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Quelques grandes questions économiques de l'heure au Canada

Chaque année, le Conseil d'administration de la Banque du Canada tient l'une de ses réunions dans une ville autre qu'Ottawa, en alternant les régions. À mon vif plaisir, c'est London qui a été choisie cette année, ce qui m'offre la possibilité de vous entretenir de l'évolution récente de l'économie canadienne.

On peut mentionner, parmi les questions économiques qui sont fréquemment débattues au Canada ces derniers temps, la pertinence du maintien de l'engagement de la Banque du Canada à réaliser la stabilité des prix, le peu de confiance des consommateurs et la viabilité des écarts négatifs qui existent à l'heure actuelle entre les taux canadiens et les taux américains.

Plus précisément, comme l'inflation est actuellement très faible au Canada et qu'on s'attend à ce qu'elle le demeure, certaines personnes se demandent pourquoi la Banque du Canada continue d'axer ses mesures sur la stabilité des prix et ne se préoccupe pas davantage de la croissance économique et de la création d'emplois.

D'autres aimeraient comprendre pourquoi l'économie canadienne ne se porte pas mieux, s'il est vrai qu'un bas taux d'inflation est favorable à l'économie et que certains des autres facteurs fondamentaux se sont également améliorés. Comment se fait-il, se demandent-ils, que la confiance des Canadiens dans leur économie ne soit pas plus forte? Les gens veulent aussi savoir quelles sont, d'après la Banque du Canada, les chances que la confiance se redresse chez les consommateurs.

Que fait la Banque pour raviver la confiance des ménages? Les taux d'intérêt servis sur les engagements à deux ans et moins sont maintenant plus bas au Canada qu'ils ne le sont aux États-Unis, ce qui constitue une première pour bien des gens. Il n'est donc pas étonnant qu'ils se demandent si cette situation va durer.

J'aimerais donc profiter de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour vous expliquer pourquoi nous croyons, à la Banque du Canada, qu'il est important de rester fidèles à nos objectifs en matière de maîtrise de l'inflation. Je vous ferai part aussi des facteurs qui m'amènent à croire que la confiance des consommateurs va s'améliorer; enfin, en guise de conclusion, je dirai quelques mots sur les conditions que je considère indispensables pour que les taux d'intérêt canadiens soient inférieurs à leurs pendants américains.

Les avantages d'une politique de faible inflation et des cibles de maîtrise de l'inflation

Si la Banque du Canada vise un faible taux d'inflation, ce n'est pas parce que, comme semblent encore le croire certains, c'est une politique en vogue au sein des banques centrales. D'autant plus que la recherche d'un bas taux inflation n'est pas une fin en soi, mais bien le moyen par lequel la politique monétaire peut contribuer fondamentalement à la bonne tenue de l'économie.

Pour que l'économie de notre pays fonctionne bien, les Canadiens doivent être assurés que la monnaie qu'ils utilisent conservera sa valeur au fil du temps. Et pour que celle-ci conserve sa valeur, elle ne doit pas être grugée par une inflation chronique; autrement dit, le niveau général des prix dans l'économie doit rester stable.

Comme nous l'ont enseigné les années 70 et 80, un niveau élevé d'inflation comporte des coûts très élevés. Il génère de l'incertitude au sujet de l'avenir, rend plus complexes les décisions de nature économique et distrait vers des activités spéculatives des ressources précieuses qui pourraient être affectées à des investissements productifs si les gens ne cherchaient pas à se protéger contre les ravages que cause l'inflation. Tous n'y parviennent pas d'ailleurs, et ce sont souvent les plus démunis qui subissent les plus grandes pertes.

La Banque du Canada s'est engagée vis-à-vis des Canadiens à mener sa politique de façon à soutenir la confiance dans la monnaie nationale, afin que nous n'ayons pas à supporter des coûts aussi élevés.

Pour rendre cet engagement plus concret et plus crédible, et par conséquent favoriser une atténuation des attentes en matière d'inflation, le gouvernement et la Banque du Canada ont établi une série de cibles définies pour la maîtrise de l'inflation. La cible actuelle consiste à maintenir le taux d'inflation à l'intérieur d'une fourchette de 1 à 3 %, et ce, jusqu'à la fin de 1998. D'ici là, une nouvelle fourchette cible, compatible avec une définition adéquate de la stabilité des prix au Canada, aura été établie pour la période subséquente.

Je suis convaincu que la poursuite d'une politique de faible inflation, conjuguée à notre détermination de respecter les cibles établies, nous permet non seulement d'éviter les coûts qui découlent de l'inflation, mais aussi de jeter les bases d'une économie plus stable et plus productive.

En provoquant l'adoption de mesures qui visent à maintenir l'inflation à l'intérieur de la fourchette cible, la politique monétaire joue le rôle de stabilisateur automatique de l'économie. Ainsi, lorsque l'activité économique est vigoureuse et que des pressions s'exercent sur la capacité de production, ce qui risque de pousser la tendance de l'inflation au-delà de la limite supérieure de la fourchette visée, la Banque intervient pour resserrer les conditions monétaires et modérer les pressions. Elle réagit avec la même diligence pour favoriser un assouplissement des conditions monétaires lorsque l'économie est faible et que la tendance de l'inflation risque de tomber en deçà de la fourchette cible. Le relâchement des conditions monétaires opéré depuis octobre dernier illustre bien ce dernier cas et devrait balayer les craintes qu'une politique monétaire axée sur la stabilité des prix soit forcément toujours trop restrictive.

Bien entendu, la politique monétaire ne peut « régler » l'économie avec précision, en visant un niveau donné d'activité économique à court terme. Ce n'est qu'après un an ou même deux que les mesures de politique monétaire prises font sentir leur effet sur l'inflation. C'est pourquoi nous imprimons à la politique monétaire une orientation à moyen terme, en mettant l'accent sur la maîtrise de l'inflation de manière à soutenir un rythme de croissance qui soit durable.

En plus de servir de stabilisateur du niveau de l'activité économique, une politique axée sur la stabilité des prix contribue à rendre l'économie efficiente à plus long terme.

Certains de ces bienfaits à long terme commencent déjà à se manifester et contribuent à l'amélioration de facteurs fondamentaux, gage d'une plus grande prospérité économique pour l'ensemble des Canadiens. Je pense en particulier à la meilleure maîtrise des coûts et à la compétitivité accrue des entreprises canadiennes (qui expliquent dans une large mesure l'excellente tenue de nos exportations au cours des quatre dernières années). Je suis convaincu que notre faible taux d'inflation a été déterminant à cet égard en favorisant la création d'un environnement plus stable, la prise de décisions judicieuses en matière d'investissement et la réalisation d'autres projets de restructuration qui ont contribué à ces améliorations.

Si je me fonde sur les résultats obtenus jusqu'ici, je crois que beaucoup de Canadiens conviendront que l'engagement des autorités à maintenir l'inflation à un bas niveau comporte d'importants avantages économiques. Quoi que nous entreprenions désormais, nous devons veiller à ne pas compromettre ces gains durement acquis ni la réputation de pays à faible inflation dont nous jouissons sur les marchés financiers, en partie grâce à laquelle nos taux d'intérêt ont pu baisser.

Nous savons que la crédibilité ne se bâtit pas du jour au lendemain, mais qu'elle peut être détruite en un rien de temps une fois que les marchés commencent à douter de la fermeté de l'engagement des pouvoirs publics à réaliser les objectifs énoncés. Même si depuis quatre ans nous obtenons de bons résultats sur le front de l'inflation, nous devons nous défaire d'un passé de près de 20 ans d'inflation élevée. La seule façon pour nous d'y parvenir est de convaincre les participants aux marchés, tant canadiens qu'étrangers, de la constance dont nous faisons preuve dans les politiques économiques que nous mettons en oeuvre. Pour cela, il faut non seulement que la politique monétaire soit axée sur l'obtention d'une faible inflation, mais aussi que les politiques budgétaires visent une réduction du déficit et une baisse du ratio de la dette au PIB.

En matière de politique monétaire, la constance veut que nous restions résolus à respecter les cibles de maîtrise de l'inflation, c'est-à-dire à chercher à maintenir celle-ci à l'intérieur de ces cibles. La Banque doit donc intervenir rapidement en présence de signes indiquant que la tendance de l'inflation risque de passer au delà ou de tomber en deça de la fourchette cible.

Pourquoi s'en faire également, me demanderez-vous, au sujet de la possibilité que la tendance de l'inflation tombe en deçà de la fourchette cible? La tâche de la Banque consiste à rendre la politique monétaire prévisible et à fournir aux Canadiens une plus grande certitude à propos de l'évolution future du niveau des prix. Pour que l'économie puisse tirer pleinement parti des avantages d'une politique de faible inflation, nous devons faire tout en notre pouvoir pour que les attentes des Canadiens en regard de leurs projets économiques s'accordent avec nos cibles. À l'heure actuelle, cela veut dire maintenir l'inflation à l'intérieur d'une fourchette cible de 1 à 3 %, pas au-dessus de 3 % ni au-dessous de 1 %.

L'inflation tendancielle (c'est-à-dire l'IPC hors alimentation, énergie et incidence des variations des impôts indirects) s'est déplacée récemment dans la moitié inférieure de la fourchette cible. Et compte tenu des importantes capacités inutilisées qui existent dans l'économie, attribuables à la faiblesse de l'activité économique l'année dernière, des pressions à la baisse devraient continuer de s'exercer sur l'inflation tendancielle pour le reste de 1996. Essentiellement, cela signifie qu'il y a suffisamment de marge de manoeuvre pour que l'économie progresse rapidement pendant un certain temps sans pressions à la hausse sur la tendance de l'inflation.

La vigueur de l'expansion économique au Canada sera, évidemment, largement tributaire de la rapidité avec laquelle la confiance des consommateurs s'accroîtra et de la mesure dans laquelle cela se manifestera. Permettez-moi d'aborder maintenant le sujet de la confiance.

Un regain de confiance se dessine-t-il chez les consommateurs?

L'économie canadienne a traversé ces dernières années une période de restructuration importante due essentiellement à deux facteurs principaux, soit, en premier lieu, les initiatives prises par les entreprises canadiennes pour relever les défis posés par les progrès techniques et l'intensification de la concurrence à l'échelle internationale et, en second lieu, les récents efforts concertés des administrations publiques canadiennes pour régler les graves problèmes d'endettement et de déficit hérités des années 70 et 80.

Cette restructuration était absolument nécessaire, et elle a contribué à renforcer les bases de l'économie canadienne. Toutefois, l'ajustement auquel il a fallu procéder a été difficile et pénible et a contribué à l'accroissement de l'incertitude, à la baisse de la confiance des consommateurs et au ralentissement économique.

L'une des raisons pour lesquelles la restructuration a été une source d'incertitude est l'incidence qu'elle a eue sur l'emploi. Au cours de la dernière année, par exemple, la restructuration est allée de pair avec des licenciements dans certains compartiments du secteur privé et avec des compressions d'effectifs dans le secteur public dans le cadre de programmes de restrictions budgétaires. Les brusques remontées des taux d'intérêt en 1994 et 1995 et la hausse des coûts du service de la dette qui en a découlé (surtout compte tenu des niveaux d'endettement des ménages déjà élevés par rapport au revenu disponible) ont été une autre source d'incertitude. Les préoccupations récentes au sujet de l'avenir des régimes de pension publics ont aussi contribué à exacerber le sentiment d'insécurité financière au sein des ménages.

En conséquence, davantage de consommateurs ont estimé que le moment n'était pas propice aux dépenses, surtout à l'acquisition d'articles coûteux comme les logements, les voitures et les meubles. Comme l'activité économique au Canada tourne surtout autour de la dépense des ménages, il n'est pas étonnant que cette situation ait donné lieu à une piètre tenue économique au cours de l'année écoulée. C'est pourquoi il est crucial qu'un regain de confiance se manifeste rapidement chez les consommateurs.

Quelles chances y a-t-il à cet égard? L'évolution de la confiance des consommateurs est particulièrement difficile à prédire. Mais je trouve encourageant le redressement de la dépense des ménages survenu au premier trimestre de l'année. Et lorsque je considère les facteurs en jeu, je m'attends à voir une nouvelle amélioration dans les trimestres à venir.

L'emploi dans le secteur privé progresse vigoureusement depuis un certain temps et a en fait largement contrebalancé les compressions en cours dans le secteur public. S'ils se poursuivent, ces gains nets devraient contribuer à réduire l'incertitude entourant la situation de l'emploi et peuvent contribuer à soutenir la croissance récente du revenu disponible des particuliers.

Un autre élément encourageant pour l'évolution future est le fait que même si les ménages reportent leurs dépenses depuis un certain temps, nombre d'entre eux se rendront compte à un moment donné que le remplacement de la voiture, de la tondeuse à gazon ou du réfrigérateur ne peut plus attendre.

Le repli marqué des taux d'intérêt survenu au Canada depuis octobre dernier y est évidemment aussi pour beaucoup dans l'amélioration de la situation financière d'un grand nombre de ménages et, partant, au regain de confiance chez ces derniers.

Des taux d'intérêt plus faibles au Canada qu'aux États-Unis?

La baisse récente de nos taux d'intérêt a entraîné un rétrécissement marqué des écarts par rapport aux taux américains sur toute la gamme des échéances. De fait, nos taux d'intérêt pour les échéances allant jusqu'à deux ans sont maintenant plus faibles qu'aux États-Unis. La dernière fois que les écarts ont été négatifs par rapport aux États-Unis pendant une période assez longue, c'était au début des années 70. Cela explique pourquoi certains sont sceptiques quant au maintien de ces écarts.

Mais à quoi les écarts négatifs sont-ils attribuables?

Je crois que ces écarts sont le fruit de l'amélioration des facteurs fondamentaux de notre économie. Dans l'optique des marchés, c'est la perspective d'appréciation à long terme du dollar canadien qui justifie un écart négatif entre les taux d'intérêt canadiens et leurs pendants américains. En d'autres termes, les investisseurs accepteront que les taux d'intérêt soient plus faibles chez nous seulement s'ils peuvent réaliser des gains en capital induits par l'appréciation éventuelle du dollar canadien.

Quels sont les facteurs fondamentaux qui étayent et qui sont propres à provoquer une hausse éventuelle de notre monnaie? Il y a en premier lieu un taux d'inflation plus faible chez nous qu'aux États-Unis. Viennent ensuite l'assainissement des finances des administrations publiques canadiennes et la probabilité que nous traversions une période de baisse des ratios de la dette au PIB. En troisième lieu, il faut mentionner la forte compétitivité de nos entreprises, à laquelle tient l'amenuisement marqué récent du déficit de notre balance des paiements. Les autres facteurs actuellement favorables au dollar canadien sont la fermeté des prix des produits de base, qui reflète en partie de bonnes perspectives quant au renforcement de l'activité économique à l'échelle mondiale, et une atténuation des préoccupations des marchés entourant la situation politique au Québec.

Les mêmes facteurs fondamentaux (inflation plus faible au Canada qu'aux États-Unis, accroissement de la compétitivité et assainissement des finances publiques) qui soutiennent le dollar contribuent aussi directement à la réduction des primes de risque incorporées aux taux d'intérêt canadiens. Cette réduction a également joué un rôle en ce qui concerne l'apparition d'écarts négatifs de taux d'intérêt pour des échéances plus courtes et explique les écarts beaucoup plus étroits que ceux que nous avons connus depuis des années pour des échéances plus longues.

Les marchés financiers réagissent manifestement de mieux en mieux à la situation économique nouvelle et améliorée du Canada.

Conclusion

Comme vous avez pu le remarquer dans les propos que je viens de tenir, la politique monétaire a pour rôle clé de créer un climat financier dans lequel les Canadiens pourront élaborer leurs plans économiques en tablant sur un bas niveau d'inflation. Ce qui compte en définitive, c'est évidemment que les perspectives de faible inflation contribuent à l'éclosion d'une économie plus stable et à un niveau de vie plus élevé pour les Canadiens. C'est pourquoi il est si important pour nous de maintenir nos politiques macro-économiques actuelles. Dans l'optique de la politique monétaire, cela signifie ni plus ni moins que nous restions résolus à respecter les cibles de maîtrise de l'inflation que nous avons fixées.