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Liquidité, liquidité, liquidité

Bonsoir. Je suis heureux de vous rencontrer aujourd'hui.

Des placements financiers sûrs sont importants pour les particuliers, les entreprises et la société dans son ensemble. Par définition, l'investissement est de nature prospective, c'est pourquoi notre prospérité financière future est façonnée par la justesse des décisions que nous prenons aujourd'hui en la matière.

L'histoire montre que, pour faire des placements sûrs, il faut avoir confiance, et l'un des fondements de la confiance est la liquidité. De fait, selon le gouverneur Kevin Warsh du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, la liquidité est, en réalité, une forme de confiance 1. Les événements provoqués par la crise du marché des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis ont ébranlé la confiance de bon nombre d'investisseurs et soulevé des interrogations sur ce qui était advenu de toute la liquidité, qui semblait si abondante il y a seulement quelques mois.

Ce qui est formidable à propos de nos deux langues officielles, c'est que nous disposons souvent de plusieurs mots pour exprimer ou, plus précisément, pour nuancer une chose. Par exemple, en anglais, les termes snow, sleet et slush décrivent diverses formes de neige, laquelle, je l'espère bien, ne tombera pas avant décembre, sous quelque forme que ce soit! Et en français, nous avons des amis, des copains et des camarades. Mais parfois, alors qu'il pourrait être utile d'avoir plusieurs mots pour faire la distinction entre des concepts similaires, nous n'en avons qu'un seul à notre disposition, et ce mot doit prendre plusieurs sens. C'est le cas de « liquidité », qui a un sens légèrement différent selon le contexte.

Ce soir, j'ai l'intention d'examiner trois concepts de liquidité importants dans les domaines de l'économie et de la finance. J'appellerai le premier liquidité macroéconomique. Il englobe l'ensemble des conditions monétaires, à savoir les taux d'intérêt, les conditions du crédit et la croissance des agrégats de la monnaie et du crédit. Le deuxième concept est la liquidité du marché, qui exprime la facilité avec laquelle un agent peut acheter ou vendre un actif financier sans faire varier son prix de façon marquée. La troisième forme de liquidité dont je traiterai très brièvement est la liquidité du bilan, qui fait référence essentiellement aux actifs facilement convertibles en espèces figurant au bilan des entreprises (ou appartenant aux ménages). Dans le cas des entreprises non financières, la liquidité du bilan est souvent mesurée en fonction de leurs avoirs liquides à court terme. Pour les banques, qui doivent gérer très étroitement leurs liquidités, elle se reflète dans la ventilation détaillée, par échéances, de leurs avoirs et engagements, surtout ceux dont l'échéance est rapprochée. La faculté des banques de se financer elles-mêmes est souvent désignée par le terme liquidité de financement. Pour tous ces concepts, la liquidité représente la capacité d'obtenir des fonds, soit en transformant au pied levé des actifs en espèces, soit en ayant accès à du crédit.

Je concentrerai mes remarques dans une large mesure sur les deux premiers concepts, à savoir la liquidité macroéconomique et la liquidité du marché. Dans chaque cas, j'expliquerai pourquoi elle est importante, tant de manière générale que pour les décideurs, et je décrirai la façon dont elle est mesurée. Puis, j'aborderai l'état de la liquidité, sous ses diverses formes, avant et après la période de turbulence de l'été. Je conclurai en brossant un tableau de la situation actuelle et en disant quelques mots sur le rôle de la Banque du Canada en ce qui a trait à chaque type de liquidité.

La liquidité macroéconomique

Comme je l'ai mentionné précédemment, j'entends par « liquidité macroéconomique » l'ensemble des conditions monétaires.

Toute économie, qu'elle soit nationale ou mondiale, fonctionne de façon optimale quand il y a suffisamment – mais pas trop – de liquidité.

Alors, quel est le niveau de liquidité approprié dans une économie nationale? La réponse dépend des objectifs de la banque centrale. Au Canada, notre objectif en matière de politique monétaire est d'atteindre la cible établie sur le front de l'inflation. Nous avons obtenu un succès considérable à ce chapitre depuis l'adoption de cette cible en 1991. En général, lorsque l'inflation a tendance à rester au taux cible, le niveau de liquidité est adéquat. S'il y a trop de liquidité dans l'économie, l'inflation risque de dépasser la cible. S'il n'y en a pas suffisamment, elle a tendance à glisser sous cette dernière. Autrement dit, le risque d'avoir trop, ou pas assez, de liquidité dans l'économie est essentiellement le même que celui posé par un niveau plus élevé ou moins élevé de l'inflation future par rapport à la cible.

Les indicateurs clés de la liquidité macroéconomique, exprimée en termes de prix, sont les taux directeurs et la structure des taux d'intérêt applicable aux emprunteurs et, exprimée en termes de quantité, la croissance des agrégats de la monnaie et du crédit, ainsi que les conditions du crédit de façon plus générale. En temps normal, les banquiers centraux ont tendance à mettre davantage l'accent sur les taux d'intérêt que sur les mesures de la monnaie et du crédit. Toutefois, les taux de croissance des agrégats de la monnaie et du crédit semblent bel et bien posséder un pouvoir explicatif par rapport à l'évolution future de la dépense et de l'inflation et, par conséquent, constituent un autre indicateur de liquidité utile. Par exemple, au Canada, les mesures de M1 en termes réels aident à prévoir la progression à court terme du PIB réel. Et les agrégats de la famille M2 contribuent à prévoir la croissance de l'inflation mesurée par l'indice de référence sur un horizon de un à deux ans 2.

Un aspect particulièrement important de la liquidité macroéconomique est l'apport en liquidités que les banques centrales assurent chaque jour au système financier et que l'on appelle souvent « monnaie centrale ». Au Canada, cet apport se fait généralement par l'offre d'encaisses de règlement dans le système de paiements de gros – le Système de transfert de paiements de grande valeur (STPGV) –, auxquelles viennent s'ajouter, le cas échéant, des prises en pension sur le marché. Ces interventions visent à garder notre taux directeur, soit le taux du financement à un jour, près de la cible établie. En outre, la Banque du Canada met un mécanisme permanent d'octroi de liquidités à la disposition des participants au STPGV à la fin de la journée. Les institutions financières peuvent s'en prévaloir au besoin au taux cible du financement à un jour majoré de 25 points de base 3, 4.

Enfin, si on veut se faire une idée de la liquidité macroéconomique mondiale, on peut additionner les mesures de liquidité macroéconomique de l'ensemble des pays afin d'obtenir une moyenne des taux d'intérêt réels et de la croissance des agrégats de la monnaie et du crédit à l'échelle du globe. Ces mesures auront tendance à se refléter au fil du temps dans le comportement de la dépense et des taux d'inflation moyens dans le monde.

La liquidité macroéconomique mondiale sert de fondement à la formulation de la politique monétaire au Canada. Elle peut influer sur la demande étrangère de produits canadiens et, à l'occasion, sur les prix des importations au pays.

Un point essentiel à souligner à cet égard est le fait que, le Canada étant doté d'un régime de changes flexibles, nous pouvons atteindre notre cible d'inflation avec le temps, quel que soit le niveau de liquidité dans l'économie mondiale. En effet, ce régime nous permet d'avoir une politique monétaire indépendante de celle des autres pays.

Permettez-moi maintenant d'aborder la question de la liquidité des marchés financiers.

La liquidité des marchés financiers

La liquidité du marché désigne la mesure dans laquelle un agent peut acheter ou vendre rapidement et facilement des actifs financiers sur le marché sans en faire varier le prix. Elle rend compte de l'immédiateté, de l'ampleur, de la profondeur et de la résilience au sein des marchés. L'immédiateté renvoie à la rapidité avec laquelle une opération d'un montant déterminé, pour une ampleur donnée, peut être menée à bien. L'ampleur, qui est souvent mesurée en fonction de l'écart entre le cours acheteur et le cours vendeur, fait référence au coût d'obtention de la liquidité. Par profondeur, on entend le montant maximal d'une opération pour un écart acheteur-vendeur déterminé. La résilience, enfin, désigne la capacité des prix de revenir rapidement à leurs valeurs fondamentales après une opération de montant élevé.

En règle générale, plus le marché est liquide, mieux ça vaut. Une mise en garde importante s'impose toutefois : si les participants au marché en viennent à s'attendre à ce que la liquidité soit toujours abondante et qu'ils achètent des actifs en faisant l'hypothèse qu'ils ont toujours le loisir de liquider leur position rapidement et à des prix assez prévisibles, ils peuvent finir par prendre plus de risque que ne le justifierait le prix d'achat. Cela pourrait donner lieu à une pénible correction en cas de choc et à une chute rapide de la liquidité du marché. Cela dit, la liquidité est un élément vital des marchés.

Depuis un demi-siècle, et surtout ces dix à quinze dernières années, on a assisté à une hausse tendancielle notable de la liquidité des marchés financiers mondiaux (marchés d'obligations et autres produits à revenu fixe, d'actions, de produits dérivés, des changes et de produits de base).

Qu'est-ce qui est à l'origine de cette hausse?

Premièrement, des facteurs structurels au sein des marchés eux-mêmes, dont l'arrivée de nouveaux acteurs, l'introduction de nouveaux instruments financiers et les progrès technologiques. Les nouveaux participants, comme les fonds de couverture, sont devenus actifs sur bien des marchés financiers et ont ainsi apporté de l'argent frais et contribué à la liquidité de ces derniers. L'innovation financière, facilitée généralement par la technologie, a souvent favorisé la liquidité des marchés financiers. Le développement des systèmes de négociation électroniques et l'automatisation des services administratifs connexes ont abaissé les coûts de transaction et accru la transparence des cours ainsi que la concurrence, ce qui, au bout du compte, a renforcé la liquidité.

Outre ces facteurs structurels, deux autres facteurs importants à long terme ont soutenu la croissance de la liquidité des marchés financiers. Premièrement, des gains d'efficience dans le secteur financier, une meilleure gestion des stocks et une meilleure politique macroéconomique, monétaire notamment, ont donné lieu à ce que l'on a appelé « la grande modération », c'est-à-dire une réduction considérable de la variabilité de la production, de l'inflation et des taux d'intérêt à long terme dans la plupart des pays du G7, qui s'est amorcée au milieu des années 1980 5. Et cette modération a contribué à son tour à la liquidité des marchés financiers en supprimant une partie des sources fondamentales de volatilité financière et de risque. Deuxièmement, la mondialisation a rendu les marchés financiers plus liquides. Elle a entraîné une hausse considérable des flux de capitaux internationaux, bon nombre de pays à marché émergent ayant réduit leurs restrictions aux mouvements de capitaux. La mondialisation a aussi permis la diffusion des innovations financières, en partie grâce aux opérations menées par les grandes banques internationales.

Cet accroissement de la liquidité des marchés a en gros été bénéfique. Il a eu tendance à exercer une pression à la baisse sur la volatilité : en règle générale, les prix sont devenus moins sensibles aux grosses opérations et les effets des nouvelles ont été plus facilement absorbés.

Voici donc la situation concernant la liquidité macroéconomique et la liquidité du marché. J'aimerais maintenant donner un aperçu de l'état de la liquidité avant la période de turbulence de l'été.

L'état de la liquidité avant la période de turbulence de l'été

Commençons par la liquidité macroéconomique.

Depuis plusieurs années, l'économie mondiale se caractérise par une liquidité abondante. Par rapport aux normes historiques, les taux d'intérêt à long terme sont bas, et les agrégats de la monnaie et du crédit ont progressé assez rapidement dans la plupart des pays du G7 et certains pays à marché émergent, comme la Chine et l'Inde. Le niveau anormalement bas des taux d'intérêt à long terme semble s'expliquer principalement par un excédent à l'échelle internationale du niveau désiré de l'épargne sur celui de l'investissement.

Fait intéressant à noter, malgré une abondance (ou peut-être une surabondance) de liquidité à l'échelle du globe, laquelle a eu pour effet par le passé de pousser l'inflation à la hausse, cette dernière a été assez bien maîtrisée dans le monde. Les banques centrales ont suivi de près son évolution et n'ont pas hésité à relever leurs taux directeurs au besoin.

Je pourrais mentionner aussi, en passant, qu'un certain nombre d'autres événements, qui n'ont pas vraiment contribué à la liquidité macroéconomique mondiale, peuvent avoir donné l'impression qu'un « mur de liquidité » s'était formé. Je pense ici à l'expansion rapide, en termes réels, de l'économie mondiale; à l'accroissement du ratio des actifs financiers au PIB; à la hausse des réserves d'argent liquide des sociétés; à l'augmentation des ressources de nombreux investisseurs institutionnels, comme les fonds de pension, les réserves des banques centrales et les fonds de richesse nationale; le réinvestissement continu des actifs à revenu fixe qui arrivent à échéance et les décaissements qui surviennent au moment de l'acquisition de sociétés. Dans un contexte de bas taux d'intérêt réels, une grande partie de ces fonds a été consacrée à la quête de rendement, ce qui a fait croître les prix des actifs risqués.

La situation qui prévalait au Canada avant le mois d'août était comparable à celle qui était observée dans le monde : elle était marquée par une liquidité macroéconomique abondante. Dans sa Mise à jour de juillet du Rapport sur la politique monétaire, la Banque du Canada faisait d'ailleurs remarquer que des pressions à la hausse s'exerçaient sur l'inflation, et que la croissance du crédit aux ménages et aux entreprises demeurait robuste, tout comme l'expansion des agrégats monétaires. Par conséquent, notre institution avait alors porté son taux directeur à 4,5 % et indiqué qu'elle « pourrait devoir le relever encore quelque peu afin de ramener l'inflation à la cible à moyen terme ».

La liquidité du marché avait, quant à elle, généralement augmenté ces dernières années. Les écarts entre les cours acheteur et vendeur des titres étaient étroits, et la volatilité, faible sur les marchés des changes, des actions et des titres à revenu fixe. Les chocs, quand ils survenaient, étaient contenus, c'est-à-dire qu'ils ne s'étendaient pas largement à d'autres marchés, et les épisodes de volatilité se résorbaient assez rapidement.

Et des chocs, il y en a eu. Quatre me viennent particulièrement à l'esprit. Le déclassement des titres de Ford et General Motors en mai 2005; la liquidation d'actifs risqués en mai et juin 2006; la faillite du fonds de couverture américain Amaranth Advisors en septembre 2006; et, finalement, la ruée vers les titres de qualité qui s'est opérée en février dernier.

Ces chocs promettaient de coûter cher aux principaux intéressés et ont rappelé à tous qu'un investissement s'accompagne toujours de risques, et que la prudence impose de comprendre et de gérer ceux-ci. Globalement, toutefois, comme ces épisodes ont été bien contenus et de courte durée, ils ont pu laisser les investisseurs trop sûrs d'eux et ont donc contribué à retarder une réévaluation des risques nécessaire depuis longtemps. En réalité, plusieurs banques centrales, dont la Banque du Canada, avaient déjà souligné depuis quelque temps la possibilité d'« un retournement de grande ampleur des prix des actifs risqués » 6.

Permettez-moi à présent de décrire comment la période de turbulence qu'ont traversée les marchés financiers à la fin de l'été a eu une incidence sur les diverses formes de liquidité.

L'incidence sur la liquidité des récents événements survenus dans les marchés financiers

Depuis le début de 2007, on observe une hausse des taux de défaillance et du nombre de saisies immobilières associés aux prêts hypothécaires à risque accordés aux États-Unis. D'année en année, ces prêts avaient été chaque fois plus « reconditionnés » ou « titrisés » sous la forme de titres adossés à des actifs, tels que les titres adossés à des créances hypothécaires résidentielles. Il y a quelque temps, ces derniers ont encore été reconditionnés – à l'instar d'autres actifs et titres adossés à des actifs – en de nouveaux produits structurés, comme les titres garantis par des créances (TGC) et le papier commercial adossé à des actifs (PCAA). Comme l'ampleur des défaillances et des saisies immobilières a été inattendue, la réévaluation de bon nombre d'actifs exposés au marché américain des prêts hypothécaires à risque n'est nullement surprenante.

L'abaissement des cotes de crédit de nombreuses tranches de TGC qui s'est ensuivi – à commencer par celles qui incorporaient les prêts hypothécaires américains à risque – a ouvert les yeux des participants aux marchés non seulement sur le risque inhérent à ces produits, mais également sur le fait que, plus généralement, le risque de crédit n'avait pas été évalué correctement. Par conséquent, si la hausse des primes de risque que nous observons depuis quelques mois traduit bien une renormalisation de la valeur du risque, il y aura lieu de se réjouir de la tournure des événements.

Il faut bien convenir que beaucoup de ces produits structurés manquent de transparence, en particulier ceux qui sont eux-mêmes adossés à d'autres produits structurés ou titrisés, comme le PCAA adossé à des titres garantis par des créances. Pour l'investisseur, il s'avère souvent difficile de déterminer la valeur des actifs sous-jacents, qui, en définitive, génèrent les rentrées d'argent de ce type de produits, et donc de déterminer leur exposition directe au risque. De fait, bien que la titrisation contribue à répartir les risques parmi les investisseurs qui sont les plus disposés à les assumer, elle peut aussi masquer, aux yeux des créanciers, les instruments et les contreparties réelles et potentielles auxquels sont associés le risque ultime. En raison de cette opacité, les participants aux marchés ont commencé à s'inquiéter, au début d'août, et à percevoir le risque de contrepartie comme accru. Les écarts entre les cours acheteur et vendeur des titres se sont alors creusés, la profondeur des marchés a diminué et leur liquidité s'est évanouie.

Pendant que ces événements se produisaient à l'échelle du globe, au Canada, le taux des prêts garantis à un jour est passé, la deuxième semaine d'août, au-dessus du taux cible du financement à un jour. Cette réaction du marché n'a pas été l'apanage de notre pays. Les taux à un jour sur les marchés interbancaires américains et européens ont aussi dépassé les taux directeurs visés dans les zones en question, et sont devenus très volatils.

En conséquence, de nombreuses banques centrales, dont la Banque du Canada, ont réagi rapidement en injectant une quantité appréciable de liquidités dans leur système financier respectif, sous la forme d'encaisses de règlement, qui, je le rappelle, sont un aspect essentiel de la liquidité macroéconomique. Peu après la mi-août, la situation du marché canadien du financement à un jour a commencé à se redresser. Jusqu'à ce que se fassent récemment ressentir des pressions techniques liées en partie aux flux de paiement de fin de mois, la Banque du Canada n'avait pas eu à intervenir en cours de journée sur ce marché : le niveau des encaisses de règlement avait diminué de façon constante et le taux du financement à un jour était demeuré légèrement en deçà de la cible.

Hormis les graves préoccupations persistantes relatives au marché des produits structurés, l'incidence la plus marquée de tout ce qui s'est produit ces deux derniers mois semble avoir été la hausse des écarts de taux relatifs aux titres du marché monétaire – qu'il s'agisse du papier commercial traditionnel ou adossé à des actifs, ou encore des acceptations bancaires – dans la plupart des pays industrialisés. La liquidité de ces marchés n'a pas encore retrouvé son niveau antérieur. Même si les banques ont toujours pu obtenir un financement à court terme sur le marché monétaire, il y a eu une période où il était très difficile de se procurer des fonds au-delà d'une semaine ou deux. Cette situation a été alimentée par le sentiment d'un risque de contrepartie plus élevé qu'auparavant, combiné à l'accumulation préventive de fonds par les institutions financières. Celles-ci ont dû prendre cette précaution parce qu'elles ne savent pas exactement dans quelle mesure elles seront bien prémunies contre d'éventuelles pertes liées au PCAA (qu'elles devront réincorporer à leur bilan, puisqu'elles en sont les promoteurs), ni à quel point elles devront financer les opérations d'achat par endettement passées.

Ces dernières semaines, toutefois, les opérations de long terme se sont multipliées sur les marchés monétaires mondiaux, y compris le marché canadien des acceptations bancaires, et les écarts de taux se sont quelque peu resserrés. Il reste que la liquidité des marchés monétaires est encore plutôt limitée, au Canada comme à l'étranger.

La situation des marchés monétaires tranche, par ailleurs, avec celle qui prévaut dans d'autres secteurs, comme sur les marchés des changes au comptant et les marchés des actions, où les risques ont été réévalués, et la liquidité, restaurée : ces marchés fonctionnent plutôt bien. La liquidité du marché des obligations de sociétés se situe entre les deux, dans le sens où les firmes dotées d'une excellente cote de crédit ont peu de mal à y obtenir des fonds (même si les écarts de taux sont plus larges qu'avant le mois d'août), alors que les entreprises faiblement cotées ont un accès très restreint au financement.

J'aimerais à présent aborder la situation actuelle, en insistant notamment sur le rôle que joue la Banque du Canada pour chaque forme de liquidité.

La situation actuelle et le rôle de la Banque du Canada

S'agissant de l'octroi d'encaisses de règlement au système financier, permettez-moi d'insister sur le fait que la Banque conserve toujours l'objectif de maintenir le taux du financement à un jour près de sa cible. Nous continuerons de suivre l'évolution de la situation sur le marché du financement à un jour, d'ajuster le niveau des encaisses de règlement et de procéder, au besoin, à des prises en pension sur le marché, comme nous l'avons fait ces derniers jours en réponse à des pressions techniques à la hausse, lesquelles ne semblent pas liées à des changements touchant le reste du marché monétaire.

En ce qui concerne la liquidité macroéconomique globale au pays, le taux du financement à un jour a été fixé de sorte que l'inflation demeure près de la cible de 2 % à moyen terme. La prochaine date d'annonce préétablie pour le taux directeur est le 16 octobre. D'ici là, nous aurons examiné tous les facteurs pertinents qui ont une incidence sur notre projection relative à l'inflation. Au moment de la dernière annonce, nous avons souligné que des risques importants, tant à la hausse qu'à la baisse, pèsent sur les perspectives en matière d'inflation. Du côté des risques à la hausse, il y a la possibilité que la demande des ménages au Canada se révèle plus forte que prévu, alors que du côté des risques à la baisse, l'ajustement en cours dans le secteur du logement aux États-Unis pourrait être plus marqué encore et se répercuter de façon plus généralisée sur l'économie américaine. Dernièrement, le dollar canadien a dépassé de beaucoup la fourchette avancée dans la Mise à jour de juillet, et nous devons examiner les causes de cette appréciation, si elle devait persister. Et, comme toujours, nous devons évaluer l'effet des mouvements du taux de change sur l'équilibre entre la demande et l'offre globales au sein de notre économie. En outre, il existe une incertitude en ce qui concerne l'ampleur et la durée du resserrement des conditions du crédit au Canada et, par conséquent, l'effet modérateur que ce resserrement aura sur la croissance de la demande intérieure. Comme je l'ai déjà indiqué, la Banque surveille de près ces conditions du crédit, et nous tiendrons compte du niveau des taux d'intérêt offerts aux ménages et aux entreprises, et de toute modification de l'accessibilité du crédit qui leur est accordé en vue d'acheter des biens et des services. Au cours de l'été, les écarts se sont creusés sur l'ensemble de la structure des taux d'intérêt, mais, en raison du repli marqué des taux sans risque, les hausses observables des taux d'intérêt consentis aux entreprises se confinent largement aux échéances rapprochées, soit celles pour lesquelles les écarts ont le plus augmenté.

Pour ce qui est des participants directs au STPGV, la Banque du Canada met, à la fin de chaque jour (et sous réserve d'un dénouement des opérations le lendemain), son mécanisme permanent d'octroi de liquidités à la disposition des institutions dont le solde de règlement est déficitaire à cause d'un manque temporaire de liquidités.

De nombreux observateurs se demandent si la Banque du Canada ne pourrait pas contribuer davantage, en ce moment, à la liquidité des marchés monétaires, de même qu'à la liquidité de financement des banques. Eh bien, c'est une question que nous nous posons également. S'il est vrai que bien des écarts de taux sur le marché monétaire demeurent anormalement larges, le marché fonctionne. Le nombre de transactions hors très court terme y a augmenté et les écarts commencent à se resserrer. Dans ces circonstances, il ne semble pas que la Banque du Canada puisse faire quoi que ce soit de vraiment utile pour en améliorer le fonctionnement.

En fait, la meilleure contribution que la Banque du Canada puisse apporter dans cette situation, c'est, d'une part, de garder l'inflation à un niveau bas et stable, en conservant un degré de liquidité macroéconomique approprié, et, d'autre part, de maintenir le taux du financement à un jour près de sa cible. Ces conditions étant réunies, la liquidité du marché devrait se rétablir au fil du temps par le jeu normal des forces du marché. J'ajouterais que cette possibilité est d'autant plus forte que l'économie canadienne est particulièrement dynamique et soutenue par la grande liquidité du bilan des sociétés non financières.

Conclusion

La liquidité est essentielle au bon fonctionnement de l'économie réelle comme des marchés financiers.

Dans le cadre de son évaluation continue de l'économie et du système financier, la Banque du Canada surveille de près la liquidité et l'analyse sous toutes ses formes. Tout au long de cette récente période de tension sur les marchés financiers, notre institution a été particulièrement attentive à la fois à la nature et à la suffisance des liquidités, qu'il s'agisse de la liquidité macroéconomique, de la liquidité du marché ou de la liquidité du bilan.

La Banque du Canada continuera de suivre l'évolution de la situation et de prendre au besoin les mesures de politique appropriées.

  1. 1. K. Warsh. « Market Liquidity: Definitions and Implications », discours prononcé à la conférence annuelle de l'Institute of International Bankers, à Washington, en mars 2007.[]
  2. 2. D. Longworth (2003). « Money in the Bank (of Canada) », rapport technique de la Banque du Canada no 93, février.[]
  3. 3. Lorsque les participants au STPGV affichent un solde de règlement débiteur à la fin de la journée et qu'ils doivent recourir au mécanisme permanent d'octroi de liquidités, le montant total des dépôts des participants à la Banque du Canada excède la cible visée pour les encaisses de règlement nettes.[]
  4. 4. Comme il est fait mention à la fin du discours, ce mécanisme permet aussi de venir en aide aux participants au STPGV qui sont aux prises avec des problèmes temporaires de liquidité.[]
  5. 5. D. Longworth (2002). « Inflation et macroéconomie : changements survenus entre les années 1980 et 1990 », Revue de la Banque du Canada (printemps).[]
  6. 6. Extrait (page 4) de la livraison de la Revue du système financier publiée par la Banque du Canada en décembre 2005.[]