biens et services canadiens plus attrayants que ceux qui sont importés. Prenons par exemple le tourisme. Un plus grand nombre de visiteurs étrangers choisissent le Canada comme destination. Les dépenses touristiques ont crû pendant dix trimestres consécutifs en termes réels. Dans l’ensemble, la dépréciation se traduit en définitive par un accroissement de la demande et des ventes, ce qui implique une hausse de la croissance, des investissements et de l’emploi dans le secteur hors ressources.

Enfin, permettez-moi de dire quelques mots sur la façon dont le cours de la monnaie influe sur les perspectives d’inflation. Les répercussions du choc des prix des ressources sur l’inflation sont complexes. La perte de revenus tirés des ressources se traduit par une baisse de la demande dans l’économie et, par conséquent, par un ralentissement de l’inflation. Le recul des coûts de l’énergie a aussi une incidence directe. Parallèlement, la dépréciation de la monnaie fait augmenter les prix des importations et, partant, exerce des pressions à la hausse sur l’inflation. Dans la livraison de janvier du RPM, nous avons estimé que l’affaiblissement du dollar a ajouté de 0,9 à 1,1 point de pourcentage à l’inflation mesurée par l’IPC global au quatrième trimestre de 2015. En outre, comme le dollar s’est encore déprécié ces derniers mois, nous avons indiqué qu’il y avait un risque que la transmission de la baisse du taux de change reste élevée.

En revanche, il est important de noter que, selon nos attentes, ces forces qui influent actuellement sur le taux d’inflation seront transitoires. Autrement dit, nous prévoyons qu’elles ne se feront plus sentir sur le taux d’inflation annuel et, donc, qu’elles ne se répercuteront pas sur les attentes des gens concernant l’inflation future. Toutefois, le gouverneur Poloz et les autres membres du Conseil de direction ont bien précisé qu’ils suivront la situation de près afin d’éviter que les attentes d’inflation à long terme ne soient plus ancrées à notre cible. En somme, nous prévoyons que l’inflation globale retournera à près de 2 % à la fin de 2017.

Bref, la dépréciation du dollar canadien reflète la chute marquée des prix mondiaux des ressources et la détérioration prononcée de nos termes de l’échange. Comme le gouverneur Poloz l’a souligné, l’incidence de ce choc est complexe et les ajustements structurels qui s’imposent seront longs et difficiles pour de nombreux Canadiens. Toutefois, notre régime de ciblage de l’inflation assorti d’un taux de change flottant est ce qu’il y a de mieux pour faciliter ces ajustements le plus vite possible.

Merci.