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Prévoir l’imprévisible : les décisions d’une banque centrale en période de turbulences

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Introduction

Bonjour à tous. Je suis ravi d’être avec vous aujourd’hui, même si c’est de façon virtuelle.

Ce que nous vivons depuis maintenant deux ans est sans précédent. Les vagues successives de COVID-19 ont coûté la vie ou le gagne-pain de nombreux Canadiens. Les répercussions économiques ont elles aussi été extraordinaires.

L’économie canadienne s’est nettement redressée depuis : l’activité économique dépasse son niveau prépandémie et l’emploi avoisine le niveau d’emploi durable maximal. Nous ne sommes toutefois pas encore revenus à la normale.

La pandémie est une période de grande incertitude pour les responsables des politiques économiques, les scientifiques et les professionnels de la santé. Il me semble donc à propos de commencer en citant le célèbre médecin canadien William Osler, souvent considéré comme le père de la médecine moderne. Il y a plus d’un siècle, le DOsler a révolutionné l’enseignement de la médecine en combinant l’apprentissage en classe et au chevet du patient.

Selon lui, la médecine est une science de l’incertitude et un art de la probabilité. On pourrait en dire tout autant de la politique économique, surtout en ce moment.

En effet, le Dr Osler mettait l’accent sur le besoin d’allier analyse et expérience pratique, ce qui est très pertinent dans le monde incertain de l’économie.

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de la façon dont la Banque du Canada prend ses décisions en période de turbulences. Et je vais me servir de la pandémie comme étude de cas. Je vais vous expliquer le processus de réflexion de la Banque aux différents stades de la crise, et comment ces réflexions ont façonné nos interventions et nos communications avec les Canadiens. Enfin, je vais vous parler plus généralement de la façon dont nous adaptons nos pratiques pour mieux anticiper l’avenir et réagir à l’incertitude.

Retour sur les deux dernières années

Tout d’abord, permettez-moi de rappeler brièvement ce qu’a subi l’économie canadienne ces deux dernières années.

Au début de 2020, la pandémie a provoqué des contractions soudaines et importantes de l’activité économique dans le monde entier. Au Canada, le produit intérieur brut (PIB) a reculé de quelque 15 % et environ trois millions de Canadiens ont perdu leur emploi.

L’inflation, qui avoisinait alors 2 %, a aussi fortement diminué pour s’établir près de zéro. Cette baisse s’explique en grande partie par l’effondrement des cours du pétrole. On a aussi observé un déclin des prix des services pour lesquels la distanciation est difficile, comme les voyages en avion – pour les rares personnes qui voyageaient encore.

Mais si la contraction de l’économie était sans précédent, la reprise qui a suivi l’a été tout autant.

Comme on peut le voir dans le graphique 1, le PIB a fortement rebondi dans la deuxième moitié de 2020 lorsque la flambée initiale des cas de COVID-19 s’est stabilisée. Plus récemment, le PIB a dépassé son niveau prépandémie.

La reprise de l’emploi a également été impressionnante, comme on peut le voir ici (graphique 2).

L’emploi a enregistré des gains notables qui l’ont ramené à son niveau d’avant la pandémie. Un éventail de mesures montre que les capacités excédentaires de l’économie canadienne dans son ensemble se sont entièrement résorbées grâce à ce regain. On observe en effet de plus en plus de signes de pénurie de main-d’œuvre et de certains biens1.

Parallèlement, l’inflation – qui était près de zéro – s’est non seulement redressée, mais elle se situe désormais bien au-dessus de la cible de 2 % visée par la Banque, comme on peut le voir dans le graphique suivant (graphique 3, figure a).

Cette poussée d’inflation a été plus persistante que prévu. Elle découle en partie d’une remontée des prix après le recul de l’inflation en 2020 (graphique 3, figure b). Elle reflète aussi les conséquences des contraintes d’offre et de la demande vigoureuse sur les marchés mondiaux, surtout en ce qui concerne les biens. On s’attend maintenant à ce que l’inflation reste près de 5 % pendant la première moitié de 2022.

La réponse initiale de la Banque

Maintenant que nous avons fait le récit des deux dernières années, penchons-nous sur les mesures prises au début de la crise. L’ampleur et la complexité de la pandémie ont dépassé tout ce qu’on pouvait imaginer. Comment la Banque a-t-elle navigué ces eaux?

Lorsque le virus s’est répandu dans le monde et que les premiers confinements ont été mis en place, il est devenu clair que les répercussions économiques et financières de la pandémie seraient graves. Mais on ne savait pas encore vraiment à quel point. On savait toutefois que la situation exigeait une réponse très musclée dès le départ. La Banque était d’avis qu’il valait mieux en faire trop tout de suite pour soutenir fermement la reprise plutôt que de faire du rattrapage plus tard.

Quand la pandémie a frappé, la priorité absolue de la Banque était de soutenir les ménages et les entreprises du pays. En plus d’aider les plus directement touchés, nous voulions éviter les effets de second tour sur d’autres secteurs de l’économie, en particulier ceux qui peuvent se produire lorsque les gens ayant perdu des revenus réduisent leurs dépenses. La Banque craignait également que les entreprises reportent leurs investissements.

Un deuxième problème auquel il fallait s’attaquer d’emblée était celui l’effondrement des marchés financiers. La pandémie a fait souffler un vent de panique qui a fait chuter la valeur des actifs, et on a assisté à une ruée généralisée vers la liquidité. La liquidité des marchés s’est soudainement évaporée – autrement dit, les vendeurs avaient du mal à trouver des acheteurs, même pour des actifs sûrs comme les obligations d’État. Cette situation menaçait de bloquer le flux du crédit aux ménages et aux entreprises au moment où ils en avaient le plus besoin.

La Banque a réagi rapidement et vigoureusement pour rétablir le calme sur les marchés financiers. Elle a fourni des liquidités au système financier par plusieurs canaux, dont les conventions de rachat et les achats directs d’actifs dans un certain nombre de marchés financiers. Ces interventions et les mesures similaires prises par d’autres banques centrales ont permis de vite rétablir le fonctionnement des marchés mondiaux.

Il était clair que la politique budgétaire du gouvernement fédéral allait devoir jouer un rôle primordial pour soutenir les ménages et les entreprises, puisqu’elle permettrait de cibler le soutien afin de gérer les incidences inégales de la pandémie. Bon nombre de Canadiens ayant la possibilité de télétravailler ont conservé leur emploi. En revanche, de nombreuses personnes travaillant dans les secteurs des services où la distanciation est difficile – des emplois majoritairement occupés par des petits salariés, des Canadiens racisés et des femmes – ont perdu leur emploi. Le gouvernement a réagi rapidement en mettant en place des transferts pour soutenir le revenu des ménages touchés et maintenir les entreprises à flot.

La Banque a quant à elle pris des mesures de politique monétaire énergiques. En mars 2020, nous avons abaissé trois fois le taux directeur, le faisant passer de 1,75 % à 0,25 %. En juillet, nous nous sommes engagés à maintenir le taux directeur à ce niveau « jusqu’à ce que les capacités excédentaires de l’économie se résorbent ». En octobre, nous avons accompagné nos indications prospectives conditionnelles d’une prévision sur le moment de cette résorption, mais sans donner de date précise. Cette décision reflétait bien la grande incertitude entourant les perspectives.

Nous nous sommes aussi engagés à poursuivre nos achats d’obligations du gouvernement du Canada jusqu’à ce que la reprise soit bien entamée. Ces achats visaient initialement à rétablir le fonctionnement des marchés, mais ils sont ensuite devenus un outil supplémentaire de politique monétaire : l’assouplissement quantitatif. Cet outil a été mis en place pour garder les coûts d’emprunt bas sur toute la courbe de rendement. L’objectif principal était de soutenir l’économie durant cette période de contraction de l’activité et de ramener l’inflation à la cible de 2 %. Car si rien n’était fait, les forces liées à la pandémie qui œuvraient au sein de l’économie dans les premiers temps auraient pu faire descendre l’inflation sous zéro de façon durable, ce qui aurait déclenché une spirale déflationniste.

Ces politiques combinaient une réponse ferme et une stratégie de sortie claire. Compte tenu de l’incertitude accrue, notre décision de mettre fin aux mesures d’urgence se devait d’être basée sur les résultats, et non sur un calendrier fixe. Autrement dit, nous allions :

  • continuer de fournir de la liquidité jusqu’à ce que le fonctionnement des marchés soit rétabli;
  • poursuivre l’assouplissement quantitatif jusqu’à ce que la reprise soit bien entamée;
  • maintenir nos indications prospectives jusqu’à ce que les capacités excédentaires se soient résorbées.

Nous avons été clairs quant aux conditions de sortie, tout en reconnaissant que l’échéancier dépendrait de la tournure des événements. À mesure que la situation a évolué, nous avons fait le point auprès des Canadiens sur le moment où toutes les conditions seraient vraisemblablement réunies. Les marchés ont aussi pu actualiser leurs propres perspectives à mesure que les données émergeaient.

L’évolution de nos perspectives et de nos interventions

La récession qui a frappé le Canada ne ressemblait en rien à un cas d’école, et son dénouement était hautement incertain. D’ailleurs, nous n’avons pas publié notre prévision habituelle dans le Rapport sur la politique monétaire d’avril 2020. Nous avons plutôt présenté une plage de scénarios possibles, que l’on peut voir ici (graphique 4).

Ces scénarios reflétaient deux dynamiques distinctes. Une partie de l’activité économique et de l’emploi reviendrait à un niveau normal dès que la pandémie s’estomperait (et que les confinements seraient levés) – à l’image de ce qui se passe souvent après une catastrophe naturelle. Une autre partie de l’activité économique mettrait plus de temps à se rétablir. En effet, au printemps 2020, les économistes du monde entier débattaient la question de savoir si on assisterait à une reprise en V ou en L. La Banque était d’avis que ces dynamiques se succéderaient, ce qui donnerait lieu à une reprise en deux phases : une phase de réouverture, suivie d’une phase de récupération.

Pourquoi pensait-on que la phase de récupération serait plus longue? Eh bien, cela tient en partie à ce que nous avons vécu pendant la crise financière mondiale de 2008-2009. À la suite de cette crise, la reprise a traîné en longueur en raison de la hausse importante et persistante du chômage et de la grave détérioration des bilans. Il a ainsi fallu dix ans à l’économie mondiale pour revenir à son niveau tendanciel d’avant la crise.

Les longues récessions peuvent dégrader les marchés du travail. Le chômage peut avoir des effets persistants sur les compétences des travailleurs et leur capacité à réintégrer la population active. C’était une préoccupation majeure, car la pandémie a tout de suite provoqué une hausse marquée du chômage, et on ne savait pas combien de temps cette situation allait durer exactement. La distribution inégale des pertes d’emploi attribuables à la pandémie laissait également supposer que les inégalités pourraient se creuser, ce qui a en soi des conséquences économiques négatives.

En somme, l’économie a affiché une baisse de régime considérable durant les premiers mois de la pandémie. Cette situation s’est reflétée dans nos attentes, à savoir que les capacités excédentaires de l’économie ne se résorberaient pas avant 2023. Notre projection d’inflation abondait dans le même sens à l’époque.

On peut voir dans le graphique 5 que nous nous attendions au départ à ce que l’inflation remonte peu à peu à la cible de 2 % sur une période de trois ans.

Il va sans dire que ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. La trajectoire de la reprise économique a progressé à la limite supérieure de la fourchette envisagée par la Banque. L’emploi s’est redressé plus rapidement que prévu, et l’inflation est restée beaucoup plus élevée qu’anticipé. Elle se situe maintenant bien au-dessus de la cible.

Pourquoi donc? Tout est une question d’offre et de demande.

Dans les premiers mois de 2020, nous avons pris conscience que la pandémie aurait des répercussions négatives à la fois sur la demande et sur l’offre.

Du côté de la demande, nous nous attendions à ce que les ménages réduisent leurs dépenses, puisque les pertes d’emploi ont entraîné une baisse de leur revenu et un affaiblissement de leur confiance. L’expérience de la crise financière mondiale nous portait aussi à croire que les institutions financières seraient moins enclines à prêter en raison de l’incertitude accrue. Elle a aussi montré que les dépenses et la confiance des consommateurs peuvent mettre beaucoup de temps à se rétablir.

Du côté de l’offre, on prévoyait une rupture de l’approvisionnement ou une perte de capacité de production de nature temporaire. Certaines installations de production ont dû fermer, tandis que pour d’autres, le temps et les efforts nécessaires pour se conformer aux restrictions sanitaires pouvaient peser sur la productivité. Mais nos projections reposaient sur l’hypothèse que les effets sur l’offre seraient moins graves et se dissiperaient relativement vite lorsque les restrictions seraient levées. Puisqu’on s’attendait à ce que la demande prenne plus de temps à se redresser que l’offre, une marge persistante de capacités excédentaires continuerait d’exercer une pression à la baisse sur l’inflation.

L’offre et la demande n’ont pas évolué conformément à nos attentes, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les vaccins ont été mis au point et distribués en un temps record – à peine plus d’un an après le début de la pandémie, soit un an plus tôt que prévu.

De plus, nous avons sous-estimé la capacité des entreprises et des travailleurs à s’adapter au virus en trouvant des moyens novateurs de travailler malgré lui. Cette période est marquée par une accélération de la croissance de tous les aspects de l’économie numérique2.

Ce sont toutes des raisons importantes qui expliquent pourquoi la demande et l’offre – et donc, le PIB – se sont redressés aussi rapidement.

La force de la réponse de notre politique économique nous a également aidés à éviter beaucoup des répercussions négatives que nous redoutions sur la demande. En raison de l’ampleur des transferts budgétaires, le revenu disponible des ménages canadiens a en réalité augmenté durant la pandémie, et le nombre de faillites d’entreprises a fléchi – du jamais vu en temps de récession. Les ménages ont été en mesure d’accroître leur épargne et de rembourser leurs dettes non hypothécaires. Et le système financier, loin d’être un boulet pour l’économie, en est devenu une assise solide.

Un facteur qui avait d’abord été négligé est celui du déplacement de la demande, au Canada comme à l’étranger. Devant l’impossibilité de dépenser pour des services comme les repas au restaurant et les vacances, les ménages se sont rabattus sur les biens disponibles, comme l’équipement sportif, les électroménagers et les appareils électroniques. Ce déplacement de la demande vers les biens s’est heurté de plus en plus aux contraintes d’approvisionnement mondiales dans le courant de 2021, ce qui a contribué à pousser l’inflation plus haut que prévu3.

Les perturbations de la production se sont avérées plus problématiques que prévu. Comme la production est fortement interconnectée entre les pays, des perturbations dans l’un ont eu tôt fait d’occasionner des pénuries dans d’autres. Des goulots d’étranglement spécifiques sont apparus, notamment du côté de l’approvisionnement en semi-conducteurs et de la capacité d’expédition, mais les perturbations sont devenues de plus en plus persistantes et généralisées. Même aujourd’hui, on ne saurait trop dire combien de temps il faudra pour résoudre ces problèmes.

Par ailleurs, les entreprises canadiennes ont été de plus en plus confrontées à des contraintes de capacité qui leur sont propres. Dans l’enquête sur les perspectives des entreprises de décembre, un nombre record de répondants ont indiqué qu’ils auraient du mal à répondre à une demande accrue. En partie à cause des pénuries de certaines composantes importées essentielles, mais aussi en raison du manque de main-d’œuvre, en particulier de talents spécialisés, causé par le resserrement du marché du travail.

Tous ces facteurs combinés ont fait en sorte que la demande a été plus robuste, et l’offre soumise à plus de contraintes, que ce à quoi nous nous attendions. Il en a résulté une croissance économique plus forte que prévu et une inflation durablement élevée.

Pendant tout ce temps, nous avons ajusté la politique monétaire au gré de la reprise. Nous avons réduit la taille de notre programme d’assouplissement quantitatif, pour y mettre fin en octobre 2021 et passer à la phase de réinvestissement. Nous achetons désormais des obligations seulement pour remplacer celles qui arrivent à échéance et ainsi garder notre portefeuille global stable.

Même si nous avons mis un terme à nos indications prospectives exceptionnelles il y a quelques semaines seulement, nous avons révisé régulièrement notre pronostic concernant le moment où les conditions nécessaires pour relever les taux d’intérêt seraient réunies. Le 26 janvier 2022, nous avons cessé de fournir des indications prospectives, jugeant que les capacités excédentaires au sein de l’économie s’étaient résorbées. Nous nous attendons à ce qu’il soit nécessaire d’augmenter les taux d’intérêt, l’échéancier et le rythme de ces augmentations étant guidés par l’engagement de la Banque à atteindre la cible d’inflation de 2 %. Nous avons indiqué qu’après avoir commencé à relever le taux directeur, nous allions évaluer la possibilité de clore la phase de réinvestissement et de réduire la taille de notre bilan en cessant de remplacer les obligations qui arrivent à échéance.

Beaucoup des facteurs qui ont influencé nos délibérations sur la politique monétaire tout au long de la pandémie se sont précisés au fil de l’expérience acquise d’une récession qui ne ressemble à aucune autre. C’est pourquoi il est si important d’avoir des processus décisionnels qui peuvent être adaptés à la lumière de faits nouveaux, de nouvelles analyses et de l’expérience. Ce sera mon prochain sujet.

Nos processus analytiques et décisionnels adaptables

Bon nombre des facteurs dont je viens de parler ne sont pas bien pris en compte dans nos modèles économiques classiques. En effet, au fil du temps, nous avons ajusté nos modèles pour qu’ils reflètent avec encore plus de fidélité les circonstances uniques de la pandémie de COVID-19.

Les économistes de la Banque se sont de plus en plus appuyés sur des sources de données inédites pour mieux saisir la réalité du terrain. Les données en temps réel ont été particulièrement utiles pour suivre la situation qui évoluait à toute vitesse. Par exemple, les réservations de restaurant en ligne et les données de paiement d’Interac donnaient un portrait plus actuel du comportement des consommateurs. Ce genre de données a pris une grande importance quand la pandémie a amené beaucoup plus de consommateurs à faire leurs achats et d’autres activités en ligne. De même, les offres d’emplois publiées en ligne ont été utilisées en complément d’autres indicateurs pour évaluer les conditions du marché du travail. Durant la pandémie, les données épidémiologiques ont également été essentielles, et nous avons régulièrement consulté des scientifiques et des représentants de la santé publique pour nous aider à les interpréter.

Les répercussions économiques inégales de la pandémie ont mis en lumière l’importance d’analyser des données ventilées de diverses façons. Cette méthode nous a permis de mieux évaluer en quoi différents segments de la population étaient touchés de façon inégale par les événements, et comment cet état de fait pouvait influer sur les résultats économiques à plus grande échelle. Par exemple, nous nous concentrons de plus en plus sur un éventail élargi d’indicateurs du marché du travail, que nous publions chaque trimestre dans notre Rapport sur la politique monétaire et dans notre site Web.

Pour mieux mettre à profit toutes ces données, nos économistes font appel à des approches novatrices, comme les mégadonnées et l’analytique avancée. L’ajout de ces outils d’analyse et sources d’information nous a permis de combler d’importantes lacunes dans notre compréhension de ce qui se passait dans tous les pans de l’économie.

Les événements comme la pandémie mettent également en évidence l’importance de parler aux Canadiens et de les écouter. Pour reprendre les mots du Dr William Osler : si vous écoutez attentivement le patient, il vous donnera le diagnostic. Pendant des années, nous avons mené notre enquête trimestrielle sur les perspectives des entreprises et entretenu un dialogue régulier avec les chefs d’entreprise. C’est ce qui nous a permis, par exemple, de comprendre la nature et l’étendue des contraintes d’approvisionnement au Canada. Aujourd’hui, nous réalisons également quatre fois par année l’enquête sur les attentes des consommateurs au Canada, qui nous aide entre autres à évaluer à quel point les attentes d’inflation des consommateurs demeurent ancrées. Nous déployons aussi activement une stratégie pour élargir le bassin de parties prenantes que nous consultons pour enrichir nos perspectives sur l’économie.

De façon plus générale, les périodes de turbulences appellent à l’ouverture aux informations et aux idées nouvelles ainsi qu’à des processus décisionnels agiles. L’incertitude peut inciter à être prudent et mesuré lorsqu’on entre en territoire inconnu, mais comme la pandémie l’a montré, il vient un temps où les décideurs doivent agir avec aplomb. Aucune politique n’est exempte de risque, mais le risque de l’inaction est souvent plus grand. S’il est important de prendre des risques, il l’est tout autant de les prendre en pleine connaissance de cause et d’en communiquer la nature en toute transparence4.

Lorsqu’elle prend une décision de politique monétaire, la Banque scrute différents risques et en évalue l’importance relative. Beaucoup de risques sont des médailles à deux côtés, mais il arrive qu’un côté soit plus préoccupant que l’autre. Ça a été particulièrement vrai durant la pandémie. Compte tenu de l’ampleur du choc au début de la crise, notre inquiétude au sujet des risques à la baisse pour l’économie nous a conduit à effectuer une politique monétaire énergique axée sur la relance. Toutefois, à mesure que la situation a évolué, nous avons rééquilibré notre réponse en fonction des risques. À l’heure actuelle, comme l’inflation est nettement au-dessus de la cible, nous nous attachons de plus en plus à contrer les risques à la hausse.

À différentes étapes de la pandémie, nous avons révisé nos perspectives et l’orientation de notre politique monétaire en réponse au contexte incertain et à l’évolution rapide de la situation. Ce qui est demeuré constant, toutefois, c’est notre engagement à expliquer les fondements de nos projections et de nos décisions. Nous avons dit clairement qu’il y avait beaucoup d’impondérables. Nous avons aussi décrit avec franchise les risques présents à chaque instant. Même si on ne peut éliminer l’incertitude, on peut faire preuve de la plus grande clarté possible quant aux actions et aux décisions de la Banque. Ces principes étaient bien visibles dans les conditions accompagnant nos indications prospectives tout au long de la pandémie. Et c’est dans cet esprit que nous avons annoncé notre décision en janvier, expliquant clairement que, maintenant que les capacités excédentaires se sont résorbées, les taux d’intérêt vont devoir suivre une trajectoire à la hausse pour ramener l’inflation à la cible de 2 % de façon durable.

Conclusion

La pandémie a amené son lot d’imprévus. Nous nous sommes appuyés sur nos analyses et notre expérience pour parfaire notre compréhension des forces à l’œuvre, mais il faut prévoir l’éventualité d’autres surprises avant la fin de ce chapitre.

Si nous nous attendons maintenant à ce que les perturbations de l’offre s’apaisent et à ce que l’inflation se modère rapidement dans la deuxième moitié de l’année, nous restons vigilants face au risque que l’inflation s’avère de nouveau plus persistante. Nous ferons preuve d’agilité – et s’il le faut, de fermeté – en usant de nos outils de politique monétaire pour affronter la situation, quelle qu’elle soit, comme nous l’avons fait depuis le début de cette période mouvementée.

Nous savons que les Canadiens comptent sur nous pour prendre les bonnes décisions malgré l’incertitude et les changements incessants. Et nous continuerons de travailler sans relâche pour nous montrer dignes de cette confiance.

Merci.

Je tiens à remercier Don Coletti de l’aide qu’il m’a apportée dans la préparation de ce discours.

Information connexe

16 février 2022

Discours : L'École de politiques publiques de l’Université de Calgary

Les décisions d’une banque centrale en période de turbulences — Le sous-gouverneur Timothy Lane prononce un discours par vidéoconférence (vers 13 h 30, heure de l’Est).

  1. 1. Pour en savoir plus, voir Banque du Canada (2022), « Encadré 3 : Capacités excédentaires au quatrième trimestre de 2021 », Rapport sur la politique monétaire, janvier.[]
  2. 2. Voir T. Lane (2021), La transformation numérique et la résilience de l’économie canadienne, discours prononcé par vidéoconférence devant les membres d’Advocis des sections de l’Ouest canadien, Edmonton, Vancouver et Winnipeg, 10 juin.[]
  3. 3. Voir T. Gravelle (2021), Le point sur la situation économique : une reprise pas comme les autres, discours prononcé par vidéoconférence devant la Chambre de commerce de Surrey, Surrey, 9 décembre.[]
  4. 4. Voir S. Kozicki et J. Vardy (2017), Communicating Uncertainty in Monetary Policy, document d’analyse du personnel nº 2017-14, Banque du Canada.[]