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Déclaration préliminaire devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes

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Introduction

Monsieur le Président, distingués membres du Comité, bonjour. C’est un honneur de témoigner devant vous en tant que dixième gouverneur de la Banque du Canada. Je me réjouis à la perspective de travailler avec les parlementaires ces sept prochaines années lors de témoignages réguliers devant des comités de la Chambre des communes et du Sénat. Ces témoignages sont un élément important de la reddition de compte de la Banque à la population.

La première sous-gouverneure Wilkins et moi sommes heureux d’être ici aujourd’hui pour collaborer à votre étude sur les mesures prises par le gouvernement en réaction à la pandémie de COVID-19. Nous serons particulièrement heureux de répondre à vos questions et d’écouter avec attention vos commentaires sur les sujets qui préoccupent le plus la population canadienne en cette période très difficile.

La Banque du Canada est résolue à contribuer le plus possible à la reprise de l’économie canadienne après l’impact énorme de la COVID-19. Aujourd’hui, je vais parler des quatre grandes fonctions de la Banque et décrire la manière dont elle réagit à la pandémie. Je dirai ensuite quelques mots sur nos activités en général, puis nous répondrons à vos questions avec plaisir.

Monnaie

Je vais commencer par notre fonction la plus visible et la plus tangible, soit l’émission de billets de banque. En tant que banque centrale, nous fournissons un bien public : un mode de paiement accepté partout. La Banque a pour mandat de fournir aux Canadiens des billets de banque sûrs et de qualité qu’ils peuvent utiliser en toute confiance.

Nous savons que la COVID-19 a changé l’attitude de certains à l’égard de la monnaie, du moins temporairement. La Banque a récemment mené une enquête auprès de la population en collaboration avec Ipsos et Statistique Canada. Environ le tiers des personnes interrogées disent utiliser moins souvent des billets à cause de la pandémie. Nous savons aussi que certains détaillants demandent aux clients de payer par voie électronique plutôt qu’en argent comptant.

La Banque encourage fortement les détaillants à accepter l’argent, pour deux raisons. Premièrement, certaines personnes n’ont pas de compte bancaire et pour beaucoup d’autres qui en ont un, le nombre de transactions par carte de débit est limité ou des frais sont imposés. Il s’agit souvent de personnes particulièrement démunies qui dépendent de l’argent comptant pour les achats essentiels. Le refus de l’argent pénalise injustement ceux qui n’ont pas facilement accès aux services financiers que nous tenons souvent pour acquis.

Deuxièmement, il importe de savoir que le virus ne se transmet pas plus facilement par la manipulation de billets de banque que par le fait de toucher d’autres surfaces. Nos billets sont en polymère et peuvent donc être nettoyés avec de l’eau et du savon. Pendant la pandémie, les autorités de santé publique ont sans cesse rappelé l’importance de se laver les mains. Nous devons tous suivre ce conseil, y compris les personnes qui manipulent l’argent dans le cadre de leur travail.

La pandémie pourrait accélérer la tendance selon laquelle les paiements électroniques gagnent en popularité par rapport aux paiements en argent. Environ un Canadien sur dix dit ne pas utiliser du tout l’argent comptant. Le volume de billets de banque en circulation et la demande ne cessent pourtant d’augmenter. La Banque continuera à suivre de près la demande de billets des particuliers et des entreprises pour voir comment elle évolue, et elle sera prête à y répondre.

Parallèlement aux tendances d’utilisation des billets de banque, nous étudions aussi la possibilité d’émettre une monnaie numérique de banque centrale. La Banque du Canada est devenue un chef de file des banques centrales dans ce domaine de recherche. Plus tôt cette année, le sous-gouverneur Tim Lane a parlé des circonstances où il pourrait être pertinent pour la Banque d’émettre une monnaie numérique. Une telle décision pourrait notamment s’imposer si la plupart des Canadiens cessaient d’utiliser les billets de banque. Nous ne croyons pas qu’une monnaie numérique est nécessaire à l’heure actuelle. Toutefois, nous allons de l’avant et planifions son émission pour pouvoir passer à l’action si nous jugeons un jour que le moment est venu de le faire.

Gestion financière

La deuxième fonction dont j’aimerais parler est la gestion financière : la Banque est l’agent financier du gouvernement du Canada. Nos conseils à ce titre portent sur les stratégies de gestion de la dette et de la trésorerie. Nous tenons aussi les adjudications d’obligations et de bons du Trésor du gouvernement fédéral. Enfin, nous fournissons des services bancaires à certaines institutions financières, à des sociétés d’État, à d’autres banques centrales et à des organisations financières internationales comme le Fonds monétaire international.

Cette fonction est déjà importante en temps normal : nous aidons le gouvernement à gérer ses finances de façon efficiente. Mais elle a pris encore plus d’importance depuis le début de la pandémie. En effet, les besoins financiers du gouvernement ont augmenté à un rythme sans précédent cet exercice en raison des mesures introduites pour atténuer l’impact de la pandémie sur l’économie du pays. Je tiens à souligner que, même là, le ratio de la dette nette au PIB du Canada reste le plus faible de tous les pays du G7.

Comme les taux d’intérêt sur les titres d’emprunt du gouvernement du Canada servent de référence pour de nombreux autres marchés financiers, il est crucial d’assurer le bon fonctionnement des marchés obligataires d’État. À cette fin, la Banque a mis en œuvre plusieurs mesures extraordinaires, ce qui m’amène à parler de sa fonction Système financier.

Système financier

Cette troisième fonction consiste à favoriser la stabilité et l’efficience du système financier. La Banque du Canada est unique en ce qu’elle a une perspective systémique de la stabilité et de l’efficience du système financier. Cette perspective éclaire notre collaboration avec nos partenaires fédéraux et provinciaux, qui vise à garantir que le système financier est à même de soutenir l’économie réelle.

Le crédit est indispensable au fonctionnement des économies de marché. Lors de crises, les banques centrales doivent impérativement fournir les liquidités nécessaires au système financier pour soutenir le crédit. Ce rôle traditionnel ne date pas d’hier. Au 19e siècle, dans une déclaration célèbre, le journaliste britannique Walter Bagehot a dit qu’en période de crise, une banque centrale doit prêter librement à un taux dissuasif, en contrepartie de garanties sûres. Ce qu’il voulait dire, c’est qu’une banque centrale devrait toujours être prête à s’assurer que le système financier dispose de liquidités suffisantes, en situation de tension, pour aider l’économie à traverser la tempête au lieu de faire également souffler des vents contraires.

Le début de la pandémie de COVID-19 a profondément perturbé de nombreux marchés financiers essentiels. Les marchés sont devenus illiquides parce que les participants ont cherché à préserver leur propre liquidité en augmentant leurs avoirs liquides. Dans ce contexte d’incertitude, les marchés du crédit étaient au bord de la paralysie. De mars à mai, la priorité de la Banque a été de rétablir leur bon fonctionnement pour que les ménages, les entreprises et les administrations publiques au pays puissent accéder au crédit et résister à la crise. Ce rétablissement devrait aussi préparer le terrain pour la reprise.

Sous la direction de mon prédécesseur, le gouverneur Poloz, et de la première sous-gouverneure Wilkins, la Banque a admirablement réussi à restaurer le bon fonctionnement de marchés clés pour assurer des liquidités et un financement abondants. Elle a eu recours à des programmes d’urgence qu’elle avait utilisés pendant la crise financière mondiale il y a plus de dix ans. La Banque a aussi mis en place de nouvelles mesures à une vitesse et avec une précision remarquables.

Nous sommes heureux de vous informer que la demande de liquidités revient à des niveaux normaux et que le fonctionnement des marchés s’est considérablement amélioré. Nous avons donc réduit la fréquence de certaines opérations que les participants aux marchés financiers n’utilisent pas. Nous sommes cependant prêts à les redéployer si nous en constatons la nécessité.

Politique monétaire

Avant de conclure, j’aimerais parler brièvement de notre quatrième fonction : la politique monétaire. Notre cadre de conduite de la politique monétaire est défini dans l’entente relative à la cible de maîtrise de l’inflation, conclue avec le gouvernement et renouvelée tous les cinq ans. Cette entente envoie le signal important que le gouvernement élu démocratiquement et la Banque ont convenu de l’objectif de notre politique, tout en nous laissant l’indépendance d’action nécessaire pour l’atteindre.

Cette indépendance est essentielle, en temps normal comme en période de crise. Depuis le début de la pandémie, le gouvernement et ses organismes et sociétés d’État à vocation financière, dont la Banque du Canada, collaborent à la stabilisation du système financier, au maintien de l’accès au crédit et au soutien de l’économie. Les actions de la Banque visent à appuyer les mesures budgétaires du gouvernement. En même temps, nous sommes conscients du mandat particulier de chacun, et le gouvernement a clairement indiqué qu’il respecte notre indépendance sur toute la ligne. Comme gouverneur, je vais protéger l’indépendance d’action que nous donne le mandat de la Banque parce que la confiance des Canadiens envers notre institution, la crédibilité de notre cible d’inflation et notre capacité à l’atteindre reposent sur elle.

Selon notre cadre de politique, nous avons pour mandat de maintenir l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible. C’est la meilleure contribution que nous pouvons apporter au bien-être économique et financier du pays. L’atteinte de nos objectifs d’inflation favorise une croissance économique durable. Et quand l’inflation est maintenue près de la cible, ça veut dire que l’économie tourne près des limites de sa capacité et qu’il y a plein emploi.

Notre cible d’inflation est encore plus importante en temps de crise. Elle reste notre phare au moment où la Banque évolue en terrain inconnu, déployant des outils qu’elle n’a jamais utilisés auparavant. Nos mesures de politique monétaire sont arrimées à l’objectif de ramener l’inflation à la cible en aidant l’économie à renouer avec sa capacité de production potentielle et le plein emploi.

La COVID-19 et les mesures prises pour la contenir sont un choc économique d’une envergure et d’une portée sans précédent pour notre économie. En date d’avril, plus de 3 millions de Canadiens avaient perdu leur emploi et 3,4 millions d’autres personnes travaillaient moins de la moitié de leur nombre d’heures habituel. Avec la levée des mesures de confinement qui a commencé dans certaines régions du pays, la croissance de l’emploi à l’échelle nationale a repris en mai. Cette croissance devrait s’accélérer à mesure que l’activité économique redémarrera, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir et les emplois perdus ne seront pas tous regagnés. D’importants efforts budgétaires permettent au plus grand nombre possible de Canadiens de conserver leur lien d’emploi et aident les entreprises et les ménages au pays à traverser la crise. Ces efforts appuient la population en ce moment et serviront de tremplin pour relancer l’économie.

Dans notre plus récente annonce du taux directeur, nous disions nous attendre à ce que la croissance économique reprenne au troisième trimestre. Maintenant que le fonctionnement des marchés s’est amélioré et que le déconfinement est en cours, la Banque cherchera à favoriser la reprise de la croissance de la production et de l’emploi. Dans le Rapport sur la politique monétaire de juillet, nous présenterons notre nouvelle évaluation des perspectives de production et d’inflation. Comme l’évolution de la pandémie est incertaine, je m’attends à ce que notre analyse prenne plus la forme d’un scénario que de prévisions. Le Rapport fera également état des principaux risques.

La politique monétaire va continuer de reposer sur notre régime de ciblage de l’inflation, même si l’indice des prix à la consommation n’est actuellement pas un bon indicateur de l’inflation pour de nombreux Canadiens. Les habitudes d’achat et les prix ont changé radicalement. Bien des gens ne consomment plus autant d’essence ni de services de voyage, mais achètent toujours leurs aliments en magasin. Leur expérience est donc assez différente de ce qu’indiquent les données. Le personnel de la Banque travaille avec Statistique Canada pour mieux comprendre les conséquences de ces changements d’habitudes d’achat.

La Banque a agi de manière énergique en abaissant le taux directeur à sa valeur plancher de 0,25 %. Nous avons aussi commencé à faire des achats massifs d’actifs. Notre bilan nous sert donc d’outil pour favoriser le bon fonctionnement des principaux marchés de financement et fournir un assouplissement monétaire qui soutient la reprise économique. Nous nous sommes engagés à continuer nos achats d’obligations du gouvernement du Canada jusqu’à ce que la reprise soit bien entamée. Toute nouvelle mesure de politique viserait à fournir le degré de détente monétaire requis pour atteindre la cible d’inflation.

Conclusion

Pour conclure, permettez-moi de parler un peu des activités de la Banque. En ce moment, la grande majorité des employés travaillent de chez eux, ce qui montre bien la souplesse et la résilience des systèmes de la Banque et de son personnel. Seuls quelques employés essentiels sont sur place, dont des opérateurs et des collègues chargés de la sécurité, des TI et des opérations bancaires au siège, et des membres du personnel du site de relève de Calgary et des centres régionaux des opérations. Les employés de la Banque sont donc bien présents pour les Canadiens et continueront à l’être, j’en suis convaincu.

À la Banque, nous avons depuis longtemps l’habitude de rendre des comptes et d’être transparents, mais nous sommes déterminés à faire encore mieux. Nous poursuivrons sur la même lancée pour certains aspects. D’abord, nous sommes conscients du fait que tous les Canadiens ont le droit de comprendre ce que fait leur banque centrale, et pourquoi. C’est encore plus important au moment où nous prenons des mesures sans précédent. Nous communiquerons avec transparence les résultats de nos programmes d’achat de titres. Nous continuerons aussi à privilégier un langage simple et à proposer aux Canadiens des ressources pouvant les aider à mieux comprendre nos opérations. Les articles multimédias publiés dans L’Économie claire et simple sur notre site Web en sont un exemple.

Ensuite, nous avons intensifié nos efforts pour mobiliser un large éventail de parties prenantes qui ne se limite pas à nos partenaires habituels. Nous cherchons à communiquer directement avec la population. L’objectif est de l’informer de nos initiatives et de la mobiliser pour mieux lui faire connaître ce que nous faisons et établir des liens de confiance. Certaines initiatives qui visent à familiariser les Canadiens avec nos activités et à les faire participer sont prévues ou déjà en cours. Entre autres, nous lancerons une campagne en ligne pour solliciter la participation du grand public au renouvellement de notre régime de ciblage de l’inflation en 2021. Et nous venons de terminer une campagne invitant les gens à soumettre le nom d’une personnalité canadienne qui mériterait de figurer sur le prochain billet de cinq dollars.

Je m’arrête là. La première sous-gouverneure Wilkins et moi serons heureux de répondre à vos questions.