Déclaration préliminaire devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce

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Monsieur le Président, distingués membres du Comité, bonjour. C’est la première fois que j’ai l’occasion de prendre la parole devant les membres de ce comité depuis que j’ai été nommé gouverneur de la Banque du Canada, et je suis très heureux d’être ici. Nous considérons ces témoignages comme un élément important de la transparence que la Banque doit avoir auprès des Canadiens sur ses activités. J’ai donc hâte d’entendre vos questions et vos points de vue.

Pour commencer, j’aimerais faire avec vous un survol des mesures prises par la Banque du Canada depuis le début de la pandémie. Je vous présenterai ensuite notre évaluation du chemin parcouru sur la voie de la reprise économique.

Durant la pandémie, la Banque s’est donné deux grands objectifs. Au début de la crise, nous avons voulu rétablir les opérations sur les marchés financiers et soutenir le crédit. Quand le marché a repris et qu’a commencé la sortie du premier confinement, notre priorité a été de fournir de la détente monétaire. Cela pour aider la reprise, relancer l’emploi et ramener l’inflation à la cible de 2 %.

Il y a 15 mois, l’incertitude extrême créée par le virus et les confinements a provoqué une ruée sans précédent sur la liquidité dans les marchés financiers. Les vendeurs d’actifs financiers qui ne trouvaient pas preneurs étaient si nombreux que les marchés ont été paralysés. L’accès au crédit des entreprises et des ménages risquait d’être mis à mal. La Banque est donc intervenue rapidement et massivement en fournissant de la liquidité et en achetant des actifs de manière à soutenir le rôle des principaux marchés financiers canadiens. Nos achats d’obligations du gouvernement fédéral, des provinces et des sociétés, de papier commercial, d’acceptations bancaires et d’obligations hypothécaires ont alors fait grossir rapidement le bilan de la Banque.

Au nombre de onze en tout, nos nouveaux programmes ont restauré le bon fonctionnement de l’ensemble des marchés financiers. À ce jour, tous les programmes exceptionnels, sauf un, ont été éliminés ou fermés. Notre programme d’achat d’obligations du gouvernement du Canada, que l’on appelle aussi « programme d’assouplissement quantitatif », est le seul encore en cours. J’en parlerai dans un moment.

Pour donner de la détente monétaire, la Banque a réduit son taux directeur au plus bas niveau possible, à 0,25 %, au printemps de 2020. À l’été, nous y avons ajouté des indications prospectives exceptionnelles : nous nous sommes engagés à maintenir le taux directeur à sa valeur plancher jusqu’à ce que les capacités productives excédentaires se résorbent, afin que l’on puisse atteindre durablement la cible d’inflation de 2 %. Notre programme d’assouplissement quantitatif renforce cet engagement et le complète, car il contribue à abaisser les taux d’intérêt sur l’ensemble de la courbe de rendement. C’est ce qui permet aux ménages et aux entreprises d’emprunter à moindre coût.

En avril 2021, la Banque du Canada a publié ses prévisions révisées pour l’économie canadienne, dans le Rapport sur la politique monétaire (RPM). L’économie s’est largement comportée comme prévu. Je vais revenir sur trois messages clés.

D’abord, la reprise économique avance bien. La résilience des entreprises et des ménages canadiens a été impressionnante face à la pandémie. Et les progrès de la vaccination annoncent des jours meilleurs.

Ensuite, la reprise complète prendra du temps. La troisième vague de la pandémie a été un coup dur. Elle a touché les hôpitaux dans certaines régions du pays et frappé encore les secteurs à contact étroit. Des parties importantes de l’économie restent très faibles, et trop de Canadiennes et de Canadiens demeurent sans emploi.

Enfin, la Banque maintient fermement son engagement à soutenir les entreprises et les ménages canadiens pendant toute la durée de la reprise. Pour les travailleurs canadiens, une reprise complète passe par un marché de l’emploi sain, offrant de bonnes possibilités d’embauche. Aussi bien aux travailleurs à faible revenu qu’aux femmes et aux jeunes, des groupes dont les emplois ont été touchés de plein fouet par la pandémie. Une reprise complète signifie que les entreprises sont convaincues que la pandémie est terminée et qu’elles peuvent investir pour profiter de nouveaux débouchés. Une reprise complète suppose aussi que les ménages et les entreprises peuvent s’attendre à ce que l’inflation reste durablement à la cible de 2 %. Permettez-moi d’expliquer ces thèmes.

Après un fort rebond de l’activité économique pendant l’automne et l’hiver, la croissance a été de nouveau bousculée au deuxième trimestre de 2021. Le retour des confinements associés à la troisième vague de la pandémie a freiné l’activité au début du trimestre, comme on l’envisageait. Les aléas de l’épidémie sont reproduits dans les hauts et les bas de la croissance économique. Des données récentes de l’emploi montrent que les personnes qui travaillent dans les secteurs à contact étroit demeurent les plus affectées. Le taux d’emploi reste bien inférieur à son niveau d’avant la pandémie. Malgré tout, on a vu de la part des entreprises et des ménages canadiens une résilience et une capacité d’adaptation énormes. Entreprises et ménages ont trouvé de nouvelles façons de faire leurs achats, de servir la clientèle et de travailler à distance.

La demande de logements a été particulièrement vigoureuse, surtout parce que les ménages veulent plus d’espace et que les taux hypothécaires sont bas. Dans le même temps, l’offre limitée de logements a causé une forte poussée des prix. Comme nous l’avons expliqué dans la Revue du système financier de mai dernier, il est important de comprendre que la hausse récente et rapide du prix des maisons n’est pas normale. Selon notre analyse, les anticipations sur les prix sont devenues extrapolatives dans certains marchés. En clair, les acheteurs se précipitent en partie parce qu’ils s’attendent à d’autres montées des prix. Ce comportement peut provoquer des hausses exagérées des prix des logements à court terme par rapport à la demande fondamentale. Et des ménages risquent de s’endetter au-delà de leur capacité de payer.

Nous voyons d’un bon œil les modifications proposées par le Bureau du surintendant des institutions financières à la ligne directrice B-20, qui modifient le taux admissible minimal, ainsi que les changements apportés au même moment au marché des prêts assurés. Ces modifications devraient aider à éviter le surendettement des ménages. Le budget fédéral contient des mesures qui feront augmenter l’offre. Plus globalement, nous pensons que le marché du logement va être plus équilibré. Nous continuerons à surveiller la situation de près.

Pour l’ensemble de l’économie, on prévoit une forte croissance durant la seconde moitié de l’année grâce à la consommation, tant que la vaccination avance et que les restrictions sont allégées. Les mesures budgétaires fédérales et provinciales vont aussi beaucoup aider la croissance. La solide demande étrangère et les prix plus élevés des produits de base devraient relancer les exportations et les investissements des entreprises. Cela donnerait une reprise plus généralisée. Dans notre récent RPM d’avril, la croissance projetée de l’économie était autour de 6,5 % cette année, de 3,75 % en 2022 et de 3,25 % en 2023.

Compte tenu de ces perspectives plus favorables, nous avons bon espoir que les séquelles sur le marché du travail et la perte de capacités productives seront en fin de compte moins prononcées que nous l’avions d’abord craint. C’est pourquoi nous avons revu à la hausse notre estimation de la production potentielle de l’économie. Je tiens cependant à souligner qu’une incertitude considérable entoure cette estimation. Tout au long de la reprise, nous allons examiner une multitude d’indicateurs des capacités excédentaires, parmi lesquelles diverses mesures des conditions sur le marché du travail.

La politique monétaire reste ancrée dans notre régime de ciblage de l’inflation. Les toutes dernières données indiquent que l’inflation s’est maintenue au-dessus de 3 % en mai. L’inflation va probablement demeurer pendant l’été près du sommet de la fourchette cible, qui va de 1 à 3 %. Cela s’explique en grande partie par les effets de glissement annuel, combinés aux prix beaucoup plus élevés de l’essence. Quand ces effets de glissement annuel auront disparu, on devrait voir l’offre excédentaire actuelle dans l’économie faire redescendre l’inflation, comme s’y attend le Conseil de direction.

La semaine passée, en annonçant sa plus récente décision de politique monétaire, le Conseil de direction a dit estimer que l’économie avait encore besoin d’être soutenue par des mesures exceptionnelles. Nous restons engagés à maintenir le taux directeur à sa valeur plancher jusqu’à ce que les capacités excédentaires de l’économie se résorbent. Cela permettra d’assurer un retour durable à la cible d’inflation de 2 %. Selon la plus récente projection de la Banque, ce retour à la cible d’inflation devrait se produire au cours de la seconde moitié de 2022, bien que ces prévisions soient plus incertaines que d’habitude car il est difficile d’évaluer en ce moment la capacité de production de l’économie. 

Notre programme d’assouplissement quantitatif continue de renforcer et de compléter nos indications prospectives concernant le taux directeur. En avril, nous avons rajusté nos achats hebdomadaires d’obligations du gouvernement du Canada, qui sont passés d’un minimum de 4 milliards de dollars à une cible de 3 milliards de dollars. Ce rajustement s’inscrit dans le cadre des progrès déjà observés vers une reprise économique.

En raison de la fin de la plupart de nos programmes exceptionnels, la taille du bilan de la Banque n’est plus que d’environ 475 milliards de dollars, après avoir atteint un sommet de 575 milliards de dollars en mars. Le graphique ci-après montre l’évolution de la taille et de la composition de notre bilan. La Banque détient actuellement pas moins de 350 milliards de dollars d’obligations du gouvernement du Canada : c’est à peu près 45 % de l’encours des obligations à rendement nominal.

Tout autre rajustement, à l’avenir, du rythme des achats nets sera guidé par notre évaluation en continu de la robustesse et de la durabilité de la reprise économique. Si l’économie se redresse conformément à notre plus récente projection ou mieux encore, il ne faudra alors pas autant de détente monétaire au fil du temps. Les autres révisions de notre programme d’assouplissement quantitatif seront graduelles, et nos évaluations des nouvelles données ainsi que la communication de nos analyses seront mûrement réfléchies.

Nous restons déterminés à procurer le niveau de détente monétaire nécessaire pour soutenir la reprise et atteindre l’objectif d’inflation.

Je m’arrête là-dessus pour répondre à vos questions.