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Soixante-dix ans de banque centrale au Canada

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C'est pour moi un grand plaisir d'être ici avec vous aujourd'hui et de présider cette séance spéciale qui souligne le 70e anniversaire de la Banque du Canada.

La Banque a ouvert ses portes le 11 mars 1935, au plus fort de la Grande Crise. Dès le début, elle s'est donc trouvée confrontée à d'énormes défis. Afin de les relever, la nouvelle Banque du Canada a tiré parti de l'expérience d'autres banques centrales, établies de longue date. Celles-ci lui ont fourni de précieux conseils concernant diverses fonctions comme l'émission de billets de banque, la gestion des réserves de change et la promotion de la stabilité financière.

Toutefois, les indications reçues n'ont été guère utiles quant à ce qui allait devenir la principale fonction de l'institution, soit la conduite de la politique monétaire. Jusqu'à ce que la Banque soit fondée, la politique monétaire avait été assujettie à la discipline stricte du régime de l'étalon-or, un sujet dont Angela Redish a traité dans ses travaux. Cette discipline limitait grandement la marge de manoeuvre des autorités.

L'idée selon laquelle les pays, agissant par l'intermédiaire de leurs banques centrales, pourraient tenter de stabiliser l'activité macroéconomique à l'intérieur de leurs frontières est relativement nouvelle. C'est pourquoi, au cours des 70 dernières années, la Banque du Canada et d'autres banques centrales ont dû apprendre sur le tas, en expérimentant et en perfectionnant graduellement l'art et la science de la mise en oeuvre de la politique monétaire. Nous avons été aidés largement en cela par le milieu universitaire, y compris par un grand nombre d'entre vous. Mais cette démarche n'a pas été facile et elle n'est pas terminée non plus. La conduite de la politique monétaire est un domaine où il y a encore beaucoup à apprendre.

L'évolution de la politique monétaire

Permettez-moi de passer brièvement en revue quelques changements importants relatifs à la politique monétaire qui se sont produits ces 70 dernières années. Dans son préambule, la Loi sur la Banque du Canada précise que la Banque devrait :

[...] atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale [...] favoriser la prospérité économique et financière du Canada.

Soixante-dix ans plus tard, cet énoncé décrit encore avec justesse notre objectif. Toutefois, la Loi n'indique pas comment il faut s'y prendre, en pratique, pour l'atteindre.

De la fin des années 1930 au début de l'après-guerre, la banque centrale a cherché avant tout à supprimer la déflation et le chômage élevé caractéristiques de la Grande Dépression, puis à empêcher leur réapparition. Ce sujet préoccupait aussi le gouvernement fédéral, comme en témoigne le livre blanc intitulé « Travail et revenus », déposé en 1945.

Le vent s'est mis à tourner vers la fin des années 1950 et au début de la décennie suivante, lorsque les économistes ont persuadé les autorités qu'un arbitrage permanent existait entre une légère montée de l'inflation et un faible recul du chômage. Les décideurs publics n'avaient, pensait-on, qu'à choisir le point voulu sur une courbe de Phillips à pente négative. Mais la difficile conjoncture inflationniste des années 1970 et la reconnaissance tardive du fait que la courbe de Phillips pouvait être verticale — sinon légèrement ascendante — à long terme ont fini par imprimer une nouvelle orientation à la politique monétaire et l'axer davantage sur la stabilité des prix. C'est là que nous avons commencé à comprendre que l'équilibre entre la demande et l'offre globales ainsi que la stabilité des prix sont des objectifs complémentaires, ce qu'Olivier Blanchard appelle la « divine coïncidence ». Nous réalisons maintenant qu'un taux d'inflation bas, stable et prévisible est probablement la meilleure contribution qu'une banque centrale peut apporter au bien-être économique d'une nation.

Puisque que l'on considérait que l'inflation était « toujours et partout un phénomène monétaire », on se servait des agrégats monétaires comme cibles intermédiaires. Mais finalement, ceux-ci se sont avérés des points d'ancrage inefficaces. Comme Gerald Bouey l'a si bien dit, nous n'avons pas abandonné les agrégats monétaires, ce sont eux qui nous ont abandonnés. Dans leur recherche d'un nouveau point d'ancrage pour leur politique monétaire, les banques centrales ont commencé, au début des années 1990, à se centrer directement sur l'inflation en visant des cibles d'inflation implicites ou explicites.

La transmission et l'efficacité de la politique monétaire

Les instruments de transmission de la politique monétaire ont aussi changé au fil des ans. Durant ses 35 premières années d'existence, la Banque a mené la politique monétaire avec énormément de prudence, car elle croyait que le crédit était fongible et que toutes les possibilités de transactions financières liées au crédit devaient être prises en compte.

Résultat, nous avons concocté un mélange complexe d'exigences en matière de réserves primaires et secondaires, de plafonds de taux d'intérêt, de limites quantitatives, de restrictions et d'interdits sévères, et d'interventions sur les marchés des changes, le tout accompagné — en dernier ressort — d'une bonne dose de persuasion morale. Toute tentative visant à décrire la conduite de la politique monétaire se transformait en un flux ahurissant de détails obscurs qui laissait l'auditoire perplexe ou — espérions-nous parfois — rempli d'admiration devant les alchimistes de l'économie qui pratiquaient cet art mystérieux.

Cette vision des choses a commencé à changer dans les années 1960, tout particulièrement après la tenue, en 1964, de la Commission royale d'enquête sur le système bancaire et financier, présidée par Dana Porter, juge en chef de l'Ontario. Les travaux de cette commission ont eu des répercussions sans précédent et ont déclenché une transformation radicale du courant de pensée officiel.

L'analyse révolutionnaire de la Commission rejetait le recours au contrôle serré exercé sur le système financier. Les autorités canadiennes furent donc parmi les premières à comprendre que les réserves obligatoires et autres moyens de contrôle vont en fait à l'encontre du fonctionnement efficient du système financier. Par conséquent, l'État a retiré progressivement ces contrôles de ses lois et règlements régissant les institutions financières, et la Banque en a fait tout autant dans la mise en oeuvre de la politique monétaire. Maintenant, la Banque annonce simplement son taux cible du financement à un jour, et le marché fait le reste. C'est une forme de contrôle virtuel, mais efficace, qui s'appuie sur la capacité de la banque centrale d'emprunter et de prêter des liquidités en quantités quasi infinies. Après des décennies de recherche et de tâtonnements, nous avons réduit la conduite de la politique monétaire à ses éléments essentiels. C'est peut-être là une sorte d'alchimie, après tout!

En toute logique, l'étape suivante consistait à rendre la conduite de la politique monétaire plus transparente et à amener la Banque à mieux rendre compte de ses actes à cet égard. Dans le passé, les activités de banque centrale étaient souvent entourées de mystère, à dessein, car on croyait que leur efficacité reposait sur l'effet de surprise. La gouvernance et l'obligation de rendre compte n'étaient pas considérées comme importantes. Les rapports et les communications se limitaient à la présentation d'un rapport annuel et de quelques allocutions publiques. Désormais, dans la foulée des travaux de John Chant — bien qu'avec un retard considérable —, la Banque a établi un paradigme clair et très transparent quant à la conduite de la politique monétaire et peut être tenue responsable des résultats qu'elle obtient. Des communications efficaces sont un élément primordial de cette transparence.

La politique monétaire et le taux de change flottant

Enfin, permettez-moi de dire quelques mots sur le rôle du taux de change dans la politique monétaire. Le Canada a adopté un taux de change flexible bien avant la plupart des autres pays, soit en 1950, puis en 1970. Même s'il permet au Canada de conserver une politique monétaire indépendante, un taux de change flottant ne peut à lui seul produire un « régime monétaire cohérent », ainsi que l'a fait remarquer David Laidler. Le cadre de conduite de la politique monétaire a toujours besoin d'un point d'ancrage nominal qui sert à orienter les décisions et les attentes.

Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, la Banque a cherché ce point d'ancrage tout au long des années 1970 et 1980. Cette recherche nous a menés à adopter un régime de cibles d'inflation en 1991, un choix qui a dépassé nos attentes les plus optimistes.

Regard sur l'avenir

Il ne faudrait pas croire pour autant que la politique monétaire n'a plus besoin d'être affinée. La Banque du Canada et d'autres banques centrales sont toujours à la recherche d'améliorations. Le cadre de poursuite de cibles d'inflation que la Banque et l'État ont mis en place il y a quatorze ans fonctionne bien. Étant donné qu'il faudra le renouveler en 2006, nous sommes en train d'évaluer les résultats obtenus et de voir comment on pourrait le perfectionner.

Comme dans le passé, nous mettons à profit les études réalisées par des chercheurs tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de la Banque. Nos travaux reposent sur une longue et fructueuse tradition de modélisation et d'analyse. Je pense par exemple à des personnes telles que John Helliwell, qui a amené la Banque à explorer le nouveau domaine de la macromodélisation à la fin des années 1960 grâce à des projets comme RDX. Cette recherche et ce réseautage externe se poursuivent, ce qui était manifeste lors du colloque « La poursuite de cibles d'inflation » que la Banque a tenu le mois dernier.

À mesure que nous avançons et que nous enrichissons la prestigieuse histoire de la Banque, il est toujours instructif de jeter un regard sur le passé. Des occasions exceptionnelles, comme ce 70e anniversaire, nous donnent la chance de réfléchir à l'oeuvre de nos prédécesseurs.

Je me réjouis à la perspective d'entendre les exposés de nos quatre distingués conférenciers — John Chant, John Helliwell, David Laidler et Angela Redish —, qui ont tous été conseillers spéciaux à la Banque. Je les remercie de la contribution qu'ils ont apportée lorsqu'ils étaient à la Banque et des efforts constants qu'ils déploient pour faire progresser les connaissances sur la politique monétaire au Canada. Chacun prendra la parole pendant une quinzaine de minutes, après quoi je vous inviterai à poser vos questions ou à nous faire part de vos observations.