Les implications pour la politique monétaire et la stabilité financière

Introduction

La Banque du Canada a pour mandat de « favoriser la prospérité économique et financière » du pays, mandat qu’elle exerce essentiellement par la conduite de la politique monétaire et la promotion d’un système financier solide, fiable et efficace. Elle travaille donc activement à comprendre l’incidence des changements climatiques et de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone sur la macroéconomie et le système financier. Les principales questions économiques que soulève cette priorité sont abordées plus loin. Par ailleurs, certaines serviront d’assise au programme de recherche à moyen terme de la Banque sur les changements climatiques.

Les changements climatiques laissent présager des changements structurels possiblement vastes dans l’économie et le système financier. Selon des estimations scientifiques, les gaz à effet de serre produits par l’activité humaine ont entraîné une hausse de la température mondiale d’environ 1,0 °C par rapport aux niveaux préindustriels et, si l’augmentation devait se poursuivre au même rythme, le réchauffement planétaire serait appelé à atteindre 1,5 °C entre 2030 et 2052 (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2018). En l’absence de politiques d’atténuation, et d’après les estimations quantitatives actuelles des effets physiques des phénomènes climatiques sur la macroéconomie d’ici la fin du siècle, le produit intérieur brut (PIB) annuel mondial par habitant pourrait connaître un recul potentiellement marqué, compris entre 1,5 et 23 %1. On prévoit que les effets de ce réchauffement généralisé s’intensifieront, provoquant entre autres des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus violents. Ces changements climatiques posent des risques physiques pour la population et l’économie canadiennes.

Les 195 pays signataires de l’Accord de Paris de 2015 se sont donné comme objectif de maintenir l’élévation de la température de la planète entre 1,5 et 2,0 °C par rapport aux niveaux préindustriels et ont convenu de travailler à la planification et à la mise en œuvre de mesures d’adaptation. Pour atteindre cet objectif, la transition vers une économie bas-carbone doit s’opérer sans tarder : il faut mettre en œuvre un éventail de politiques climatiques, réaliser des avancées technologiques notables, investir dans les technologies vertes et provoquer des changements socioéconomiques majeurs2. Malgré les ouvertures pour l’innovation, les investissements et, potentiellement, la croissance verte, l’économie est exposée à des risques de transition. Par exemple, l’évolution des politiques climatiques, des technologies ou de la confiance des marchés pourrait entraîner des perturbations économiques et une réévaluation de toutes sortes d’actifs financiers. Plus particulièrement, l’ajustement des revenus et des dépenses projetés nécessaire en raison des changements climatiques pourrait atténuer la capacité des emprunteurs à rembourser leurs dettes et réduire la valeur de leurs sûretés, ainsi qu’accroître le risque de crédit des banques et autres institutions financières. Bien qu’on ne sache pas exactement à quelle vitesse cette révision des prix des actifs se produirait, il est clair qu’elle pourrait avoir des répercussions importantes sur la sécurité et la solidité des institutions financières, ainsi que sur la stabilité financière.

Pour maintenir le réchauffement sous les 2,0 °C en l’absence de technologies offrant un bon rapport coût-efficacité pour le captage et stockage du carbone et son élimination, il faudrait nécessairement délaisser certaines réserves de combustibles fossiles, lesquelles deviendraient alors des actifs échoués, autrement dit inutilisables3. Ce serait aussi le cas pour des actifs en dehors du secteur pétrolier et gazier, notamment dans les secteurs à forte intensité de carbone, comme le transport (dont l’aviation et l’expédition), l’immobilier, la production d’électricité (par exemple, les centrales au charbon), l’industrie lourde et l’agriculture. Ces risques de transition sont d’une importance particulière pour le Canada, compte tenu de ses matières premières riches en carbone, de la grande place qu’occupent actuellement certains de ces secteurs dans l’économie, et des besoins énergétiques pour le refroidissement et le chauffage.

Dans les paragraphes qui suivent, les principaux enjeux, les questions encore à l’étude et quelques axes de recherche prometteurs sont abordés en deux volets :

  • les prévisions macroéconomiques et la politique monétaire;
  • l’évaluation des risques pour le système financier et la stabilité du système.

Les prévisions macroéconomiques et la politique monétaire

La politique monétaire vise à préserver la valeur de la monnaie en maintenant l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Pour assurer cette stabilité des prix à moyen terme, la conduite de la politique monétaire doit se faire en connaissance de la nature, de la persistance et de l’ampleur des chocs économiques, ainsi que des prévisions relatives à la production potentielle et, par conséquent, à l’écart de production et aux pressions inflationnistes.

Il y a de fortes chances que les risques physiques des changements climatiques mèneront à une hausse de la fréquence et de la gravité des chocs négatifs d’offre (destruction du stock de capital, perturbations de l’offre de main-d’œuvre ou des chaînes d’approvisionnement, etc.) et de demande (par exemple, une détérioration du bilan des ménages et des entreprises menant à une diminution de la consommation et des investissements). Si la politique monétaire permet habituellement de gérer les chocs de demande, ce n'est en général pas le cas en ce qui concerne les chocs d’offre, car les banques centrales peuvent difficilement stabiliser à la fois l’inflation et les fluctuations de la production. Plus les chocs d’offre négatifs se font fréquents et graves, plus il est ardu pour les banques centrales de prévoir avec exactitude les écarts de production et, de ce fait, l’inflation. En particulier, les évolutions de la situation météorologique pourraient accentuer la volatilité de l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (qui tient compte des prix des aliments, entre autres) et, dans certains cas, influer sur les attentes d’inflation4. L’augmentation corollaire de la volatilité de l’inflation et de la production pourrait également avoir d’importantes implications pour le choix d’un régime de politique monétaire (par exemple, un régime de ciblage de l’inflation, de ciblage du niveau des prix ou de ciblage du revenu nominal ou du PIB nominal), étant donné que la pondération des objectifs de production et d’inflation ainsi que la capacité à ancrer les attentes d’inflation varient d’un régime à l’autre.

À mesure que les prix relatifs s’ajusteront pendant la transition bas-carbone, l’économie traversera une période de restructuration et d’adaptation qui entraînera vraisemblablement un important bouleversement économique. L’adoption de politiques climatiques claires, actuelles et graduelles, accompagnées de politiques soutenant la restructuration de l’économie (c’est-à-dire des politiques qui renforcent la capacité d’adaptation et de réaction des marchés du travail, favorisent l’innovation et améliorent l’environnement d’affaires) pourrait atténuer les impacts négatifs de la transition. L’évolution de la demande mondiale de combustibles fossiles, de même que les politiques de tarification du carbone et l’innovation technologique, pourrait provoquer des fluctuations à long terme des prix du pétrole et du gaz naturel ainsi que du taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain et d’autres devises. Pour leur part, ces fluctuations pourraient se répercuter sur l’inflation (par la voie des prix des importations et des évolutions de la demande d’exportations) et sur les attentes d’inflation à moyen terme.

Le réchauffement graduel de la planète et la transition vers une économie bas-carbone, combinés à l’incertitude entourant leur trajectoire et leurs effets, sont autant d’obstacles aux prévisions de la production potentielle et de la croissance économique à long terme. L’élévation de la température mondiale et l’adaptation qu’elle implique pourraient avoir d’importantes incidences sur la productivité du travail et la productivité totale des facteurs (PTF). Pareillement, les migrations, les perturbations et les conflits attribuables aux changements climatiques pourraient avoir des conséquences pour le capital social, le capital organisationnel et la capacité de production de l’économie.

Une grande incertitude entoure la trajectoire future du climat, des politiques climatiques, de l’innovation technologique et des changements socioéconomiques. C’est pourquoi il faut mettre à profit les modèles climat-économie pour élaborer divers scénarios macrofinanciers plausibles permettant d’évaluer les résultats possibles. À titre de membre du Réseau pour le verdissement du système financier, la Banque du Canada collabore avec des organismes de réglementation et d’autres banques centrales sur la conception de tels scénarios, lesquels serviront de point de référence commun.

Les paragraphes qui suivent présentent les principales questions au cœur des recherches et donnent les grandes lignes de quelques approches et méthodes utiles pour les aborder, le tout en fonction de trois grands domaines d’intérêt pour la Banque :

  1. les impacts de phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus violents sur les prévisions macroéconomiques et l’inflation à court terme;
  2. les effets sectoriels, régionaux et macroéconomiques de la transition vers une économie bas-carbone;
  3. les effets structurels à long terme du réchauffement planétaire.

Les impacts de phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus violents sur les prévisions macroéconomiques et l’inflation à court terme

En 40 ans, les phénomènes météorologiques extrêmes sont devenus plus fréquents et plus violents partout dans le monde. De même, selon le Bureau d’assurance du Canada, les assureurs canadiens ont déclaré des catastrophes météo plus dévastatrices chaque année depuis 1983, ainsi qu’une hausse particulièrement prononcée du nombre de phénomènes depuis 2011. La mesure dans laquelle ces événements se répercuteront sur la dynamique des prix et l’écart de production dépendra de leur incidence sur l’équilibre entre l’offre et la demande dans l’économie et du degré de persistance de cette incidence.

L’une des priorités de recherche à court terme de la Banque consiste à mettre à profit les données météorologiques, l’analyse spatiale et la science des données pour améliorer l’exactitude des prévisions découlant des modèles appliqués à la conduite de ses politiques. À partir de données météorologiques, la Banque compte examiner les effets des phénomènes météorologiques sur des variables macroéconomiques déterminantes pour le Canada, comme la croissance et l’inflation. Elle pourra ainsi déterminer lesquels sont prévisibles et pourraient être intégrés à ses modèles de prévision, et lesquels le sont moins et pourraient donc causer des chocs économiques. Les études empiriques et études de cas consacrées à des régions et des secteurs particuliers pourraient aussi être utiles pour quantifier les effets météorologiques à court terme attribuables aux changements climatiques et orienter le choix des intrants des modèles, notamment les matrices de corrélation et de variance-covariance des chocs qui secouent l’économie.

Dans une perspective à long terme, la Banque pourrait également envisager d’intégrer explicitement les chocs et les politiques liés au climat dans ses modèles de politique monétaire : catastrophes naturelles, effets de l’offre de main-d’œuvre, perturbations des chaînes d’approvisionnement et des échanges internationaux, etc. Mis à part quelques exceptions, en temps normal, les modèles d’équilibre général dynamique et stochastique (EGDS) – souvent utilisés par les banques centrales aux fins d’analyses macroéconomiques et monétaires – font abstraction des changements climatiques et des politiques connexes. Cependant, il serait possible d’intégrer ces éléments aux modèles EGDS et, de façon similaire, de prendre en compte les catastrophes naturelles causées par les changements climatiques dans les approches semistructurelles de modélisation macroéconomique.

Enfin, la comparaison des règles de politique monétaire effectuée dans le cadre de l’examen de la cible d’inflation devrait éclairer les réflexions quant à l’efficacité de chacune dans le contexte de chocs d’offre plus fréquents et plus violents5.

Les effets sectoriels, régionaux et macroéconomiques de la transition vers une économie bas-carbone

Le secteur pétrolier et gazier ainsi que les autres secteurs à forte intensité de carbone revêtent une grande importance dans la structure actuelle de l’économie canadienne. L’évolution des préférences, des technologies et des politiques, y compris des politiques climatiques, au fil de la transition devrait faire bouger les prix relatifs de façon considérable. Ces fluctuations pourraient donner lieu à une réaffectation des ressources entre les secteurs et, à l’échelle internationale, à une modification des avantages comparatifs, du profil des échanges et de la spécialisation, de la balance des paiements et des taux de change. À l’échelle régionale, les répercussions économiques des politiques climatiques dépendront grandement des interactions avec d’autres régions du monde. Qui plus est, des changements durables dans l’offre de produits énergétiques devraient avoir un effet persistant sur les prix de l’énergie, effet qui pourrait se répercuter sur les attentes d’inflation et les salaires, créant ainsi des pressions inflationnistes6.

Pour comprendre pleinement les impacts régionaux et sectoriels de la transition bas-carbone, la Banque utilisera des modèles d’équilibre général dynamique multirégionaux et multisectoriels conjointement avec différents scénarios de transition. Les modèles d’équilibre général calculable (EGC) fondés sur les comptes nationaux et les flux commerciaux internationaux par secteur sont d’ordinaire bien adaptés à ce type d’analyse et peuvent rendre compte d’éventuels ajustements carbone aux frontières et effets de fuites de carbone7. La Banque a récemment commencé à utiliser un modèle d’équilibre général calculable de type climat-économie pour étudier les implications sectorielles et macroéconomiques de la transition bas-carbone, y compris les implications pour l’inflation et les actifs échoués. Des travaux préliminaires ont permis de cerner plusieurs voies par lesquelles les risques de transition pourraient se propager dans les économies mondiale et canadienne.

Sur le plan empirique, les données sectorielles sur les échanges commerciaux peuvent servir à analyser la réaction structurelle de l’économie aux changements des politiques climatiques. À moyen terme, la Banque pourrait s’appuyer sur des études de cas traitant de chocs pétroliers passés et de leur origine (demande contre offre) pour faire avancer l’analyse des effets macroéconomiques.

Les effets structurels à long terme du réchauffement planétaire

La modélisation de la capacité de production et de la croissance économique potentielles à long terme est essentielle à la conduite de la politique monétaire. Il est donc crucial, dans l’élaboration des modèles, de tenir compte de l’incidence du réchauffement climatique et de la transition bas-carbone sur le stock de capital matériel, naturel et humain, l’offre de main-d’œuvre et la productivité. La Banque évalue déjà les voies par lesquelles les changements climatiques pourraient nuire à la production potentielle canadienne et mondiale, ainsi qu’au taux d’intérêt neutre. À moyen terme, elle consacrera des efforts à modéliser la façon dont le réchauffement planétaire agit sur la PTF à travers le détournement des ressources, l’adaptation et la reconstitution du capital matériel ainsi que les migrations climatiques.

Jusqu’ici, l’évaluation des conséquences macroéconomiques à long terme des changements climatiques a été fondée surtout sur des modèles d’évaluation intégrée (MEI) visant à illustrer les interactions complexes entre les dimensions physique et économique des changements climatiques, notamment les effets de rétroaction endogènes entre la température et le PIB8. De nombreux MEI servent aux organisations intergouvernementales et aux administrations nationales dans l’élaboration de politiques climatiques. Toutefois, ces modèles n’ont pas fini d’évoluer et font l’objet de plusieurs critiques, notamment :

  • les MEI dépendent de fonctions de dommages pour rendre compte des effets des changements climatiques sur le niveau du PIB9;
  • ils font abstraction des effets dynamiques endogènes par lesquels les changements climatiques peuvent influer sur la croissance économique;
  • ils ne tiennent pas compte de l’incertitude entourant l’élévation de la température et des effets non linéaires des changements climatiques;
  • ils négligent les effets redistributifs des changements climatiques10.

Pour répondre à quelques-unes de ces critiques, il est possible de mettre au point des MEI qui rendent compte des effets de croissance endogène découlant des changements climatiques11. Il est possible de faire que ces modèles tiennent compte des effets de la croissance verte venant des réformes structurelles liées aux changements climatiques et intègrent directement l’incertitude (comme le font les modèles EGDS, par exemple) et les prévisions imparfaites12. Cela dit, pour des raisons de maniabilité, les MEI reposent sur l’hypothèse de l’agent représentatif, ce qui les rend peu utiles dans l’analyse des effets redistributifs des changements climatiques. Les modèles EGDS à agent hétérogène et les modèles multi-agent seraient possiblement de meilleurs choix pour une telle analyse. Par ailleurs, la Banque collaborera avec le milieu universitaire et d’autres banques centrales pour améliorer les outils de modélisation climat-économie.

Évaluer les risques climatiques qui planent sur le système financier

À supposer que les phénomènes météo extrêmes continuent de se faire plus fréquents ou plus violents ou que la transition vers une économie bas-carbone se produit de façon tardive et abrupte, les impacts sur le système financier canadien pourraient être considérables et même avoir des répercussions systémiques.

Ces phénomènes extrêmes pourraient causer des dommages matériels (immobilier, capital, infrastructures, etc.) et des pertes de vie, le tout entraînant des baisses de revenus chez les assureurs de dommages, une détérioration du bilan des ménages et des entreprises, une augmentation des défauts de paiement et de potentielles tensions dans le secteur financier.

Et si la transition se produisait tard et abruptement, l’économie pourrait être en proie à une réévaluation soudaine des risques climatiques et des actifs échoués, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives pour le bilan des participants au marché financier, voire pour la stabilité financière. Au Canada, vu la dépendance de l’économie à l’égard des activités à forte intensité de carbone, le système financier pourrait être particulièrement vulnérable aux risques de transition, selon certains scénarios défavorables. Ensemble, une politique climatique claire, une transition progressive et en douceur ainsi que la communication d’informations financières relatives aux risques climatiques pourraient favoriser une juste évaluation des risques et des actifs et une affectation plus efficace du capital, ce qui atténuerait les risques pour la macroéconomie et le système financier.

L’un des enjeux les plus urgents et les plus importants pour la Banque est l’évaluation des impacts des risques physiques et de transition sur le système financier. Cependant, les difficultés sont nombreuses; mentionnons l’incertitude quant à la trajectoire des changements climatiques, l’étendue et la complexité des voies de transmission des risques, les impacts directs et indirects, et enfin, la nécessité d’intégrer à la fois des risques physiques et des risques de transition dans les analyses globales. Compte tenu de la sensibilité des résultats à ces hypothèses sous-jacentes, les scénarios climatiques et de transition hypothétiques constituent une option pour évaluer l’orientation et l’ampleur générale des évolutions prochaines. Des scénarios par secteur et par pays fondés sur les politiques climatiques nationales actuelles peuvent être mis au point pour illustrer de façon réaliste une transition graduelle et une transition abrupte, et ainsi évaluer les répercussions à divers niveaux (entreprises, économie réelle, institutions financières et système financier dans son ensemble), tout en tenant compte des effets de rétroaction et d’entraînement. Une grande partie du travail consacré aux effets des risques de transition sur la stabilité financière se fonde sur une approche combinant l’analyse de scénarios, la modélisation énergétique, les MEI et la modélisation de réseaux pour évaluer la possibilité que les actifs échoués et les valeurs échouées créent des risques de crédit et de marché. Les modèles stock-flux cohérents et les modèles multi-agents pourraient également constituer une option intéressante dans le cas d’un système adaptatif complexe où l’hétérogénéité, les non-linéarités et les phénomènes de déséquilibre occupent une place prépondérante.

Compte tenu du degré élevé d’interconnexion dans l’économie et le système financier, il est crucial d’évaluer non seulement les impacts directs, mais aussi les effets indirects et ultérieurs, des risques physiques et de transition. Pour cela, il faut tenir compte des expositions de la chaîne de production tout entière, de la transmission des chocs par les liens financiers et des effets de rétroaction entre la macroéconomie et le secteur financier.

Les paragraphes suivants abordent certaines des principales questions de recherche dans ce domaine :

  1. le repérage des voies de transmission des risques climatiques qui planent sur le système financier;
  2. la mesure dans laquelle les marchés et les investisseurs internalisent les risques liés au carbone;
  3. l’évaluation de l’exposition des participants au marché financier aux risques climatiques et la résilience du système financier dans des scénarios climatiques et de transition hypothétiques.

Les voies de transmission directes et indirectes des risques physiques et de transition

Avant tout, il serait utile de repérer les risques les plus pressants afin de concentrer clairement les efforts de recherche sur des impacts ciblés à court terme touchant des secteurs, zones géographiques et catégories d’actifs en particulier, de même que sur les implications de ces impacts pour la macroéconomie et la stabilité financière. L’immobilier, l’agriculture et le transport – trois secteurs importants – seront les premiers à subir les impacts physiques des changements climatiques, et cette situation pourrait nuire tant à l’actif qu’au passif des banques et des assureurs exposés à ces secteurs. Parallèlement, le secteur pétrolier et gazier de même que les autres secteurs à forte intensité de carbone, comme le transport, la production d’électricité, les infrastructures et les technologies industrielles qui produisent beaucoup de carbone, pourraient être vulnérables aux risques de transition, selon certains scénarios défavorables. La Banque se servira de travaux de recherche et d’analyse déjà menés par d’autres institutions, ainsi que de ses propres études, pour mieux déterminer les risques et approfondir sa compréhension des voies de transmission des risques physiques et de transition. De plus, elle se penchera sur d’autres enjeux importants, dont les implications à plus long terme des changements climatiques pour la rentabilité et la viabilité de secteurs en particulier (par exemple, l’assurance et la réassurance) et les conséquences macrofinancières qui en découlent.

La mesure dans laquelle les marchés et les investisseurs internalisent les risques liés au carbone

De récentes publications rendent compte de la mesure dans laquelle les investisseurs et les marchés internalisent les risques climatiques. À partir d’une méthodologie classique d’étude d’événement, on peut examiner la réaction des marchés à des événements précis pouvant être associés à un changement de leurs attentes à l’égard de la rentabilité des investissements dans les secteurs à forte intensité de carbone. Jusqu’à présent, la littérature fait état de signes d’une sensibilité limitée, quoique grandissante, aux risques liés au carbone. La Banque collabore avec des chercheurs universitaires pour approfondir la question.

L’exposition des participants au marché financier aux risques climatiques et la résilience du système financier dans des scénarios climatiques et de transition hypothétiques

Comprendre les expositions aux risques climatiques (risques commerciaux et juridiques et risques de crédit, de souscription et de marché) des assureurs et réassureurs de dommages, des banques, des caisses de retraite, des fonds d’investissement et des fiducies de placement immobilier constitue une priorité pour les banques centrales et les organismes de réglementation du secteur financier. Plusieurs banques centrales et organismes de supervision ont, entre autres, comparé la répartition géographique des souscriptions d’assurance et des prêts aux particuliers avec celle des phénomènes météorologiques extrêmes, comme les ouragans et les inondations. D’autres se sont employés à quantifier l’exposition des portefeuilles financiers aux risques de transition en déterminant la proportion d’actifs (actions, obligations de sociétés, etc.) détenus dans les secteurs les plus exposés aux risques liés à la transition bas-carbone. Bien que ces approches permettent d’illustrer les premières vagues d’effets, elles ne rendent pas pleinement compte des risques plus vastes de contagion financière associés à une transition inattendue de l’économie. En premier lieu, la Banque entend évaluer les expositions directes et indirectes des institutions financières canadiennes aux risques climatiques en se fondant sur les données disponibles.

Dans certaines études, les chercheurs ont élaboré des méthodes fondées sur des modèles de réseaux combinant l’utilisation de données sur les expositions et l’analyse de scénarios pour tenir compte des effets ultérieurs des changements climatiques13. À l’heure actuelle, ces méthodes sont les plus avancées dans le domaine des tests de résistance climatique. La Banque souhaite concevoir des tests de résistance climatique afin d’évaluer la résilience du système financier dans des scénarios hypothétiques extrêmes, mais plausibles. L’un des éléments qui nuisent le plus à l’évaluation des expositions aux risques climatiques est la disponibilité des données qui permettraient d’arriver à une analyse quantitative ascendante et détaillée. Pour contourner cet obstacle, les banques centrales et les organismes de réglementation doivent coopérer et incorporer aux nouvelles bases de données climatiques les données classiques relatives à la macroéconomie et au marché financier et provenant de rapports adressés aux autorités de contrôle.

Bibliographie

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Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (2018). Résumé à l’intention des décideurs, Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté.

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McKibbin, W. J., A. C. Morris, A. J. Panton et P. J. Wilcoxen (2017). Climate Change and Monetary Policy: Dealing with Disruption, document de travail no 77/2017, Centre for Applied Macroeconomic Analysis, Crawford School of Public Policy, Université nationale d’Australie.

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Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (2019). Macroeconomic and Financial Stability: Implications of Climate Change, supplément technique au premier rapport complet.

Roncoroni, A., S. Battiston, L. O. L. Escobar Farfàn et S. Martinez Jaramillo (2019). Climate Risk and Financial Stability in the Network of Banks and Investment Funds.

  1. 1. Voir Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (2019) pour une analyse des différentes estimations des effets physiques sur la macroéconomie, de leurs hypothèses sous-jacentes et de leur répartition géographique.[]
  2. 2. La présence d’externalités et d’autres défaillances du marché empêche celui-ci de prendre des mesures adéquates pour atténuer l’impact des changements climatiques et justifie le recours aux politiques climatiques.[]
  3. 3. Par exemple, selon les estimations de McGlade et Etkins (2015), en l’absence de captage et stockage du dioxyde de carbone, 35 % du pétrole, 52 % du gaz naturel et 88 % du charbon dans les réserves mondiales connues ne pourront être brûlés avant 2050 si l’on veut contenir le réchauffement sous les 2,0 °C.[]
  4. 4. Si les chocs et leurs effets étaient de courte durée, les autorités monétaires en feraient généralement abstraction sans désancrer les attentes d’inflation, compte tenu de la crédibilité dont jouit le cadre de politique monétaire. Cependant, les chocs de prix sectoriels persistants risquent de désancrer les attentes et de déclencher une deuxième vague d’effets qui accentuent les pressions inflationnistes à moyen terme.[]
  5. 5. Voir McKibbin et autres (2017), par exemple, pour une analyse des interactions entre la politique monétaire et les changements climatiques.[]
  6. 6. La direction que prendront ces changements dépend du moment et de la vitesse de la transition, ainsi que de l’orientation des politiques sur la tarification du carbone et de la vitesse des avancées technologiques et de l’adaptation de l’économie.[]
  7. 7. Comme la Banque cherche principalement à modéliser les répercussions macroéconomiques des changements climatiques sans tenter d’élaborer la politique climatique parfaite, les politiques peuvent être traitées comme étant exogènes (donc, faisant partie des scénarios climatiques) et l’analyse, considérablement simplifiée. Des modèles EGC plus détaillés seraient ainsi obtenus pour analyser les répercussions sectorielles des changements climatiques.[]
  8. 8. Plusieurs MEI permettent d’examiner les changements endogènes en contexte multirégional et multisectoriel, ouvrant ainsi la voie à une analyse des effets redistributifs des changements climatiques. Voir Gillingham et autres (2015).[]
  9. 9. Le modèle dynamique intégré climat-économie (DICE), conçu par William Nordhaus, et de nombreux modèles qui s’en inspirent partent d’une fonction de dommage quadratique selon laquelle une augmentation irréaliste de 18,0 °C de la température mondiale moyenne serait nécessaire pour que le PIB mondial subisse une baisse de 50 %.[]
  10. 10. Pour une analyse de certaines de ces critiques, voir Pindyck (2013) ainsi que Dietz et Stern (2015).[]
  11. 11. Le modèle DICE et de nombreux MEI inspirés de celui-ci sont fondés sur le modèle de croissance exogène de Ramsey-Cass-Koopmans, lequel suppose que la croissance économique est portée par la croissance de la productivité exogène. Dans ces modèles, les changements climatiques n’influent que sur le niveau du PIB. Dietz et Stern (2015), de même que d’autres chercheurs, avancent que les changements climatiques pourraient avoir des incidences à long terme sur la croissance et proposent des modèles de croissance endogène intégrant des retombées en matière de connaissances, une PTF endogène et des dommages touchant la PTF. Par rapport à d’autres modèles, ceux-ci donnent à penser que les changements climatiques engendreront des coûts bien plus élevés.[]
  12. 12. Au lieu de modéliser explicitement l’incertitude, les MEI se fondent généralement sur une analyse de la sensibilité. Cependant, cette approche ne permet pas d’illustrer l’incidence de l’incertitude dans la prise de décisions.[]
  13. 13. Voir Battiston et autres (2017), ainsi que Roncoroni et autres (2019).[]

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