Bonjour à tous et merci de me donner la chance d’être ici.

C’est mon deuxième discours en personne depuis mon arrivée à la Banque du Canada à la fin de l’année passée, et je suis bien contente d’être dans l’Ouest cette fois‑ci. J’ai grandi dans l’Ouest canadien et ma carrière m’a amenée à vivre dans chacune de ses provinces, de la Colombie‑Britannique au Manitoba. J’ai même passé quelque temps ici, à Calgary. Ma saison préférée dans ce coin de pays est l’automne, le temps des récoltes. C’est un moment de l’année rempli de promesses qui me rappelle tellement de bons souvenirs.

Je me réjouis de passer les deux prochains jours à discuter avec des chefs d’entreprise comme vous et à entendre vos réflexions sur l’économie albertaine et canadienne. Mais d’abord, j’aimerais vous donner certains des points de vue de la Banque, particulièrement sur l’économie et sur notre politique monétaire.

Je prévois aborder trois sujets ce matin.

D’abord, je veux vous parler de notre point de vue actuel sur l’économie canadienne et sur l’inflation en particulier. L’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) se situait à 7,6 % en juillet, en légère baisse par rapport au taux de 8,1 % observé en juin. Bien qu’il semble que l’inflation globale ait déjà atteint son pic au Canada, si on en exclut les prix de l’essence, elle a continué à augmenter et à s’étendre à plus de biens et de services. Une grande incertitude persiste, particulièrement sur les marchés mondiaux des produits de base, et cela pourrait ralentir nos progrès. Et même si la plupart du temps, la pandémie semble être derrière nous, l’hiver ne saurait tarder et cela signifie que nous passerons plus de temps à l’intérieur. Si les deux dernières années nous ont appris quelque chose, c’est qu’il faut s’attendre à l’inattendu.

Évidemment, le deuxième sujet que je souhaite aborder est notre plus récente décision à propos du taux directeur. Hier, la Banque l’a relevé de 75 points de base. Cette décision fait suite à la hausse d’un point de pourcentage annoncée en juillet. Au total, la Banque a augmenté son taux directeur de 3 % depuis mars. Je passerai un peu de temps à vous expliquer pourquoi nous avons décidé de procéder à des hausses rapides, et pourquoi nous pensons qu’elles sont la bonne réaction aux causes sous-jacentes actuelles de l’inflation au Canada.

Mon troisième et dernier point sera la voie à suivre pour l’avenir. J’espère vous donner un aperçu des signes que la Banque compte surveiller de près pour guider ses décisions dans les mois à venir. Il faut du temps pour que la politique monétaire ait une incidence sur l’économie. Les décisions que la Banque prend maintenant, et celles qu’elle a prises au cours des derniers mois, pourraient prendre jusqu’à deux ans pour produire leur plein effet sur l’inflation. Entre-temps, nous surveillerons certains indicateurs pour guider nos décisions, et je vous en parlerai en détail aujourd’hui.

Je vais commencer par vous parler de l’évolution de nos perspectives sur l’économie depuis juillet puisque cela m’aidera à mettre la décision d’hier en contexte.

Évolution de l’économie

Commençons par l’inflation. Les défis des chaînes d’approvisionnement mondiales et les prix élevés des produits de base continuent d’alimenter l’inflation ici, au Canada. De plus, la demande continue de surpasser l’offre dans de nombreux secteurs de l’économie canadienne, et les attentes d’inflation à court terme demeurent élevées. Aussi longtemps que ce sera le cas, il y aura des pressions à la hausse sur les prix.

Bien des Canadiens ont souffert de ces pressions cet été, alors qu’ils tentaient de rattraper deux étés de vacances et de réunions de famille manquées. Ils ont été confrontés à des options limitées et à des prix plus élevés au moment de réserver des sites de camping, de louer des voitures ou des chambres d’hôtel, d’acheter des billets d’avion et même, de manger au restaurant.

Ces pressions ne se font pas seulement sentir sur les prix des activités discrétionnaires, comme les vacances ou les repas au restaurant. En réalité, certaines des hausses de prix les plus importantes ont touché des choses comme l’épicerie, l’essence et le loyer. Ce sont là toutes des dépenses nécessaires et régulières pour les Canadiens. Il est donc impossible d’échapper au stress et à la frustration que cause l’inflation, surtout pour les ménages à faible revenu ou à revenu fixe.

L’inflation élevée touche également les entreprises. Les intrants – comme les matières premières, les intrants intermédiaires et la main‑d’œuvre – coûtent plus cher. Même si les entreprises peuvent augmenter leurs prix pour compenser la hausse du coût des intrants, l’inflation les plonge dans une incertitude qui peut influencer leurs décisions d’investissement. À long terme, cela entraîne des pressions à la baisse sur la productivité et empêche la croissance des entreprises et de l’économie dans son ensemble.

Bien que l’inflation mesurée par l’IPC ait connu un léger recul en juillet, celui‑ci était surtout attribuable à la baisse des prix de l’essence. Si on exclut les prix de l’essence, l’inflation a augmenté et s’est étendue à plus de composantes. Dans les faits, plus de la moitié des composantes de l’IPC ont connu une croissance supérieure à 5 % en juillet, et les mesures de l’inflation fondamentale de la Banque ont continué à monter. Ces dernières se situaient toutes à 5 % ou plus en juillet. Cela montre à quel point l’inflation sous-jacente demeure forte au Canada.

Pour ce qui est de l’économie dans son ensemble, elle a évolué comme nous nous y attendions lors de la publication de notre Rapport sur la politique monétaire en juillet.

Avec la reprise des dépenses dans les secteurs où la distanciation est difficile, en particulier les services, les dépenses de consommation ont été élevées au deuxième trimestre. Selon les premiers indicateurs, comme les réservations dans les restaurants et les hôtels, la demande de services devrait demeurer forte au troisième trimestre.

L’activité de revente de logements a chuté par rapport aux niveaux insoutenables connus durant la pandémie. De plus, les prix des logements se sont ajustés à la baisse, les plus grands reculs de prix se produisant principalement dans des régions du pays où les hausses avaient été les plus marquées au cours des deux dernières années.

Du côté des entreprises, une hausse importante des importations de machines et de matériel au deuxième trimestre laisse présager des investissements vigoureux des entreprises durant la deuxième moitié de l’année. Les perspectives d’exportation demeurent également positives. L’économie de l’Alberta a bénéficié de cette vigueur, de même que des prix plus élevés du pétrole, ce qui devrait stimuler les investissements et les exportations dans les secteurs de l’énergie et des autres produits de base.

Le marché du travail demeure tendu. Le taux de chômage est à son niveau le plus bas jamais vu, et des pénuries importantes de main‑d’œuvre persistent dans la plupart des secteurs. Avec plus d’un million de postes vacants au Canada, la demande des employeurs demeure élevée.

Le ralentissement de la demande mondiale de biens contribue à un certain désengorgement des goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement. Les coûts d’expédition à l’échelle mondiale ont baissé considérablement au cours des derniers mois, et ils se situent à environ 50 % de leur niveau le plus élevé enregistré en septembre 2021. De plus, les délais de livraison et les commandes en attente des fournisseurs ont continué à se résorber en juillet dans la plupart des régions du monde. Si la situation mondiale est encourageante, les contraintes d’offre restent généralisées chez nous; les entreprises canadiennes ne constatent pas encore d’amélioration majeure sur le plan de l’offre.

Prises ensemble, les données des deux derniers mois indiquent toutes la même chose : l’économie canadienne continue d’afficher une demande excédentaire malgré le recul de l’activité dans le secteur du logement, et les pressions inflationnistes sont de plus en plus généralisées. C’est ce qui m’amène à notre décision d’hier d’augmenter le taux directeur à 3,25 %.

Notre décision d’hier

Il s’agit de la cinquième hausse de notre taux directeur depuis mars dernier. Le rythme et l’ampleur de ces hausses de taux sont inhabituels, et nous savons que bien des Canadiens ont hâte de savoir si nos actions fonctionnent comme prévu pour faire baisser l’inflation. Nous sommes aussi conscients que, pour beaucoup d’entre eux, les taux plus élevés ajoutent aux difficultés qu’ils vivent déjà à cause de la forte inflation. Mais il est nécessaire de monter les taux d’intérêt pour faire baisser l’inflation.

La hausse des taux d’intérêt rend les coûts d’emprunt plus élevés et incite à l’épargne, amenant les consommateurs et les entreprises à dépenser moins et à épargner davantage. À mesure que les gens dépensent moins, la demande globale diminue dans l’économie, ce qui donnera la chance à l’offre de la rattraper.

Puisque l’économie est en situation de demande excédentaire, il nous faut une période de croissance plus faible pour rééquilibrer le tout et ramener la demande au même niveau que l’offre. La baisse des dépenses résultant de ce rééquilibrage mènera, à terme, à une inflation plus faible.

La politique monétaire fonctionne comme une réaction en chaîne, ou une séquence d’événements. Mais cette séquence prend du temps. L’histoire et la recherche montrent que les ajustements du taux directeur de la Banque ne touchent pas les différents ménages et secteurs de l’économie de la même façon ni au même rythme1. Si vous faites un achat ou un investissement important – un qui nécessite un prêt – vous sentirez immédiatement l’effet des taux plus élevés. Et les secteurs les plus sensibles aux variations des taux d’intérêt sont ceux qui ralentissent en premier.

Le secteur du logement est un exemple frappant. La plupart des gens contractent un prêt hypothécaire pour acheter une maison. Une hausse des taux hypothécaires peut nous amener à retarder notre achat ou à acheter une maison plus modeste. Ces décisions entraînent un ralentissement de l’activité dans le secteur du logement.

Lorsque l’activité ralentit sur le marché du logement, les gens tendent à acheter moins de meubles et d’autres biens ménagers.

Il faut plus de temps pour que la politique monétaire freine la croissance des prix d’autres biens et services – surtout des services –, parce que ceux-ci ne sont pas directement liés à l’emprunt. Ils s’ajustent plutôt à mesure que les dépenses globales diminuent.

Laissez-moi maintenant faire un survol des délibérations qui ont mené à notre décision d’hier. Sans surprise, le Conseil de direction a discuté de l’évolution de l’économie depuis juillet. Nous avons parlé du fait que, même si les économies canadienne et mondiale montrent des signes de ralentissement, la demande est manifestement excédentaire au Canada. La croissance du produit intérieur brut au deuxième trimestre a été un peu inférieure à la projection de juillet, mais la consommation et les investissements des entreprises ont progressé à un rythme soutenu.

Les marchés du travail sont tendus, et l’inflation est forte et se généralise. Puisque les attentes d’inflation à court terme restent élevées et que les trois mesures de l’inflation fondamentale de la Banque sont en hausse, le Conseil de direction a discuté du risque persistant que l’inflation s’enracine. Et plus les attentes d’inflation resteront élevées pendant longtemps, plus la forte inflation risque de s’enraciner.

Si cela se produit, l’inflation plus élevée pourrait s’autoalimenter et enclencher un cercle vicieux. Nous voulons empêcher ce scénario de se matérialiser, sans quoi le coût économique à payer pour restaurer la stabilité des prix serait beaucoup plus élevé.

C’est pourquoi nous avons décidé de relever le taux directeur de 75 points de base pour le faire passer à 3,25 %. En procédant sans attendre à des hausses importantes du taux directeur, nous tentons d’éviter que les taux d’intérêt doivent être encore plus élevés plus tard et de prévenir un ralentissement plus prononcé de l’économie.

Compte tenu des perspectives d’inflation, nous jugeons encore que le taux directeur va devoir augmenter davantage. À mesure que les effets du resserrement de la politique monétaire deviendront plus évidents dans l’économie, nous évaluerons jusqu’où il faudra encore relever les taux d’intérêt pour ramener l’inflation à la cible.

Perspectives

Dorénavant, notre priorité sera d’évaluer dans quelle mesure la politique monétaire parvient à ralentir la demande, à quelle vitesse les problèmes d’offre se résolvent et, surtout, comment réagissent l’inflation et les attentes d’inflation.

Permettez-moi d’aborder ces aspects à tour de rôle.

Du côté de la demande, nous allons suivre de près la façon dont l’évolution de la situation mondiale et les prix des produits de base influent sur nos exportations et sur les investissements des entreprises, ainsi que l’incidence sur les décisions en matière de prix. À mesure que l’inflation et les taux d’intérêt plus élevés feront pression sur le budget des ménages, les dépenses de consommation devraient ralentir, à la fois pour les biens et les services. Toutefois, nous savons que les Canadiens ont accumulé un surplus d’épargne durant la pandémie. Il y a donc un risque que les dépenses de consommation affichent plus de dynamisme que prévu, rendant l’inflation plus persistante. À mesure que la demande de main‑d’œuvre redescendra des niveaux excessifs, les pressions sur les salaires et les prix – et donc l’inflation – devraient se résorber. Et évidemment, nous continuerons de surveiller l’ajustement de l’activité et des prix sur le marché du logement.

Du côté de l’offre, des événements mondiaux imprévus pourraient venir perturber l’approvisionnement et faire grimper les prix encore plus. Nous allons surveiller les perturbations de l’approvisionnement pour voir si elles s’améliorent, en particulier dans les secteurs durement touchés, comme celui de l’automobile. Est-ce que le désengorgement des goulots d’étranglement à l’échelle mondiale se poursuivra? À quelle vitesse se traduira-t-il par une diminution des contraintes d’offre et par des coûts moins élevés pour les entreprises canadiennes? De même, la Banque continuera de surveiller un vaste ensemble d’indicateurs pour voir si les pénuries de main-d’œuvre se résorbent.

Enfin, au fil du retour à l’équilibre entre l’offre et la demande, nous allons examiner comment l’inflation et les attentes d’inflation réagissent. Il s’agira notamment de regarder la tendance à court terme, en particulier celle de nos mesures de l’inflation fondamentale, pour évaluer à quel point les pressions sur les prix sont généralisées et enracinées. Entre-temps, les résultats de nos enquêtes nous aideront à voir si les attentes d’inflation à court terme des consommateurs et des entreprises sont en baisse. Ce serait un signe important que la politique monétaire fonctionne, et que les Canadiens commencent à sentir un certain répit.

Compte tenu du décalage entre l’ajustement des taux d’intérêt et son effet sur l’inflation, et de la grande incertitude qui entoure les perspectives, ramener l’inflation à 2 % prendra un certain temps. Nous savons aussi qu’il pourrait y avoir des obstacles en cours de route.

C’est pourquoi notre évaluation constante et méticuleuse de l’économie et de l’inflation est si importante. Nous demeurons résolus à ramener l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Les Canadiens devraient pouvoir planifier leurs décisions en matière de dépenses et d’épargne sans avoir à s’inquiéter du prix croissant des nécessités du quotidien.

Conclusion

Pour conclure, permettez-moi de revenir à mon point de départ : le temps des moissons en Alberta.

Enfant, j’ai passé du temps sur la ferme de mes grands-parents. Je me souviens que mon grand-père me disait qu’il avait besoin de trois yeux au moment de la récolte : un rivé sur la météo, un sur le calendrier, et l’autre sur les cultures. Je me souviens aussi qu’on ne comptait pas les longues journées et les nuits sans sommeil tant que la récolte n’était pas terminée.

C’est un peu comme à la Banque du Canada en ce moment : nous gardons un œil attentif sur beaucoup de choses, nous avons beaucoup de travail sur la planche et nous ne prendrons aucun repos tant que nous n’aurons pas ramené l’inflation à la cible.

Nous sommes déterminés à y arriver.

Je tiens à remercier Erik Ens et Kristina Hess pour leur aide dans la préparation de ce discours.

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  1. 1. T. Chernis et C. Luu (2018), Disaggregating Household Sensitivity to Monetary Policy by Expenditure Category, note analytique du personnel no 2018-32, Banque du Canada.[]