Introduction

Bonjour! C’est un plaisir d’être de retour à Toronto pour parler d’une question qui nous touche tous : le marché du travail au Canada. Je suis particulièrement content d’être sur un campus universitaire pour parler de l’avenir des travailleurs et de l’emploi. Je tiens à remercier le Forum des politiques publiques de m’avoir invité à discuter de ce sujet important avec des étudiants, des chercheurs et des experts.

Dans le cadre de nos fonctions, mes collègues du Conseil de direction et moi-même rencontrons des intervenants de tous les horizons, comme des entrepreneurs, des groupes communautaires, des syndicats ou des étudiants. Partout où nous allons, on nous pose les mêmes questions. Avant tout, les gens veulent en savoir plus sur l’inflation et les taux d’intérêt. Le contrôle de l’inflation est notre principale priorité, et je vais vous en parler un peu plus tard. Tout le monde veut aussi entendre parler de l’emploi et du marché du travail, et trois questions reviennent régulièrement : Pourquoi les entreprises n’arrivent-elles pas à trouver assez de travailleurs? Est-ce que nous nous dirigeons vers une récession, et est-ce que cela signifie qu’il y aura une augmentation marquée du taux de chômage? Et enfin, quel rôle la Banque du Canada joue-t-elle dans le maintien du niveau d’emploi durable maximal?

Aujourd’hui, je veux répondre à ces questions, et je le ferai en trois volets. Premièrement, je veux expliquer le lien entre l’inflation et le marché du travail. J’exposerai pourquoi le retour à une inflation basse et stable est le meilleur moyen d’atteindre le niveau d’emploi durable maximal. Notre mandat est très clair à ce sujet. Deuxièmement, je veux décrire comment le marché canadien du travail a été affecté par la pandémie de COVID-19, comment il s’en est remis et ce à quoi on peut s’attendre au cours des mois à venir. Troisièmement, je veux parler des changements structurels sur le marché du travail, comme le vieillissement de la population, auxquels nous serions confrontés même si la pandémie n’avait pas eu lieu. J’expliquerai ce que nous surveillons et ce que les gouvernements et les entreprises du Canada peuvent faire pour contribuer à accroître l’offre de main-d’œuvre.

Notre mandat

Depuis sa fondation, la Banque du Canada a pour mandat de favoriser la prospérité économique et financière du pays. Comme nous l’avons dit au moment de renouveler notre cadre de politique monétaire en décembre dernier, le gouvernement du Canada et la Banque sont d’avis que la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter au bien-être des Canadiens est de maintenir la stabilité des prix. Pour ce faire, il faut atteindre notre cible d’inflation de 2 %, soit le point médian de notre fourchette de maîtrise qui va de 1 à 3 %.

Le gouvernement et la Banque conviennent également que la politique monétaire devrait continuer de soutenir l’atteinte du niveau d’emploi durable maximal. Nous reconnaissons que celui-ci n’est pas directement mesurable et qu’il est en grande partie déterminé par des facteurs non monétaires qui peuvent fluctuer dans le temps. Dans les faits, le niveau d’emploi durable maximal est plus un concept qu’un chiffre. Il est difficile de savoir quand il est atteint parce qu’il faut le déduire. Et aussi parce que les indicateurs du marché du travail donnent des signes clairs seulement lorsque le niveau est largement dépassé ou est loin d’être atteint.

Des attentes d’inflation bien ancrées sont essentielles pour atteindre à la fois la stabilité des prix et le niveau d’emploi durable maximal. C’est pourquoi le gouvernement et la Banque sont d’accord sur le fait que l’objectif central de la politique monétaire demeure le maintien de l’inflation à un niveau bas et stable au fil du temps1. Ce que je veux souligner ici, c’est que l’emploi durable maximal va de pair avec le maintien de l’inflation à un niveau près de la cible de 2 %. Si l’emploi se situe bien en dessous du niveau d’emploi durable maximal, il manque des emplois et des revenus dans l’économie, et les dépenses sont inférieures à la capacité de production. Des pressions baissières s’exercent donc sur l’inflation et la font glisser sous la cible. C’est ce qui est arrivé au début de la pandémie. Par contre, si le niveau d’emploi durable maximal est dépassé et se maintient, les entreprises sont incapables de trouver assez d’employés pour suivre le rythme de la demande. Cela entraîne des pressions haussières sur les prix et fait monter l’inflation au-dessus de la cible. C’est là où nous en sommes aujourd’hui.

À près de 7 %, l’inflation est bien au-dessus de notre cible de 2 %. L’inflation au Canada découle en partie de facteurs mondiaux, comme les fortes hausses des prix de nombreux produits de base et biens échangés à l’échelle internationale. Cependant, l’inflation que nous observons s’explique surtout par des facteurs intérieurs, notamment la demande excédentaire dans l’économie canadienne. Notre économie surchauffe. Le nombre de postes vacants est élevé et les entreprises font état de pénuries de main-d’œuvre généralisées. Au cours des six derniers mois, la croissance des salaires s’est accélérée et répandue dans tous les secteurs de l’économie. Le taux de chômage a touché un creux record en juin et – même si cela peut sembler positif – ce n’est pas viable. Les tensions sur le marché du travail sont un signe du déséquilibre généralisé entre l’offre et la demande qui alimente l’inflation et nuit à toute la population canadienne.

Depuis mars, nous relevons le taux directeur pour aider à ramener l’inflation à la cible. Les taux d’intérêt plus élevés freineront les dépenses et la demande de main-d’œuvre dans l’économie. Avec le temps, cela allégera les pressions inflationnistes intérieures.

Nous essayons de mettre en balance les risques liés à un resserrement trop faible ou trop fort de la politique monétaire. Si nous n’augmentons pas suffisamment les taux d’intérêt, les Canadiens et les Canadiennes continueront à subir les effets de l’inflation élevée et celle-ci va s’enraciner. Il faudra alors des taux d’intérêt beaucoup plus élevés et un ralentissement beaucoup plus prononcé de l’économie pour restaurer la stabilité des prix. Et si nous augmentons trop les taux d’intérêt, l’économie ralentira plus qu’il le faut, le chômage montera considérablement et l’inflation tombera sous la cible. Trouver le juste équilibre n’est pas une mince tâche. C’est pourquoi je veux vous expliquer ce que nous allons surveiller sur le marché du travail dans les mois à venir pour nous aider à prendre des décisions relatives à la politique monétaire.

Commençons par jeter un coup d’œil aux bouleversements causés par la pandémie, et à ce que les travailleurs ont vécu ces deux dernières années et demie.

Récession profonde, reprise rapide et demande excédentaire

L’évolution récente du marché du travail peut être divisée en trois phases distinctes : les fermetures de l’économie liées à la pandémie, la reprise au moment de la réouverture, et la situation de demande excédentaire actuelle. Permettez-moi de vous parler de chacune de ces phases.

Le choc de la pandémie

La pandémie de COVID-19 a provoqué le plus important ralentissement mondial depuis la Grande Dépression. Une grande partie de l’économie a été mise à l’arrêt pour limiter la propagation du virus, et des millions de personnes ont perdu leur emploi. Le Canada a été plongé dans la plus profonde récession de son histoire et les conséquences ont été désastreuses. En avril 2020, environ 3 millions de personnes qui travaillaient avant la pandémie se sont retrouvées sans emploi, et 2,5 millions d’autres faisaient moins de la moitié de leurs heures habituelles. Le choc a frappé des milieux de travail d’un océan à l’autre.

Toutefois, il a frappé de façon très inégale. Les activités qui nécessitaient des contacts rapprochés – surtout dans le secteur des services – se sont retrouvées à l’arrêt. Cela a eu une incidence disproportionnée sur les jeunes, les femmes et les travailleurs à faible revenu. La fermeture des écoles et des garderies a également touché davantage les femmes avec de jeunes enfants, qui ont dû réduire leurs heures de travail de façon plus importante.

L’économie n’avait jamais connu une fermeture aussi étendue, aussi soudaine et aussi longue auparavant, et nous étions très inquiets que cela laisse des séquelles. En d’autres termes, nous redoutions que le tort causé aux revenus et aux carrières de tout un segment de la population, surtout les femmes, les jeunes et les immigrants, soit irréversible.

La reprise

Cela m’amène à la deuxième phase : la reprise la plus rapide jamais vue. Vous vous rappelez la première année de la pandémie? Nous ne pouvions pas voyager à l’étranger et même au Canada, les déplacements étaient très limités, alors nous restions chez nous. Nous avons rénové nos maisons pour pouvoir travailler et étudier à distance, puis nous nous sommes tournés vers l’achat de biens dans l’espoir de remplacer les distractions habituellement offertes par le secteur des services.

Tout juste quatre mois après les creux de l’emploi en avril, près des deux tiers des emplois perdus avaient été récupérés (graphique 1). Qu’est-ce qui explique cette reprise rapide? C’est en grande partie le fait que la récession a été causée par un événement sans précédent – la pandémie – et non par des déséquilibres ou des problèmes structurels dans l’économie. Quand l’économie a rouvert, l’emploi a donc pu reprendre rapidement. Nous nous attendions à un vif rebond de l’emploi à la réouverture, mais nous étions inquiets que trop de personnes soient laissées derrière. Heureusement, les séquelles n’ont pas été aussi profondes que nous nous y attendions parce que l’emploi s’est redressé rapidement.

La réponse simultanée des gouvernements et des banques centrales partout dans le monde a joué un rôle important dans la reprise. Au Canada, des politiques budgétaires ont été conçues pour maintenir le lien entre travailleurs et employeurs, et pour aider les entreprises à survivre, malgré leurs faibles revenus2. La détérioration du marché du travail a ainsi pu être limitée. Les mesures de politique monétaire sont venues compléter les politiques budgétaires. Nous avons baissé le taux directeur et introduit l’assouplissement quantitatif pour réduire les coûts d’emprunt, ce qui a stimulé les dépenses et contribué à remettre l’emploi sur la bonne voie.

La réouverture des écoles et des garderies a aussi aidé. À mesure que les écoles reprenaient l’enseignement en classe, les mères ont pu retourner au travail. Cela a réduit les conséquences inégales de la pandémie, sans pour autant les éliminer3.

Le taux croissant de vaccination et la réouverture de l’économie ont permis aux personnes œuvrant dans les secteurs producteurs de biens de retourner au travail plus tôt que celles évoluant dans les services pour lesquels la distanciation est difficile4. Le taux d’emploi dans les secteurs où le travail à distance est efficient – comme les services professionnels, l’administration publique, les finances, les assurances et l’immobilier – se situait bien au-dessus des niveaux prépandémiques. Mais dans les secteurs des services, comme l’hôtellerie et la restauration, ce taux est resté bien en dessous.

Dans l’ensemble, le rythme de la reprise a été sans précédent – beaucoup plus rapide que lors des récessions passées.

La demande excédentaire

Cela m’amène à 2022 et au marché du travail actuel. L’économie est en situation de demande excédentaire, et les besoins de main-d’œuvre dépassent l’offre. À la fin de l’année dernière, ce n’était pas évident que le marché du travail surchaufferait rapidement en 2022. Le variant Omicron se propageait et le nombre de cas de COVID-19 recommençait encore une fois à augmenter. Cependant, en faisant abstraction de la volatilité du marché du travail causée par les vagues de la pandémie, on peut observer une nette tendance vers des conditions de plus en plus tendues sur le marché du travail en 2022. La croissance de l’emploi est demeurée solide, les signalements de pénuries de main-d’œuvre ont augmenté et la croissance des salaires a commencé à s’accélérer.

Pour répondre à la demande croissante, les employeurs ont dû pousser davantage leurs recherches sur le marché du travail, et ils ont réussi à trouver de nouveaux travailleurs. L’embauche d’immigrants – surtout d’immigrants récents – a augmenté. Cela a réduit l’écart entre le taux d’emploi des personnes de ce groupe et celui des travailleurs nés au Canada, dans la catégorie des travailleurs dans la force de l’âge5. Les innovations apportées à l’ère de la COVID-19 et la robustesse des marchés du travail ont aussi entraîné plus de souplesse pour certains emplois, en partie à cause de l’accélération de la numérisation rendue nécessaire par la pandémie. Les employeurs ont ainsi pu accommoder plus facilement les personnes forcées de travailler à distance et celles qui avaient besoin de modifier leurs heures de travail. Le chômage à long terme, qui avait explosé durant la pandémie, est retourné à ses niveaux prépandémiques.

Nous avons commencé à relever le taux directeur en mars pour refroidir l’économie en surchauffe, mais le marché du travail a continué sur sa lancée. Les gains au chapitre de l’emploi se sont poursuivis et les pénuries de main-d’œuvre se sont intensifiées jusqu’au printemps. Le taux de chômage a touché un creux record de 4,9 % en juin et le nombre de postes vacants excédait un million au deuxième trimestre – un nouveau record. La montée du nombre de postes vacants et le faible taux de chômage étaient des signes clairs du déséquilibre de l’économie provoqué par l’accélération plus rapide de la demande que de l’offre.

Au cours des derniers mois, nous avons observé les premiers signes d’un allègement de ces tensions exceptionnellement fortes sur le marché du travail. Depuis le printemps, l’emploi s’est stabilisé et le taux de chômage a légèrement augmenté pour s’établir à 5,2 %. La croissance des salaires s’est accélérée, mais semble maintenant plafonner. Le nombre de postes vacants a commencé à reculer. Ce ralentissement est évident dans les secteurs plus sensibles aux taux d’intérêt, comme la fabrication et la construction (graphique 2).

Retour à l’équilibre

Le retour à un marché du travail plus équilibré repose sur deux éléments : l’offre et la demande. La demande de main-d’œuvre doit se modérer pour que l’offre puisse la rattraper. Et plus l’offre de main-d’œuvre croît, moins la demande doit ralentir pour restaurer et maintenir la stabilité des prix.

La demande de main-d’œuvre

Le premier élément – le ralentissement de la demande – est ce que nous influençons avec les hausses de taux d’intérêt. En général, un taux de chômage bas et une forte demande de travailleurs sont avantageux pour l’économie canadienne. Le meilleur moyen de réduire les inégalités et de faire en sorte que les Canadiens et les Canadiennes aient le revenu nécessaire pour répondre aux besoins de leur famille est de leur offrir de bons emplois. Mais en ce moment, il faut que l’économie ralentisse. Si la progression des dépenses est plus modeste, la demande de main-d’œuvre par les entreprises sera moins grande, le nombre de postes vacants diminuera et le marché du travail sera mieux équilibré. Cela atténuera les pressions sur les prix.

Les inquiétudes face au risque de récession en Europe, aux États-Unis et même au Canada sont de plus en plus vives. La majorité des répondants à notre dernière enquête sur les perspectives des entreprises estimaient qu’il existe un risque réel de récession au cours des douze prochains mois. Comme nous l’indiquions dans la livraison d’octobre du Rapport sur la politique monétaire, nous nous attendons à ce que la croissance stagne au cours des prochains trimestres – c’est-à-dire à ce qu’elle soit près de zéro. Durant deux ou trois trimestres, la croissance pourrait donc tout aussi bien être légèrement négative que légèrement positive. On ne parle pas ici d’une profonde récession, mais d’une décélération quand même importante de l’économie.

Un ralentissement de la croissance économique entraînera probablement une hausse du chômage. Nous savons qu’il y a un coût humain associé aux pertes d’emplois. Mais comme le marché du travail est en pleine effervescence et que le nombre d’emplois vacants est exceptionnellement élevé, il est possible de refroidir le marché sans provoquer de poussées du chômage de l’ampleur de celles qu’on a connues durant les périodes de récession passées.

À mesure que nous aurons recours à des hausses de taux d’intérêt pour réduire l’inflation, nous serons à l’affût de toute réaction dans l’économie et sur le marché du travail. Pour déterminer la meilleure façon d’ajuster le marché du travail, les économistes utilisent entre autres un outil qu’ils appellent la courbe de Beveridge. Celle-ci illustre la relation typiquement inverse entre les postes vacants et le chômage (graphique 3).

Quand le taux de postes vacants diminue, le taux de chômage augmente habituellement. Mais de combien? Cela dépend de la position du marché du travail sur la courbe. De façon générale, quand le nombre de postes vacants est élevé, comme c’est le cas actuellement, une baisse de celui-ci n’entraîne pas une augmentation aussi importante du chômage que lorsque ce nombre est faible au départ. Il ressort de l’analyse de la courbe de Beveridge du Canada par le personnel de la Banque que le taux de chômage augmentera quelque peu si le taux de postes vacants retourne à des niveaux plus normaux6. Il ne s’agirait toutefois pas d’un taux de chômage élevé comparativement à ce qu’on a connu par le passé.

Qu’est-ce que cela signifie pour les travailleurs canadiens? De toute évidence, un tel ajustement ne se fera pas sans peine. Il pourrait être plus long de se trouver un emploi s’il y a moins de postes vacants. Et, compte tenu du recul de la demande pour leurs produits, certaines entreprises n’auront peut-être pas assez de travail pour tous leurs employés. Mais réduire la pression sur le marché du travail contribuera à rétablir la stabilité des prix.

Nous suivrons un large éventail d’indicateurs pour évaluer la santé du marché du travail et son ajustement au resserrement de la politique monétaire. En observant comment l’économie réagit aux taux d’intérêt plus élevés, nous nous attendons à ce que certains secteurs soient plus sensibles à la hausse des coûts d’emprunt et ralentissent plus tôt ou de façon plus marquée. La réaction sera plutôt inégale. Il y aura moins de postes vacants et peut-être même des pertes d’emplois dans certains secteurs plus que dans d’autres. Nous regarderons au-delà des chiffres qui font les manchettes pour mesurer comment différents groupes sur le marché du travail s’ajustent. L’année dernière, nous avons lancé notre nouveau tableau de bord des indicateurs pour nous aider à évaluer la santé du marché du travail en général et pour nous situer par rapport au niveau d’emploi durable maximal7. (Voir l’annexe.)

L’offre de main-d’œuvre

Parlons maintenant du deuxième élément sur lequel repose le retour à l’équilibre : l’offre de main-d’œuvre. Le marché du travail est aussi profondément touché par les évolutions du côté de l’offre que la politique monétaire ne contrôle pas, et il continuera de l’être. Ça nous ramène à une question qui nous est souvent posée : « Où sont passés tous les travailleurs? ».

En bref, la plupart sont sur le marché du travail et certains ont pris leur retraite. À l’heure actuelle, un demi-million de personnes de plus qu’avant le début de la pandémie de COVID-19 ont un emploi. Mais l’augmentation des départs à la retraite et le recul de l’immigration au début de la pandémie ont fait ralentir la croissance de la population active. C’est une autre des raisons qui expliquent les tensions sur le marché du travail. Ces changements démographiques ont eu une incidence importante sur l’offre de main-d’œuvre. Au Canada, comme dans bien d’autres économies avancées, le groupe d’âge qui a progressé le plus rapidement ces dernières années est celui des 65 ans et plus. Ça n’a rien à voir avec la pandémie, c’est simplement dû au vieillissement des baby-boomers. Comme les personnes de plus de 65 ans ont tendance à avoir le taux d’activité le plus faible, le taux d’activité global du Canada a suivi une tendance à la baisse au cours des dernières années8.

L’immigration contribue habituellement à la croissance de la main-d’œuvre au pays. Mais la pandémie a perturbé les flux d’immigration. Les frontières ont été fermées et le Canada a raté sa cible d’immigration en 2020 par une marge d’environ 156 000 personnes, dont 100 000 travailleurs selon les estimations.

Heureusement, l’immigration se redresse à mesure que les restrictions aux frontières reviennent à la normale. Le Canada a atteint sa cible d’immigration de 401 000 personnes en 2021. Et, comme les cibles d’immigration ont été relevées depuis, le manque à gagner du côté des résidents permanents causé par la pandémie devrait être récupéré en 20239. De nombreuses économies avancées dont la population est vieillissante cherchent à accroître leurs flux d’immigration pour répondre aux besoins de leurs marchés du travail. Toutefois, parce que ses cibles d’immigration sont relativement plus élevées, le Canada aura un avantage dans les années à venir : sa croissance démographique devrait dépasser de loin celle des autres pays du G7 (graphique 4)10.

C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les perspectives de croissance présentées dans le Rapport sur la politique monétaire d’octobre dépassent celles de certains autres pays, dont les États-Unis. Les cibles d’immigration élevées semblent indiquer que l’immigration nette sera la source de plus des deux tiers de la croissance attendue de la production potentielle du Canada.

La vigueur du marché du travail a contribué à améliorer la situation des immigrants récents. Il est également possible d’accroître la participation d’autres travailleurs, y compris les femmes, en tirant parti des changements induits par ces marchés du travail tendus. L’écart qui persiste depuis longtemps entre le taux d’activité des femmes dans la force de l’âge et celui des hommes pourrait être réduit davantage. La pandémie a fait ressortir l’importance des services de garde d’enfants : quand l’accès à ces services a été interrompu, bien des travailleuses ont dû quitter leur emploi. Le taux d’activité des femmes est plus élevé au Canada qu’aux États-Unis, mais dans d’autres pays, ce taux est plus élevé que le nôtre. Nous dépassons à peine la médiane des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques pour ce qui est du taux d’activité des femmes de 25 à 54 ans. En 2021, nous occupions en effet le 16e rang sur 38 à ce chapitre. L’amélioration des services de garde universels pourrait réduire ces écarts, mais il faudra du temps pour que les effets se fassent sentir pleinement.

D’autres groupes pourraient aussi bénéficier d’un meilleur accès au marché du travail. Pensons notamment à la population autochtone, qui est plus jeune et affiche une croissance plus rapide que bien d’autres groupes. La possibilité de travailler à distance et l’offre de formation pour acquérir des compétences dans les domaines où de graves pénuries de main-d’œuvre se font sentir, peuvent présenter de nouvelles occasions pour les groupes confrontés à des difficultés sur le marché du travail local. Et les entreprises doivent faire leur part pour attirer et retenir de nouveaux segments de la main-d’œuvre.

En s’adaptant aux changements structurels du marché du travail et en les mettant à profit, le Canada peut augmenter le taux de croissance durable de l’économie. Le vieillissement de la population réduit le taux d’activité. C’est pourquoi la hausse de l’immigration devient de plus en plus importante pour la croissance potentielle du Canada. Les changements associés à la mondialisation et aux technologies, en particulier la transformation numérique, continueront également d’avoir une incidence sur la demande de main-d’œuvre et sur les compétences recherchées par les employeurs. L’effet net de ces changements sur le niveau d’emploi durable maximal est quelque chose que nous allons nous efforcer d’évaluer.

Une offre accrue de main d’œuvre accélère le rythme auquel l’économie peut progresser sans provoquer de pressions inflationnistes. Mais accroître l’offre prend du temps et crée une nouvelle demande. Les nouveaux travailleurs gagneront de nouveaux revenus, et il y aura plus de dépenses dans l’économie. C’est pour cette raison que l’augmentation de l’offre, même s’il s’agit d’un outil précieux, ne peut remplacer le recours à la politique monétaire pour modérer la demande et la remettre en équilibre avec l’offre.

Conclusion

Permettez-moi maintenant de conclure.

Le marché du travail est en pleine tourmente depuis le début de la pandémie de COVID-19. Celle-ci a provoqué une flambée du chômage et a eu un impact très inégal, exacerbant les difficultés auxquelles étaient déjà confrontés les femmes, les jeunes et les travailleurs marginalisés. Nous redoutions énormément des pertes d’emplois très répandues, des réductions importantes des dépenses de consommation et, au bout du compte, une déflation. Mais la reprise a été rapide et généralisée, et l’emploi a rebondi plus vite que jamais auparavant. L’économie est cependant allée trop loin dans l’autre sens, et se retrouve maintenant en situation de demande excédentaire. Le marché du travail est trop tendu et l’inflation trop élevée. La politique monétaire a commencé à produire ses effets, mais il faudra du temps pour que les répercussions des hausses des taux d’intérêt se propagent à l’économie et réduisent la demande et l’inflation.

Une fois ce ralentissement derrière nous, la croissance se redressera et notre économie pourra de nouveau progresser fortement en affichant un taux d’emploi sain et une inflation basse. L’ampleur de la croissance de l’emploi qui pourra être atteinte tout en maintenant l’inflation à un bas niveau dépendra de la progression de l’offre de main-d’œuvre. C’est le concept de base derrière le niveau d’emploi durable maximal : il ne s’agit pas du niveau maximal d’emploi pouvant être atteint, mais bien du niveau d’emploi pouvant être soutenu par l’économie tout en maintenant la stabilité des prix. Comme je l’ai dit plus tôt, l’un ne va pas sans l’autre.

Faire progresser le niveau d’emploi durable maximal est une responsabilité que se partagent le gouvernement, les entreprises et les travailleurs. La hausse de l’immigration accroît le nombre de travailleurs potentiels. Les gouvernements doivent s’assurer que les nouveaux arrivants peuvent s’intégrer facilement au marché du travail grâce à la reconnaissance de leurs titres de compétences et à l’accès à des services de soutien à l’intégration, comme de la formation linguistique ou axée sur les compétences. De leur côté, les entreprises doivent investir dans la formation pour réduire la disparité entre les compétences et les besoins. Enfin, les travailleurs doivent investir dans l’acquisition des compétences recherchées dans la nouvelle économie.

Notre priorité à la Banque du Canada est de restaurer la stabilité des prix. Il faut par-dessus tout veiller à ce que l’inflation élevée ne s’enracine pas. Si cela se produit, rien ne fonctionnera comme il se doit. C’est ce qui s’est passé dans les années 197011. L’incapacité de maîtriser l’inflation a fait monter le taux d’inflation et le taux de chômage. Les conflits de travail se sont multipliés parce que les travailleurs essayaient de faire face aux hausses importantes du coût de la vie. En fin de compte, il a fallu des taux d’intérêt encore plus élevés et une grave récession accompagnée d’une forte hausse du chômage pour arriver à maîtriser l’inflation et ancrer de nouveau les attentes. C’est exactement ce que tout le monde veut éviter.

C’est pourquoi nous avons procédé rapidement à des hausses importantes du taux directeur. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous sommes déterminés à ramener l’inflation à la cible de 2 %. Pour y arriver, nous devons rééquilibrer le marché du travail. L’ajustement sera difficile, mais nous voulons le faire de la meilleure façon possible pour les travailleurs et les entreprises d’ici. Les taux d’intérêt plus élevés aideront à ralentir les dépenses et la demande de main-d’œuvre au sein de l’économie. L’offre pourra ainsi rattraper la demande, ce qui atténuera les pressions sur les prix. Nous surveillerons un vaste éventail d’indicateurs afin d’évaluer ce rééquilibrage et le taux de croissance durable au pays. Le Canada bénéficie d’avantages qui contribueront à soutenir l’offre de main-d’œuvre, ce qui renforcera la capacité de croissance.

La meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter au bien-être du marché du travail est d’assurer la stabilité des prix. Avec une inflation et des attentes d’inflation bien ancrées à la cible de 2 %, notre économie, nos travailleurs et nos entreprises pourront aspirer à la croissance et à la prospérité.

Merci.

Je tiens à remercier Mikael Khan et Corinne Luu de leur aide pour la rédaction de ce discours.

Annexe

Le premier graphique illustre l’ampleur de la faiblesse du marché du travail au début de la pandémie. Le cercle rouge montre où se situaient les indicateurs avant la pandémie. Comme on peut le constater, en avril 2020, presque tous les indicateurs étaient bien inférieurs à leurs niveaux prépandémiques. Dans le deuxième graphique, on voit que bon nombre des indicateurs dépassent maintenant de loin leurs niveaux d’avant la pandémie, ce qui dénote clairement que le marché du travail surchauffe.

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Point de presse : Forum des politiques publiques

L’évolution du marché de l’emploi au Canada — Le gouverneur Tiff Macklem répond aux questions des journalistes après avoir prononcé un discours (vers 13 h 30, heure de l’Est).

  1. 1. Pour en savoir plus, voir la Déclaration commune du gouvernement du Canada et de la Banque du Canada concernant le renouvellement du cadre de politique monétaire.[]
  2. 2. Par exemple, la Subvention salariale d’urgence du Canada a permis de garder les employés dans leur poste en offrant des subventions pour le salaire de 5,3 millions d’entre eux au plus fort du programme.[]
  3. 3. Voir T. Macklem (2020), Le point sur la situation économique : une reprise très inégale, discours prononcé par vidéoconférence devant la Chambre de commerce du Canada, Ottawa (Ontario), 10 septembre.[]
  4. 4. Cela reflète le fait que les services pour lesquels la distanciation est difficile ont été confrontés à d’autres vagues de restrictions sanitaires qui n’ont pas touché les secteurs producteurs de biens. Voir L. Schembri (2021), Les incertitudes du marché du travail et la politique monétaire, discours prononcé par vidéoconférence devant l’Association canadienne de science économique des affaires, Toronto (Ontario), 16 novembre.[]
  5. 5. Le taux d’emploi des immigrants dans la force de l’âge s’est accru de 6,7 points de pourcentage comparativement à avant la pandémie.[]
  6. 6. La courbe de Beveridge s’est déplacée vers l’extérieur au début de la pandémie, indiquant un taux de chômage plus élevé pour un niveau donné de postes vacants. Toutefois, comme le montre le graphique 3, ce déplacement s’est en grande partie résorbé. Pour en savoir plus, voir A. Lam (à paraître), Canada’s Beveridge curve and the outlook for the labour market, note analytique du personnel, Banque du Canada.[]
  7. 7. Voir T. Macklem (2021), Notre cadre de politique monétaire : continuité, clarté et engagement, discours prononcé par vidéoconférence devant l’Empire Club of Canada, Toronto (Ontario), 15 décembre.[]
  8. 8. Les problèmes de santé liés à la pandémie pourraient avoir interrompu la tendance à long terme indiquant un taux d’activité plus élevé des travailleurs âgés. Récemment, le rythme des départs à la retraite s’est normalisé, après avoir ralenti plus tôt durant la pandémie.[]
  9. 9. Les flux d’immigration nets ont bondi d’environ 270 000 personnes au deuxième trimestre de 2022. Il s’agit, de loin, de la plus forte augmentation sur un trimestre jamais enregistrée. Le gouvernement a ciblé une augmentation de 1,4 million des résidents permanents entre 2022 et 2024.[]
  10. 10. Ces prévisions des taux de croissance démographique au Canada ne tiennent pas compte de l’augmentation récente des cibles d’immigration, qui devrait stimuler davantage la croissance. Voir Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (2022), Un plan d’immigration pour faire croître l’économie, 1er novembre.[]
  11. 11. Voir T. Macklem (2012), La pleine mesure du travail, discours prononcé devant la Chambre de commerce de Winnipeg, Winnipeg (Manitoba), 4 octobre.[]