Vue d’ensemble et messages clés

Les causes et la persistance de la poussée de l’inflation durant la pandémie de COVID-19 ont suscité de nombreux débats. Cette montée était-elle surtout alimentée par la demande ou par l’offre? L’accélération de la croissance des salaires était-elle une simple réponse aux chocs d’inflation ou est-elle devenue une source autonome de pressions inflationnistes?

Nous explorons ces questions en appliquant le modèle récemment élaboré par Bernanke et Blanchard (2023)1 à des données canadiennes. Notre analyse s’inscrit dans un vaste effort de collaboration chapeauté par ces auteurs et auquel participent 11 banques centrales. L’objectif est d’analyser l’inflation dans diverses économies au moyen d’un même modèle pour y déceler les similitudes et les différences.

Nos constats cadrent généralement avec ceux de Bernanke et Blanchard pour les États-Unis. En effet, nous constatons que la poussée de l’inflation en 2021 et au début de 2022 était principalement attribuable aux chocs d’offre, dont la hausse des prix des produits de base et les pénuries causées par les problèmes d’approvisionnement, sans que les pressions sur le marché du travail y jouent un rôle significatif.

Cela dit, les pressions sur le marché du travail se sont mises à contribuer de plus en plus à l’inflation une fois que les effets des chocs d’offre ont commencé à se dissiper. D’après une analyse de scénarios, l’inflation pourrait rester coincée autour de 3 % sur l’horizon de projection si les conditions du marché du travail retournaient pour de bon à ce qu’elles étaient en 20232. Il se peut que les pressions qui s’exercent sur ce marché doivent encore s’alléger pour que l’inflation retourne à la cible de 2 % d’ici la fin de 2025.

Dans la présente note, nous faisons tout d’abord un bref survol de la structure théorique du modèle, puis nous décrivons les données utilisées et analysons les résultats des estimations découlant des trois versions du modèle que nous avons mises à l’épreuve. Nous abordons également les réponses impulsionnelles du modèle aux chocs de prix et aux chocs sur le marché du travail. Ensuite, nous nous penchons sur la façon dont le modèle explique l’évolution de l’inflation et de la croissance des salaires durant la pandémie. Nous présentons par la suite des projections de la trajectoire future de l’inflation établies à partir du modèle et de certaines hypothèses. Enfin, nous faisons la synthèse des résultats obtenus par d’autres banques centrales.

Le modèle de Bernanke et Blanchard

Le modèle de Bernanke et Blanchard est bâti à partir de quatre équations qui décrivent le comportement des éléments suivants :

  • salaires
  • prix
  • attentes d’inflation à court terme
  • attentes d’inflation à long terme

Chacune de ces équations est décortiquée dans la présente section.

Prix

Le taux d’augmentation du niveau des prix, P, est une fonction de la croissance du salaire global, W, et d’autres facteurs, Zp (équation 1)3. Ces autres facteurs comprennent le coût des intrants hors main-d’œuvre et les marges bénéficiaires, ainsi que d’autres facteurs ayant une incidence sur les prix. Dans la version empirique du modèle, Zp représente les prix des produits de base et une variable qui mesure les perturbations de l’offre durant la pandémie. De plus, cette version empirique tient compte de la productivité tendancielle du travail étant donné que la croissance des salaires n’entraîne généralement pas de pressions inflationnistes quand elle s’accompagne de gains de productivité.

\(\displaystyle\, P_{t}-P_{t-1} \) \(\displaystyle=\, (W_{t}-W_{t-1}) \) \(\displaystyle+\, (Z_{p,t} - Z_{p,t-1}) \) \(\displaystyle\, (1) \)

Salaires

Les salaires suivent une courbe de Phillips augmentée des anticipations (équation 2). Leur croissance est une fonction des attentes d’inflation à court terme, Pe, d’un indicateur des tensions sur le marché du travail, X, ainsi que d’autres facteurs, Zw. Ces paramètres classiques sont augmentés d’un terme de rattrapage, \(\displaystyle\, \alpha(P_{t-1} - P_{t-1}^{e}) \), qui correspond à l’augmentation salariale supplémentaire que les travailleurs chercheraient à obtenir si les prix atteignaient un niveau supérieur à leurs attentes. Dans la version empirique, Zw intègre également la croissance de la productivité tendancielle du travail.

\(\displaystyle\, W_{t}-W_{t-1} \) \(\displaystyle=\, (P_{t}^{e} - P_{t-1}) \) \(\displaystyle+\, \alpha(P_{t-1} - P_{t-1}^{e}) \) \(\displaystyle+\, \beta(X_{t} - \alpha X_{t-1}) \) \(\displaystyle+\, Z_{w,t} \) \(\displaystyle\, (2) \)

Attentes d’inflation

Les attentes d’inflation à court terme correspondent à la moyenne pondérée des attentes à long terme, π*, et de l’inflation passée (équation 3). Les attentes à long terme correspondent à la moyenne pondérée de leurs valeurs historiques et de l’inflation passée (équation 4). Les attentes d’inflation jouent un rôle de premier plan dans le modèle. Les paramètres δ et γ sont fonction du degré auquel les attentes des agents économiques sont ancrées. Par exemple, celles à long terme sont parfaitement ancrées lorsque δ = 1.

\(\displaystyle\, P_{t}^{e} - P_{t} \) \(\displaystyle=\, \delta \pi_{t}^{*} \) \(\displaystyle+\, (1- \delta) (P_{t-1} - P_{t-2}) \) \(\displaystyle\, (3) \)

\(\displaystyle\, \pi_{t}^{*} \) \(\displaystyle=\, γ \pi_{t-1}^{*} + (1-γ) (P_{t-1} - P_{t-2}) \) \(\displaystyle\, (4) \)

Il convient de noter que le modèle n’intègre pas de cible d’inflation explicite. Par conséquent, même les chocs temporaires peuvent désancrer les attentes d’inflation en les amenant à un niveau qui reste plus élevé de manière permanente. Par exemple, un choc de demande positif peut faire que l’inflation continue de dépasser la cible d’une banque centrale même après que la demande excédentaire est résorbée. Dans un cas comme celui-là, une période d’offre excédentaire serait nécessaire pour ramener l’inflation à la cible.

Données et résultats des estimations

Nous estimons la version empirique du modèle analytique à partir de données canadiennes. Comme Bernanke et Blanchard, nous incorporons quatre retards de l’ensemble des variables endogènes et exogènes pour tenir compte des ajustements graduels4. L’échantillon que nous utilisons dans les estimations pour les quatre équations va jusqu’au deuxième trimestre de 20235. Nous ajoutons aussi à l’équation relative aux salaires deux variables binaires fixées à 1 aux deuxième et troisième trimestres de 2020. Cet ajout permet de faire abstraction de la dynamique des salaires durant ces trimestres du début de la pandémie, du fait que cette dynamique était alors alimentée par des effets de composition et des erreurs de mesure, plutôt que par de véritables variations du salaire global6. La liste complète des variables et des sources de données utilisées figure au tableau 1.

Diverses mesures de la croissance des salaires sont utilisées au Canada, avec leurs propres avantages et inconvénients. C’est pourquoi nous estimons trois versions du modèle, chacune à partir d’une mesure différente. Le tableau 3, le tableau 4, le tableau 5 et le tableau 6 présentent les résultats des estimations obtenues à partir des quatre équations. La colonne « Spécification – États-Unis » de chaque tableau montre les coefficients estimés des estimations américaines aux fins de comparaison avec les trois autres colonnes, qui montrent les résultats pour les spécifications propres au Canada.

Tableau 1 : Sources de données
Variable Description Source
gp Inflation mesurée selon le taux de variation trimestriel annualisé de l’indice des prix à la consommation (IPC) en logarithme Statistique Canada
gw Croissance des salaires représentée par l’une ou l’autre des mesures suivantes :
  • Statistique Canada (EPA) et calculs de la Banque du Canada
  • Statistique Canada
    (rajustement salarial)
  • Statistique Canada (EERH)
cf1 Attentes d’inflation à court terme, soit jusqu’à l’horizon de 2 ans* Calculs du personnel de la Banque du Canada
cf10 Attentes d’inflation à long terme, soit aux horizons de 3 à 10 ans Calculs du personnel de la Banque du Canada
grpe Différence logarithmique annualisée des prix de l’énergie compris dans l’IPC par rapport à notre mesure du salaire global Statistique Canada et calculs des auteurs
grpf Différence logarithmique annualisée des prix des aliments compris dans l’IPC par rapport à notre mesure du salaire global Statistique Canada et calculs des auteurs
v/u Ratio des postes vacants aux chômeurs Statistique Canada et calculs du personnel de la Banque du Canada
pénurie Mesure indexée des recherches du mot anglais « shortage » (pénurie) dans Google au Canada Google
rattrapage Moyenne sur quatre trimestres de l’inflation mesurée par l’IPC, moins les attentes d’inflation à court terme quatre trimestres auparavant Statistique Canada et calculs des auteurs
magpty Croissance de la productivité tendancielle du travail dans le secteur des entreprises, mesurée par la moyenne mobile sur huit trimestres de la variation logarithmique de la productivité du travail dans le secteur des entreprises Statistique Canada

*Pour mesurer le niveau des attentes d’inflation à court et à long terme, le personnel de la Banque a utilisé un modèle factoriel dynamique distinct, basé sur Ahn et Fulton (2020), pour extraire, respectivement, les variations communes de divers indicateurs des attentes sur ces deux horizons.
La série officielle de Statistique Canada sur les postes vacants débute en 2015. Pour obtenir des données remontant jusqu’aux années 1990, le personnel de la Banque a combiné des mesures des postes vacants tirées de plusieurs sources jusqu’au premier trimestre de 2004 en se fondant sur la méthode utilisée par Lam (2022). Il a également posé l’hypothèse d’une relation log-linéaire entre le taux d’obtention d’un emploi et la série sur les postes vacants (avec données jusqu’au premier trimestre de 2004) afin de bâtir la série de données pour les années manquantes.

Équation relative aux salaires

Nous donnons une description sommaire des trois mesures des salaires utilisées dans le tableau 2, pour lesquelles nous faisons les constats suivants :

  • La mesure de l’Enquête sur la population active (EPA) est la plus exhaustive des trois, et ses données peuvent être filtrées en fonction de diverses caractéristiques des travailleurs. Cependant, elle repose sur des données autodéclarées, dont la fiabilité peut être moindre.
  • Les données sur les règlements salariaux sont les moins bruitées, mais ne couvrent que les employés syndiqués, qui ne représentent qu’un petit segment de la population active7.
  • La mesure de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH) est basée sur des données déclarées par des entreprises. Ces données peuvent donc être plus fiables que des données autodéclarées. Cependant, elles ne peuvent pas être filtrées par autant de caractéristiques des travailleurs que celles utilisées dans la mesure de l’EPA et ne couvrent qu’un nombre limité de secteurs.
Tableau 2 : Précisions sur les mesures des salaires utilisées dans le modèle
  Mesure à pondération fixe – EPA Règlements salariaux Mesure à pondération fixe – EERH
Source Enquête sur la population active (EPA) Données sur les grands règlements salariaux Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH)
Ajustements supplémentaires effectués par le personnel de la Banque du Canada Application de pondérations fixes aux industries, aux professions, à la permanence de l’emploi et au statut d’emploi (temps plein ou temps partiel)

Désaisonnalisation des données
Aucun Désaisonnalisation des données
Description des données Salaire autodéclaré, avant impôt et autres retenues Augmentation salariale moyenne négociée sur la durée des conventions collectives Masse salariale horaire imposable

Pondérations fixes appliquées aux heures rémunérées et à la composition de l’emploi parmi les industries, les provinces et territoires et le type d’employés

Nous utilisons ces trois mesures des salaires et présentons les résultats obtenus à partir de chacune étant donné qu’aucune n’est nettement préférable aux autres sur toute la ligne. Le graphique 1 montre que le taux de croissance sur un an des salaires obtenu à partir de chaque mesure témoigne de dynamiques à court terme distinctes et de différences quantitatives. Cela dit, les résultats sont généralement indicatifs de tendances similaires à long terme.

Graphique 1 : Les mesures de la croissance des salaires pour le Canada montrent des tendances similaires

Comme Bernanke et Blanchard, nous utilisons le ratio des postes vacants aux chômeurs pour faire ressortir les pressions salariales provenant des déséquilibres entre l’offre et la demande de main-d’œuvre. Comparativement au taux de chômage, ce ratio est un meilleur indicateur des tensions sur le marché du travail du fait qu’il reflète la situation du point de vue tant des travailleurs que des entreprises. De plus, il brosse un portrait différent du degré de tensions sur le marché du travail canadien durant la pandémie (graphique 2). En effet, tandis que le taux de chômage donne à penser que le marché n’était que légèrement plus tendu qu’avant la pandémie en 2022, le ratio des postes vacants aux chômeurs montre un degré de tensions sans précédent sur la même période, ce qui cadrerait davantage avec les résultats d’enquête, comme ceux de l’enquête sur les perspectives des entreprises menée par la Banque8.

Graphique 2 : Par rapport au taux de chômage, le ratio des postes vacants aux chômeurs semble indiquer des tensions sur le marché du travail plus fortes

Le tableau 3 présente les résultats des estimations obtenues à partir de l’équation relative aux salaires. Pour toutes les mesures des salaires, le coefficient du ratio des postes vacants aux chômeurs au Canada n’est pas statistiquement significatif. L’une des explications possibles est que l’échantillon canadien utilisé pour les estimations couvre une plus courte période que l’échantillon américain9. De plus, comme pour l’étude menée aux États-Unis, nous ne constatons pas d’effet de rattrapage pour ce qui est de la croissance des salaires.

Tableau 3 : Régression relative à la croissance des salaires (gw)
  Spécification – États-Unis Spécification – EPA Spécification – règlements salariaux Spécification – EERH
gw* (retards : -1 à -4)        
∑ des coefficients 0,460 0,203 0,835 -0,031
p(somme) 0,008 0,299 0,000 0,886
p(conjointe) 0,071 0,007 0,000 0,853
v/u (retards : -1 à -4)        
∑ des coefficients 0,693 2,408 1,533 2,788
p(somme) 0,030 0,137 0,024 0,285
p(conjointe) 0,023 0,142 0,193 0,528
rattrapage (retards : -1 à -4)        
∑ des coefficients -0,024 0,044 -0,018 0,160
p(somme) 0,765 0,831 0,831 0,645
p(conjointe) 0,994 0,976 0,833 0,749
cf1 (retards : -1 à -4)        
∑ des coefficients 0,540 0,797 0,164 1,031
p(somme) 0,002 0,000 0,015 0,000
p(conjointe) 0,022 0,003 0,140 0,000
magpty (retard : -1)        
∑ des coefficients 0,031 0,176 0,081 -0,040
p(somme) 0,608 0,034 0,029 0,791
Valeur p 0,608 0,034 0,029 0,791
Variable binaire de 2020T2 s.o. 5,240 -0,338 0,685
Valeur p s.o. 0,000 0,509 0,739
Variable binaire de 2020T3 s.o. -4,782 -0,304 3,012
Valeur p s.o. 0,004 0,662 0,299
R2 0,578 0,498 0,702 0,136
Début de la période d’estimation 1990T1 1998T2 1994T1 1994T1
Fin de la période d’estimation 2019T4 2023T2 2023T2 2023T2

* Voir le tableau 1 pour la définition des acronymes utilisés dans le tableau ci-dessus.

Au bout du compte, la version du modèle fondée sur la mesure des salaires de l’EPA semble donner les résultats les plus proches de ceux obtenus par Bernanke et Blanchard pour les États-Unis. Si la somme des coefficients du ratio des postes vacants aux chômeurs est bien plus élevée pour le Canada que pour les États-Unis, c’est en grande partie du fait que l’écart-type du ratio canadien correspond à seulement un tiers de celui du ratio américain.

Les estimations produites à partir des autres mesures des salaires montrent de plus vastes différences par rapport à celles pour les États-Unis. Comme le montre le faible coefficient de détermination (R2), les facteurs économiques fondamentaux n’expliquent pas bien la mesure de l’EERH. Cela pourrait être attribuable à la nature volatile de cette mesure et aux filtres limités pouvant être appliqués à composition de la main-d’œuvre. La mesure des règlements salariaux montre un R2 élevé, mais semble indiquer un lien inhabituellement faible avec les attentes d’inflation, comme le montre la petite somme des coefficients de cette variable.

Équation relative aux prix

Le taux de croissance des prix est modélisé comme fonction de ses valeurs passées, de la croissance nominale des salaires et du coût de certains intrants hors main-d’œuvre. Les prix sont mesurés à partir de l’indice des prix à la consommation (IPC). Nous incluons les prix relatifs des aliments et de l’énergie dans le coût des intrants hors main-d’œuvre. Comme Bernanke et Blanchard, nous faisons ressortir les effets des perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales à l’aide d’un indice basé sur le nombre de recherches du mot anglais « shortage » (pénurie) dans Google, que nous appellerons indice « pénurie ». Enfin, nous intégrons au modèle la croissance de la productivité tendancielle du travail pour rendre compte du fait que les gains salariaux n’entraînent généralement pas de pressions inflationnistes lorsqu’ils s’accompagnent d’améliorations de la croissance de la productivité. Toutes les versions du modèle donnent des résultats qui concordent assez bien avec les données sur l’inflation (graphique 3).

Graphique 3 : Les trois versions du modèle expliquent bien les variations trimestrielles de l’inflation

Le tableau 4 présente les résultats des estimations. Sur le plan qualitatif, ces résultats ressemblent à ceux des estimations pour les États-Unis, quelle que soit la mesure des salaires utilisée. Cependant, nous constatons qu’au Canada, la croissance des salaires a généralement mis plus de temps à agir sur l’inflation. De plus, contrairement aux résultats pour les États-Unis, la somme des coefficients des variables de pénuries et de croissance de la productivité tendancielle du travail n’est pas statistiquement significative. Enfin, les résultats montrent qu’aucune mesure des salaires n’explique la poussée de l’inflation beaucoup mieux qu’une autre.

Tableau 4 : Régression de l’inflation (gp)
  Spécification – États-Unis Spécification – EPA Spécification – règlements salariaux Spécification – EERH
gp* (retards : -1 à -4)        
∑ des coefficients 0,335 0,730 0,576 0,631
p(somme) 0,037 0,000 0,000 0,000
p(conjointe) 0,066 0,000 0,000 0,000
gw (retards : 0 à -4)        
∑ des coefficients 0,665 0,270 0,424 0,369
p(somme) 0,000 0,039 0,002 0,006
p(conjointe) 0,000 0,004 0,004 0,000
grpe (retards : 0 à -4)        
∑ des coefficients 0,066 0,032 0,030 0,038
p(somme) 0,000 0,101 0,136 0,074
p(conjointe) 0,000 0,000 0,000 0,000
grpf (retards : 0 à -4)        
∑ des coefficients 0,126 0,127 0,197 0,235
p(somme) 0,050 0,163 0,032 0,007
p(conjointe) 0,050 0,000 0,000 0,000
pénurie (retards : 0 à -4)        
∑ des coefficients 0,018 0,001 0,004 -0,001
p(somme) 0,281 0,920 0,778 0,968
p(conjointe) 0,000 0,580 0,614 0,672
magpty (retard : 0)        
∑ des coefficients -0,143 -0,027 -0,031 0,012
p(somme) 0,026 0,628 0,593 0,827
Valeur p 0,026 0,628 0,593 0,827
R2 0,947 0,897 0,865 0,864
Début de la période d’estimation 1990T1 1998T2 1994T1 1994T1
Fin de la période d’estimation 2023T1 2023T2 2023T2 2023T2

* Voir le tableau 1 pour la définition des acronymes utilisés dans le tableau ci-dessus.

Si l’on regarde la mesure de l’EPA, par exemple, l’incidence à long terme d’un choc des prix de l’énergie sur le niveau des prix est estimée à environ 12 %, toutes choses égales par ailleurs10. En comparaison, la pondération de l’énergie dans le panier de l’IPC est d’environ 7 % seulement, ce qui donne à penser que les effets d’une variation des prix de l’énergie se transmettraient fortement aux autres prix.

De façon similaire, l’effet à long terme d’un choc des prix des aliments sur le niveau de l’ensemble des prix est mesuré à environ 47 % dans la mesure de l’EPA, ce qui dépasse de loin la pondération des aliments dans le panier de l’IPC, qui est autour de 17 %. Cet effet est également bien supérieur à celui mesuré pour les États-Unis (19 %) et semble donc exagéré pour le Canada. Nous sommes d’avis que cet écart est probablement causé par l’omission des prix des importations dans le modèle. Dans l’annexe, nous proposons d’intégrer le prix relatif des importations au modèle de base de Bernanke et Blanchard. Les propriétés de cette version sont presque identiques à celles de la version de Bernanke et Blanchard, sauf que la somme des coefficients du prix des aliments est coupée de moitié.

Équations relatives aux attentes d’inflation à court terme et à long terme

Pour estimer les équations 3 et 4, nous utilisons des mesures des attentes d’inflation à court terme (jusqu’à l’horizon de deux ans) et à long terme (aux horizons de trois à dix ans) qui ont été élaborées par le personnel de la Banque à l’aide d’un modèle factoriel dynamique semblable à celui de Ahn et Fulton (2020).

Nous constatons que les attentes d’inflation à court terme au Canada dépendent un peu plus des attentes à long terme qu’aux États-Unis (tableau 5). Cependant, les résultats présentés au tableau 6 nous amènent à conclure qu’au Canada les attentes à long terme sont restées relativement bien ancrées sur la période d’estimation, la somme des coefficients étant proche de 1 pour les attentes à long terme passées (avec des retards). Cela est évidemment conforme aux données récentes sur les attentes d’inflation à long terme, qui sont demeurées près de la cible de 2 % malgré l’inflation élevée au cours des trois dernières années.

Tableau 5 : Régression des attentes d’inflation à court terme (cf1)
  Spécification – États-Unis Spécification – EPA Spécification – règlements salariaux ou EERH
cf1* (retards : -1 à -4)      
∑ des coefficients 0,369 0,554 0,588
p(somme) 0,014 0,000 0,000
p(conjointe) 0,001 0,000 0,000
cf10 (retards : 0 à -4)      
∑ des coefficients 0,506 0,276 0,256
p(somme) 0,000 0,000 0,000
p(conjointe) 0,000 0,000 0,000
gp (retards : 0 à -4)      
∑ des coefficients 0,124 0,170 0,156
p(somme) 0,001 0,000 0,000
p(conjointe) 0,000 0,000 0,000
R2 0,908 0,941 0,939
Début de la période d’estimation 1990T1 1998T2 1994T1
Fin de la période d’estimation 2019T4 2023T2 2023T2

* Voir le tableau 1 pour la définition des acronymes utilisés dans le tableau ci-dessus.

Tableau 6 : Régression des attentes d’inflation à long terme (cf10)
  Spécification – États-Unis Spécification – EPA Spécification – règlements salariaux ou EERH
cf10* (retards : -1 à -4)      
∑ des coefficients 0,975 0,998 0,997
p(somme) 0,000 0,000 0,000
p(conjointe) 0,000 0,000 0,000
gp (retards : 0 à -4)      
∑ des coefficients 0,025 0,002 0,003
p(somme) 0,208 0,528 0,404
p(conjointe) 0,004 0,838 0,274
R2 0,931 0,880 0,893
Début de la période d’estimation 1990T1 1998T2 1994T1
Fin de la période d’estimation 2019T4 2023T2 2023T2

* Voir le tableau 1 pour la définition des acronymes utilisés dans le tableau ci-dessus.

Fonctions de réponse impulsionnelle

Nous utilisons le modèle estimé pour montrer comment l’inflation réagit, au fil du temps, aux variations des principales variables exogènes. Les chocs sont étalonnés de manière à correspondre à une augmentation permanente d’un écart-type de ces variables. Nous pouvons ainsi comparer les propriétés dynamiques du modèle utilisé pour l’analyse au Canada à celui des États-Unis.

En général, les trois spécifications propres au Canada donnent des résultats plausibles, avec des propriétés de modèles conformes à la théorie économique (graphique 4). Quelle que soit la spécification utilisée, les effets sur l’inflation des trois chocs de prix étudiés (prix relatif de l’énergie, prix relatif des aliments et indice « pénurie ») sont d’assez courte durée dans les deux économies. Toutefois, l’incidence du choc de prix des aliments sur l’inflation semble être plus forte et plus persistante au Canada qu’aux États-Unis. Sauf pour ce qui est de la spécification basée sur les règlements salariaux en tant que mesures des salaires nominaux, le choc touchant le ratio des postes vacants aux chômeurs contribue moins à l’inflation au Canada qu’aux États-Unis.

Graphique 4 : Les effets des chocs de prix sur l’inflation sont de courte durée d’après divers modèles pour le Canada

Graphique 4 : Les effets des chocs de prix sur l’inflation sont de courte durée d’après divers modèles pour le Canada

Inflation mesurée par l’IPC, taux trimestriel annualisé

Nota : IPC désigne l’indice des prix à la consommation; ECI, l’indice américain du coût de l’emploi; EPA, l’Enquête sur la population active; et EERH, l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail. Les règlements salariaux correspondent au rajustement salarial moyen négocié dans les conventions collectives.
Sources: US Bureau of Labor Statistics, Statistique Canada et calculs de la Banque du Canada

Moteurs de l’augmentation des prix et des salaires au Canada durant la pandémie

Au moyen du modèle estimé, nous pouvons décomposer la dynamique de l’inflation durant la pandémie pour cerner les différents moteurs de celle-ci. Nous faisons ainsi ressortir les facteurs qui seraient, selon le modèle, responsables de la poussée de l’inflation.

Augmentation des prix

Le graphique 5 montre la décomposition des taux d’inflation trimestriels du quatrième trimestre de 2019 au deuxième trimestre de 2023, selon la solution fournie par les modèles complets et leurs fonctions de réponse impulsionnelle implicites. Nous présentons la décomposition tirée de la version américaine du modèle, à des fins de comparaison, à la figure a du graphique 5 et la décomposition pour les spécifications canadiennes dans les autres figures, chacune étant basée sur une mesure différente des salaires.

Graphique 5 : Les tensions sur le marché du travail ont moins contribué à la poussée d’inflation durant la pandémie que d’autres facteurs

Graphique 5 : Les tensions sur le marché du travail ont moins contribué à la poussée d’inflation durant la pandémie que d’autres facteurs

Décomposition du taux trimestriel de l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation, annualisé

Nota : ECI désigne l’indice américain du coût de l’emploi; EPA, l’Enquête sur la population active; et EERH, l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail. Les grands règlements salariaux correspondent au rajustement salarial moyen négocié dans les conventions collectives. L’état initial renvoie à la contribution des données prépandémiques.
Sources : Bernanke et Blanchard (2023), Statistique Canada et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : 2023T2

Les résultats donnent à penser que les chocs du coût des intrants hors main-d’œuvre ont été les principaux moteurs de la poussée de l’inflation au Canada de 2021 jusqu’au début de 2022, précisément pour ce qui concerne :

  • les prix des aliments
  • les prix de l’énergie
  • les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales, qui ont été plus persistantes que prévu

Ces résultats reflètent ceux de Bernanke et Blanchard pour les États-Unis. Cependant, au Canada, les chocs de prix des aliments ont joué un rôle plus important11.

La contribution à l’inflation des déséquilibres sur le marché du travail, mesurés à l’aide du ratio des postes vacants aux chômeurs, a été négative au début de la pandémie, lorsque le taux de chômage est monté en flèche. Toutefois, au fil du rebond de l’économie, les tensions sur ce marché ont commencé à exercer une pression à la hausse sur l’inflation et en sont devenues un moteur de plus en plus important.

La contribution apportée par les tensions sur le marché du travail a été relativement petite par rapport à celle d’autres facteurs exogènes (graphique 5). Fait intéressant, la spirale salaires-prix redoutée ne s’est pas matérialisée même lorsque l’inflation est demeurée élevée et le marché du travail, tendu. C’est en grande partie parce que les attentes d’inflation à long terme sont restées bien ancrées. Même si ce degré élevé d’ancrage est pris en compte dans les données et qu’il est donc reflété dans le modèle, il est probablement endogène aux mesures de politique monétaire prises et a vraisemblablement été renforcé par la réponse énergique de la Banque à la montée brutale de l’inflation12.

Augmentation des salaires

Le graphique 6 montre les divers moteurs de la dynamique de l’augmentation des salaires au Canada. Comme aux États-Unis, les déséquilibres sur le marché du travail (mesurés à l’aide du ratio des postes vacants aux chômeurs) ont beaucoup contribué à cette augmentation. Dans les trois versions du modèle, les pressions sur ce marché ont commencé à stimuler la croissance des salaires au cours de 2022. Dans la version basée sur l’EPA, les déséquilibres ont apporté une contribution de l’ordre de 1,3 point de pourcentage à la croissance trimestrielle des salaires au deuxième trimestre de 2023. Il s’agit du plus important moteur de la hausse des salaires durant ce trimestre.

Graphique 6 : Les pressions sur le marché du travail ont été le principal moteur de la croissance des salaires durant la pandémie

Graphique 6 : Les pressions sur le marché du travail ont été le principal moteur de la croissance des salaires durant la pandémie

Décomposition du taux de croissance trimestriel des salaires, annualisé

Nota : ECI désigne l’indice américain du coût de l’emploi; EPA, l’Enquête sur la population active; et EERH, l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail. Les grands règlements salariaux correspondent au rajustement salarial moyen négocié dans les conventions collectives. L’état initial renvoie à la contribution des données prépandémiques.
Sources : Bernanke et Blanchard (2023), Statistique Canada et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : 2023T2

Le coût des intrants hors main-d’œuvre a aussi contribué à faire accélérer la croissance des salaires. Sur une base trimestrielle, cette contribution a été d’environ 1,1 point de pourcentage au deuxième trimestre de 2023. Même si, dans le modèle, il n’y a aucun canal direct entre ce coût et les salaires, il y a un lien indirect. Par exemple, une poussée des prix de l’énergie entraîne une augmentation de l’inflation globale, ce qui fait monter les attentes d’inflation à court et à long terme, et influence ainsi la croissance des salaires.

Dans l’ensemble, le modèle indique que la croissance élevée des salaires observée récemment au Canada a été surtout attribuable à un ensemble de facteurs qui ont un poids assez égal, soit une forte demande de main-d’œuvre et d’autres chocs de prix qui ont contribué à une hausse des attentes d’inflation à court terme.

Projections établies à partir du modèle

Comme Bernanke et Blanchard, nous analysons des prévisions quant à l’évolution de l’inflation que le modèle peut produire. Le modèle peut assez bien expliquer l’évolution de l’inflation au fil de l’histoire, mais il ne permet pas de faire de prévisions – ou de prédictions – sur ce qui va se passer dans l’avenir. Il ne formule que des projections établies à partir d’hypothèses qui lui sont fournies. Ainsi, les projections que nous présentons montrent comment l’inflation pourrait évoluer, en théorie, si toutes les hypothèses fournies se matérialisaient.

Pour les besoins de cet exercice, nous faisons les hypothèses simplificatrices suivantes :

  • Les prix des aliments et de l’énergie croissent au même rythme que les salaires. Autrement dit, nous supposons que les prix relatifs des aliments et de l’énergie sont constants.
  • Les perturbations de l’offre sont immédiatement résolues et l’indice « pénurie » retourne à une valeur de régime permanent de 15 (par définition, il a une valeur maximale de 100).
  • Le taux de croissance trimestriel annualisé de la productivité est de 1 %, ce qui est proche de la moyenne sur la période d’estimation.
  • Le ratio des postes vacants aux chômeurs a une valeur de régime permanent de 0,45. Conformément à Bernanke et Blanchard, nous modifions donc la constante de l’équation de salaire pour assurer l’équilibre du marché du travail, avec un ratio de 0,4513.
  • Il n’y a pas d’autres chocs touchant les variables endogènes du modèle, y compris les prix, les salaires et les attentes d’inflation.

Pour simplifier les choses, nous utilisons la mesure des salaires de l’EPA, qui est notre version préférée du modèle. Pour prédire l’évolution du marché du travail, nous envisageons trois trajectoires différentes pour le ratio des postes vacants aux chômeurs :

  1. Le ratio converge vers 0,3 – sa moyenne historique avant la pandémie – d’ici au deuxième trimestre de 2025.
  2. Le ratio converge vers 0,45 – sa valeur au quatrième trimestre de 2019 – d’ici au deuxième trimestre de 2025.
  3. Le ratio reste à peu près stable, autour de 0,6 – sa valeur de juillet 2023.

Le graphique 7 montre que si les déséquilibres sur le marché du travail restent aux niveaux de juillet 2023, il est probable que le taux d’inflation soit encore bien au-dessus de la cible de 2 % à la fin de 2025. En revanche, le modèle donne à penser que l’inflation pourrait retourner près de la cible au cours de la même période si les conditions du marché du travail se normalisaient, c’est-à-dire si elles revenaient aux moyennes prépandémiques.

Graphique 7 : Les conditions du marché du travail pourraient devoir s’assouplir davantage pour que l’inflation revienne à la cible

Comparaison des résultats entre économies

La poussée de l’inflation durant la pandémie n’a pas seulement été observée aux États-Unis et au Canada – toutes les grandes économies ont été touchées.

Nos travaux s’inscrivent dans un effort commun entrepris par 11 banques centrales qui vise à comprendre les moteurs et les mécanismes derrière cette hausse mondiale de l’inflation. Les institutions participantes ont appliqué le cadre empirique en se basant sur les données propres à leur territoire de compétence, en collaboration avec Bernanke et Blanchard. Les banques centrales suivantes ont participé :

  • la Banque du Canada
  • la Banque d’Angleterre
  • la Banque du Japon
  • la Banque centrale européenne
  • plusieurs banques centrales de pays de la zone euro14

Dans la présente section, nous faisons ressortir ce que cette expérience nous a appris, en mettant l’accent sur les similitudes et les différences entre les résultats de chaque banque centrale15.

Dans l’ensemble, les modèles estimés dans chaque cas sont relativement bien adaptés aux données nationales.

Malgré certaines différences quantitatives entre les coefficients estimés, les résultats de l’analyse de chacune des banques centrales indiquent que la deuxième vague d’effets des chocs de prix de l’énergie et des aliments a été limitée dans presque toutes les économies. De plus, dans une certaine mesure, les attentes d’inflation à court terme dans chacune ont réagi tant à l’inflation passée qu’aux attentes à long terme. Cependant, et c’est un point important pour les responsables de la politique monétaire, cette analyse montre que les attentes d’inflation à long terme étaient généralement bien ancrées même si l’inflation et les attentes à court terme augmentaient.

La spécification relative aux salaires a été l’élément le moins bien adapté dans la version du modèle créé par chacune des banques centrales. Cela pourrait refléter, en partie, le fait que celles-ci ne mesurent pas tous les salaires et les postes vacants de la même façon. En outre, le fonctionnement du marché du travail diffère d’une économie à l’autre, ce qui pourrait aussi témoigner d’une dynamique des salaires différente de celle proposée par Bernanke et Blanchard dans leur cadre. Cela dit, la courbe de Phillips des salaires semble être relativement aplatie, l’effet du ratio des postes vacants aux chômeurs étant petit dans presque toutes les économies16. Il est intéressant de noter que les résultats de l’analyse dans chaque économie ont révélé peu de signes d’un effet de rattrapage.

Les effets dynamiques des chocs de prix et des pénuries causées par les problèmes d’approvisionnement sur l’inflation globale ont été de courte durée dans la plupart des économies. Cela montre l’étonnante faiblesse de la deuxième vague d’effets des chocs de prix, conjuguée à des attentes d’inflation bien ancrées et à des effets de rattrapage des salaires limités. À l’inverse, les effets dynamiques du resserrement du marché du travail sur l’inflation globale ont été relativement hétérogènes, mais assez peu importants à bien des endroits, ce qui reflète la faible pente de la courbe de Phillips de chaque économie. Par exemple : au Japon, le choc sur le marché du travail a eu une incidence négligeable sur l’inflation; aux États-Unis et dans les pays de la zone euro qui participent à l’étude, il a fallu du temps pour que le choc fasse monter l’inflation; alors qu’au Royaume-Uni, l’inflation a augmenté vite et de manière plus irrégulière.

Enfin, la décomposition historique brosse un portrait similaire pour les 11 économies. Les résultats de cette analyse à l’échelle de tous les participants montrent qu’avant qu’elle atteigne son sommet, la poussée de l’inflation a été, dans une certaine mesure, entièrement attribuable à des chocs de prix des aliments, de l’énergie et sectoriels (pénuries). Toutefois, la contribution relative de ces chocs varie :

  • Les chocs de prix de l’énergie, des aliments et sectoriels ont joué le rôle le plus important, surtout dans la zone euro et au Royaume-Uni. Cela reflète en partie la plus grande exposition de ces économies aux effets de la guerre en Ukraine.
  • Les chocs de prix des aliments ont beaucoup contribué à l’inflation au Japon, ce qui indique que la poussée plus modérée d’inflation dans ce pays s’explique principalement par des facteurs externes.

À mesure que les pressions exercées par les chocs de prix s’atténuaient et que l’inflation commençait à s’essouffler, la contribution des chocs sur le marché du travail – qui avait été faible jusque-là – a augmenté. Depuis, les chocs touchant le marché du travail ont persisté dans pratiquement toutes les économies, sauf en Belgique, au Japon et en Italie, où leur incidence a été presque nulle. Cela dit, les tensions sur le marché du travail ont davantage contribué à l’inflation élevée aux États-Unis que dans la zone euro. Néanmoins, si l’on observe les résultats des pays de la zone euro séparément, ces chocs ont joué un plus grand rôle en France et au Royaume-Uni qu’aux États-Unis et au Canada.

Conclusion

La poussée inflationniste survenue durant la pandémie a fait ressortir l’importance de mieux modéliser l’évolution du marché du travail, qui est un élément clé de l’offre au sein de l’économie. Les efforts communs de diverses banques centrales, inspirés par les travaux de Bernanke et Blanchard, fournissent des informations utiles à ce sujet. Notre contribution à cet effort vient aussi enrichir les travaux de la Banque visant à affiner sa modélisation en mettant l’accent sur l’influence de la dynamique du marché du travail sur les salaires et l’inflation (Coletti, 2023). Nous poursuivons nos recherches en ce sens, dans l’espoir d’améliorer la compréhension des moteurs de l’inflation au Canada.

Annexe : Élargir le modèle pour y incorporer les prix des importations

Le modèle élaboré par Bernanke et Blanchard (2023) ne tient pas compte du rôle des prix des importations, vraisemblablement parce que l’économie américaine est relativement fermée. Cependant, le prix des biens importés occupe une place plus centrale dans les petites économies ouvertes, comme celle du Canada. Ainsi, nous proposons d’élargir le cadre initial de Bernanke et Blanchard pour y incorporer les prix des importations.

En pratique, cela implique d’ajouter une variable, grpm, ainsi que ses quatre premiers retards dans l’équation relative à la croissance des prix. Cette variable représente la différence logarithmique annualisée des prix totaux des importations par rapport à la mesure du salaire global.

Le tableau A-1 résume les résultats du modèle élargi et les compare aux résultats du modèle de base qui n’incorpore pas les prix des importations.

Tableau A-1 : Régression de l’inflation (gp)
  Modèle de base (EPA) Modèle élargi (EPA)
gp* (retards : -1 à -4)    
∑ des coefficients 0,730 0,721
p(somme) 0,000 0,000
p(conjointe) 0,000 0,000
gw (retards : 0 à -4)    
∑ des coefficients 0,270 0,279
p(somme) 0,039 0,035
p(conjointe) 0,004 0,008
grpe (retards : 0 à -4)    
∑ des coefficients 0,032 0,032
p(somme) 0,101 0,103
p(conjointe) 0,000 0,000
grpf (retards : 0 à -4)    
∑ des coefficients 0,127 0,072
p(somme) 0,163 0,468
p(conjointe) 0,000 0,003
pénurie (retards : 0 à -4)    
∑ des coefficients 0,001 0,000
p(somme) 0,920 0,984
p(conjointe) 0,580 0,218
magpty (retard : 0)    
∑ des coefficients -0,027 -0,033
p(somme) 0,628 0,563
Valeur p 0,628 0,563
grpm (retards : 0 à -4)    
∑ des coefficients   0,050
p(somme)   0,093
Valeur p   0,330
R2 0,897 0,907
Début de la période d’estimation 1998T2 1998T2
Fin de la période d’estimation 2023T2 2023T2

* Voir le tableau 1 pour la définition des acronymes utilisés dans le tableau ci-dessus.

Les résultats montrent que l’incorporation des prix des importations au modèle produit des coefficients très semblables pour le reste des variables. L’exception digne de mention est la diminution considérable de la somme des coefficients pour les prix des aliments, qui passe de 0,127 dans le modèle de base à 0,072 dans le modèle élargi. Dans le modèle élargi, cette somme est davantage conforme au poids des aliments dans le panier de l’indice des prix à la consommation (IPC). De plus, ce modèle montre un effet de 26 % à long terme d’un choc de prix des aliments, comparativement à 47 % pour le modèle de base. D’après nous, la réaction aux chocs de prix des aliments est plus raisonnable dans le modèle élargi et correspond généralement plus au poids de cette composante dans le panier de l’IPC.

Par conséquent, même s’il n’est pas démontré que les prix des importations ont des effets statistiquement significatifs, nous préférons la version élargie du modèle pour des raisons d’ordre théorique.

Références

Ahn, H. J. et C. Fulton. 2020. « Index of Common Inflation Expectations ». FEDS Notes, 2 septembre. Washington : Conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve des États-Unis.

Aldama P., H. Le Bihan et C. Le Gall. À paraître. « What Caused Inflation in the Post-Pandemic-Era? Replicating Bernanke and Blanchard (2023) on French Data ». Rapport technique de la Banque de France.

Arce Ó., M. Ciccarelli, A. Kornprobst et C. Montes-Galdón. 2024. « What Caused the Euro Area Post-Pandemic Inflation? ». Occasional Paper Series 343 de la Banque centrale européenne.

Bernanke B. S. et O. J. Blanchard. 2023. « What Caused the US Pandemic-Era Inflation? ». Communication préparée pour le Hutchins Center on Fiscal and Monetary Policy à l’occasion de l’exposé de Brookings Institution intitulé « The Fed: Lessons Learned from the Past Three Years », 23 mai.

Bernanke, B. S. et O. J. Blanchard. 2024. « An Analysis of Postpandemic Inflation in 11 Economies ». Document de travail 24-11 du Peterson Institute for International Economics.

Bonam, D., G. Hebbink et B. Pruijt. 2024. « Drivers of Dutch Inflation During the Pandemic Era ». Analyse de la De Nederlandsche Bank, 22 mars.

Coletti, D. 2023. « A Blueprint for the Fourth Generation of Bank of Canada Projection and Policy Analysis Models ». Document d’analyse du personnel 2023-23 de la Banque du Canada.

De Walque, G. et T. Lejeune. 2024. « What Caused the Post-Pandemic Era Inflation in Belgium? Replication of the Bernanke-Blanchard model for Belgium ». Document de travail 447 de la Banque nationale de Belgique.

Ghomi, M., S. Hurtado et J. M. Montero. 2024. « Analysis of Recent Inflation Dynamics in Spain. An Approach Based on the Blanchard and Bernanke (2023) Model ». Documentos Ocasionales 2404 de la Banque d’Espagne.

Haskel, J., J. Martin et L. Brandt. 2023. « Recent UK Inflation: An Application of the Bernanke-Blanchard Model ». Document de la Banque d’Angleterre, 27 novembre.

Lam, A. 2022. « Canada’s Beveridge Curve and the Outlook for the Labour Market ». Note analytique du personnel 2022-18 de la Banque du Canada.

Menz, J.-O. 2024. « Sources of Post-Pandemic Inflation in Germany and the Euro Area: An Application of Bernanke and Blanchard (2023) ». Document technique 02/2024 de la Deutsche Bundesbank.

Nakamura K., S. Nakano, M. Osada et H. Yamamoto. 2024. « What caused the Pandemic-Era Inflation? Application of the Bernanke-Blanchard Model to Japan ». Document de travail 24-E-1 de la Banque du Japon.

Pisani, M. et A. Tagliabracci. 2024. « What Caused the Post-Pandemic Inflation in Italy? An Application of Bernanke and Blanchard (2023) ».

  1. 1. Sauf indication contraire, toute mention de Bernanke et Blanchard dans la présente note renvoie à Bernanke et Blanchard (2023).[]
  2. 2. Les conditions du marché du travail se sont nettement assouplies depuis 2023, réduisant le risque que l’inflation élevée s’enracine.[]
  3. 3. Les variables relatives aux salaires, aux prix et aux attentes d’inflation sont toutes exprimées en logarithme. Ainsi, les différences premières peuvent être interprétées comme taux de croissance.[]
  4. 4. L’exception est la croissance de la productivité tendancielle du travail, pour laquelle nous utilisons une moyenne mobile sur deux ans.[]
  5. 5. Dans l’estimation de Bernanke et Blanchard, les équations relatives aux attentes d’inflation à court et à long terme, de même que l’équation relative aux salaires, sont estimées pour un échantillon prépandémique qui s’étend du premier trimestre de 1990 au quatrième trimestre de 2019. Dans la présente version, seule l’équation relative aux prix est estimée jusqu’au premier trimestre de 2023.[]
  6. 6. Les effets de composition traduisent l’idée selon laquelle une variation subite dans la composition de la main-d’œuvre peut influer sur le salaire global. Par exemple, ce dernier augmente dès qu’un événement entraîne le licenciement d’un nombre disproportionné de travailleurs faiblement rémunérés.[]
  7. 7. Ajoutons que la croissance des salaires calculée à partir de ces données représente une moyenne sur la durée des conventions collectives. Par conséquent, elle ne représente pas forcément la croissance des salaires actuelle, mais plutôt celle des quelques années à venir.[]
  8. 8. Voir, par exemple, Banque du Canada, Enquête sur les perspectives des entreprises – Premier trimestre de 2022 (avril 2022). []
  9. 9. La disponibilité des données limite la taille de l’échantillon utilisé pour les estimations du Canada. Entre autres, Statistique Canada n’a commencé à recueillir des renseignements sur les salaires qu’en 1997 dans le cadre de l’Enquête sur la population active.[]
  10. 10. Ce taux est obtenu en divisant 0,032 par (1 - 0,73). Les taux équivalents sont de 10 % pour la mesure de l’EERH et de 7 % pour la mesure des règlements salariaux.[]
  11. 11. Cela s’explique en partie par le poids plus important des aliments dans le panier de l’IPC canadien (17 %) que dans le panier utilisé aux États-Unis (13 %). De plus, comme indiqué dans la section précédente, la contribution des prix des aliments pourrait être un peu démesurée en raison d’autres chocs d’offre qui peuvent souvent être corrélés avec l’augmentation des prix des aliments. Une version du modèle qui tient compte des prix des importations résout ce problème. Voir l’annexe pour des précisions.[]
  12. 12. La Banque a mis fin à son programme d’assouplissement quantitatif à l’automne 2021. En mars 2022, elle a commencé à relever son taux directeur. Elle a procédé à dix hausses de taux consécutives pour une augmentation totale de 475 points de base. La Banque a aussi amorcé un programme de resserrement quantitatif en avril 2022.[]
  13. 13. Cela signifie que le taux d’inflation finira par se stabiliser si le ratio des postes vacants aux chômeurs est maintenu à 0,45 une fois que tous les effets des chocs se seront dissipés.[]
  14. 14. Il s’agit des banques centrales de France, d’Italie, des Pays-Bas, d’Espagne, d’Allemagne et de Belgique. La Réserve fédérale américaine agit à titre d’observatrice du projet, puisque les résultats de Bernanke et Blanchard ont été utilisés pour les États-Unis.[]
  15. 15. Pour des précisions, voir Bernanke et Blanchard (2024); Aldama, Le Bihan et Le Gall (à paraître); Arce et autres (2024); Bonam, Hebbink et Pruijt (2024); De Walque et Lejeune (2024); Ghomi, Hurtado et Montero (2024); Haskel, Martin et Brandt (2023); Menz (2024); Nakamura et autres (2024); et Pisani et Tagliabracci (2024).[]
  16. 16. Il convient de noter que cet indicateur est statistiquement significatif dans sept des onze économies, et que la somme des coefficients du ratio des postes vacants aux chômeurs est significative au seuil de 5 %.[]

Remerciements

Nous remercions Ben Bernanke, Olivier Blanchard, Gino Cateau, Jing Yang, Russell Barnett, Mikael Khan, Corrine Luu, Rodrigo Sekkel, Stefano Gnocchi, Jonathan Haskel, Carlos Montes Galdón, Sam Boocker, Josh Martin, Lennart Brandt, Philip Lane, Matteo Ciccarelli, Oscar Arce, Mitsuhiro Osada, Hiroki Yamamoto, Kouji Nakamura, Shougo Nakano, Ekaterina Peneva, Daniel Leigh, Hervé Le Bihan, Olivier Garnier, Jan-Oliver Menz, Thomas Lejeune, Massimiliano Pisani, Samuel Hurtado et Dennis Bonam pour leur apport éclairé à nos discussions ainsi que pour leurs commentaires constructifs au séminaire de la Banque du Canada et dans le cadre des réunions de notre groupe de travail. Nous remercions aussi Alex Lam et Paul Corrigan de leur aide et de leurs suggestions pour l’établissement de données sur les postes vacants au Canada. Nous sommes reconnaissants à Jordan Press et Leanne Rancourt pour leur aide dans l’amélioration de la lisibilité du texte, et à Guylaine Létourneau et Marie-Lou Lachance pour la traduction française. Nous tenons également à souligner l’assistance remarquable de Yena Joo en recherche. Les opinions exprimées par les auteurs ne traduisent pas forcément le point de vue de la Banque du Canada ou de son personnel. Les auteurs assument l’entière responsabilité de toute erreur qui pourrait subsister.

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2024-13

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