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Mot d’ouverture

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Bonjour. Je suis ravi d’être avec vous aujourd’hui, du moins virtuellement, et de vous accueillir à cette quatrième édition du Colloque sur la diversité, l’équité et l’inclusion dans les métiers de l’économie, de la finance et des banques centrales. Je suis heureux que cette initiative amorcée en 2018 par la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale des États-Unis inclue dorénavant la Banque du Canada. C’est un grand honneur de s’être vu confier l’organisation de cette rencontre.

La recherche et l’expérience ont déjà permis d’établir que la diversité et l’inclusion comportent des avantages. C’est un fait, les groupes diversifiés et inclusifs prennent de meilleures décisions. Pourquoi? Parce qu’ils évitent de tomber dans la pensée de groupe, ce qui se produit quand les décideurs ont des parcours semblables et abordent les problèmes de la même manière. Tenir compte de points de vue et d’expériences multiples permet de trouver de meilleures solutions et d’être plus créatifs et productifs. Les entreprises qui le font en tirent clairement un avantage concurrentiel.

Cela dit, comprendre que la diversité et l’inclusion apportent des bienfaits n’est pas suffisant. C’est ce qui nous amène ici pour nous concerter sur les moyens de rendre les métiers de l’économie et de la finance, et nos propres institutions, plus diversifiés et inclusifs.

Dans mon discours l’an dernier, je vous ai dit que nous devions être plus à l’écoute, avoir une communication plus inclusive et accessible, et mieux comprendre l’incidence de nos outils de politique monétaire sur les différents segments de la population prenant part à l’économie.

Cette année a été l’occasion tout indiquée de mettre à l’épreuve ces engagements. L’inflation est trop élevée à l’échelle mondiale, et les augmentations rapides des taux d’intérêt alourdissent le service de la dette. À la Banque du Canada, nous exerçons comme jamais nos compétences en matière d’écoute et de communication, tant pour entendre ce que nous disent les ménages et les entreprises que pour expliquer nos décisions. Nous sommes attentifs à ce qu’exprime la population canadienne au sujet des conséquences de l’inflation élevée et du resserrement des conditions financières sur les décisions et la vie au quotidien. Nous travaillons d’arrache-pied pour nous montrer dignes de confiance et donner des indications claires sur le retour à la stabilité des prix.

L’inflation élevée touche tout le monde, mais au premier chef les ménages à faible revenu, qui consacrent une plus grande partie de leur salaire aux dépenses essentielles et disposent d’un coussin financier plus restreint. Ces ménages vivant déjà avec le minimum ont moins de possibilités de faire des économies. De plus, ils seront touchés de manière disproportionnée par le ralentissement économique nécessaire au rééquilibrage de l’offre et de la demande et à l’atténuation des pressions sur les prix. Malheureusement, il n’y a pas de solution facile pour restaurer la stabilité des prix. Néanmoins, une fois l’offre et la demande rééquilibrées, la croissance se redressera, notre économie progressera fortement et tous bénéficieront de nouveau d’une inflation basse et prévisible. Toute la population canadienne y gagne, et notre prospérité collective en dépend.

Nous utilisons tous nos canaux pour expliquer comment nous déployons la politique monétaire, principalement sous la forme de hausses de taux d’intérêt, afin de ramener l’inflation à la cible. Il est plus important que jamais de comprendre l’incidence de nos outils de politique monétaire sur l’égalité dans l’économie, étant donné l’inflation élevée et le ralentissement de la croissance.

Aujourd’hui et demain, nous réfléchirons aux façons d’accroître la diversité et l’inclusion dans les métiers de l’économie, de la finance et des banques centrales. Cela dit, j’aimerais d’abord prendre un moment pour revenir sur les répercussions notables de la COVID-19 en ce qui concerne l’égalité sur le marché du travail.

Je sais que nous avons tous été touchés simultanément par la pandémie et que nous avons beaucoup en commun, mais laissez-moi vous parler de notre situation au Canada, puisque c’est ce que je connais le mieux.

Les perturbations massives du marché du travail et de l’activité découlant des fermetures à répétition de l’économie ont eu un effet disproportionné sur les travailleurs comptant parmi les plus vulnérables. Pour la Banque, les conséquences à long terme de ces perturbations sur la carrière des nouveaux venus sur le marché du travail, des femmes et des Canadiens racisés étaient aussi une grande source d’inquiétude. La reprise exceptionnellement rapide a levé une bonne partie de nos craintes par rapport à des séquelles persistantes. Mais le rebond marqué de la demande alors que l’offre demeurait affaiblie a amené de nouveaux défis : l’inflation et ses effets nuisibles et inégaux. Permettez-moi de donner quelques précisions à ce sujet.

Récession et reprise

La COVID-19 a provoqué le plus important ralentissement mondial depuis la Grande Dépression. Une grande partie de l’économie a été mise à l’arrêt pour freiner la propagation du virus, et des millions de personnes ont perdu leur emploi. Le Canada a plongé dans la récession la plus profonde de son histoire, et les répercussions ont été dévastatrices. Environ 3 millions de personnes qui avaient un emploi avant la pandémie n’en avaient plus en avril 2020. Et 2,5 millions de personnes avaient perdu plus de la moitié de leurs heures de travail. Le choc a frappé les travailleurs aux quatre coins du pays.

Mais tous n’ont pas été touchés de la même manière. Les emplois qui exigeaient un contact étroit avec le public, principalement dans le secteur des services, ont été perdus, ce qui a affecté de manière disproportionnée les jeunes, les femmes et les employés faiblement rémunérés. La fermeture des écoles et des garderies a aussi frappé plus durement les femmes, qui ont connu une réduction plus sensible de leurs heures travaillées et de leur taux d’activité.

Jamais auparavant n’avait-on vu autant de pans de l’économie être fermés, et ce, de façon aussi soudaine et pour une aussi longue période. Pourtant, grâce aux nouveaux vaccins et à des politiques budgétaires et monétaires exceptionnelles, la reprise a été la plus rapide jamais enregistrée. Déjà en août, quatre mois après le creux d’avril, près des deux tiers des pertes d’emploi au pays avaient été compensées. Toutefois, les vagues successives du virus ont fait en sorte qu’il a fallu plus d’une année pour que l’emploi revienne à son niveau d’avant la pandémie. Il n’en demeure pas moins que la reprise a eu lieu à un rythme inouï comparativement aux récessions passées.

Qu’est-ce qui explique la rapidité de cette reprise? C’est en partie la situation inédite à l’origine de la récession, soit une pandémie entraînant la fermeture de grands pans de l’économie, par opposition à des déséquilibres ou à des problèmes structurels au sein de l’économie. Cela a permis un rétablissement rapide de l’emploi à la réouverture de l’économie, mais nous craignions tout de même que de nombreuses personnes soient laissées pour compte. Nous découvrons encore les effets à long terme de la pandémie, mais les séquelles redoutées se sont avérées moins répandues qu’appréhendé. La croissance économique a redémarré sur les chapeaux de roues, et les travailleurs ne sont pas restés longtemps sur la touche.

Les mesures concertées des gouvernements et des banques centrales à travers le monde ont joué un rôle important dans la reprise. Au Canada, des politiques budgétaires ont été conçues pour aider à préserver les liens d’emploi entre les travailleurs et les employeurs et à maintenir les entreprises à flot en dépit de leurs revenus anémiques. Ces efforts, complétés par nos politiques monétaires, ont permis de limiter les dommages faits au marché du travail. Nous avons abaissé notre taux directeur et mis en place des mesures d’assouplissement quantitatif pour réduire les coûts d’emprunt, ce qui a contribué à soutenir les dépenses et la demande et à rétablir l’emploi.

La réouverture des écoles et des garderies a été aussi significative pour les parents que pour leurs enfants. Le retour en classe des élèves a permis aux mères de retourner au travail, et le taux d’activité des femmes est revenu à son niveau d’avant la COVID-19.

En octobre 2021, l’emploi au Canada dépassait son niveau d’avant la pandémie, mais la reprise demeurait inégale. Le taux d’emploi était supérieur à celui d’avant dans certains secteurs, comme le secteur financier et ceux des services professionnels, de l’administration publique, de l’assurance et de l’immobilier, mais bien inférieur dans d’autres secteurs, comme ceux de l’hébergement et de la restauration.

Depuis la réouverture complète de l’économie, ces écarts entre secteurs se sont amenuisés. En effet, les ménages sont avides de nombreux services à forte proximité qui leur ont manqué, et les entreprises peinent à trouver la main-d’œuvre pour produire tous les biens et services que les Canadiens veulent acheter. Le nombre de postes vacants est élevé, et les entreprises font état de pénuries de main-d’œuvre généralisées. C’est le signe d’une économie en surchauffe, où l’incapacité des entreprises à répondre à la demande fait grimper les prix.

Pour réduire les pressions inflationnistes et rétablir la stabilité des prix, nous devons rééquilibrer l’offre et la demande sur le marché du travail. La politique monétaire influe sur la demande. En effet, les hausses de taux d’intérêt freinent les dépenses, ce qui réduit la demande de main-d’œuvre. Invariablement, les conséquences sont inégales d’un secteur à l’autre et pour les différents groupes de travailleurs.

L’autre façon de rééquilibrer l’offre et la demande est d’élargir le bassin de travailleurs, ce qui prend du temps. Étant donné l’inflation déjà beaucoup trop élevée et le risque croissant qu’elle s’enracine, cette solution ne remplacera pas les mesures destinées à ralentir la demande, mais elle peut être utilisée en complément. Plus nous agissons sur l’offre, moins nous aurons à agir sur la demande.

La pandémie a fait ressortir l’importance des services de garde. Leur disparition avait mené beaucoup de travailleuses à se retirer du marché du travail. Le taux d’activité des femmes est remonté plus rapidement et est plus élevé ici qu’aux États-Unis, mais d’autres pays font meilleure figure. Pour 2021, le taux d’activité des Canadiennes de 25 à 54 ans est juste au-dessus de la médiane des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ce qui place le Canada en 16e position sur 38. Les améliorations récentes apportées au système universel de services de garde devraient contribuer à réduire cet écart, même s’il faudra du temps pour en voir toutes les retombées.

D’autres populations pourraient aussi profiter d’un meilleur accès au marché du travail. C’est le cas des Autochtones, dont la population est plus jeune et croît plus rapidement que celle de beaucoup d’autres groupes. La possibilité de travailler à distance et la formation qui cible les domaines en pénurie de main-d’œuvre pourraient ouvrir de nouvelles portes aux groupes confrontés à des obstacles sur le marché du travail local. Les entreprises doivent aussi jouer leur rôle pour attirer et retenir de nouveaux segments de la main-d’œuvre.

Conclusion

La pandémie a eu des répercussions extrêmement variables sur le marché du travail et exacerbé les inégalités qui touchaient déjà les femmes, les jeunes et d’autres travailleurs marginalisés. Néanmoins, la reprise a été rapide et généralisée, ce qui a permis de réduire, sans toutefois les éliminer, les inégalités structurelles.

Rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande et ramener l’inflation à la cible ne se fera pas sans difficultés. Le ralentissement de la croissance économique touchera de façon disproportionnée les ménages les plus vulnérables. L’inflation élevée et les hausses de taux d’intérêt qui visent à la combattre ajoutent au fardeau des ménages à plus faible revenu.

J’aimerais conclure en revenant sur ce que j’ai dit au début. Notre engagement pour une économie qui favorise la prospérité collective commence par notre attachement au respect de l’équité, de la diversité et de l’inclusion dans nos organisations. La Banque du Canada a besoin d’un effectif diversifié et inclusif pour arriver à de meilleures décisions. Nous devons cultiver un milieu de travail où les gens peuvent se montrer tels qu’ils sont et donner le meilleur d’eux-mêmes. Pour conserver la confiance des Canadiens que nous servons, il faut que nous reflétions leur diversité.

Nous avons aussi un rôle à jouer pour favoriser la diversité et l’inclusion dans le milieu de l’économie et de la finance en général. Il y a des problèmes à attaquer de front dans notre propre secteur, qui n’est pas épargné par le mouvement #MoiAussi. Il n’est pas question pour moi de fermer les yeux ou de faire l’autruche, car c’est un enjeu primordial.

Je vais donc être très clair. Le harcèlement, quel qu’il soit, ne peut jamais être ignoré, excusé ou pris à la légère. Cela irait à l’encontre de tous les principes de la Banque du Canada et de tous mes principes en tant qu’économiste ayant passé ma carrière à travailler auprès de femmes qui conduisent des recherches formidables, élaborent des politiques remarquables et consacrent leur vie à notre domaine. Comme nous tous, elles s’efforcent de mener une belle carrière, mais elles doivent le faire en affrontant des formes de harcèlement que je n’ai jamais eu à subir.

Je ne peux pas parler au nom de tous les économistes ni de toutes les banques centrales, mais je peux parler au nom de la Banque du Canada. Nous avons établi des liens de confiance avec les Canadiens et entre nous, et sans un respect mutuel, cette confiance s’effondrerait brutalement. Nous encourageons le personnel et les leaders à signaler toute situation de harcèlement dont ils sont témoins ou qui leur a été rapportée. Ce serait une erreur de penser que nous sommes à l’abri du harcèlement, mais je suis convaincu que si une telle situation devait se produire, elle ne sera pas ignorée. Rien n’est plus important pour moi en tant que gouverneur que d’assurer à notre personnel hors du commun un milieu de travail exceptionnel où l’on peut tous donner le meilleur de soi.

C’est aussi ce que je souhaite pour l’ensemble des banques centrales et des métiers de l’économie et de la finance. C’est là une raison importante de nous rassembler ici pour ces deux journées, qui seront l’occasion pour nous tous d’échanger, d’apprendre les uns des autres, de réfléchir et de porter plus loin les mesures que nous avons prises pour favoriser l’équité, la diversité et l’inclusion.

Je suis impatient de travailler avec vous aujourd’hui, et durant l’année à venir, pour trouver de meilleures façons de faire en cette période difficile. Place maintenant à la discussion.

Merci.