La route vers la monnaie numérique

Des peaux de castor à la monnaie numérique, en passant par la monnaie de papier

Stephen Murchison
Stephen Murchison

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Imaginons un peu comment nous effectuerons nos paiements dans l’avenir.

Argent comptant, argent liquide… espèces en voie de disparition?

Vous tend-on un terminal de paiement électronique quand vous achetez votre café le matin? Vous avez dû remarquer que cette pratique se répand de plus en plus parmi les commerçants. Au point que certains ont même l’air surpris si vous leur donnez de l’argent comptant!

L’année dernière, au Canada, seule une transaction sur trois a été réglée en liquide. Il y a à peine dix ans, plus de la moitié des achats au détail étaient payés ainsi. Mais le cas du Canada n’a rien d’exceptionnel. Dans de nombreux autres pays, on se sert de moins en moins souvent de l’argent comptant.

Cette tendance pourrait-elle s’inverser? Ce serait étonnant, d’autant plus que les achats en ligne ne peuvent pas être réglés en espèces.

À cela s’ajoute l’apparition quasi-quotidienne de nouvelles plateformes de paiement qui font concurrence à l’argent comptant. Toutes offrent rapidité, sûreté et commodité.

Dans le monde entier, les technologies financières changent nos façons de payer.

L’argent comptant, une valeur sûre

En temps normal, nous gardons tout notre argent ou presque à la banque. Après tout, nous pouvons toujours y accéder quand nous en avons besoin, par exemple, pour effectuer nos paiements électroniques.

Mais quand le système financier est ébranlé – comme c’est arrivé en 2008 à l’échelle mondiale –, bien des gens s’en remettent à l’argent comptant. Leur réaction est logique : quel que soit le pays considéré, l’argent comptant reste l’actif financier liquide le plus sûr, puisque son émetteur – la banque centrale – ne peut pas faire faillite comme une banque commerciale.

Il est vrai que l’assurance-dépôts protège les clients des banques commerciales en cas de faillite, mais ce n’est pas une solution miracle. Tout d’abord, il y a des limites aux montants assurés. Ensuite, on récupère rarement son argent en claquant des doigts.

Qu’en est-il des monnaies numériques privées?

Même si certains les considèrent comme l’avenir de l’argent, les monnaies numériques privées, dont le bitcoin, s’avèrent peu utiles pour payer un achat ou épargner. En fait, très peu de commerçants les acceptent, vu leur valeur très fluctuante et la lenteur de leur mécanisme de compensation.

Ces problèmes seront peut-être atténués ‒ ou même réglés ‒ avec les monnaies numériques de demain, qui gagneraient ainsi en popularité.

Par contre, leur adoption généralisée présenterait de grands risques, pour l’économie comme pour le système financier. Il se pourrait en effet que l’émetteur ferme ses portes ou qu’il soit victime de cybervoleurs. Dans de tels cas, les gens risqueraient de perdre confiance dans le système de paiement.

Les monnaies numériques privées pourraient même compromettre l’aptitude de la banque centrale à maîtriser l’inflation et à fournir des prêts de dernier ressort, car ses outils de politique monétaire ‒ taux du financement à un jour et mécanismes de prêt, dans le cas de la Banque du Canada ‒ ne fonctionnent que dans la monnaie qu’elle émet.

Si les monnaies numériques privées ne sont pas la solution, y a-t-il alors une autre forme de monnaie numérique, ultra-sûre, qui pourrait être utilisée dans l’avenir?

Nous nous penchons là-dessus

La monnaie numérique de banque centrale fait l’objet de recherches à la Banque, chose logique dans ce contexte. En théorie, une telle monnaie pourrait être aussi sûre que l’argent comptant et aussi commode que les moyens de paiement électroniques.

De manière générale, elle pourrait être :

  • axée sur la valeur : les gens transféreraient de l’argent sur une carte ou une application mobile à partir de leur compte bancaire, ou
  • basée sur l’utilisation d’un compte : les particuliers et les entreprises pourraient ouvrir un compte à la banque centrale.

Dans les deux cas, les paiements effectués en monnaie numérique de banque centrale permettraient d’assurer :

  • l’anonymat des parties concernées, comme avec l’argent liquide;
  • la traçabilité aux fins d’application de la loi, comme avec les comptes bancaires.

Une monnaie numérique de banque centrale offrirait un plus grand choix aux consommateurs, tout en préservant la concurrence entre les fournisseurs de services financiers (dont les banques commerciales), comme le fait actuellement l’argent comptant. Bien conçue, cette nouvelle forme de monnaie pourrait même remplacer d’autres moyens de paiement s’ils devenaient provisoirement inutilisables.

En gros, une monnaie numérique de banque centrale fonctionnerait comme les moyens de paiement électroniques actuels. À ceci près qu’elle ne serait pas liée à une banque commerciale, comme le sont les comptes bancaires et les cartes de débit.

Qu’on se rassure : même si la Banque du Canada choisissait d’émettre une monnaie numérique, elle continuerait quand même d’imprimer des billets. Elle fournira aux Canadiens des coupures ultra-sûres aussi longtemps qu’ils en demanderont.

D’importants obstacles sur la route

La route vers une monnaie numérique de banque centrale comporterait son lot d’obstacles auxquels il faut réfléchir. Par exemple, les gens pourraient décider de garder une bonne partie de leur argent sous cette forme plutôt que dans un compte bancaire normal. Cette variante numérique du traditionnel bas de laine serait même plus facile à constituer.

Or, si les gens décidaient de se tricoter un « bas de laine numérique », cela pourrait faire diminuer la quantité d’argent disponible pour emprunter, ou faire monter les taux d’emprunt, ou même les deux. Pourquoi? Parce que l’argent que prêtent les banques provient en partie des dépôts des clients.

Ainsi, il pourrait devenir plus difficile d’obtenir du crédit – prêts hypothécaires et prêts aux entreprises y compris. Si cela devait amener les entreprises à moins investir, la productivité et l’innovation pourraient en souffrir. C’est que pour créer de nouveaux produits et services, et plus généralement pour innover, les entreprises ont souvent besoin d’emprunter.

Autrement dit, l’argent conservé en espèces est un actif sûr, mais pas très productif.

Il y a des façons de réduire ce risque. Par exemple, les banques centrales pourraient faire en sorte que leur monnaie numérique ne rapporte pas d’intérêt, tout comme les billets gardés dans un portefeuille. En temps normal, cela rendrait moins intéressante leur détention en grande quantité. Mais en période difficile, la monnaie numérique de banque centrale pourrait encore être considérée comme un actif sûr, à l’image des espèces.

Autres risques

Un autre problème pourrait toutefois se présenter. En effet, une monnaie numérique de banque centrale pourrait accroître le risque de « ruée sur les banques ». Ce phénomène se produit lorsque les gens retirent en masse leur argent de tous les comptes qu’ils ont dans des banques commerciales, faute de savoir exactement quelle banque est saine et quelle banque est en mauvaise posture.

Or les banques ne détiennent en espèces qu’une fraction de la valeur totale des dépôts effectués par leurs clients. Donc, la plupart du temps, elles sont incapables de rembourser tout le monde d’un coup.

Avec une monnaie numérique de banque centrale, il serait plus facile et plus rapide de retirer son argent des banques commerciales. En théorie, les ruées bancaires systémiques pourraient donc être à la fois plus rapides et plus fréquentes. On pourrait alors arriver à une situation où une monnaie numérique de banque centrale, au lieu de rendre le système financier plus stable, le rendrait moins stable. Heureusement, les ruées sur les banques sont extrêmement rares à notre époque. Il n’y en a d’ailleurs jamais eu au Canada.

De plus amples recherches s’imposent

Nos experts analysent les avantages et les inconvénients qu’il y aurait à créer notre propre monnaie numérique de banque centrale.

La création d’une monnaie numérique de banque centrale est une décision très compliquée à prendre. C’est pourquoi les banques centrales de partout dans le monde, nous y compris, en analysent le pour et le contre. En ce qui nous concerne, à la Banque du Canada, nous cherchons à déterminer les conditions dans lesquelles il pourrait être avisé, un jour, d’émettre une telle monnaie.

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