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Valeurs de référence pour évaluer la santé du marché du travail : mise à jour de 2024

Vue d’ensemble

S’appuyant sur les travaux de Ens et autres (2021), Ens et autres (2022) et Ens, See et Luu (2023), la présente note analytique du personnel évalue la santé du marché du travail canadien. Ces travaux établissaient un cadre plus détaillé pour déterminer les conditions sur ce marché, compte tenu de sa diversité et de sa segmentation. Pour la mise à jour de 2024, nous nous concentrons sur trois points :

  • Nous actualisons les fourchettes des valeurs de référence de notre tableau de bord des indicateurs du marché du travail pour qu’elles demeurent pertinentes. Nous y intégrons les données portant sur une nouvelle année, y apportons des ajustements pour tenir compte du vieillissement de la population et améliorons les estimations obtenues à partir de filtres. De plus, nous estimons une série d’équations de la courbe de Phillips au moyen de chaque indicateur du tableau de bord pour comprendre l’ampleur des pressions inflationnistes provenant du marché du travail.
  • Nous étudions en profondeur les changements structurels du marché du travail canadien pour mieux comprendre lesquels pourraient embrouiller l’évaluation des capacités excédentaires. Notamment, nous examinons de plus près la reprise hésitante du travail autonome et des emplois faiblement rémunérés.
  • Enfin, nous cherchons à savoir si le marché du travail s’est équilibré et dans quelle mesure il contribue à l’inflation.

Nous remarquons que le marché du travail semble s’être équilibré après une période de surchauffe, et observons aussi des signes de changements structurels :

  • Dans l’ensemble, le marché du travail semble s’être équilibré. Nous voyons entre autres une baisse importante du nombre de postes vacants et d’autres indicateurs de la demande, mais aucune hausse appréciable des mises à pied. En outre, selon les estimations fondées sur la courbe de Phillips, le marché du travail n’aurait pas été une source importante de pressions inflationnistes au premier trimestre de 2024.
  • Le travail autonome et les emplois faiblement rémunérés semblent avoir reculé pour de bon. Cette baisse des emplois faiblement rémunérés reflète la diminution de la demande au sortir de la pandémie de COVID-19. Cela dit, les travailleurs touchés sont parvenus dans une large mesure à se tourner vers d’autres secteurs du fait que le marché du travail était tendu suivant la réouverture de l’économie. Les travailleurs qui adoptent le travail autonome en raison d’offres d’emploi limitées occupent une moins grande part du marché du travail qu’auparavant, et cette tendance paraît durable. Par conséquent, la faiblesse des indicateurs du travail autonome et des emplois faiblement rémunérés est moins susceptible d’être synonyme de capacités excédentaires sur le marché du travail.

Actualisation des fourchettes des valeurs de référence

Pour établir les fourchettes des valeurs de référence, nous utilisons des estimations qui fournissent de précieux renseignements sur la situation du marché du travail. Chacune de ces fourchettes comprend les estimations tirées des filtres de Hodrick-Prescott (filtre HP) (Hodrick et Prescott, 1997) et de Hamilton (modifié) (Hamilton 2018; Quast et Wolters, 2022), la plus récente période pendant laquelle l’écart du facteur travail a été comblé (Ens et autres, 2022) et les estimations de la production potentielle obtenues à partir de modèles qu’utilise le personnel de la Banque du Canada (Devakos et autres, 2024). Nous délimitons ces fourchettes en fonction des creux et sommets historiques depuis 2003. La présente section fait état de deux changements importants pour 2024.

Mesures relatives aux postes vacants

Avant de présenter les nouvelles fourchettes des valeurs de référence, nous réévaluons deux mesures liées aux postes vacants qui sont incluses dans les mesures des conditions globales du marché du travail : le ratio des postes vacants aux chômeurs (tensions) et le taux de postes vacants (ratio des postes vacants à la somme des postes vacants et des postes pourvus).

Comparativement aux autres indicateurs du tableau de bord, ces deux mesures ont le défaut de reposer sur de courtes périodes d’observation; ce n’est que depuis avril 2015 que des données sur les postes vacants sont publiées. Du début de la période d’observation jusqu’avant la pandémie, les deux mesures étaient en hausse – probablement dans la foulée de la reprise qui a suivi la crise financière mondiale de 2008-2009. Après une baisse brève mais marquée pendant la pandémie, les deux mesures se sont vivement redressées une fois la reprise économique entamée.

Associée à la courte période d’observation, la dynamique des postes vacants au cours des deux reprises a donné lieu à une estimation tendancielle particulièrement forte à partir du filtre HP et, par conséquent, à des fourchettes extrêmement larges (l’estimation tirée du filtre HP en constituant la limite supérieure). L’extrême étendue des fourchettes (en vert) du ratio des postes vacants aux chômeurs et du taux de postes vacants ressort clairement dans le graphique 1. Bien que les tensions sur le marché aient effectivement pu suivre une tendance haussière à long terme, il est difficile, pour le moment, de tirer des conclusions définitives à partir des estimations du filtre HP en raison de la période limitée de l’échantillon. Voilà pourquoi nous excluons temporairement ce filtre des fourchettes des valeurs de référence pour les mesures relatives aux postes vacants.

Graphique 1 : Les fourchettes des valeurs de référence ont été actualisées pour tenir compte de nouvelles données et de réévaluations des mesures des postes vacants

Données portant sur une nouvelle année

Nous intégrons à notre évaluation les données publiées depuis la dernière mise à jour des valeurs de référence, au premier trimestre de 2023. Les filtres et les estimations tendancielles ont commencé à relever un certain relâchement des tensions sur le marché du travail au cours de 2023, ce qui a entraîné un léger déplacement vers la gauche des fourchettes des valeurs de référence. Le graphique 1 compare les nouvelles valeurs de référence pour 2024 (en bleu) avec leurs valeurs équivalentes obtenues au moyen des données de la dernière réévaluation de Ens, See et Luu (2023) (en vert) pour les indicateurs qui se rapportent aux conditions générales du marché du travail. Les graphiques A-1 et A-2 de l’annexe présentent les nouvelles valeurs de référence pour les indicateurs qui entrent dans les catégories « caractéristiques des emplois » et « inclusivité du marché du travail », respectivement.

Les changements structurels du marché du travail canadien embrouillent-ils l’évaluation des capacités excédentaires?

Le travail autonome connaît un recul structurel

L’un des indicateurs du tableau de bord qui ont dévié de leur trajectoire est le travail autonome. Cet indicateur s’est constamment maintenu en deçà de sa fourchette, même lorsque la plupart des autres indicateurs montraient des signes de demande excédentaire. Bien qu’on associe souvent le travail autonome à l’entrepreneuriat, à l’innovation et à la création d’emplois, il s’agit parfois d’une solution de rechange aux emplois salariés lorsque peu sont offerts (Poschke, 2023).

Pour illustrer les effets de la chute du travail autonome sur l’équilibre du marché du travail, nous montrons l’évolution de la situation des travailleurs autonomes d’après les données de l’Enquête sur la population active de Statistique Canada (graphique 2). La ligne bleue illustre une baisse du nombre total de travailleurs autonomes, exprimée en pourcentage des travailleurs occupés, au cours des quinze dernières années. Pendant la reprise économique postpandémie, la tendance à la baisse s’est accentuée, après un bref pic et une première montée du chômage au début de la pandémie.

Le graphique 2 montre aussi une différence importante entre deux types de travailleurs autonomes : ceux qui exploitent une entreprise constituée en société, plus instruits et plus susceptibles d’avoir des employés (ligne jaune) et ceux qui exploitent une entreprise non constituée en société, généralement moins instruits et moins susceptibles d’avoir des employés (ligne verte) (Levine et Rubinstein, 2017)1.

D’après le graphique, tant la chute récente que la baisse à long terme du travail autonome seraient alimentées par les travailleurs autonomes dont l’entreprise n’est pas constituée en société. Il n’est pas rare que ces travailleurs effectuent un va-et-vient entre le travail autonome et d’autres types d’emploi. De même, il est probable que le pic atteint au début de la pandémie soit en grande partie lié à ces travailleurs, qui ont peut-être travaillé à leur compte pour pallier la perte d’autres types d’emplois. Le recul structurel du travail autonome pourrait donc être le signe d’une amélioration à long terme des perspectives d’emploi pour les travailleurs autonomes dont l’entreprise n’est pas constituée en société. Il pourrait aussi laisser présager une inversion dans la composition du travail autonome, les travailleurs autonomes exploitant une entreprise constituée en société gagnant du terrain sur les autres.

Graphique 2 : La baisse structurelle du travail autonome a été surtout attribuable aux travailleurs autonomes dont l’entreprise n’est pas constituée en société

Le graphique 3 pousse l’analyse jusqu’au niveau des professions. La baisse du travail autonome s’y montre plutôt généralisée, tant dans les professions de la gestion que dans les autres (figure a) et, depuis le début de la reprise postpandémie, dans les professions faiblement rémunérées également (figure b).

Graphique 3 : La diminution du nombre de travailleurs autonomes dont l’entreprise n’est pas constituée en société est généralisée

Graphique 3 : La diminution du nombre de travailleurs autonomes dont l’entreprise n’est pas constituée en société est généralisée

Travailleurs autonomes, en pourcentage des travailleurs occupés

Sources : Statistique Canada et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : février 2024

Nous constatons cependant que l’emploi total n’a pas baissé en phase avec le recul structurel du travail autonome : le graphique A-3 en annexe montre que le taux d’emploi est plutôt stable depuis les quinze dernières années. Cela laisse croire que les travailleurs autonomes se tournent possiblement vers d’autres formes d’emploi. Ainsi, la chute du travail autonome observée dans le tableau de bord ne signifie pas que les capacités excédentaires ont augmenté, mais indique plutôt que le travail autonome perd du terrain au profit d’autres formes d’emploi. L’accélération de cette tendance au cours des dernières années explique pourquoi l’observation actuelle s’écarte de la fourchette des valeurs de référence. Le processus de filtrage permettant d’obtenir cette fourchette met du temps pour intégrer les changements structurels.

Les professions faiblement rémunérées n’ont pas remonté après le choc économique de la pandémie de COVID-19

Un autre indicateur qui s’est écarté du reste du tableau de bord est le taux d’emploi dans les professions faiblement rémunérées2. Pendant la majeure partie de la reprise postpandémie, ce taux s’est maintenu près de la limite inférieure de sa fourchette de valeurs de référence, ce qui tranche avec la trajectoire de l’emploi dans les autres professions (graphique A-2, figure c, en annexe).

Pour montrer ce que cette observation révèle au sujet des capacités excédentaires sur le marché du travail, nous utilisons le graphique 4, qui présente la variation en pourcentage de l’emploi dans les professions faiblement rémunérées et les autres professions comparativement au même mois en 2019. La ligne bleue montre que l’emploi global a augmenté d’environ 10 % par rapport à son niveau de 2019, fruit de la croissance démographique à la hausse et des tensions sur le marché du travail. La mesure globale masque cependant le contexte de réallocation de la main-d’œuvre induit par la pandémie – période au cours de laquelle les professions faiblement rémunérées ont été les plus durement touchées.

Après le recul important de l’emploi pendant la récession causée par la pandémie de COVID-19, l’emploi dans les professions faiblement rémunérées s’est partiellement redressé, mais se maintient depuis en deçà des niveaux d’avant la pandémie. En revanche, la croissance de l’emploi dans les autres professions a dépassé la croissance moyenne de l’emploi. Cela porte à croire que le resserrement excessif du marché du travail pendant la reprise économique postpandémie a peut-être permis aux travailleurs exerçant des professions faiblement rémunérées de se tourner vers d’autres types de professions.

Graphique 4 : L’emploi dans les professions faiblement rémunérées est encore inférieur à son niveau d’avant la pandémie

Pour déterminer si la baisse de l’emploi dans les professions faiblement rémunérées témoigne bien d’un déplacement des travailleurs vers les autres professions, nous nous intéressons aux postes vacants affichés et aux taux de chômage pour les deux groupes de professions. Le graphique 5 montre que la proportion de postes vacants dans les professions faiblement rémunérées a légèrement diminué depuis le début de la reprise économique en 2021, à l’image du nombre d’emplois dans cette catégorie. Cela exclut donc la possibilité que l’évolution de la composition de l’emploi y ait entraîné une demande excédentaire ou une augmentation démesurée des postes vacants non pourvus.

Le graphique 6 montre que les taux de chômage dans les deux groupes de professions (faiblement rémunérées et les autres) ont évolué de façon similaire, et ce, même si ce n’est pas le cas de leur taux d’emploi. Les données laissent à penser que les entreprises et les travailleurs ont délaissé ces professions au même moment, de sorte que les postes vacants affichés par les entreprises (demande) et les postes recherchés par les travailleurs (offre) se sont équilibrés3.

Dans l’ensemble, la faiblesse de l’emploi faiblement rémunéré comparativement à d’autres indicateurs du tableau de bord ne constitue pas une preuve solide des capacités excédentaires actuelles sur le marché du travail. Il s’agit plutôt d’un symptôme des changements structurels dans la distribution des professions qui ont pu être accélérés ou causés par la pandémie. Avec l’arrivée de nouvelles données, les filtres intégrés dans les valeurs de référence devraient tôt ou tard en tenir compte.

Graphique 5 : La proportion de postes vacants dans les professions faiblement rémunérées a légèrement diminué

Graphique 6 : Les taux de chômage dans les deux groupes de professions ont évolué de façon similaire

Le marché du travail accentue-t-il les pressions inflationnistes?

La demande excédentaire a diminué

Pour savoir si le marché du travail est en train d’accentuer les pressions inflationnistes, nous commençons par vérifier si la demande reste excédentaire sur le marché du travail après la reprise économique postpandémie (Ens, See et Luu, 2023). Dans le cadre de cet exercice, nous réduisons la liste des indicateurs du tableau de bord à ceux qui se rapprochent le plus de mesures strictes de la demande (graphique 7), notamment les postes vacants et les pénuries de main-d’œuvre. Nous incluons aussi le taux de travail à temps partiel involontaire, qui indique une volonté de travailler plus d’heures, mais une demande insuffisante. Enfin, nous intégrons à notre analyse le taux de cessation d’emploi, qui reflète le passage des travailleurs occupés au statut de chômeurs. Ce taux est souvent associé aux mises à pied involontaires.

Graphique 7 : Les indicateurs de la demande de main-d’œuvre ont fléchi

Il ressort du graphique 7 un assouplissement à divers degrés de tous ces indicateurs, comme en témoigne l’écart entre leurs pics récents (en vert) et leurs niveaux actuels (en jaune). Ce sont les postes vacants et les pénuries de main-d’œuvre évaluées par enquête qui accusent les reculs les plus prononcés. Ces mesures se situent maintenant toutes à l’intérieur ou en deçà de leurs fourchettes de valeurs de référence. Cela dit, le taux de cessation d’emploi a faibli de manière beaucoup plus modeste, se situant juste au-dessus de sa fourchette de valeurs de référence. Bref, nous constatons que la vue d’ensemble – caractérisée par une baisse du nombre de postes vacants et un nombre limité de mises à pied – est compatible avec un rééquilibrage progressif des conditions du marché du travail.

Les pressions sur les salaires se sont modérées, laissant présager un retour à l’équilibre sur le marché du travail

Les mesures des salaires, qui rendent compte du coût de la main-d’œuvre, permettent d’évaluer l’équilibre entre l’offre et la demande. Bien que ces mesures ne se soient pas assouplies aussi vite que les autres mesures du marché du travail en 2023, elles ont récemment montré des signes de modération. Malgré des différences, la plupart semblent actuellement indiquer une croissance des salaires sous la barre des 4 %. De plus, environ un point de pourcentage de la vigueur actuelle des salaires pourrait être attribuable à l’inflation élevée enregistrée par le passé plutôt qu’à la vigueur du marché du travail (Bounajm et autres, à paraître). Compte tenu du ralentissement marqué de l’inflation depuis le début de 2023, les mesures des salaires devraient s’assouplir encore davantage.

Graphique 8 : Les mesures des salaires montrent des signes de modération

Parmi les mesures des salaires qui sortent du lot se trouvent les coûts unitaires de main-d’œuvre. Représentant de manière plus directe les coûts de production d’une entreprise, cet indicateur peut rendre bien compte de l’inflation. Les coûts unitaires de main-d’œuvre sont influencés à la fois par la productivité, c’est-à-dire le niveau de production par unité de main-d’œuvre, et par la croissance des salaires. Le ralentissement actuel de la croissance des salaires devrait donc permettre un allègement des coûts unitaires de main-d’œuvre. Toutefois, une croissance faible ou négative de la productivité pourrait maintenir ces coûts à un niveau élevé et, par conséquent, créer le risque qu’ils deviennent une source de pressions plus persistantes sur les salaires.

La vigueur du marché du travail est comparable à son niveau d’avant la pandémie et près des facteurs fondamentaux

Bien que la demande excédentaire semble avoir diminué, il reste une certaine incertitude quant à savoir si la vigueur résiduelle du marché du travail continue d’accentuer les pressions inflationnistes. Un moyen d’aborder cette question consiste à déterminer où en sont les indicateurs par rapport à leurs fourchettes de valeurs de référence, globalement et au fil du temps.

Le graphique 9 relève l’écart moyen des indicateurs du marché du travail par rapport aux points médians de leurs valeurs de référence. En 2022, au sortir du choc économique causé par la pandémie, l’écart dépassait ses valeurs de référence de plus d’un écart-type en moyenne. C’est beaucoup plus que pour toutes les autres périodes des 20 dernières années. L’assouplissement des conditions du marché du travail depuis le début de 2023 ressort également des données, la plus récente valeur se rapprochant des valeurs d’avant la pandémie ainsi que de zéro. Dans l’ensemble, ce constat s’inscrit dans un marché du travail qui s’est détendu, mais qui a conservé une certaine vigueur.

Graphique 9 : Les conditions du marché du travail se sont assouplies

Les estimations de la courbe de Phillips indiquent une contribution modeste du marché du travail aux pressions inflationnistes

Pour savoir si cette vigueur qui persiste au sein du marché du travail continue à générer des pressions inflationnistes, il faut cerner l’effet de différentes variables liées au marché du travail – effet qui diffère d’une variable à l’autre. Une façon d’y parvenir est d’estimer une série d’équations de la courbe de Phillips en utilisant chaque indicateur du tableau de bord comme variable explicative4. Nous trions les coefficients estimés de la courbe de Phillips pour chaque indicateur compris dans le tableau de bord en fonction de leur grandeur (et de leur signification statistique). Nous dégageons ainsi les facteurs les plus susceptibles d’avoir une incidence sur l’inflation.

Les résultats, résumés dans le tableau 1, établissent une hiérarchie claire de la corrélation entre les différents types d’indicateurs et l’inflation. Les indicateurs qui contribuent le plus à l’inflation sont les taux de chômage, le taux de changement d’emploi et le taux d’obtention d’un emploi. Les salaires, quant à eux, se situent au milieu du tableau. Leur contribution plus faible, mais significative, cadre avec la prémisse selon laquelle la croissance des salaires alimente l’inflation. Les taux d’activité comptent parmi les variables apportant la plus faible contribution.

Tableau 1 : Certains indicateurs contribuent davantage que d’autres aux pressions inflationnistes

Tableau 1 : Certains indicateurs contribuent davantage que d’autres aux pressions inflationnistes Incidence d’une hausse de un écart-type des indicateurs de l’emploi sur le taux annualisé de l’inflation mesurée par l’IPC-tronq, points de pourcentage
Indicateur Incidence globale Seuil de signification des estimations Qualité de l’ajustement du modèle
Taux de chômage, hommes de 15 à 24 ans 0,43 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de changement d’emploi 0,41 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Taux d’obtention d’un emploi 0.40 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage 0,39 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, < 27 semaines 0,39 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de temps partiel involontaire 0,37 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, hommes de 55 ans et plus 0,37 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, non-diplômés universitaires 0,37 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Croissance des salaires, à pondération variable – EERH 0,36 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Taux d’emploi, professions faiblement rémunérées 0,36 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage au sens large 0,35 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, diplômés universitaires 0,35 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, >= 52 semaines 0,35 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, hommes de 25 à 54 ans 0,35 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, >= 27 semaines 0,35 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, femmes de 25 à 54 ans 0,34 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux d’activité, hommes de 15 à 24 ans 0,34 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Taux d’emploi, secteur privé 0,33 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux d’emploi 0,32 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de chômage, femmes de 55 ans et plus 0,31 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Croissance des salaires, à pondération fixe – EERH 0,30 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17
Pénuries de main-d’œuvre – EPE 0,30 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Taux d’emploi, professions moyennement et bien rémunérées 0,29 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Taux de chômage, femmes de 15 à 24 ans 0,29 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une étoile pleine correspond à un R² supérieur à 0,28
Taux de cessation d’emploi 0,29 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Croissance des salaires, à pondération fixe – EPA 0,27 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Croissance des salaires, à pondération variable – EPA 0,27 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Croissance de la mesure salaires-comm 0,27 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Croissance des salaires, CRD 0,26 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Taux d’activité 0,23 un point d’exclamation indique que le seuil de 10 % est atteint une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17
Taux d’activité, femmes de 15 à 24 ans 0,22 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Croissance des coûts unitaires de main-d’œuvre 0,22 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Taux d’emploi, secteur public 0,19 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Moyenne des heures travaillées 0,17 un X indique que l’estimation n’est pas statistiquement significative une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17
Taux d’activité, non-diplômés universitaires 0,16 un X indique que l’estimation n’est pas statistiquement significative une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17
Taux d’activité, hommes de 25 à 54 ans 0,06 un X indique que l’estimation n’est pas statistiquement significative une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17
Taux d’activité, femmes de 25 à 54 ans 0,01 un X indique que l’estimation n’est pas statistiquement significative une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17
Taux d’activité, femmes de 55 ans et plus -0,11 un X indique que l’estimation n’est pas statistiquement significative une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17
Taux d’emploi, travailleurs autonomes -0,16 un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint une demi-étoile correspond à un R² entre 0,17 et 0,28
Taux d’activité, diplômés universitaires -0,29 un X indique que l’estimation n’est pas statistiquement significative une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17
Taux d’activité, hommes de 55 ans et plus -0,32 un X indique que l’estimation n’est pas statistiquement significative une étoile blanche correspond à un R² inférieur à 0,17

Nota : Seuil de signification des estimations : un crochet indique que le seuil de 5 % est atteint; un point d’exclamation indique que le seuil de 10 % est atteint; un X indique que l’estimation n’est pas statistiquement significative. Qualité de l’ajustement du modèle : une étoile pleine correspond à un R2 supérieur à 0,28; une demi-étoile, à un R2 entre 0,17 et 0,28; et une étoile blanche, à un R2 inférieur à 0,17. « EERH » désigne l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail; « EPE », l’enquête sur les perspectives des entreprises; « EPA », l’Enquête sur la population active; et « CRD », les comptes nationaux des revenus et dépenses.
Sources : Statistique Canada, Banque du Canada et calculs de la Banque du Canada

La faiblesse relative des indicateurs qui semblent alimenter le plus l’inflation (à savoir les taux de changement d’emploi et d’obtention d’un emploi), combinée aux signes de capacités excédentaires découlant de la hausse des taux de chômage et de travail à temps partiel involontaire, indique que le marché du travail n’exercerait vraisemblablement pas de pressions inflationnistes. De multiples mesures de la croissance des salaires, qui se situent maintenant au-dessous ou près de leurs fourchettes de valeurs de référence, laissent supposer la même chose. De plus, les effets estimés des salaires ne semblent pas grands à l’heure actuelle, et la plupart des signaux que donnent les indicateurs du marché du travail concordent avec l’écart de production global.

Enfin, les indicateurs qui traduisent le plus fortement le fait que le marché du travail conserve une certaine vigueur (les taux d’activité et d’emploi, par exemple) semblent plutôt dissociés de l’inflation selon nos estimations fondées sur la courbe de Phillips. Cela semble aller plutôt de soi, étant donné que les indicateurs reflètent en partie l’offre de travailleurs.

En guise de mesure synthétique de tous ces liens, le graphique 10 montre la contribution globale des indicateurs du marché du travail à l’inflation. Cette mesure est obtenue en additionnant l’écart des indicateurs par rapport au point médian de la fourchette des valeurs de référence, en pondérant chacun selon son coefficient sur la courbe de Phillips5. Nous constatons que la contribution moyenne à l’inflation a considérablement diminué, passant d’un sommet de 0,5 à 0,3 point de pourcentage entre le milieu de 2023 et le premier trimestre de 2024.

Graphique 10 : Le marché du travail a contribué de façon modérée à ce que l’inflation dépasse la cible

Annexe

Graphique A-1 : Mesures relatives aux caractéristiques des emplois

Graphique A-2 : Mesures relatives à l’inclusivité du marché du travail

Graphique A-2 : Mesures relatives à l’inclusivité du marché du travail

Nota : Ce graphique présente la valeur actuelle des indicateurs du marché du travail par rapport aux pires et aux meilleures valeurs historiques. Les valeurs de référence comprennent les estimations tirées des filtres de Hamilton (modifié) et de Hodrick-Prescott, la valeur de l’indicateur au moment où l’écart du facteur travail a été comblé et, pour certains indicateurs, les estimations tendancielles produites par la Banque du Canada. Les données sur le niveau d’emploi en fonction du salaire ne sont pas désaisonnalisées.
Sources : Statistique Canada et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : février 2024

Graphique A-3 : Le taux d’emploi a été à peu près stable au cours des 20 dernières années

Références

Bounajm, F., J. G. Junior Roc et Y. Zhang. À paraître. « Sources d’inflation durant la pandémie au Canada : une application du modèle de Bernanke et Blanchard ». Note analytique du personnel de la Banque du Canada.

Devakos, T., C. Hajzler, S. Houle, C. Johnston, A. Poulin-Moore, R. Rautu et T. Taskin. 2024. « La production potentielle au Canada : évaluation de 2024 ». Note analytique du personnel 2024-11 de la Banque du Canada.

Ens, E., L. Savoie-Chabot, K. See et S. L. Wee. 2021. « Assessing Labour Market Slack for Monetary Policy ». Document d’analyse du personnel 2021-15 de la Banque du Canada.

Ens, E., C. Luu, K. See et S. L. Wee. 2022. « Valeurs de référence pour évaluer la santé du marché du travail ». Note analytique du personnel 2022-2 de la Banque du Canada.

Ens, E., K. See et C. Luu. 2023. « Benchmarks for Assessing Labour Market Health: 2023 Update ». Note analytique du personnel 2023-7 de la Banque du Canada.

Hamilton, J. D. 2018. « Why You Should Never Use the Hodrick-Prescott Filter ». The Review of Economics and Statistics 100 (5) : 831-843.

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  1. 1. Un travailleur autonome peut être un travailleur qui exerce une profession seul (pigiste, travailleur à la demande, etc.) ou un propriétaire d’entreprise ayant ou non des employés, selon la taille de ses activités.[]
  2. 2. Les professions faiblement rémunérées sont celles dont le salaire horaire médian en 2019 était inférieur à 16,03 $ (soit les deux tiers du salaire horaire médian en 2019, qui s’établissait à 24,04 $). Ces professions sont désignées par les deux premiers chiffres du code de la Classification nationale des professions. Par « autres professions », on entend le reste des professions, non considérées comme faiblement rémunérées.[]
  3. 3. Le redressement partiel des emplois se reflète aussi dans la plus faible contribution de l’industrie de l’hébergement et des services de restauration à la production, industrie reconnue pour ses emplois faiblement rémunérés. Voir Statistique Canada, tableau 36-10-0434-01, « Produit intérieur brut (PIB) aux prix de base, par industries, mensuel (x 1 000 000) » (2024).[]
  4. 4. La variable dépendante est l’écart entre la croissance trimestrielle annualisée de l’IPC-tronq et la cible de 2 %. Nous incorporons quatre retards de chaque indicateur du tableau de bord à la fois comme variable explicative. Comme mesures de contrôle, nous incluons les variations dans le prix des produits de base et le taux de change entre le dollar canadien et le dollar américain (moyennes mobiles sur quatre trimestres). Les variables explicatives sont exprimées sous forme d’écart par rapport au point médian de leur fourchette de valeurs de référence. Nous obtenons l’incidence globale de chaque variable explicative sur l’inflation en calculant la somme des coefficients de tous les retards, multipliée par ses écarts. Les équations sont estimées à partir d’un échantillon allant du premier trimestre de 1997 au quatrième trimestre de 2019.[]
  5. 5. Les indicateurs qui présentent une corrélation négative avec l’inflation sont assortis d’une pondération zéro, car leur contribution se situe à l’extérieur du cadre des liens significatifs.[]

Remerciements

Nous tenons à remercier Mikael Khan, Marc-André Gosselin et Alexander Ueberfeldt pour leurs commentaires utiles sur les versions antérieures de cette étude. Nous sommes également reconnaissants à Colette Stoeber et Maren Hansen pour leurs suggestions concernant la rédaction de la version anglaise, ainsi qu’à Andrée Charbonneau, Marie-Lou Lachance et André Binette pour la traduction française. Enfin, nos remerciements vont aussi à Anna Shatalova et Ethan McTavish pour leur soutien inestimable en matière de recherche. Les auteurs assument l’entière responsabilité de toute erreur qui pourrait subsister.

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2024-8

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